La libération, une sortie sans issue ?

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La libération, une sortie sans issue ?
échos
par Florence Raynal
La libération,
une sortie sans issue ?
1 Lire
Transversal n° 34 de janvier-février 2007, p. 19
et n° 32 de septembre-octobre 2006, p. 24.
De la prison… à la rue. Préparer la sortie, c’est aussi soutenir durant l’incarcération les liens qui tendent à se déliter avec l’entourage. Au-delà de l’aspect humain, il s’agit
de considérer, affirme Charlotte Paradis, que « les familles
et les proches seront souvent la seule solution à la sortie,
le seul relais dans l’attente de la mise en place des processus de prise en charge, d’hospitalisation ou autre. Il est
donc essentiel que les professionnels les impliquent dans
la préparation à la sortie. » Et en effet s’il est une question
qui pose problème, c’est bien celle de l’hébergement.
Trouver un lieu d’accueil pour les ex-détenus malades se
révèle un vrai défi pour les Spip comme pour les associations
qui se mobilisent. Les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) manquent de place et ne peuvent recevoir que des personnes relativement autonomes. En outre,
tous les CHRS ne se précipitent pas pour accueillir des usagers ou ex-usagers de drogues. Concernant les Appartements
de coordination thérapeutique (ACT), plusieurs obstacles se
présentent. Ainsi, dénonce Julien Nève, « on compte environ
une place pour dix demandes. De plus, cela nécessite l’envoi d’un certificat médical au médecin de la structure, ce
que les Ucsa ne font que trop rarement. » La personne doit
par ailleurs rencontrer l’équipe, « ce qui est presque impossible à organiser durant la détention. Or l’obtention d’un
hébergement médicalisé du type ACT dès la sortie est quasi
irréalisable. » Sans compter que les détenus suscitent les
fantasmes les plus fous. Et pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme, il manquerait 2 000
places en structures de soins palliatifs. Enfin, témoigne
Karine Poncelet, CIP à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes,
« nous avons du mal à trouver des prises en charge pour les
personnes trop malades pour les structures de soins curatifs et pas assez pour celles de soins palliatifs. » Quant aux
étrangers malades sans titre de séjour, leur trouver un accueil
relève tout bonnement de la gageure.
Transversal n° 38 septembre-octobre échos
« Une sortie de prison réussie, c’est une sortie qui a été
préparée bien en amont de la libération. Être lâché dans
la nature sans savoir où ni à qui s’adresser, n’être attendu
nulle part, est le meilleur moyen pour faire de la sortie un
échec », affirme Charlotte Paradis, trésorière de l’association Ban public, lors d’une intervention élaborée avec
Didier Robert, malade du sida et incarcéré. C’est à l’administration pénitentiaire qu’incombe la mission de réinsertion et que revient, selon le code de procédure pénale,
de « permettre au détenu de préparer sa sortie dans les
meilleures conditions possibles ». Pour autant, celle-ci
« s’apparente en général à un parcours du combattant »,
estime Julien Nève, de l’Observatoire international des
prisons. Les détenus malades, en particulier, rencontrent
de nombreux écueils. En effet, alors que la continuité des
soins doit être assurée entre le dedans et le dehors par
les Unités de consultation et de soins ambulatoires
(Ucsa), il arrive souvent que le dossier médical ne suive
pas la personne, que celle-ci ne sorte qu’avec son traitement pour la journée et sans ordonnance (lire encadré
p. XX). Parmi les explications : l’absence d’information
des Ucsa sur la date de sortie des patients et la mauvaise
articulation avec les Services pénitentiaires d’insertion et
de probation (Spip) 1. Surchargés, les conseillers d’insertion et de probation (CIP) ne peuvent en outre pas toujours préparer la sortie. Aussi, témoigne Julien Nève,
« beaucoup sortent sans qu’aucun dossier n’ait été instruit en détention. Tout reste à faire après la sortie. »
Maintes formalités sont de surcroît irréalisables en prison. Des détenus se retrouvent donc dehors sans ressources ni couverture maladie.
© Stockxpertcom
La sortie de prison peut se révéler un parcours semé d’embûches, faute d’anticipation,
de relais entre le dedans et le dehors et de solutions d’hébergement. L’absence de
ces dernières empêche même des sorties anticipées pour raison médicale. Des points
abordés lors de la Journée nationale prison organisée par Sidaction le 22 juin dernier
à Paris et consacrée au « Suivi médico-social des personnes atteintes d’une infection
à VIH et/ou d’une hépatite virale sortant de prison ».
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échos
par Florence Raynal
Pas d’hébergement, pas de sortie. Devant l’absence de structures, maints détenus sortent sans hébergement ou avec une
solution très précaire. Difficile alors de mettre en place des
soins et grands sont les risques de réincarcération. Une telle
situation empêche même certaines personnes de bénéficier
d’un aménagement (placement extérieur, semi-liberté, libération conditionnelle) ou d’une suspension de peine pour raison médicale. En effet, « selon une enquête de l’Association
nationale des juges d’application des peines, près d’un refus
de suspension sur cinq serait dû à cette difficulté. Ainsi, des
détenus gravement malades, voire mourants, mais sans projet d’hébergement restent incarcérés », affirme Julien Nève.
Instaurée par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades, la suspension de peine pour raison médicale
connaît par ailleurs d’autres restrictions. « Dans la pratique,
cette loi révolutionnaire, qui constituait un progrès énorme,
n’a pas eu l’impact souhaité », estime le juge Jean-Claude
Bouvier, vice-président chargé de l’application des peines
au tribunal de grande instance de Créteil. Ladite loi prévoit
en effet que cette mesure peut être ordonnée pour les
condamnés « atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital » ou dont « l’état de santé est durablement
incompatible avec le maintien en détention ». Des critères
d’octroi donc strictement médicaux. N’interviennent ni la
nécessité d’accomplir des efforts de réinsertion ni de bien se
conduire en détention. Ce qui est en jeu, selon le juge, c’est
« la dignité » des personnes. Cependant, déplore-t-il, « une
part importante de la jurisprudence a consacré la mise en
œuvre de critères liés à la dangerosité du condamné ou
aux troubles à l’ordre public. » Et le 12 décembre 2005,
la loi relative au traitement de la récidive des infractions
pénales ajoutait ainsi aux conditions « l’absence de risque
grave de renouvellement de l’infraction ».
Une loi exsangue. Par ailleurs, « réticents à l’idée de devoir
libérer certains détenus dont la perspective de fin de vie
n’était pas immédiate, de nombreux magistrats ont exigé
Ucsa : peut mieux faire
Dans son enquête « Accompagnement médico-social
postcarcéral des détenus atteints d’hépatites B, C et
d’infection à VIH » menée auprès des Ucsa en 2006,
l’équipe du Dr André-Jean Rémy (UCSA Perpignan, pôle
CSUD) a relevé une série d’indicateurs intéressants.
Parmi lesquels on constate notamment que de façon
systématique seuls 56 % des Ucsa ont la liste des
détenus libérables, 52 % leur donnent des médicaments, 40 % une ordonnance, un tiers font une lettre
au médecin traitant et, au plus, un quart transmettent
les coordonnées d’un médecin aux sortants de prison.
Quant au relais avec une association, il n’est automatiquement assuré que dans 5 % des cas.
que le pronostic vital soit engagé “à court terme” », explique
Jean-Claude Bouvier. Ce qu’a confirmé la Cour de cassation. Quant à l’incompatibilité de l’état de santé avec la prison, certains juges estiment « qu’elle n’est effective que
lorsque le maintien en détention constitue une perte de
chance sur le strict plan sanitaire », précise Julien Nève.
Autrement dit, quand le détenu ne peut recevoir les mêmes
soins qu’à l’extérieur. De fait, très peu de suspensions de
peine sont aujourd’hui octroyées à des détenus atteints par
le VIH. « Dès lors que la personne est sous trithérapie et
qu’elle va à peu près bien, elle n’en bénéficie pas, car souvent les experts médicaux considèrent son état de santé
compatible avec la détention. On ne tient pas assez compte
de ce que signifie vivre une maladie chronique en prison »,
souligne-t-il. À noter enfin que la mesure ne concerne pas
les personnes en détention provisoire. Pourtant, ce sont
elles qui endurent les conditions de vie les plus ardues.
Transversal n° 38 septembre-octobre échos
« Réapprendre le quotidien en gérant la maladie »
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Nathalie Vallet, travailleuse sociale à l’Association réflexion action prison et justice (Arapej).
«
Dans le cadre d’aménagements ou de suspensions de peine, nous voyons beaucoup de personnes dans le déni de
leur maladie. Le temps de la détention a été pris comme un temps de mort et elles veulent rattraper les années perdues. Elles arrêtent leurs traitements pour se lancer dans une nouvelle vie. À l’inverse, d’autres sont dans une surmédicalisation. La vie à l’extérieur leur paraît si dure que le seul refuge trouvé est la maladie. Elles se sentent mieux à
l’hôpital où elles retrouvent une sorte de cocon. Bien sûr, la prison n’était pas un cocon, mais certains y ont vécu très
longtemps et se disent “fondus dans les murs”. En prison, on est infantilisé. À la sortie, on n’a plus ni repères dans le
temps ni dans l’espace ni dans la relation aux autres. Il faut réapprendre le quotidien tout en gérant la maladie.
»

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