Intervention de Luc-André Biarnaisation

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Intervention de Luc-André Biarnaisation
Forum des archivistes (Angers, 20-22 mars 2013)
Les archives diocésaines :
de l'érudition à l'expertise technique
Par Luc-André BIARNAIS
Archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun
Les archives de L'Église de France sont des archives privées au sens des articles L
211-4 et L 211-5 du code du patrimoine pour la totalité des documents, depuis la loi
du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat 1. Mon propos
concerne uniquement les archives diocésaines et n'intègre pas celles du Centre
national des archives de L'Église de France (CNAEF) qui se trouve à Issy-lesMoulineaux. Celles-ci regroupent les archives de la Conférence des évêques de
France, c'est-à-dire l'administration centrale de L'Église catholique en France.
Un diocèse est une Eglise particulière. Il est « la portion du peuple de Dieu confiée à
un évêque » qui en est « le pasteur », est, en principe « circonscrite en un territoire
déterminé de sorte qu'elle comprenne tous les fidèles qui habitent en ce territoire »2.
L'évêque est donc à la tête du diocèse aux yeux du droit de L'Église, le droit
canonique, et président d'une association diocésaine telle que définie par les échanges
de lettres entre la France et le Saint-Siège entre 1921 et 1924 et l'avis du Conseil
d'Etat du 13 décembre 1923.
Les archives diocésaines sont traitées à deux niveaux différents dans le droit de
L'Église. La norme générale qu'est le code canonique de 1983 évoque cette question
en neuf canons sur 1752 que compte le code. Retenons-en que « dans chaque curie il
faut établir en lieu sûr les archives ou le dépôt d'archives diocésaines, dans lequel
seront conservés les documents et les écrits concernant les affaires diocésaines tant
spirituelle que temporelle, classés et soigneusement enfermés » et qu' « un inventaire
ou un catalogue des documents contenus dans les archives sera dressé avec un bref
résumé de chaque pièce. »3
1 Pour les références aux textes législatifs français et au code du patrimoine, je renvoie au site Internet
www.legifrance.gouv.fr
2 Code de droit canonique. Paris, Centurion, Cerf, Tardy, 1984. Canons 369 et 372.
3 Idem. Canons 482-491. La curie diocésaine regoupe les organismes et collaborateurs prêtant concours à l'évêque
dans l'action pastorale, l'administration et le pouvoir judiciaire.
D'une manière générale, sur le droit des archives ecclésiastiques, il est possible de se référer aussi au numéro 38
d'Archivor, bulletin de l'Aedaa, avril 2012, p 6-9.
1
Le chancelier et son rôle sont définis dans le principe : il veille « à ce que les actes de
la curie soient rédigés et expédiés, et conservés aux archives de la curie ». Le terme
archiviste, lui, n'apparaît pas4. Cela s'explique dans l'histoire du droit puisque le code
de 1917 prévoit que « le rôle principal du chancelier est de garder dans les archives
les actes de la curie, de les classer par ordre chronologique et d'en dresser la table ».
Au chancelier, l'évêque peut adjoindre « un vice-chancelier ou vice-archiviste. »5
Le deuxième niveau du droit est celui de L'Église particulière qui vient compléter
celui de L'Église universelle par le biais des statuts synodaux. Dans le diocèse de
Gap, les statuts de 1922 ne définissent pas les archives diocésaines mais celles des
paroisses. Le curé doit conserver dans une armoire à la sacristie ou au presbytère la
collection des actes épiscopaux, les registres de catholicité, l'inventaire, le coutumier
paroissial, le registre des paroissiens, les registres et documents relatifs aux comptes
paroissiaux, « les factures acquittées des objets destinés au culte ou à
l'ornementation de l'église. »6 Cependant, le formulaire des tarifs utilisé dans les
paroisses pour les célébrations porte la mention qu'il doit être conservé dans les
archives de l'évêché et les archives paroissiales7.
En 1960, la situation n'a pas changé pour les paroisses. Cependant, les nouveaux
statuts synodaux confient la charge des archives diocésaines au secrétariat de la
chancellerie, sans autre précision8. A ces questions de droit, il faut ajouter les
contraintes patrimoniale et économique qui poussent les évêques à confier la
direction des bibliothèques diocésaines à leurs archivistes. C'est le cas à Nice, c'est le
cas à Gap également9.
Nous le voyons donc, aucune compétence archivistique n'est demandée par le droit
pour exercer les fonctions d'archiviste. En 1997, cependant, un document romain
demande que « la direction des archives ecclésiastiques soit confiée à des personnes
particulièrement qualifiées »10. Dans le diocèse de Gap, en 1962, Mgr Georges
Jacquot, évêque titulaire depuis l'année précédente, nomme le chanoine Louis
4 Code de droit canonique. Paris, Centurion, Cerf, Tardy, 1984. Canons 482.
5 Cance, Adrien. Le code de droit canonique, commentaire succinct et pratique. Tome 1er. Paris, Libraire Lecoffre, J.
Gabalda et cie, 1938. p. 349. L'auteur cite les canons 372 et 373 du code de droit canonique de 1917.
6 Statuts synodaux du diocèse de Gap publiés dans le synode de Notre-Dame du Laus (12-16 septembre 1921). Gap,
Imprimerie L. Jean et Peyrot, 1922. Articles 25 et 98, p 15-16 et 35.
7 Archives paroissiales de Villard-Loubières. Tarifs des célébrations du 15 juillet 1922.
8 Statuts synodaux du diocèse de Gap promulgué par Son Excellence Monseigneur A. C. Bonnabel évêque de Gap.
Notre-Dame du Laus, 8-10 septembre 1960. p 3 (canons 3 et 8), 13 (canon 75), 15 (canon 85).
9 Bulletin de liaison de l'Association des Bibliothèques Chrétiennes de France. Bibliothèques et archives :
rapprochement et enjeux. N° 137, novembre 2008. p 2-18.
10 Commission pontificale pour les biens culturels de l'Eglise. Lettre circulaire : la fonction pastorale des archives
ecclésiastiques. Cité du Vatican, 1997. Chapitre 2, point 5. p 30-32.
2
Jacques archiviste diocésain. Son érudition plonge ses racines dans la tradition
familiale. Son oncle, le chanoine Eugène Jacques, est lui-même érudit, professeur au
petit séminaire de 1889 à 191811. Il est l'auteur d'une histoire du grand séminaire de
Gap dans le bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, l'académie d'érudition
départementale. Toujours dans ce bulletin, le chanoine Louis Jacques publie dix-sept
articles, une notice nécrologique et cinq comptes-rendus bibliographiques entre 1952
et 197312. L'histoire des localités de Serres, Chorges, Savines, Barcelonnette et, bien
sûr, Gap, constitue l'essentiel de son travail, accompagnant un ministère paroissial
puis d'aumônerie de religieuses.
Sans être monumentale, l'oeuvre du chanoine Louis Jacques constitue un corpus bien
documenté représentant six boîtes d'archives standard et composé de manuscrits, de
notes prises aux archives départementales des Hautes-Alpes et du récit des deux
campagnes des conflits mondiaux auxquels il a participés.
Le chanoine Louis Jacques n'a guère pris de notes aux archives diocésaines, faute de
fonds classés avant son arrivée. Il fait parfois conserver des documents dans la pièce
des archives : six mètres carrés environ à l'évêché. En revanche, il ne dresse aucun
instrument de recherche. Il étudie beaucoup et, par exception, il a travaillé sur les
archives de Mgr Bonnabel (1932-1961). Ce fonds d'archives a été classé par l'évêque
lui-même : l'action de l'archiviste se révèle alors néfaste puisqu'il n'a jamais replacé
les documents utilisés.
Presque sans interruption, le poste d'archiviste diocésain est donc confié de 1962 à
2005 à un ecclésiastique. Il s'agit toujours d'hommes de culture, diplômés de
l'université. Ces prêtres ont, souvent, des ministères associés à la fonction
d'archiviste.
II.
En 2003, Mgr Jean-Michel di Falco Léandri arrive sur le siège de Gap. Il fait installer
les archives dans une maison diocésaine avec un bureau et deux magasins dont l'un
est équipé de rayonnages mobiles. En tout, les archives comptent 220 mètres
linéaires, aujourd'hui saturés.
11 Ordo du diocèse de Gap, 1890-1919.
12 Oury, Bernard. Table générale des matières du bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes de 1882 à 1998.
Gap, Société d'Etudes des Hautes-Alpes, 2000. p 138-139.
3
Les archives du diocèse de Gap sont traitées par un archiviste à plein temps. Depuis
2008, un archiviste adjoint effectue un tiers-temps. Cet adjoint, également chargé d'un
ministère, est chancelier du diocèse depuis septembre 2012. Le caractère rural et peu
peuplé du département conduit l'archiviste diocésain à collecter les archives
paroissiales dans la plupart des cas : seuls quelques centres urbains permettent la
conservation des archives dans les presbytères sous la responsabilité des curés.
Les services diocésains versent aussi leurs archives. Ces versements sont de qualités
variées : vrac de quelques dossiers déposés par des mains anonymes à l'accueil de la
maison diocésaine pour le pire ; fonds classé, conditionné et muni d'un bordereau de
versement pour le meilleur (direction diocésaine de l'enseignement catholique). Cette
diversité s'explique aussi par la variété des statuts : des salariés travaillent dans les
services économiques du diocèse, à la direction diocésaine de l'enseignement
catholique ; ce sont des bénévoles qui font fonctionner la pastorale du tourisme, des
salariés à temps partiels mais réalisant des temps pleins par dévouement dans
quelques secrétariats paroissiaux. Les exigences de l'archiviste sont évidemment
différentes.
Faut-il ici parler du cadre de classement ? Officialisé par une circulaire de l'épiscopat
le 14 novembre 1961, ce cadre a donc été conçu avant le concile Vatican II et ne peut
concerner que les archives antérieures audit concile en raison de la « mise à jour »
des structures de L'Église qu'a constitué cet événement. Le cadre de classement n'est
donc pas un document de référence pour les salariés. En revanche, je suis surpris
qu'elle le soit autant pour les étudiants lorsque ceux-ci viennent en stage.
Le concile Vatican II et les années de bouillonnement parfois anti-clérical dans
L'Église même13, anti paroissial dans le clergé parfois, provoque un bouleversement
dans le rapport au patrimoine, qu'il soit de pierre ou de papier. Les nominations
d'archivistes diocésains – comme un retour de balancier -, interviennent alors, non
pas en conséquence mais en pare-feu et en catalyseur d'une connaissance historique,
culturelle et pastorale de L'Église catholique. C'est cette nécessité qui impose aux
diocèses de ne pas confier leurs fonds aux archives publiques.
La situation évoluera favorablement si le projet de Directoire des archives, initié par
l'Association des archivistes de l'Eglise de France, aboutit. Pour cela, il faudra que
chaque évêque le promulgue dans son diocèse.
13 Je renvoie, par exemple au mouvement Echanges et dialogue / Baligand, Pierre et al. Echanges et dialogue ou la
mort du clerc. Idoc France, Librairie L'Harmattan, Paris, 1975. 383 p.
4
III.
Deux contraintes spécifiques pèsent aujourd'hui sur les archives diocésaines. La
première est statutaire. Quoi de commun entre la demoiselle octogénaire, bénévole et
dévouée et des professionnels munis de qualification universitaire ? De surcroît, mais
cela n'est pas une exception, il faut se faire reconnaître comme professionnels au sein
même de l'entreprise, ici le diocèse.
La deuxième contrainte est perspective. Elle se pose dans l'immédiat et plus encore
dans le futur. En raison de l'histoire courte de nos services, les archivistes concentrent
leurs efforts sur la collecte des archives provenant des services ne fonctionnant plus
ou de paroisses éloignées et sans curés résidents. De ce fait, les paroisses importantes
munies de secrétariats salariés, bien rodés et réceptifs à nos réflexions d'archiviste, les
services diocésains fonctionnant actuellement, sont plutôt délaissés... Or, là se trouve
une problématique professionnelle majeure en terme de supports de documents, et de
conservation tant en terme de maîtrise technique (je pense de nouveau à la vieille
demoiselle octogénaire) que de coût acceptable pour l'entreprise. Dans cette
problématique, il y a, bien entendu, les services diocésains de la communication. Il y
a urgence aujourd'hui car il est vite venu le temps du remplacement de l'ordinateur
pour lequel aucune sauvegarde n'existe. Le document immatériel n'a pas d'existence
puisque, justement, il n'a pas de matérialité... Disparues donc la newsletter du service
ou de la paroisse – pardon, la feuille d'annonces paroissiales -, la collection de
photographies des années 2000 (célébrations, fêtes locales, bénédiction de tel oratoire
ou telle chapelle restauré). Disparu aussi – cela aurait été le cas dans un diocèse si
une collègue n'était intervenue - : l'ancien site internet du diocèse tant dans son
contenu que dans sa structure...
L'Église existe pour transmettre la parole du Christ. J'écrivais dans la présentation de
cette communication que de cela découlait la nécessité d'une érudition forte confiée à
l'archiviste. C'est d'ailleurs le propos du premier chapitre de la lettre circulaire La
fonction pastorale des archives ecclésiastiques intitulé « l'importance ecclésiale de la
transmission du patrimoine documentaire ». L'archiviste doit donc s'efforcer de
concilier l'érudition et la maîtrise professionnelle de son métier. Thierry Legros, dans
son mémoire de stage en 2009, écrivait que « l'archiviste aura toujours à s'adapter à
un milieu, à la technologie et à la mision ». Evoquant le cas des archives
électroniques, il s'interroge sur celui qui aura à les traiter : informaticien ou archiviste
ayant acquis des compétences ? Il évoque la spécialisation au sein du métier
nécessitant cependant « la sensibilité historique […] car elle garantit les choix les
plus pertinents lors du tri et du classement »14.
14 Legros, Thierry. Traitement d'un fonds d'archives spécifique : l'économat du diocèse de Gap. Diocèse de Gap, IUT
de Dijon, 2009. p 32-33.
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Je fais bien sûr miennes ses réflexions. Les situations économiques et géographiques
des diocèses permettront des réponses adaptées à chaque cas : mise en commun des
moyens humains, mutualisation technique, embauche de personnes référentes dans le
cadre d'une province ecclésiastique ou salariés dans le cadre strict d'un diocèse.
Enfin, nous n'existons qu'en raison de nos compétences, et, notamment, notre
capacité à mettre en valeur nos fonds. Dans le cadre de la mutualisation provinciale,
nous avons lancé un projet de Guide des sources ecclésiastiques sur la Première
Guerre mondiale, qui sera disponible à la fin de cette année 2013 : nous souhaitons
l'inscrire dans la commémoration européenne du premier conflit mondial.
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