1 Mado Journal d`une lycéenne Ydda Hendrics Dimanche 18 avril

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1 Mado Journal d`une lycéenne Ydda Hendrics Dimanche 18 avril
Le territoire de Bob était occupé par un meuble Ikea en pin, pupitre
d’écolier avec son banc et son placard, surmonté à 1,70 m de son lit
auquel il accédait par une échelle
Mado
Journal d’une lycéenne
Ydda Hendrics
Alors que je dormais la tête coté soleil levant, il avait préféré se
coucher tête à l’ouest. Il pouvait ainsi m’observer, réfléchie par le
miroir, surtout l’été quand je dormais à moitié nue.
Dimanche 18 avril Baccalauréat - 60 jours
Un étroit rayon de soleil me piqua l’œil droit et finit de me réveiller
complètement. Depuis une demi-heure je me prélassais dans un demisommeil et me livrais à mon exercice favori: visualiser les yeux fermés
la chambre que je partageais avec mon frère Bob
Un paravent fleuri séparait nos territoires respectifs, coupant la
chambre en deux, de la fenêtre à la porte..J’occupais la partie nord
avec mon lit cosy-corner plaqué contre le mur. Du côté de la porte une
grande coiffeuse surmontée d’un miroir triptyque, que Mère avait
déniché dans une brocante et dont elle me fit cadeau pour mes 12 ans.
Elle avait toujours souhaité secrètement que je passe davantage de
temps devant le miroir que devant mes livres. Appuyé contre le
paravent, vers le milieu, un meuble colonne, formé d’un placard fermé
par une porte basculante formant table rabattable. C’est dans ce
placard que je rangeais livres, cahiers, ordinateur. C’est sur cette table
que j’étudiais, assise sur mon lit.
J’ouvris les yeux; les interstices des volets roulants projetaient sur mon
pyja-short bleu des rais de lumière parallèles, évoquant tantôt une
marinière de skipper tantôt une bure de forçat. Au rythme de ma
respiration ces rais ondulaient, crêtes de vagues entre lesquelles je
surfais librement, affirmant par fractions de seconde successives ma
maîtrise face au déferlement fatal.
Une demi-heure plus tôt c’est l’entrée discrète de Papaye qui m’avait
tirée du sommeil, Comme tous les dimanche matin, vers 7 heures, il
venait chercher Bob pour aller au marché.
Je me levai enfin pour aller faire ma toilette. Notre maison, héritée de
grand’mère, est une ancienne longère, maison de pêcheurs. A notre
arrivée, Mère l’avait faite entièrement réaménager La salle de bain fut
édifiée dans un ancien couloir, c’est une pièce aveugle séparant la
chambre des enfants de la chambre des parents.
La douche se trouve au fond de la pièce, lavabo et le WC s’appuient
contre le mur gauche.
Je pris ma douche, m’habillais.
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En sortant je risquais un œil dans la chambre dite des parents dont la
porte était entre-ouverte. Elle était vide. Le silence de Mère me
surprit. D’habitude à cette heure elle marchait dans la cuisine, fumant
sa première cigarette et faisant résonner sur le carrelage ses mules à
hauts talons
« Maman ne rentrera plus parce que vous couchez ensemble »
Je me dirigeai vers la cuisine, vide elle aussi. Mère n’était pas rentrée
de sa semaine. Elle travaillait comme démonstratrice itinérante pour
des produits agro-alimentaires, animant des promotions dans tous les
supermarchés des Pays de Loire, La plupart du temps elle logeait à
l’hôtel; ne rentrait que le samedi soir pour repartir le mardi matin. En
période de fêtes elle travaillait aussi le dimanche matin, mais alors elle
nous prévenait par téléphone.
« Tu sais Bob, la maison est petite et tu vas avoir besoin d’une grande
chambre, alors nous avons pensé occuper la chambre des parents
lorsque Mère n’est pas là. Tu comprends cela? » « Oui »
Cela faisait à peine deux semaines que j’avais pris pour amant Papaye,
le compagnon de ma mère. Nous étions discrets et Mère était trop
remplie d’elle-même pour s’en apercevoir.
« On fait ça pour toi, inutile de lui en parler, sinon elle me remettra
dans la chambre commune »
Tout content Bob partit dans la chambre jouer à la Playstation
Papaye m’entraina à part:
Papaye avait préparé le petit déjeuner: sur la table trois bols, beurre,
Nutella et cornflakes; sur le gaz une casserole de lait; devant le grillepain une assiette de tartines
Papaye et Bob rentrèrent plus tôt qu’à l’habitude, leur panier à moitié
vide.
« On ne trouve plus de beaux légumes » se plaignait Papeye, mais le
ton de sa voix signifiait autre chose. Il avait aussi oublié d’acheter les
traditionnels croissants du dimanche matin.
A la fin du repas, rassasié, Bob se mit à sangloter:
« Cela va faire un mois que j’observe le manège de ta mère. A chaque
week-end elle emporte une partie de sa garde-robe, de ses chaussures
et objets de valeur. Aujourd’hui sa penderie est pratiquement vide. Je
m’en suis aperçu à temps et j’ai pu nous faire une petite cagnotte,
pour voir venir la fin du mois. Tu vois ce n’est pas un caprice, elle a
préparé son coup de longue date, sournoisement, pour nous laisser
dans l’inquiétude et financièrement dans l’embarras »
« Et, le sachant, tu n’as pas voulu discuter avec elle? »
« Mado je me doutais
que tu étais amoureuse de moi,
inconsciemment. J’avais eu le coup de foudre pour toi dès notre
première rencontre, il y a 7 ans et que étais encore gamine. Tant que
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ta mère était présente, je n’aurais jamais pu te l’avouer. Quand je
couche avec elle, c’est à toi que je pense dans ta splendide nudité.
Peu après déjeuner, Jojo et Momo, les deux copains de Bob sonnèrent
à la porte et l’emmenèrent jouer au foot avec eux.
Si tu t’es donnée à moi à ce moment précis, c’est que tu avais compris
plus ou moins consciemment que cette évolution était irrémédiable,
que ta mère ne nous reviendrait pas. Nous sommes tous deux des
êtres droits. Et même si elle s’est montrée sournoise et retorse à notre
égard, nous ne l’aurions pas été vis-à-vis d’elle »
Je proposais à Papeye d’aller prendre le café sur la terrasse, dans la
balancelle, sous le chaud soleil printanier.
Papaye alla chercher Bob et proposa une partie de basket à trois; le
panier était suspendu au mur de la terrasse. Le basket était excellent
pour éduquer l’esprit de concentration chez Bob, et obligeait Papeye à
des exercices mobilisant sa prothèse de la jambe gauche. Quant à moi
je prétextais des révisions pour le bac et montais dans ma chambre.
Sur l’ordinateur je consultais nos comptes bancaires: Mère les avait
vidé. Ainsi donc elle avait décidé de nous quitter pour longtemps, sinon
pour toujours.
Papaye observa un long silence
J’étais sidérée, dépassée.
C’est précisément à cet instant que je pris la décision d’écrire mon
journal, relatant les événements au jour le jour, dans l’espoir de les
mettre en équation et aussi comme une sorte de thérapie, dans
l’espoir que le relevé scrupuleux des faits me permettrait d’en découvrir
la clef et « Devenir lucide, ne pas mourir idiot » comme se plaisait à dire
Papeye.
« Je crois que Mère a compris que désormais nous couchions ensemble
et que cela lui a fourni l’ultime prétexte pour s’en aller »
« Je ne crois pas qu’elle s’en soit aperçu. Votre conflit, à ta mère et toi,
a commencé avant même ta naissance. Il y a 20 ans, ton père travaillait
déjà dans le pétrole. Ils firent connaissance lors d’une de ses périodes
de récupération, au retour du Nigeria. Il avait de l’argent, du temps
libre, et faisait ce qu’il faut pour l’épater. Peu après il fut affecté en
Hollande, et il l’emmena. C’est à La Haye qu’ils se marièrent. Son
affectation suivante fut une plateforme offshore, au large de la
Norvège. Dés lors son rythme de travail était de six semaines, suivies
d’une semaine de repos. Ta mère se retrouva seule, dans un pays
inconnu et enceinte de toi. Elle se mit à fumer, des cigarettes et
bientôt de l’herbe, en vente libre là-bas. Tu naquis avec une
constitution chétive et une prédisposition à l’asthme. Après ta
naissance ton père demanda une affectation au siège social du groupe,
à Pau pour être plus près de vous.. Son salaire s ‘en ressentit: fini les
juteuses primes d’expatriation.
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Tu avais quatre ans lorsque ta grand’mère mourut, vous laissant en
héritage sa petite maison de La Pironnière, banlieue des Sables
d‘Olonne.
Ta mère y avait passé son enfance, elle connaissait du monde. Votre
médecin estima que l’air marin te ferait le plus grand bien. La maison
était vétuste et nécessitait de grands travaux. Ta mère pressa ton père
de reprendre ses chantiers. Seule à nouveau elle se remit à fumer.
C’est alors que naquit ton frère Bob. Dès la naissance il connut des
problèmes de développement, retard mental et prédispositions à
l‘épilepsie..
Ta mère, découragée ne cessa de se plaindre et à réclamer de l’argent.
Ton père lui reprochait ses abus de tabac, selon lui causes de votre
constitution fragile.
A l’époque il travaillait au Kazakhstan, il s’y plut, apprit le russe. Les
longs hivers y sont rudes, et le charme slave est redoutable. Une jeune
employée, Olga, attira l’attention de ton père et sut le séduire..
Tu avais neuf ans lorsqu’il obtint le divorce.
Ta mère dut chercher du travail et trouva un emploi de démonstratrice
itinérante, qui l’obligeait à des déplacements constants. Elle vous avait
placé tous deux en nourrice chez une paysanne du coin, maman
Thérèse.
« Oui, je me souviens bien »
Mais l’instabilité de ton frère lui causa bientôt des problèmes; Thérèse
ne voulut plus de vous.
C’est à ce moment que nous fîmes connaissance ta mère et moi.
C’était dans la cafétéria d’un supermarché à Brest. Je venais d’être
licencié pour faute grave. J’avais eu un accident de voiture après une
soirée un peu arrosée. Je fus amputé de ma jambe gauche, à hauteur
du mollet Jusque là j’avais travaillé dans l’import-export avec les pays
de l’Est
Ta mère m’a fait part de ses problèmes. Je lui proposais de travailler
comme précepteur à domicile. La maison était petite comme tu sais,
aussi me fit elle une place dans son lit. Il n’y avait guère d’amour entre
nous mais sur le plan sexuel nous nous entendions bien.
Je compris vite à quel point le travail avec Bob serait ingrat. Mais toi tu
m’apparus d’emblée comme un rayon de soleil. Je suis tombé
amoureux de toi dès le premier jour; un amour très platonique. J’ai
compris vite que tu avais un potentiel intellectuel intéressant et que
c’est cela qui allait te sauver Il fallait t’entraîner à lutter et à
persévérer, à te lancer des défis. La boxe thaï, le russe, le chant choral.
Je vis avec plaisir que tu suivais mes incitations, malgré les propos
dévalorisants de ta mère. Tu étais une princesse fragile dont je voulus
faire une reine forte. Mais jamais, dans mes rêves les plus fous, je
n’imaginais que tu déciderais un jour de devenir ma reine à moi… »
Au fur et à mesure qu’il parlait, je m’étais appesantie contre lui,
respirant au même rythme. J’écoutais ce qu’il me disait, mais c’était
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comme s’il me racontait la vie d’une autre, une femme que j’aurais
vaguement connue dans une autre vie. En ce moment, j’avais soixante
ans, comme Papaye, nous étions au soir d’une vie d’études,
d’épreuves, de labeurs, d’amour. Nous avions un fils, Bob, qui nous
causait bien du tracas, usant notre vie et notre dévouement jusqu’à la
corde.
« J’ai une triste nouvelle. On a détecté chez moi un cancer du sein à un
stade assez avancé. La semaine prochaine on va m’amputer mon sein
gauche »
Je m’arrachais à ma rêverie, mordillais son mamelon, à hauteur de ma
bouche.
« C’est injuste. Tu as les plus beaux seins du monde, de vrais seins de
star. Regarde nous: J’ai les seins petits et plutôt tristes, Dorothy les a
gros et mous, quant à Mado, ce sont tout juste des piqures de guêpe.
« Viens me faire l’amour »
Je me levai, le tirais à moi, voulus courir vers la chambre. Sa prothèse
dérapa, nous chutâmes lourdement.
Nous fîmes l’amour aussitôt, goulument, sur le carrelage brûlant de la
terrasse.
Nous étions consternées.
Nanda réagit la première
On va lui dire au revoir à ton nichon, lui faire une petite fête d’adieu.
Un adieu entre filles. Des bisous de femme à défaut de caresses
d’homme. Des baisers d’adieu pour qu’il parte en se disant qu’il a bien
vécu et qu’il a été aimé. Et aussi comme gage que nous te soutiendrons
de notre mieux dans cette épreuve ».
Nanda s’avança vers elle, ouvrit son chemisier, dégrafa le soutiengorge. Ica rougit de pudeur, cacha ses seins dans ses mains.
Lundi 29 mars (deux semaines auparavant)
Ce lundi après-midi, Isabelle dite Ica, abréviation d’Isabelle la
Catholique, nous avait convié Nanda, Dorothy et moi pour prendre le
thé. Nous étions seules dans la maison: comme d’habitude ses parents
s’occupaient d’œuvres caritatives dans la salle paroissiale. Isabelle
avait les yeux embués, elle avait pleuré.
Nanda lui caressa les mains qui peu à peu se décrispèrent, puis effleura
la naissance du sein « Adieu petit nichon, qui vas précéder notre
Isabelle dans un monde meilleur. Adieu petit sein qui ne flétrira jamais,
qui restera dans notre souvenir à tous l’image de ta perfection
juvénile»
Elle embrassa la naissance du sein, ses larmes le mouillèrent. Les doigts
d’Ica persistaient à défendre son mamelon. Nous pleurions toutes et
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l’embrassèrent à tour de rôle. Ses seins me faisaient follement envie,
j’aurais voulu me les approprier, les caresser, les arracher jusqu’à ce
qu’ils deviennent miens.
à tambouriner autour de moi. Je remontais sur le scooter pour rentrer.
J’étais trempée.
Bob était couché, Papaye bouquinait, revêtu de son kimono.
« Ce sont des seins comme les tiens que je rêverais d’avoir »
Nanda comprit mon trouble; «Bon les filles je dois vous laisser, j’ai un
rendez-vous »
« Je commençais à me faire du souci » dit-il en se levant pour
m’embrasser.
« Je vais prendre une douche et tu vas me frictionner. J’ai pris froid »
Dorothy embraya « C’est la présentation de la collection d’hiver de
Dior à la télé. Je ne voudrais rater ça pour rien au monde »
Ma décision était prise. C’est-ce soir que j’allai en faire mon amant.
Nous restions seules Ica et moi. Comme j’approchais mes mains, Ica se
recula, se couvrit en hâte:
Après la douche je m’avançais vers lui, laissais glisser mon peignoir,
défis la ceinture de son kimono.
« Je comprends ton désir Mado, mais n’insiste pas c’est mal. C’est un
péché mortel que tu veux me faire commettre. Et entre personnes du
même sexe c’est un péché contre nature, c‘est encore plus grave. . Je
t’en prie, va-t-en maintenant »
« J’ai envie de toi Papaye. Viens me faire l’amour »
Je le basculai sur le canapé, m ‘agenouillai sur lui, et caressai son
corps.
J’étais abasourdie, furieuse, et me levai
« Ecoute Mado tu me fais le plus beau cadeau de ma vie. Mais laissemoi un peu de temps. Allons dans le lit, nous serons mieux ».
« Tu te méprends totalement Isabelle. Je te laisse. Adieu »
Pendant près d’une heure je rageais dans la campagne sur mon
scooter. Je poussai jusqu’au Puits d’enfer, tout au bout de la plage des
Sables d’Olonne, m’assis à regarder le mugissement des vagues à
l’assaut de la gorge de pierre, explosant contre la falaise. Le temps
était à l’orage, il commençait à faire nuit lorsque des grêlons se mirent
Nous nous caressâmes longuement, l’émotion finit par gagner son
corps et son sexe. Je le guidai en moi
« Je voulais que tu sois le premier». Je sentis une douleur sourde et le
sang chaud couler le long de mes cuisses. Nous nous endormîmes l’un
dans l’autre
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Au petit matin je regagnais ma chambre. Inutile d’éveiller les soupçons
de Bob.
Adolescente je rêvais de longue robe blanche, baisers langoureux,
serments ardents, me laisser conquérir de haute lutte par le chevalier
blanc.
Aujourd’hui les seins d’Ica m’avaient mis en émoi, je me suis jeté sur
Papaye, je l’ai pris à la hussarde, sans préalables, sans mots doux, sans
fantasmes.
J’avais cru que les exercices d’entraînement de boxe avaient eu raison
de mon pucelage, je fus surprise de saigner abondamment.
J’avais dix ans lorsque Papaye m’avait converti à la boxe thaïe. J’avais
exigé alors qu’il soit mon masseur. En toute confiance, je lui ai offert
mon corps à modeler. Depuis sept ans, deux fois par semaine, je me
suis dénudé devant lui. Le magnétisme de ses doigts connait la
moindre de mes fibres, le parfum de l’huile camphrée a exploré tous
les points douloureux et recoins secrets de mon corps et sans doute de
mon âme. Papaye a guidé toutes les transformations de mon physique,
depuis l’enfance au pré puberté et à l’adolescence; il fut le premier
témoin de mes règles et de ma touffe pubienne. C’est lui qui m’a
expliqué longuement, délicatement les transformations qui s’opéraient
dans mon corps. La nature m’avait doté d’un corps chétif, asthmatique.
Il m’a appris à refuser la résignation, m’a poussé à me forger un corps
de guerrière. Comme je lui ai fait confiance pour me guider à travers
les champs de mines de l’adolescence, je lui fais confiance aujourd’hui
pour m’initier à ma vie de femme, en conquérante et non pas en fille
soumise,
Je souris à l’idée que tout à l’heure Papaye devra laver les draps, les
faire sécher dans la cour entre deux averses, enlever les taches du
matelas avant l’arrivée de Mère
Mercredi 7 avril
Coup de téléphone de la mère d’Ica: Isabelle avait subi son
intervention chirurgicale. L’opération s’était bien passée. Elle se
trouvait actuellement en postcure dans une maison de repos à Saint
Gilles pour deux à trois semaines. Elle avait chargé sa mère de nous
faire de gros bisous.
Mardi 20 avril
Pour une jeune fille de dix-sept ans, j’ai une vie réglée comme du
papier à musique.
Tous les jours de la semaine de 8 à 17 heures, priorité aux études, à la
préparation du bac (cours, études, travaux divers…)
Mes soirées aussi sont très occupées
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Le mardi et jeudi, de 18 à 20 h entrainement à la boxe thaï (J’ai un bus
direct pour me rendre aux Sables, mais depuis 3 ans, par beau temps,
je m’y rends en scooter).
Ce mardi, à l’entrainement thaï j’étais allé au bout de moi-même.
Je m’entraine depuis l’âge de 10 ans. Mère avait donné son
consentement, du bout des lèvres, persuadée que j’abandonnerai au
bout de quelques semaines. Si j’ai tenu bon, c’est aussi en partie pour
lui tenir tête.
« Vide ton corps, tu videras ta tête » disait Raymond le coach. Il
m’avait prise en amitié; dans son cours junior nous n’étions que 2 filles
pour 15 garçons; j’étais la plus chétive mais aussi la plus déterminée.
J’évitais les vestiaires, les douches et leurs quolibets: je rentrais en
nage, un anorak pardessus ma tenue de sport, Je prenais ma douche à
la maison, puis Papaye me massait.
Le mercredi de 19-20h, chant choral à la salle paroissiale.
« Papaye, comment trouves-tu mes seins? »
Le docteur Martin, notre médecin de famille, avait recommandé la
pratique du
chant pour faire face à mon insuffisance respiratoire
« Mais mon cœur ils sont adorables, mignons et adorables »
« Peux-tu les faire grossir? »
Les lundi et vendredi, temps libre.
« Certes, mais cela prendra du temps »
Le lundi en général, j’ai rendez-vous avec mes 3 copines
Le vendredi se passe en famille et je m’occupe plus particulièrement de
mon frère Bob.
Il les massa délicatement, titillant de temps en temps le mamelon. Un
bruit me fit tourner la tête: Bob était à la porte de la chambre et nous
observait.
Le samedi soir Mère rentre de sa semaine de travail. Linge à laver,
doléances diverses, diner amélioré, télé. Plus tard dans la nuit
j’entends, assourdis, soupirs et ahanements. J’imagine Papaye en train
de la besogner.
Papaye se tourna vers lui.
Le dimanche le plus souvent nous accompagnons Bob à son match de
foot.
« Tu sais, à la boxe on attrape toujours des coups »
« Au foot, lorsqu’il y a un blessé, est-ce que le masseur s’en occupe? »
« Bien sûr,.. Mado a été blessée? »
Bob restait à nous regarder, fasciné par ma nudité. Je me levai,
m’enveloppai dans ma serviette, allai lui faire un bisou
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« Et maintenant dodo » Il retourna aussitôt dans sa chambre.
ménage chez des voisines compatissantes. Ali m’a trouvé une solution.
Tu sais Alibert le grand blond, le fils du banquier»
« Nous aussi dodo. Tu m’excuseras, ce soir je suis vannée »
Je m’endormis comme une masse, tendrement nichée contre son
épaule.
Mercredi 28 avril (Bac - 50 jours)
Cela fait plus d’une semaine que nous sommes sans nouvelles de Mère
et nos finances sont en baisse.
Ce soir à la chorale nous étions peu nombreux. Nanda m’attendait à la
sortie et me prit le bras
« J’ai vu Bob pleurnicher ce midi. Votre mère vous a quitté? Elle vous a
laissé sans le sou? »
Nanda me guida vers le Café du Commerce, désert à cette heure-ci et
commanda deux Coca.
« Tu peux tout me dire. Entre copines on est là pour s’entraider » Je
restai silencieuse
« Tu sais, je suis dans la même situation. L’année dernière mon père
nous a quitté sans laisser d’adresse. Je suis l’ainée de 3 enfants, ma
mère est sourde et ne trouve pas de travail, à part quelques heures de
« Je connais. L’année dernière nous avions passé ensemble le brevet
de secouriste »
« Son père anime un Club des Investisseurs, qui organise de temps en
temps des soirées fines. Il y en a pour tous les goûts. Certains hommes
viennent uniquement pour trouver quelqu’un à qui causer. Cela
pourrait t’intéresser. J’ai parlé de toi à Ali. S’il a quelque chose à te
proposer, il te contactera. Il sera toujours temps de dire non ».
Lundi 3 mai
Ali doit venir me prendre à19 h. Il m’avait appelé samedi soir: un client
russe, qui se sent très seul, aimerait s’entretenir dans sa langue avec
une personne, homme ou femme. Pour la conversation le tarif est de
50 € de l’heure, dont il faut déduire 15% de commission pour Ali.
A 19h précises Ali sonna à la porte et demande à parler à Papaye. Il se
dit agent-manager artistique, chargé de trouver des personnes
susceptibles d’intéresser ou de distraire certains clients de son père,
membres d’un Club des Investisseurs. Les soirées ont lieu dans une
gentilhommière vide à vendre, mise à leur disposition par un ami agent
immobilier.
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« Vous pouvez me faire confiance, tout se passera bien Mon père ne
pourrait se permettre le moindre scandale dans ce petit coin de
province. Mado sera entre de bonnes mains ».
Dimitri était un homme trapu, à la chevelure blanche éclatante, aux
yeux bleus délavés, le regard dans le vague, le visage en sueur, les
mains jointes sur la table devant un verre de vodka.
Ali me précédait sur sa moto, un gros cube, je le suivis en scooter.
J’étais ainsi libre de partir quand je l’aurai décidé.
Je l’interpellai en russe « Bonjour Dimitri, comment allez-vous? »
Il mit du temps à répondre « Pas très bien.. La tête, la poitrine… »
C’est entre chien et loup que nous arrivâmes en vue de la
gentilhommière. Une grille rouillée ouvrait sur un parc en friche, Une
allée gravillonnée envahie d’herbes folles menait au château. Dans le
fond tel une ombre, un épais bâtiment flanqué de deux tourelles, se
détachait sur le ciel crépusculaire. L’entrée était signalée par des
flambeaux allumés. Nous nous garions sur la pelouse servant de
parking, où déjà une quinzaine de voitures étaient alignées. Nous
entrâmes dans un hall de réception. L’électricité était coupée, bougies
et lampions diffusaient une lumière tamisée Une musique aux rythmes
sensuels nous accueillait. Je m’habituais à la pénombre. Au centre du
hall quelques couples dansaient. Dans le fond à droite, des hommes et
des femmes se pressaient devant un bar. A gauche un large escalier
ouvragé conduisait à l’étage Un couple montait, je crus reconnaître
Nanda au bras d’un vieux monsieur.
Ali m’entraina vers une table où était assis un homme seul.
« Dimitri je vous présente Mado »
Son élocution était lente, mais ce n’était pas la voix pâteuse d’un
homme ivre. Je connaissais ces symptômes
« Il fait probablement un AVC » dis-je à Ali. Il faudrait l’emmener aux
urgences »
Ali disparut et revint accompagné d’un autre homme, qui jeta un coup
attentif sur le client, vérifia son pouls dans le cou.
. Puis il se tourna vers moi
« Je suis le docteur Lejeune. Demandez-lui de tousser »
Dimitri fit des efforts sans y parvenir. Il respirait de plus en plus
difficilement.
Le médecin bascula sa tête en arrière et lui souleva le menton. Puis il
lui pinça le nez, couvrit la bouche avec la sienne, lui donna deux
insufflations complètes, Puis il se releva et s’adressa à Ali
« Aide-moi à le mettre dans ma voiture, puis se tournant vers moi:
Suivez-nous »
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Je m’installais sur la banquette arrière à côté de Dimitri. Ali retourna
au château, Le médecin démarra puis se tourna vers moi:
« Voulez-vous me ramener au château? Je vais reprendre mon scooter
et rentrer. Vous voudrez bien saluer Ali. Il comprendra »
« Bravo pour votre diagnostic. Vous faites médecine? » « Dans un
mois je passe mon bac Math. J’ai un brevet de secouriste »
« D’accord, mais d’abord je vais vous offrir un verre. Vous l’avez bien
mérité »
Alors vous savez ce que vous avez à faire maintenant. Vous aller placer
vos mains au centre de sa poitrine et faire 15 compressions vers le bas.
Puis du bouche à bouche en lui pinçant le nez, deux insufflations. Vous
recommencerez jusqu’à notre arrivée aux Urgences. Ca ira? »
Il m’entraîna à la cafétéria de l’hôpital, m’offrit sa carte de visite, nota
mon numéro de téléphone. « J’ai l’impression que vous n’en avez pas
fini avec cette histoire »
« Je l’ai déjà fait sur un mannequin »
Dans la voiture nous bavardâmes de tout et de rien, histoire de
déstresser. Il me déposa au parking et je démarrai mon scooter.
Tout en roulant il m’observa à travers le rétroviseur
« C’est très bien. Vous êtes en train de lui sauver la vie. A l’arrivée aux
Urgences vous allez prendre son portefeuille et nous nous occuperons
des formalités administratives ».
Aux Urgences, il se précipita vers le médecin de garde, deux infirmiers
accoururent,, couchèrent prestement le malade sur un brancard et
l’emportèrent au trot. Lejeune m’attendait à la réception, la secrétaire
me tendit le formulaire à remplir
Je finis par trouver dans le portefeuille la carte d’identité et les divers
renseignements demandés et à les traduire sur le formulaire.
« Il est désormais en de bonnes mains. Que voulez-vous faire
maintenant? »
Papaye m’attendait, Bob était couché.
J’avais gardé le portefeuille. Il y avais 6 billets de 50€, j ‘en offris 3 à
Papaye pour le ménage et gardai le 4è pour moi. « Je dois faire le plein,
le scooter est à sec ». Je remis les deux autres billets à leur place.
Lundi 10 mai Bac - 38 jours
Dorothy avait emprunté la voiture de ses parents et par cette belle
journée de printemps toutes trois nous voguions en chantant vers
Saint Gilles faire la bise à Isabelle.
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Nanda et moi étions en jeans, Dorothy étrennait un pantacourt blanc
et une large chemise à
fleurs qui masquait élégamment ses gros seins. N’ayant pas eu le
temps de faire faire sa couleur, elle avait emprunté une perruque à sa
mère.
La maison de convalescence était installée dans un immeuble ancien
aux murs intérieurs ripolinés vert d’eau. Située à l’étage la chambre
d’Isabelle donnait la vue sur l’océan. Déjà quelques rares baigneurs se
doraient au soleil.
Isabelle avait mal supporté l’anesthésie, l’opération avait été plus
longue que prévu. En l’ouvrant le chirurgien avait trouvé des
métastases et avait dû nettoyer plus loin que prévu. Sous sa chemise
de nuit elle portait un soutien-gorge blanc; rembourré du coté gauche,
ce qui rendit à sa silhouette son l’aspect habituel Elle était visiblement
heureuse de nous retrouver et nous bavardions gaiment pendant une
heure, jusqu’à ce qu’une infirmière vint lui prodiguer ses soins.
Nous l’embrassâmes en partant et Ica me dit à l’oreille qu’elle était
contente de m’avoir revu et demanda pardon de s’être trompé sur
mes intentions
« On n’a pas de maillots » objecta Dorothy
« Tout à l’heure, par la fenêtre, on a bien vu sur la plage deux filles aux
seins nus. Je connais une petite crique au bout de la forêt d’Olonne
discrète et déserte en cette saison. Je vais te guider »
La plage était effectivement déserte. Je fus la dernière à me
déshabiller, j’avais peur qu’elles se moquent de ma poitrine plate.
Personne ne fit de remarque; L’eau était froide mais nous nous
amusions comme des folles.
Nanda avait compris mon embarras. Avant de nous rhabiller, elle me
pinça le téton.
« Tu ne sais pas la chance que tu as. Dans 20 ans, nos seins tomberont
alors que les tiens auront atteint leur perfection juvénile. Les hommes
se détourneront de nous pour se jeter à tes pieds. C’est à nous d’en
profiter au maximum maintenant tant que nous sommes belles. Croistu que Dorothy comprend cela? Dorothy, je parie que tu es toujours
vierge »
« Je n’aime pas folâtrer avec des hommes et je n’ai pas encore trouvé
l’âme-sœur »
« C’est le cancer qui t’avait fait voir les choses en noir. Maintenant tout
cela est derrière toi »
répondit-elle en me regardant dans les yeux.
Sur la route du retour, Nanda proposa: « Si on allait se baigner. Les
hôpitaux me dépriment »
Au retour j’empruntais la perruque de Dorothy, en me regardant dans
le rétroviseur je me vis ressemblant à ma mère et j’en fus troublée.
« Dis plutôt que tu ne fais rien pour la chercher ».
12
Vendredi 14 mai (bac - 34 jours)
A 17h, à la sortie du lycée, j’avais rendez-vous avec Ali au Café du
Commerce. Il m’apprit que pour Dimitri le plus dur était passé. Mais
l’AVC avait laissé des séquelles: une légère amnésie, perte de mémoire
du court terme, des troubles du langage et de l’élocution, une
paralysie partielle du coté gauche. Il avait quitté l’hôpital, rejoint son
studio. Une aide-soignante venait lui faire des soins quotidiens, une
orthophoniste s’occupait des troubles de l’élocution.
« J’ai discuté avec son chef. Il est d’accord pour que tu viennes
converser avec lui en russe pendant une heure par jour. C’est 20€ net
la séance, ce qui te ferait 600€ par mois. Est-ce que cela te tente?
Bien sûr. Mais je me ferai remplacer lors des épreuves du bac ».
« Evidemment. Si tu peux me recommander quelqu’un de qualifié »
Dimanche 16 mai (bac moins 32 jours)
La Pironnière, ce 16 mai
Cher papa
Cela va faire 7 ans que nous sommes sans nouvelles de toi. Au début de
votre divorce, je t’écrivais régulièrement, sans jamais recevoir de
réponse. Je pense aujourd’hui que tes lettres ont été probablement
interceptées et détruites par Mère.
Elle est partie il y a un mois, emportant toutes nos économies et depuis
nous sommes sans nouvelles d’elle.
« Bien sur »
Il faudra que Dimitri le rencontre et qu’il soit d’accord. Le chef a appris
ce que tu as fait pour Dimitri et tient beaucoup à ce que ce soit toi. Il
est possible même que Dimitri, malgré son amnésie ait gardé quelque
part un souvenir de toi »
Des voisins commencent à se poser des questions et je crains que les
Services Sociaux
ne fassent une enquête prochainement. Tu sais que mon frère Bob est
handicapé mental, je suis encore mineure et passerai mon baccalauréat
dans un mois
L’ex-ami de Mère demeure avec nous mais il ne dispose que d’une
maigre pension d’invalidité
13
Dans ces conditions je crains que les Services Sociaux ne nous enlèvent
Bob pour le placer en famille d’accueil.
« Bonjour Dimitri, quelle belle journée aujourd’hui »
Aussi je me permets de te prévenir afin que, le cas échéant, tu puisses
prendre des dispositions plutôt que d’être mis devant le fait accompli.
Avec tout mon amour,
Il sursauta, peut-être avait-il reconnu ma voix, ou alors était-il troublé
parce qu’une femme lui parlait dans sa langue. Visiblement il cherchait
ses mots et finit par dire laborieusement « Qui êtes-vous? »
Ta fille Mado
« Je m’appelle Mado et je viens bavarder avec vous ».
Gros bisous papa Bob
Lettre écrite en russe et adressée à Mr Luc Rousset
Cc Direction du personnel Compagnie Forabrendt
Mardi 18 mai
A 17h30 Ali m’avait donné rendez-vous à Château d’Olonne devant
l’immeuble où Dimitri avait loué un deux-pièces, au 3è étage. La porte
de l’appartement ouvrait directement sur un séjour qui paraissait
grand parce que chichement meublé. Un coin kitchenette côté couloir,
au centre une table flanquée de 3 chaises, contre le mur à droite un
mini-bureau surmonté d’un ordinateur et d’un rayonnage de
bibliothèque. Une baie lumineuse ouvrait sur un petit balcon; à gauche
une porte donnait sur la chambre et le cabinet de toilette.
Il acquiesça de la tête et me fit un triste sourire. Ali prit congé, nous
laissant seuls. Je commençai par lui rendre son portefeuille, précisant
que j’en avais eu besoin pour les formalités d’admission à l’hôpital. Le
portefeuille m’avait fourni quelques indications: Dimitri était
ingénieur-informaticien, âgé de 54 ans. Son épouse était morte il y a 6
ans et son fils avait été tué l’année dernière en Tchétchénie lors d’un
raid terroriste, alors qu’il effectuait son service militaire.
Dimitri travaillait pour une société d’import-export et avait été envoyé
en France pour une mission d’informatisation du réseau clientèle.
J’avais préparé une liste de questions fermées auxquelles il n’aurait
qu’à répondre par Oui ou Non. Cela me paraissait l’approche la plus
simple et la plus encourageante. Le résultat fut catastrophique. Dimitri
éprouvait des difficultés réelles à prononcer des mots aussi simples; à
la fin de la séance, ses yeux disaient son désespoir.
Je partis me défouler à la boxe et rentrai vannée.
14
« Oui. Je suis en mission en France pour un an afin d’informatiser le
réseau commercial »
Mercredi 19 mai
Cette nuit je fis un rêve étrange. Je tapai de toutes mes forces dans un
punching-ball. A la fin de l’exercice le ballon s’ouvrit: Dimitri y était
enfermé, bâillonné et ligoté. Je me sentis très mal à l’aise et racontai
mon rêve à Papaye. Il réfléchit:
« Souvent nos rêves apparaissent comme des négatifs
photographiques. Tu le boxes, donc tu lui veux du bien. Il est ligoté, et
donc plus libre qu’il n’y parait. Tu m’as dit hier qu’il avait l’air
désespéré de ne pas y arriver. C’est donc qu’il est conscient; Son
potentiel intellectuel est peut-être intact, du moins en partie. Il
faudrait voir… »
« Oui mais comment? »
Ca, ma petite Mado, c’est ton problème. Mets-toi dans la tête que d’ici
ce soir tu auras trouvé »
Le soir je fis s’installer Dimitri à côté de moi devant son ordinateur.
J’écrivis sur l’écran les questions que j’avais préparées:
Il avait écrit sa réponse d’un trait. Le résultat était au-dessus de mes
espérances:
Il savait formuler des phrases entières, il n’était pas amnésique, il
pouvait se servir normalement de sa main droite.
Dimitri rayonnait de bonheur. Je l’embrassai. Nous continuâmes notre
conversation par écran interposé jusqu’à 18 heures, bavardant de tout
et de rien.
Le lendemain, à mon arrivée, Dimitri était installé devant son
ordinateur. Il lisait un livre de mathématiques et écrivit des formules
sur l’écran.
J’eus une intuition subite. Le matin, en travaillant les Annales du bac,
j’avais séché sur un problème de mathématiques. Je repris l’énoncé et
le traduisis à l’écran.
« Es-tu ingénieur-informaticien? »
Dimitri médita un moment, puis écrivit une formule.
« Da »
Travailles-tu pour Comimport? »
Eureka: c’était la clé. Je m’empressai de développer la formule jusqu’à
la solution.
15
Nous éclatâmes de rire.
« Dimitri, bravo. Je crois que tes facultés intellectuelles sont intactes.
Vite un autre exercice. Cette fois, je lui mis le manuel sous les yeux.
L’énoncé était en français et Il dut traduire mentalement. A nouveau il
formula la clé du raisonnement.
« Dimitri je crois que sous peu tu peux te remettre à travailler. Je vais
appeler ton chef pour lui annoncer la bonne nouvelle ».
si peu de temps. Nous lui avons installé une messagerie électronique, il
pourra désormais travailler chez lui comme s’il était au bureau, en
temps réel.
La fumée me faisait tousser, je m’avançais sur le balcon, Yvan sur mes
talons
« Encore bravo Mademoiselle. Vous lui avez sauvé la vie et vous nous
sauvez la mise. Il peut désormais prendre tout son temps pour
réapprendre à parler »
Il nota un N° de téléphone sur l’écran.
Le chef m’écouta avec attention puis avec enthousiasme et finit par me
dire
« Bravo. C’est la meilleure nouvelle de la journée. Je vais m’en occuper
aussitôt »
Il était trop tard pour aller à la boxe et je rentrai directement annoncer
la bonne nouvelle à Papaye.
Vendredi 21 mai
En arrivant à l’appartement de Dimitri un grand brouhaha m’accueillit.
Dimitri était devant son ordinateur, entouré de trois collègues. La pièce
était enfumée, des cannettes de bière trainaient sur la table. Un des
hommes vint à ma rencontre, souriant les bras ouverts: Je suis Yvan
Yvanovitch, le chef de service. Vous avez fait un travail remarquable en
« Cela mérite bien une petite prime, non? »
Yvan éclata de rire, me tapa sur l’épaule, finit par me tutoyer: « Tu
parles comme une vraie Moscovite ».
Je les laissai entre hommes et appelai le Dr Lejeune sur mon portable
pour lui faire part des événements. Il était abasourdi:
« Bravo Mado, vous lui avez rendu l’espoir. Maintenant il va redoubler
d’efforts pour retrouver la parole. Vous savez le cerveau humain est
bien mystérieux. Si telle zone du langage est paralysée, l’influx nerveux
cherchera un autre chemin pour atteindre son but. C’est juste une
question de temps »
Dimanche 6 juin Bac -9 jours
16
Hier j’ai reçu une lettre de Papa que j’ai collée sur la page de mon
journal ci-contre en la couvrant de baisers. J’en ai oublié mes
révisions, incapable de me concentrer sur une fiche, un texte ou un
énoncé de problème.
venir nous rejoindre aussitôt passé ton bac. Me Cirière s’occupera de
tout, je te joins ses coordonnées. Appelle-le le plus tôt possible
Je vais également ouvrir un compte en banque à ton nom.
Mes chers enfants je vous embrasse tous les deux et suis impatient de
partager avec vous tout le bonheur du monde.
Papa
Djakarta, ce 20 juin
Dimanche 13 juin (Bac moins 2)
Ma grande fille chérie
Cela fait des années que j’attendais ta lettre, c’est un pur bonheur. Tu
m’écris en russe, une langue que désormais tu maîtrises parfaitement.
Cela fait 5 ans que Olga m’a quitté, faisant main basse sur toutes nos
économies. Je travaille actuellement en Indonésie et j’y suis pour un
bon bout de temps. Je vis avec Anh, une gentille Javanaise et nous
avons une petite fille de 18 mois, Mona. Anh serait heureuse de vous
accueillir tous les deux, mais en priorité Bob. Il lui faut pour cela des
papiers et des vaccins. J’ai confié l’affaire à Me Cirière, ami de longue
date et avocat à La Rochelle.. Le 16 juillet un groupe d’enfants de
collaborateurs de la Société va venir ici en voyage d’études. Nous allons
y intégrer Bob, il voyagera incognito et sous bonne garde. Tu pourras
Cet après-midi j’ai emmené Bob au foot, puis j’ai été chercher Papeye
pour le présenter à Dimitri. Les 2 hommes se sont tout de suite bien
entendu. Papaye avait travaillé dans l’import-export avec les Pays de
l’Est et ils se sont trouvé des références et même des relations
communes.
Nous devions reprendre Bob vers 17h. En arrivant au stade; le coach
vint à notre rencontre
« Il y a eu un accident. Bob et un autre joueur se sont heurtés de front
en pleine course. Bob présente une fracture du tibia droit et un
traumatisme crânien. L’ambulance vient de les emmener aux
Urgences »
17
Nous fonçâmes aussitôt vers l’hôpital. Après 3h d’attente, le chirurgien
de garde put nous recevoir. Il avait réduit la fracture et examiné
sommairement le crane de Bob. Un examen approfondi allait être
effectué dès le lendemain. Une intervention chirurgicale serait
nécessaire. Il faudra compter 2 semaines d’hospitalisation. Je devais
revenir le lendemain pour les formalités administratives. Depuis la
cabine téléphonique de l’hôpital j’appelai Me Cirière pour le tenir au
courant. En l’absence je laissai un message sur son répondeur.
Lundi 14 juin
Vers 9h un appel de Me Cirière. Il me donne des conseils pour le
règlement des formalités administratives de l’hôpital sans qu’ils se
doutent de l’absence de la mère. Mais il fallait organiser le départ de
Bob. Pour éviter des complications du fait de la survenue probable de
la mère, il fallait l’enlever secrètement la veille de sa sortie officielle et
le lui remettre. L’avocat organiserait la suite.
Vers 11 heures Nanda m’appelle au téléphone:
« Je viens de quitter Dorothy. Elle a fait une tentative de suicide mais
désormais elle est hors de danger. Il faut que demain tu ailles la voir à
l’hôpital ».
« Qu’est-ce qui s’est passé? »
« J’ai parlé avec elle mais c’est très confus. J’ai cru comprendre qu’elle
avait pris conscience de son homosexualité et cela l’a profondément
troublée. En plus elle est éperdument amoureuse de toi; et elle te croit
amoureuse d’Isabelle. D’où le sentiment que c’est sans issue. De plus
elle craint de rater son bac ».
Je partis aussitôt pour l’hôpital.
Dès qu’elle me vit Dorothy se mit à pleurer « Pardonne-moi »
Je la pris dans mes bras « Tu n’as pas le droit de nous faire des coups
comme ça. On t’aime trop ».
« Je croyais que je ne comptais pas pour toi »
Mardi 15 juin
« Dorothy tu m’es indispensable »
Toute la semaine j’allais subir les épreuves du bac. Je serai indisponible
pour tout le reste, y compris la rédaction de ce journal.
« Des mots »
Dorothy es-tu prête à risquer la prison pour moi? »
« Je suis toute à toi. Je donnerais ma vie pour toi »
Dimanche 20 juin
18
« Alors écoute. Dans quelques jours je dois aller enlever mon frère à
l’hôpital. Il me faut une voiture et un déguisement pour ressembler à
ma mère. Veux-tu y réfléchir? »
toi êtes attirés par des hommes mûrs, Dorothy n’aime que les filles et
moi je suis au milieu du gué ».
« Oui? »
Dorothy m’appela le mardi midi. Elle avait mis au point un projet
solide. Il restait à fignoler quelques détails.
Mercredi 23 juin
Isabelle m’avait donné rendez-vous au Puits d’Enfer à 14h; Le temps
était à l’orage, le vent soufflait de la mer, les vagues s’écrasaient sur la
falaise, tonnaient dans le gouffre projetaient des haillons d’écume
pardessus le parking jusque sur la route.
Ica m’attendait, les yeux fixés sur l’horizon, son vélo à la main. Je garai
le scooter sur le parking, ôtai mon casque et la rejoignis. Elle hésita à
m’embrasser puis m’invita à nous promener sur le chemin de
randonnée qui surplombe la falaise. Au premier banc elle s’assit et
m’invita à faire de même.
« Tu sais ma postcure fut longue. Je faisais une déprime et cela m’a
conduit à beaucoup réfléchir sur moi, sur nous, sur l’avenir.
Sais-tu ce que nous avons en commun dans notre bande des quatre
copines? L’absence d’intérêt pour les garçons de notre âge. Nanda et
« Mado, je t’avais accusée de me porter un amour interdit. En vérité, je
me suis rendu compte que c’est moi qui te désirais. Je me suis confessé
à l’abbé Mouret. Pour lui un démon avait pris possession de moi et il
fallait l’exorciser. Avec l’accord de mes parents il vint me voir tous les
jours à Saint Gilles pour m’exorciser par la prière, puis par l’imposition
des mains sur toutes les parties de mon corps susceptibles de porter au
péché. Je le laissai faire, fascinée par son magnétisme. Puis il se dit
missionné pour remettre mon orientation dans le droit chemin:
l’hétérosexualité.
Je n’ai pas à le juger, le jugement n’appartient qu’à Dieu. Mais ce fut
pour moi une formidable aventure spirituelle, la fusion de l’amour
charnel et de l’amour mystique.. »
« Au moins avez-vous pris vos précautions? »
« Il m’a dit qu’il faisait attention dans la mesure autorisée par le pape »
Je mis ma main sur son ventre: « Isabelle, es-tu enceinte? »
Elle rougit d’émotion « C’est possible »
« Tu vas faire un test de grossesse, ensuite tu décideras »
« Dans tous les cas je garderai l’enfant »
19
« D’accord. Mais que vont dire tes parents? »
A 9h je garai le scooter dans la courette et sonnais à la porte de
Dorothy. Sa mère vint m’ouvrir, m’embrassa chaleureusement
« Ils auront honte. Ils me chasseront »
« Et ensuite? » « Dieu veillera sur moi »
« Et l’abbé Mouret que deviendra-t-il? Parce que tout finit par se savoir
un jour ou l’autre »
Ica s’était tassée, silencieuse, une larme coula sur sa joue
« Il n’est pas trop tard pour réfléchir. Le mois prochain j’irai rejoindre
mon père en Indonésie. Si tes parents te chassent, nous t’accueillerons
les bras ouverts. Et là-bas-tu trouveras une spiritualité où fusionnent
érotisme et mystique, conformément à tes aspirations »
Au moment de nous quitter elle m’embrassa fougueusement, pressa
ma main contre son ventre: « Sens-tu mon bébé bouger? »
J’étais désemparée. Le soir j’appelai Me Cirière pour demander conseil.
Il me rassura
« Je m’en occupe. Il manque un évêque à mon tableau de chasse »
« Mado comme je suis heureuse. Vous l’avez transformé notre
Dorothy. Un vrai miracle. Entrez »
Dorothy abandonna son petit déjeuner, se jeta dans mes bras, me
proposa une tasse de thé. Puis nous montions dans sa chambre. Décor
surprenant: des murs peints en rose, Des rideaux transparents roses
filtraient une lumière délicieusement sensuelle. Un lit romantique en
fer forgé blanc un duvet fuchsia surmonté de deux gros coussins
recouverts de dentelle rubis sur lesquels se prélassait une colonie
d’animaux en peluche. Le mur gauche ouvrait sur une penderie à
portes coulissantes en miroir, côté fenêtre un petit secrétaire torsadé
.Louis XV. Sur le mur de droite un poster: les drôles de dames de la
série télévisée.
« En route pour les essayages »
Dorothy avait emprunté un soutien-gorge à sa mère, rembourré les
bonnets avec du coton. Elle le passa pardessus mon teeshirt et l’agrafa.
Elle noua une brassière de natation à demi gonflée autour de ma taille.
Elle me fit enfiler une robe de sa mère qui ressemblait beaucoup à
celle que ma mère portait sur la photo que je lui avais donnée.
Vendredi 2 juillet (oral moins 3 jours)
Avec Dorothy, notre plan était réglé au chronomètre
Elle me maquilla, me mit sa perruque, Elle avait acheté à Défistock des
lunettes de lecture à faible grossissement dont la monture ressemblait
20
aux lunettes de Mère. Enfin; à genoux devant moi, elle me chaussa de
sandales à hauts talons de liège.
Encore quelques ajustements avec des épingles, puis elle m’invita à me
regarder dans le miroir coulissant. Le résultat était assez convainquant,
ainsi déguisée je ressemblais à ma mère
Dorothy défit mon accoutrement, me démaquilla, je repris mon
apparence normale.
A 11h30 sa mère nous appela pour déjeuner. Elle travaillait à mi-temps
et devait prendre le bus de 13h20
Aussitôt après son départ nous remontions dans la chambre, Dorothy
me rhabilla comme tout-à-l’heure. Puis elle enfila une robe à fleurs de
sa mère, mit une perruque de longs cheveux blonds à la Farah Fawset,
Rayban de star et talons-aiguille. « On va jouer à Drôles de Dames ».
Je lui fis mettre le casque puis dirigeais le scooter vers le parking
souterrain de la gare.
Dorothy repéra la voiture de son père, l’ouvrit avec le double des clefs
et démarra. Je garai le scooter à sa place et montais dans la voiture.
Elle sortit la carte d’abonnement parking de la boite à gants et ouvrit la
barrière. Nous partions pour le parking de l’hôpital.
Lors de mes repérages j’avais remarqué dans le hall d‘entrée quatre
chaises roulantes en libre service. J’en pris une et m’acheminais
nonchalamment vers l’ascendeur, puis vers la chambre de Bob. C’était
une chambre à deux lits et depuis ce matin l’autre lit était occupé par
un petit garçon qui venait d’être opéré. Je lui adressais quelques
paroles et lui dis que je profitais du beau temps pour promener Bob
dans le parc.
Arès lui avoir mis son anorak j’installais Bob dans la chaise roulante et
lui fis avaler un léger somnifère et sortis
« Au début j’ai vraiment cru que c’était maman » me dit Bob en
baillant
Le couloir était vide, l’ascendeur aussi. Je déambulais lentement dans
le couloir du rez de chaussée, attendant qu’il y ait du monde à la
réception pour me diriger vers la porte de sortie, puis vers le parking.
Dorothy faisait les cent pas devant la voiture, elle m’aida à installer
Bob sur la banquette arrière, à plier la chaise roulante et à la mettre
dans le coffre.
Puis elle nous conduisit au parking souterrain du Leclerc. Le fond du
parking est généralement désert. C’est là que nous attendait une
Laguna beige métallisée.
« Monsieur Latour de La Roche? » «Pour vous servir »
C’était le mot de passe. Le chauffeur, un homme rondouillard au
regard malicieux plaça Bob paisiblement endormi sur le siège arrière,
lui attacha sa ceinture de sécurité et accepta de mettre la chaise
roulante dans le coffre. IL nous salua et démarra. Dorothy fit de même,
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en direction du parking de la gare. Nous échangeâmes la voiture
contre le scooter et repartions vers la maison de Dorothy.
« Et vous n’avez pas signalé sa disparition? »
« Venez » Papaye l’emmena dans la chambre, ouvrit la penderie vide
Après avoir enlevé nos déguisements, elle remit tout en place dans le
dressing room de sa mère, nous démaquilla.
« Tu as assuré comme une pro » « Oui merci mais j’ai eu très peur »
»Moi aussi »
Nous nous couchâmes sur le lit tout habillées, elle me prit dans ses
bras, me fit sentir la douceur de ses seins, nous bavardions puis nous
nous endormîmes.
C’est l’arrivée de son père qui nous réveilla, vers 18h 30.
« Elle a emmené toutes ses affaires. Un coup de folie. Ce n’est pas la
première fois. Elle rentrera bientôt »
Le policier était de plus en plus méfiant. Je lui demandais de s’asseoir
« Vous allez comprendre. Mon petit frère Bob est handicapé mental. Si
nous avions signalé la disparition, les Services Sociaux auraient été
alertés et placé Bob en famille d’accueil. Au retour de ma mère nous
aurions été dans uns situation inextricable. Je vais vous donner
l’adresse de son employeur; il pourra vous communiquer ses nouvelles
coordonnées »
Peu après nous descendîmes, j’avais mon attaché-case bien en vue.
« Bien travaillé les filles? « Oui mais nous sommes vannées » Il sourit,
je les embrassais tous deux. «Je me sauve. A bientôt »
J’allai lui chercher un dossier comportant un papier à entête de son
employeur, une photocopie du permis de conduire et de la carte grise.
Le policier examina attentivement la photo.
Je remontais sur mon scooter, direction la maison.
« C’est de votre frère que je venais parler. Il a disparu de l’hôpital »
Papaye avait préparé le dîner et m’invita à manger. Nous commencions
à peine lorsqu’on sonna à la porte. C’était un policier en civil qui après
avoir montré sa carte demandait à voir Mme Rousset
Nous feignions la surprise
Question de routine, pouvez-vous me donner vos emplois du temps de
la journée? »
«Elle est absente » « Je peux l’attendre? »
Papaye le fit s’asseoir et lui expliqua qu’elle nous avait quitté il y près
de 2 mois
« Mon oral du bac commence lundi. Ce matin vers 9h, je suis allé chez
une copine pour réviser. Nous avons pris le petit déjeuner puis le
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déjeuner avec sa mère. Je suis parti vers 18h 30 à l’arrivée de son
père »
Au réveil j’observai le visage de Papaye
Je lui notais l’adresse de Dorothy sur un papier
« Tu as l’air très triste »
« Et vous Monsieur? »
« Tu connais l’adage: Omne animal post actum tristum »
« Je m’appelle Johann Potinoff, dit Papaye. Je suis le concubin de
Michèle Rousset et je m’occupe de l’éducation de Bob, son précepteur
en quelque sorte. Ce matin j’ai été au marché de la Pironnière acheter
des fruits et des légumes. Tous les commerçants me connaissent. Cela
prend du temps, je bavarde et je me déplace comme je peux »
« Oui mais tu es triste parce que je m’en vais voir mon père. Rien ne dit
que je vais rester, que je vais m’y plaire. Je me suis inscrite à la fac de
Nantes en maîtrise de mathématiques et physique théorique. Tu
permets quand même que je prenne quelques vacances »
Ii remonta son pantalon, découvrit sa prothèse.
Papaye nr dit rien et resta muré dans sa tristesse
« Vers 14h mon ami Dimitri est venu me voir. Nous avons bavardé
jusqu’à 16h par écran interposé car il a eu un AVC et souffre de
difficultés d’élocution. »
Mercredi 7 juillet.
Papaye nota l’adresse de Dimitri
Les résultats venaient d’âtre affichés: j’avais réussi mon bac avec
mention Bien. Nanda s’en sortait avec une mention Assez Bien et
Dorothy avec l’indulgence du jury.
Le policier se leva, nous salua
« Je vous tiendrai au courant. Et bonne chance pour le bac »
Je pris aussitôt les dispositions pour m’inscrire à la fac de Nantes en
maîtrise Mathématiques et Physique théorique.
« Merci et bonsoir »
Je sautai au cou de Papaye
Vendredi 16 juillet
« Prépare-toi. Ce soir je te viderai les couilles »
23
Ce jour j’étais convoqué à 10h au commissariat pour un interrogatoire.
Me Cirière ne pourrait être présent qu’à partir de 10h30 mais il m’avait
donné des instructions précises sur l’attitude à adopter si
l’interrogatoire devait commencer avant son arrivée.
kidnapping, elle était sur place dans l’hypermarché U, à plus de 200 km
de la scène du crime. Cela fait de vous désormais la principale
suspecte. Mlle Rousset, qu’avez-vous fait de votre frère? »
« Suis-je inculpée? »
Je me présentais au commissariat à l’heure prévue. Une femme-flic
vint m’accueillir à la réception, m’examina étonnée, me sourit et me
conduisis à la salle d’interrogatoire. Elle devait avoir dans les 25 ans,
une démarche élégante qui faisait tressauter à chaque pas l’arme de
service qu’elle portait sur la hanche droite.
Le commissariat se trouvait dans un bâtiment ancien. La salle
d’interrogatoire était un local aveugle, sentant le tabac froid. Au milieu
une table flanquée de 4 chaises, violemment éclairée par une ampoule
qui pendait au plafond. Le reste de la pièce était dans l’ombre. D’un air
gêné, la femme me désigna une chaise et me demanda de m’asseoir.
Visiblement elle cherchait ma sympathie. Sortirent du l’ombre deux
silhouettes, un officier de police et ma mère. Sans un mot elle me jeta
un regard haineux. Me Cirière m’avait préparé à cette éventualité, je
me composais un masque impassible.
« Mademoiselle Rousset, je vais aller droit au but. Comme vous le
savez, votre frère Bob a été enlevé de l’hôpital le vendredi 2 Juillet,
entre 13 et 15 heures.
Silence et stupeur. Je vis la femme-flic esquisser un sourire complice.
Mon avocat arrivera d’ici une demi-heure. Je vais l’attendre dehors »
« Tu ne vas pas t’en tirer comme ça » hurla ma mère. Elle s’était levée
et tirait furieusement sur les bretelles de mon sac.
Je me laissai tomber en arrière, l’entrainant dans ma chute. Elle tomba
en dessous de moi. Son dos et son crane heurtèrent violemment le
carrelage, ma tête percuta son visage, cassa son nez. Je me relevai, elle
resta étendue sans connaissance, un filet de sang coulait de son nez et
de sa bouche.
Bruits, bousculades Le commissaire était sorti
m’apostropha:
de son bureau, il
« T’as vu ce que tu as fait »
Je continuai à me taire.
La femme-flic intervint « Elle est mineure »
D’après les caméras vidéo de surveillance et les témoignages recueillis
la ravisseuse ressemble beaucoup à votre mère. Or ce jour-la, elle
travaillait au Mans et tous les témoignages concordent: à l’heure du
L’ambulance et Me Cirière arrivèrent en même temps.
L’avocat s’adressa au commissaire « Qu’est-ce qui se passe? »
24
C’est moi qui répondis
Elle me proposa de monter dans sa voiture.
« Ils ont commencé l’interrogatoire sans vous attendre, ils m’ont
confronté à ma mère et elle a pété les plombs »
La saison touristique avait commencé et sur le remblai les places de
parking étaient rares. Elle se gara sur un emplacement réservé aux
handicapés, alluma son gyrophare.
« J’apporte ici un mail de Mr Luc Roussin, le père de Bob. Il affirme
que, vu la défection éducative de la mère, il lui appartient désormais à
lui d’assurer l’éducation de son fils. Il l’a donc récupéré à l’aide d’une
équipe d’hommes à lui. Vous m’auriez attendu, conformément à la loi,
rien de tout cela ne serait arrivé. Ma cliente n’avait pas à être
inquiétée et un drame tragique aurait été évité »
On s’installa à la terrasse et elle commanda deux cafés.
« Voua êtes la seule femme-flic
« Oui »
du commissariat? » demandai-je
« Ca se passe bien avec vos collègues-hommes? » Elle fit la moue
Me Cirière sortit un papier de sa poche et le remit au commissaire
« Ils vous font la cour? »
« Venez » me dit-il
« C’est un euphémisme. Ils sont d’une vulgarité écœurante.
Heureusement je préfère les femmes »
La femme-flic nous suivit, me remit sa carte
Ariane Le Guen
Officier de police
«Si vous permettez, Maître, j’aimerai avoir un entretien avec
mademoiselle, à titre amical et sans lien avec cette affaire qui
désormais n’en est plus une »
« Eh bien allons-y tout de suite » répondis-je. Son attitude lors de
l’interrogatoire m’avait plu.
« J’avais compris. Et c’est mon problème. Des jeunes femmes tombent
amoureuses de moi, me font des propositions, alors que ce n’est pas
mon orientation et que je ne fais rien, au moins consciemment pour
les encourager. Comment expliquez-vous cela?
Elle réfléchit un instant
« Vous paraissez quelqu’un de solide, de fiable, sur qui une femme
fragile peut s’appuyer. Main de fer et gant de velours, un mâle solide
dans une grâce toute féminine. Et en même temps on sent que votre
assurance a été conquise de haute lutte sur une fragilité originelle. De
« Je connais un bistro sympa sur le port. Nous y serons plus à l’aise »
25
quoi émouvoir les hormones de la femme et de la mère qui dorment
en chacune de nous »
« Ce n’est pas un langage de flic »
ont vu ma chute comme accidentelle, alors qu’elle était le fruit d’un
long entrainement. J’avais voulu donner une leçon à ma mère, mais je
n’avais pas voulu cela. Elle pourra recevoir des visites à partir de la fin
de la semaine.
« J’ai une maîtrise de psycho. De plus je suis un peu médium. Le travail
que je fais ne me plait guère. Je songe à démissionner »
Mardi 20 juillet
« Qu’attendez-vous de moi? »
« Dès que je vous ai vu, j’ai su que nous pourrions bien nous entendre
et je voulais vous le faire savoir »
Et vous aimeriez qu’on se revoie, pour voir si une amitié pourrait
naître entre nous? »
« Exactement »
Je suis tirée du sommeil à 7 h du matin par un appel d’Ariane Le Guen
« Connais-tu Isabelle Bouta? Elle était dans ta classe
« C‘est une de mes meilleures amies. Que se passe-t-il?»
« Elle a eu un accident. Elle s’est noyée. Veux-tu venir avec moi et me
dire ce que tu sais »
Nous continuâmes à bavarder et finîmes par nous tutoyer
Ariane vint me chercher en voiture, roula vers le chemin de la corniche
et arrêta sa voiture face à une crique voisine de celle où nous nous
étions baignées.
Lundi 19 juillet
« On l’a trouvé ici. Elle portait une longue robe blanche. Son vélo, ses
chaussures et son sac étaient posés là, contre le rocher. Curieusement,
il n’y avait pas de traces sur le sable, ni de pieds, de chaussures ou de
roues de vélo. Personnellement je ne crois ni à la thèse de l’accident, ni
à celle du suicide. Ce n’est pas le vent qui a effacé ses traces »
Les nouvelles de l’hôpital ne sont pas bonnes. L’occiput de Mère avait
violement percuté le carrelage. L‘aire visuelle du cerveau est
endommagée. Sa capacité visuelle est diminuée: elle ne perçoit guère
que des lueurs et des ombres. Il faudra au minimum un an avant
qu’elle ne recouvre une vision sensiblement normale. De même son
nez subira une opération de chirurgie esthétique. Certes les témoins
« Elle était enceinte de l’abbé Mouret. Il roule en mobylette »
26
Je me mis à trembler et à bégayer, incapable de prononcer un mot
pendant près de 10 minutes. Ariane me porta jusqu’à sa voiture. Elle
me frictionna et progressivement je recouvris l’usage de mes membres
et de la parole
« Ce qui m’intrigue c’est la robe blanche »
« L’abbé Mouret pratiquait l’exorcisme et ils vivaient ensemble une
sorte d’expérience mystique »
« Alors la robe blanche indiquerait un baptême par immersion ou un
mariage mystique »
Je vais transmettre tout cela à l’officier chargé de l’enquête. Je te
tiendrai au courant »
Elle me rappellera le surlendemain
L’autopsie avait confirmé une grossesse d’un mois. Il y avait quelques
ecchymoses à la tête dont il était difficile d’établir l’origine. Avait-elle
roulé contre des rochers? Lui avait-on tenu la tête sous l’eau? En tout
cas elle ne s’était pas défendue.
L’officier enquêteur avait cherché à contacter l’abbé Mouret sans
succès. A l’évêché on lui répondit que l’abbé avait été rejoindre une
ONG du Secours Catholique qui œuvrait au Sri Lanka. Cela faisait
longtemps qu’il en avait fait la demande et l’opportunité s’était
présentée en urgence.
Mardi 20 juillet
Nous nous étions donné rendez-vous au funérarium toutes les trois
pour veiller le corps d’Isabelle. Des camarades de classe sortaient du
salon funéraire, ils avaient présenté leurs condoléances et étaient
ressorti presque aussitôt. Nous allions faire comme eux: La salle était
pleine; la famille assise sur les chaises et deux rangs debout derrière,
tout le clan catho était là. Dans ces conditions nous ne pouvions lui
faire nos adieux comme nous l’aurions souhaité.
« Le deuil se porte dans le cœur » dit Nanda en sortant. Ariane était
dans l’assistance elle nous rejoignit et nous proposa d’aller prendre un
café.
« J’avais été chargée d’interroger les parents. Je leur ai appris
qu’Isabelle était enceinte d’un mois et que donc cela devait s’^être
passé pendant qu’elle était en postcure. Connaissaient-ils l’homme qui
l’aurait fréquenté pendant cette période. Ils ignoraient tout, ils étaient
abasourdis. Le visage du père restait de marbre, il déniait la réalité. J’ai
vu celui de la mère s’ouvrir sur une larme, elle avait pris conscience
puis se tassa dans une lourde résignation. Je leur laissai ma carte en
leur demandant de m’appellera si un détail leur revenait en mémoire.
La mère me raccompagna à la porte, me serra dans ses bras:
« Je suis soulagée que ce n’était pas un suicide. Je suis sûre qu’il lui a
donné l’absolution avant de la noyer. Elle est heureuse là où elle est,
avec son petit. Ce n’est pas la peine de remuer la boue autour de sa
mort. Nous ne porterons pas plainte ».
27
Le procureur s’est dépêché de clore le dossier: c’était un accident.
salie à tout jamais. Si je continue, je vais me sentir pute dans mon âme.
Mais que puis-je faire d’autre? »
Nous bavardâmes un moment, Ariane observait Nanda avec insistance:
Je peux voir votre dos?»
Nous nous étions rapprochés d’elle et l’entourions de toute notre
affection. Je finis par dire
Nanda se troubla et finit par dire:
« Je vais te venger»
« J’ai été fouettée » Elle ouvrit sa chemise, découvrant le haut de son
dos. Il était rayé de grandes striures bleues tirant sur le jaune-vert, par
endroits la peau avait éclaté et suintait. Au Club elle commençait à
manquer de clients, alors elle avait accepté la proposition d’un
nouveau membre: 2000€ pour une séance sado-maso. On l’appelait le
Commandant. Il l‘avait emmenée dans le sous-sol du château,
menottée, bâillonnée, injuriée, puis fouettée jusqu’à lui faire perdre
connaissance. Elle s’était réveillée dans le noir, percluse de douleur,
pouvant à peine marcher. Le château était vide, la porte fermée. Elle
avait sauté par une fenêtre, s’était assise sur le perron, grelottante de
froid. Au petit matin elle était remontée sur son vélo et rentrée
« Vous portez plainte? » demanda Ariane
« A quoi bon, j’étais consentante » Dorothy s’était serrée contre moi,
elle pleurait la tête sur mon épaule. Nanda reprit au bout d’un instant
Jusqu’ici je jouais les escort-girl en dilettante et je suis toujours tombée
sur des clients gentils. Le commandant m’a traitée comme une putain
de bas étage. Je n’oublierai jamais. Je suis à la croisée des chemins,
J’avais amené Dorothy sur mon scooter, je demandais à Ariane de la
ramener. Puis seule avec Nanda, je lui demandais de me préciser dans
le détail la façon d’opérer du Commandant.
Le lendemain je téléphonais à Ali pour mieux connaître ce nouveau
membre. Le père d’Ali l’avait viré du club: il ne répondait pas au profil
des investisseurs, son projet était de l’arnaque. A contrecœur Ali me
communiqua son numéro de téléphone.
Samedi 24 juillet
A 18h comme convenu, le commandant m‘attendait sur le perron du
château. Je garais mon scooter sur le parking à coté de sa voiture, puis
allai vers lui. Il était grand, portait une casquette et une vareuse de
marinier, un collier de barbe noir. Ses yeux perçants me faisaient froid
dans le dos. Sans un mot il me conduisit au sous-sol par un couloir
sombre. Au fond une porte en fer ouvrait sur un ancien atelier. Une
lucarne poussiéreuse diffusait une lumière blafarde. Contre le mur du
fond un établi en bois massif sur lequel était vissée une enclume. Au-
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dessus un tableau en contre plaqué portait une panoplie d’outils très
complète.
Une servante d’atelier à roulettes trainait dans un autre coin. D’un
pont-roulant couvrant t toute la largeur du plafond pendait une chaine
à crémaillère.
Le commandant verrouilla la porte et mit la clé dans la poche de sa
vareuse.
« Déshabille-toi. Tu peux garder ta petite culotte »
comprendre et l’arrêter lorsqu’il se disposait à me menotter dans le
dos alors qu’il avait ligoté Nanda par devant pour mieux offrir son dos
nu au fouet. Je m’étais complu dans un sentiment de, vengeance,
court-circuitant toute réflexion stratégique. Comme si j’allais à une
compétition sportive où les adversaires se serrent la main après le
dernier round. L’image de ma mère s’imposa à moi: éternelle
revancharde, éternelle perdante. Aveuglée par ma colère je n’avais pas
prévu de stratégie de rechange, de plan B.
Le commandant m’avait laissé tout le temps de prendre conscience de
la situation. Il me montra un fouet qu’il caressait en souriant:
« Mon chèque d’abord »
Il me menotta les mains dans le dos, me colla un bâillon sur la bouche.
Il s’avança à me toucher, me tira les cheveux pour basculer ma tête en
arrière et m’obliger à le regarder.
« Ainsi tu venais pour me flanquer une correction, venger ta copine.
Personne ne m’a jamais manqué de respect. Je vais te fouetter à mort.
On ne viendra pas chercher ton cadavre ici. Mais tu es maline. Peutêtre réussiras-tu à me tuer moi. Dans ce cas cette pièce sera notre
cercueil commun. Qui veux-tu qui vienne te chercher ici. Ton agonie
sera longue pendant que tu contempleras mon cadavre »
La terreur me suffoqua, puis ce fut la colère contre moi-même. Le récit
de Nanda aurait dû me faire comprendre que j’avais à faire à un
psychopathe, cruel, intelligent, déterminé: un vrai tueur. J’aurais dû
« Héritage familial. Il date de la marine en bois. Il claqua le fouet à trois
reprises, si près de moi que j’en sentis le souffle.
Le sifflement du fouet s’abattit sur mes mollets, me précipitant à terre.
Je hurlais de douleur mais aucun son ne sortit de mon bâillon. J’étais à
terre et le fouet laboura ma tête, mon ventre mon dos en sillons de
feu.
« Debout. Maintenant tu vas danser ».
Je me levai péniblement, eus l’intuition soudaine qu’il se trouvait dans
le bon axe. Bandant tous mes muscles je m’élançais tête en avant. Mon
élan le projeta en arrière, droit sur la pointe de l’enclume. J’entendis
un craquement, je crus que la pointe s’enfonçait dans mon propre
crane. Son hurlement me déchira les tympans. Il glissa lentement vers
le sol, tomba sur les genoux, s’étala face contre terre. Sa colonne
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vertébrale semblait cassée juste en dessous des dorsales, un mince
filet de sang sourdait sous sa chemise. Je sautai sur son dos, à pieds
joints, sur la fracture, sur les lombaires, les cervicales, avec une rage
meurtrière. Enfin je projetai mon pied sur son cou et appuyai de toutes
mes forces pour couper sa respiration. Je sentis son corps ramollir,
devenir flasque. Au bout d’une éternité je lâchai prise.
Epuisée, j’allai m’asseoir contre le mur en face. Je me sentis prise au
piège. Personne ne viendra au château avant cinq jours. Les membres
du Club verront alors nos véhicules sur le parking et ils se mettront
probablement à notre recherche. Il faudra que je tienne le coup avec
mes blessures qui suintent, la fièvre qui commençait à me gagner.
J’allai chercher mes vêtements, enfilai tant bien que mal mon jean,
réussis à glisser mon coupe-vent sur mes épaules.
L’anxiété me gagna, de plus en plus intense, je glissai vers la face
obscure de mon âme. Comme si un cordon ombilical, lien vivant avec
ma mère, m’emplissait peu à peu de tout son mauvais sang, cet
héritage génétique que je pensais avoir vaincu depuis l’âge de raison.
Je dus retenir une violente envie de vomir; avec le bâillon qui
verrouillait ma bouche je me serais étouffée dans mon propre vomi.
J’ai d^m’endormir, grelottante de froid, de fièvre, d’angoisse. Une
lueur laiteuse, diffusant à travers le hublot me réveilla. Mes yeux
s’habituaient à la pénombre. Le commandant était couché en face, il
ne respirait plus. Un parfum douceâtre de mort commençait à flotter
autour de lui. Je m’approchais, m’assis, avec les pieds je le retournais
sur le dos. Puis avec mes mains liées, je fouillais ses poches à la
recherche des clefs. Je finis par les trouver.
Je tentais d’abord d’ouvrir les menottes mais dus renoncer au bout
d’un temps: la mobilité de mes mains était trop réduite et je ne voyais
pas ce que je faisais.
Je m’avançais vers la porte. La serrure de sécurité se trouvait à
hauteur de ma poitrine. impossible de l’atteindre avec mes mains liées
dans le dos.
J’étais bien prise au piège, enterrée vivante en compagnie de ce mort
étendu à côté de moi
Je m’assis, tentai de me concentrer sur mes exercices de relaxation.
Spontanément mon esprit visualisa une image: Jonas dans le ventre
fétide de la baleine.
Je dus m’endormir dans un état second.
Je fus réveillée par des appels lointains « Mado, Mado… »
Était-ce une hallucination? Je m’approchai de la porte métallique, la fis
résonner sous de violents coups de pied. La voix se rapprocha je
l’entendis tout contre la porte:
« Tu es là Mado? »
Je donnai un coup de genou dans la porte.
30
« Réponds-moi par un coup pour Oui, deux coups pour Non »
« Je crois »
« As-tu accès à la clé? « Oui »
« Je vais conduire sa voiture jusqu’au petit bois là-bas. Les hommes s’y
arrêtent pour rencontrer des putes. Je laisserai les clés sur le volant.
Des gitans ont établi leur campement plus loin, ils écument la région, la
voiture ne restera pas longtemps sur place. Je m’arrêterai sue un
emplacement de pique-nique, tu continueras vingt mètres plus loin
jusqu’à un petit chemin, tu entreras dans le bois et tu m’attendras »
« Peux-tu me la glisser sous la porte? » « Oui »
Il y avait un petit espace entre la porte et le sol bétonné, j’y glissai la
clé. L’instant d’après je m’effondrais dans les bras d’Ariane.
Elle me porta jusqu’à une petite camionnette Express
« C’est une voiture banalisée du Service. Je t’expliquerai »
Elle m’aida à m’asseoir, me tendit une bouteille d’eau et un petit sac
plastique de supermarché:
« Tu vas reprendre des forces. Eau, jus d’orange, barre de céréales,
chocolat. Commence par te restaurer. Après tu me raconteras. Je vais
nettoyer la scène de crime. Mais d’abord nous allons prévenir ton ami
que tout va bien »
Elle me passa son téléphone et je dis quelques mots à Papaye.
Je récupérais petit à petit. Ariane revint au bout d’une heure, portant
un sac poubelle.
« Je l’ai déshabillé, pris son dentier, le fouet, balayé l’atelier, essuyé
tout ce qui pouvait porter des empreintes digitales. Tu n’as pas saigné
heureusement… Je m’occuperai de tes blessures plus tard. Te sens-tu
capable de conduire le scooter sur trois km? »
Elle me fit faire un petit tour d’essai sur le scooter et, rassurée, me
demanda de la suivre.
Je m’arrêtais sur le petit chemin, elle me rejoignit, me fit glisser sur le
siège arrière, coiffa mon casque et démarra. Je me serrais contre elle,
mes bras autour de sa taille, heureuse. Elle monta le chemin de forêt,
obliqua sur une petite route et finit par rejoindre la route par laquelle
nous étions arrivés. La voiture du commandant avait disparu. Arrivés
au parking du château Ariane ouvrit le coffre de la camionnette, sortit
une planche pour créer une pente d’accès, démarra le scooter pour le
monter dans le coffre et l’amarra solidement. Elle me fit monter et
démarra.
« Hier j’étais inquiète. Vers 21h j’ai appelle ton ami: tu n’étais pas
rentrée. J’ai appelé Nanda pour m’indiquer précisément l’endroit où
elle avait été fouettée. Au commissariat il n’y a pas trop de travail en
ce moment. J’ai pris un RTT, demandé qu’on me prête la camionnette
pour transporter un meuble acheté dans une brocante. Je suis accouru
31
aussitôt…Nous allons chez moi, tu prendras une douche, je soignerai
tes plaies et tu me raconteras »
« Et maintenant, raconte ».
Je lui contai mon histoire.
J’étais étendue nue sur le lit d’Ariane. Elle m’avait mise sous la douche,
lavée délicatement, comme un bébé. Puis elle avait désinfecté et
soigné mes plaies, pommade cicatrisante et quelques pansements. Elle
se redressa, son regard me caressa avec gourmandise, s‘attarda sur ma
touffe, mes seins. Jusqu’ici seul Papaye m’avait ainsi vue étendue sans
pudeur. Mais Ariane tout comme Papaye m’avait sauvée de
l’anéantissement. Je jouais avec l’idée de me laisser aimer, caresser,
baiser par une femme. Ariane sourit, alla chercher un drap de bain et
m’en couvrit.
« Je vais brûler tes habits avec les siens. Je t’en prêterai »
Elle ouvrit le portefeuille « D’après ses papiers c’est un Serbe.,
Dragomir Ilitz Dans une de ses poches il y avait une liasse de 10000€. Je
vais vérifier si les N° ne sont pas recherchés et si tout est en ordre, on
partage, fifty-fifty »
Le téléphone sonna, elle ne décrocha pas, et s’assit à coté de moi
« C’est Dorothy. Je l’ai séduite en rentrant l’autre soir. Depuis elle
m’appelle jusqu’à 10 fois par jour. Elle est vraiment mordue. Je laisse
monter son désir. Ce soir son cul sera à la fête Toi ce n’est pas pareil.
Tu es une guerrière, comme moi. Je t’aimerai comme ma petite sœur,
un frère d’armes, un frère de sang ».
Elle s’étendit à coté de moi, m’attira sur son épaule.
« Maintenant tu vas dormir »
Elle me réveilla en fin d’après-midi.
« Pendant que tu dormais, j’étais parti acheter cette petite table de
nuit. J’ai fait trois brocantes avant de trouver ce que je voulais. N’estelle pas mignonne? »
Lundi 26 juillet
Papaye avait vivement insisté pour que nous allions rendre visite à
Mère à l’hôpital. Je finis par céder et l’emmenai sur le scooter. Comme
lors de l’enlèvement de Bob je retrouvai le parking, la réception
encombrée de visiteurs; les interminables couloirs mal éclairés et enfin
une chambre aux murs ripolinés et aseptisés. Comme pour Bob, c’était
une chambre à deux lits, la patiente voisine nous sourit et nous salua.
Mère était méconnaissable: le crane entouré d’un épais bandage qui
débordait sur le nez tel un masque, on nr pouvait voir que la bouche
et le menton. Les yeux étaient cachés sous d’épais tampons ronds. Sur
ses joues des traces de larmes. Papaye lui prit la main, lui parla
doucement. Elle sanglota de plus belle. La voisine expliqua. Elle voulait
appeler son ami, j’ai composé le Numéro. Pour autant que j’aie
compris il lui a signifié que c’était fini.
32
Papaye tenta de la rassurer. «Bientôt tu vas rentrer à la maison, tu
retrouveras ceux qui t’aiment vraiment. Tu pourras te reposer, et
reposer sur eux et guérir. Ses sanglots s’espacèrent. Elle ne demanda
pas de nouvelles ni de Bob ni de moi. Je sortis sans un mot attendre
Papaye dans le couloir.
Le soir Ariane nous avait invités dans un restaurant de La Rochelle,
Dorothy, Nanda et moi. Elle me remit discrètement une enveloppe
contenant les 5000€ du commandant. Vers la fin du repas, je descendis
aux toilettes. Ariane me rejoignit. En souriant, elle sortit un cutter
entailla légèrement ses poignets, puis les miens. Immobiles, nous nous
serrions poignets et corps l’une contre l’autre. Je sentis des racines
pousser sous nos pieds, s’enfoncer profondément sous terre. Puis une
vague de jouissance monta, nous envahit des pieds au ventre, inonda
nos cœurs, nos visages explosa dans nos cranes, nous fit chavirer. La
porte des toilettes s’ouvrit, Dorothy s’y immobilisa, hiératique, « Plus
jamais ça, sinon je vous anéantis »
Jamais je ne l’avais vue dans une telle colère. Ariane la regarda, sortit
calmement de sa poche un tampon alcoolisé, nettoya le sang sur nos
poignets puis recouvrit nos entailles d’un sparadrap.
« Désormais, nous sommes sœurs de sang »
Nous retournions en silence dans la salle de restaurant. Nanda proposa
de finir la soirée en boite de nuit. Mais quelque chose était cassé.
Dorothy commençait à développer une jalousie maladive qui
m’inquiéta.
Je pris ma décision: j’allai au plus tôt rejoindre mon père à Jakarta.
Selon Me Cirière père travaillait pendant six semaines sur une
plateforme en mer d’Anefura, puis rentrait en récupération pendant 2
semaines dans son bungalow en banlieue où l’attendait Ahn avec leur
bébé et Bob.
La secrétaire de Me Cirière s’occupa des formalités de visa et du billet
d’avion. Je fis cadeau à Papaye de mon scooter: désormais il pourra à
sa guise aller rendre visite à Dimitri et à mère
Le 30 juillet j’embarquais pour Jakarta
Samedi 31 juillet 21h30
A l’aéroport international de Jakarta Soekarno Hatta un chauffeur
m’attendait brandissant une pancarte à mon nom. Il me souhaita la
bienvenue en anglais puis m’ouvrit la porte de sa grosse limousine
noire. Le long voyage et le décalage horaire m’avaient épuisée, Les
lumières vives le long de ma vitre, j’écoutais distraitement le chauffeur
parler d’une ville de 12 millions d’habitants du périphérique extérieur
Jalal Linga Laur sur lequel nous allions rouler avant d’obliquer vers le
port de Mérak pour arriver à la résidence des cadres de la Compagnie
Pétrolière. Il s’arrêta devant un bungalow, sonna, dit quelques mots en
javanais dans l’interphone.
33
La lumière du perron s’alluma, la porte d’entrée s’ouvrit sur une
femme assez jeune en costume traditionnel, tenant sur son bras un
enfant jeune et à la main mon frère Bob. Le chauffeur m’ouvrit la
portière et Bob s’élança vers moi. Le chauffeur porta ma petite valise
sur le perron nous souhaita une bonne soirée et repartit.
La femme s’avança vers moi, me salua en anglais.
« Je suis Ahn, Luc vous a parlé de moi. Il se faisait une joie de vous
recevoir mais il a été rappelé d’urgence sur sa plateforme, il s’était
produit un incident de forage qui risquait de provoquer une marée
noire. Vous devez être très fatiguée, puis-je vous offrir une tasse de
thé? J’ai aussi préparé un bain chaud, vous pourrez vous détendre »
J’optai pour le bain, Ahn sonna et une servante m’invita à la suivre,
Bob sur mes talons.
« Tu permets que j’assiste à ton bain, ce n’est pas la première fois que
je te verrai à poil et Maria couche avec moi »
Maria m’aida à me déshabiller, me fit entrer dans la grande baignoire.
L’eau était très chaude et je sentis peu à peu une grande détente.
Maria me lava avec délicatesse, puis m’étendit sur une table pour me
masser avec des huiles parfumées.
Pendant ce temps Bob me raconta sa vie. Il avait trouvé une bande de
copains indigènes avec lesquels il s‘entendait bien, les enfants du
personnel de Service. Son père leur avait offert des ballons et ils
passaient leurs journées à jouer au foot. Ils avaient trois servantes: une
femme de ménage pour les gros travaux, une cuisinière, et Maria pour
s’occuper des enfants; de la petite Mona sa demi-sœur et de luimême. Une nuit elle était venue le rejoindre dans sa chambre et lui
avait appris l’amour. Elle venait le rejoindre à chaque fois que son mari
partait sur des chantiers et lui faisait bien des choses agréables. Il me
demanda des nouvelles de Papaye et de mère, mais sans nostalgie
particulière
Il quelques semaines il avait grandi de quelques centimètres; il avait
l’air épanoui, heureux de vivre ici.
Maria me passa un kimono de soie, me chaussa de petites mules puis
me reconduisit au salon. Ahn avait servi le thé dans des petites tasses
en porcelaine fine, ça fleurait bon le jasmin.
Enfin Ahn me conduisit à ma chambre, je tombai de sommeil.
Dimanche 1er aout
Au matin Maria me réveilla en m’apportant le téléphone: c’était père
qui m’appelait depuis sa plateforme. Il était navré de n’avoir pu
m’accueillir, il devait faire face à de graves ennuis. Il me demanda si
j’avais fait bon voyage, me félicita pour mon succès au bac. Il ne
pourrait nous rejoindre qu’en fin de semaine. Cet après-midi un
étudiant viendrait me chercher pour me faire faire un petit tour de
l’île de Java et surtout me faire connaître ses paysages, ses
monuments, musées, universités et campus.
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Le petit déjeuner était servi sur la terrasse, Maria nous servit le thé
accompagné de délicieux fruits exotiques.
Monas, passer devant le Museum National et le Théâtre du Gedung
Kesenian.
Ahn me fit faire le tour du jardin, un petit pont japonais passait audessus d’une pièce d’eau à cascade où nageaient des poissons
exotiques. Puis elle m »invita dans son atelier contempler ses peintures
sur soie, principalement de fins bouquets de fleurs.
Nous sommes rentrés vers 20h, il faisait nuit.
Elle me parlait de Luc, mon père. Ils s‘étaient connu alors qu‘elle
travaillait comme secrétaire chez un fournisseur. Il se remettait mal de
sa rupture avec Olga qui l‘avait quittée au moment où il avait le plus
besoin d‘elle et avait emporté quasiment tout ce qu‘il possédait. Ahn
avait appris le français dans l‘institution catholique de Jakarta où elle
avait fait ses études. Ses parents étaient de petits commerçants très
estimés dans leur quartier.
Après le déjeuner un jeune homme sonna à la porte. Il se présenta
Michel Tourneur, étudiant à l’université catholique Tri Sakti. Son père
était ingénieur, collègue de travail du mien et lu avait proposé de me
servir de guide.
Un drôle de tricycle nous attendait devant le portail;
« C’est un bajaj, un taxi local; j’ai pensé que ce serait beaucoup plus
amusant et surtout plus pratique. Le taxi nous emmena dans
l’embouteillage des grandes artères puis dans la circulation un peu plus
fluide des petites rues. Il nous emmena voir le monument national de
« Demain je viendrai vous prendre à 9heures, nous visiterons quelques
universités »
Lundi 2 aout
Michel était à l’heure et commença par me faire voir la cathédrale de
Jakarta puis la mosquée Istiqlal, la plus grande mosquée d’Asie du SudEst.
Ensuite il me fit visiter l’Université Tri Sakti, université privée
catholique où il étudiait; fier de me raconter que c’est là où eut lieu la
fusillade qui , tuant 4 étudiants, devait provoquer les émeutes qui, en
mai 1998, avaient amené la démission du président Soeharto.
Il me présenta trois camarades, étudiants en Mathématique et
Physique, avec lesquels j’eus des échanges intéressants. Nous allâmes
déjeuner au restaurant universitaire; en partant l’un d’eux me confia
un polycopié du cours de mathématiques de première année. Je
passerai une partie de la nuit à le dévorer.
Dans l’après-midi il me fit voir l’université gouvernementale
d’Indonésie et son splendide campus à Depok.
35
En rentrant, je le remerciai et lui dis que pour l’instant j’en avais assez
vu et que je comptais me reposer les deux jours à venir.
La solitude commença à me peser et j’en avais assez vu pour décider
que de vivre et d’étudier à Jakarta ne m’intéressait pas. J’appelais Me
Cirière et lui fis une longue confession, Il fut impressionné par la
manière dont j’avais tué le Commandant.
« Oui miss, avec des femmes aussi. Ce sont les plus méchantes en
vieillissant. Mais dans ma tribu c’est une tradition, le droit
d’hospitalité »
J’étais abasourdie. L’image de mon père en prenait un coup, mais le
ton de Maria était sincère. J’étais surtout inquiète pour Bob.
« Et quand elles sont méchantes, tu te venges? »
« Des filles comme vous, il n’y en a plus. Je vais voir ce que je peux
faire ».
Je me sentis tendue et demandai à Maria de me faire un massage. Le
magnétisme de ses mains, l’huile parfumée me relaxèrent. Une
question me brula les lèvres:
« Non miss. Inutile de rajouter du mauvais Karma. Je tache de
transformer le mauvais Karma en bon Karma. C’est possible. Il y a des
types de caresses pour ça. Comme il y a des caresses pour tout ».
« Maria, c’est mon père qui vous a demandé de coucher avec Bob? »
Imperceptiblement elle changea sa manière de masser, appuya sur des
points qui éveillèrent puis attisèrent le désir. Elle s’approcha de mon
oreille
« Oui miss »
« Veux-tu me faire l’amour? »
« Mais il n’a pas 14 ans »
Elle avait laissé glisser son kimono, son corps nu se lovait
langoureusement contre moi.
« Son esprit est en retard, miss, mais son sexe est en avance. Avec moi
il est pleinement heureux. D’autant qu’il n’est pas méchant ».
« Tu veux dire que tu couches aussi avec des hommes méchants? »
« Je te remercie Maria. Mon cœur est déjà pris »
J’avais prononcé la phrase sans réfléchir. Je pris conscience
brusquement que j’étais amoureuse d’Ariane.
« Oui miss. Il faut bien »
Maria rajusta son kimono, me sourit:
« Mon père te demande de coucher avec des hommes? »
36
« Tu sais en massant les gens on pénètre leur âme. Je te savais
amoureuse, mais sans le savoir. Il fallait que je t’en fasse prendre
conscience. Viens, nous avons à bavarder».
Je hais profondément ma mère, je commence à haïr mon père. Et j’ai
tué à coups de talon un homme grand et fort qui avait fait du mal à
une amie »
Elle me tendit mon kimono, m’aida à l’enfiler et m’entraina vers le
petit canapé.
Maria resta silencieuse, je sentis s’intensifier les ondes positives qui me
traversaient, me faisaient trembler.
Assises l’une à coté de l’autre sa main droite prit ma main gauche et
elle glissa son bras gauche derrière ma nuque, reposant sa main sur
mon épaule. Une onde chaude me traversa, comme un cordon
ombilical qui peu à peu me remplirait de chaleur positive.
« C’est bien de m’en avoir parlé. Tu apprendras à vivre avec le mal et à
le positiver. Fixes-toi ce but et tu te feras ton chemin »
« As-tu des enfants, Maria? »
« Pas encore, Miss »
« Appelle-moi Mado »
« Oui miss Mado. Je pense en avoir dans 5 ans. Alors Mona ira à
l’école, Bob sera un beau jeune homme et toutes les filles lui courront
après. Mon corps attirera moins les hommes. Je pourrai faire des
enfants sans encourir la colère de ton père. Mais ce qui t’intéresse
c’est ce que va devenir ton frère. Beau comme un dieu, il sera une
proie facile. Il ne voit pas le mal et ne sait pas se défendre. Ce que je
vais lui apprendre, c’est de transformer le mauvais Karma en bien.
C’est un apprentissage long, mais j’y arriverai ».
« Maria, je crois que mon père considère les femmes comme des
objets, des poupées qui lui doivent obéissance. C’est un guerrier, et je
suis une guerrière, je tiens cela de lui. Mais son champ de bataille c’est
le champ de pétrole et pour lui la femme n’est que le repos du
guerrier. Quand il s’est marié il partait déjà pour le pétrole. IL a laissé
ma mère seule et désemparée. Elle s’est mise à fumer et nous, ses
enfants sont nés avec des handicaps physiques J’en veux beaucoup à
ma mère pour cela. Mais je commence à comprendre que mon père
n’a rien fait pour l’aider à s’en sortir, au contraire. Et je me demande si
ses autres femmes n‘ont pas connu le même problème»
Maria s’essuya discrètement une larme
.« Comment se comporte-t-il avec Ahn? »
« Ahn ne fume pas, elle fait de la peinture »
« Mado, tu es une sainte. Comme ma patronne, Madeleine, une putain
devenue une sainte. Je traine moi aussi beaucoup de mauvais Karma.
37
Nous restâmes encore un long moment assises, silencieuses,
immobiles. Les ondes chaudes, positives, me pénétrèrent jusqu’au
fond du cœur.
frappèrent, elles étaient surdimensionnées, brun cacatois et portaient
des pointes acérées.
Mercredi 3 aout
« Tu ne diras rien à ton père » supplia-t-elle.
Ce matin très tôt coup de fil de Cirière, sans doute l’effet du décalage
horaire.. Il me proposa de rentrer discrètement, de ne pas reprendre
contact avec mes amis avant que toute cette affaire ne soit tassée. Sa
secrétaire allait m’inscrire à l’Université de La Rochelle: on ne se
bousculait pas dans la section Mathématiques. Son fils étudiant
possède un studio en centre ville, qui était actuellement vacant; le fils
étant parti pour deux ans suivre une spécialisation à Houston aux Etats
Unis. il s’arrangerait avec mon père pour la location.
« De toute façon il ne comprendrait rien » répondis-je en souriant.
Mais si tu veux bien je te l’achète »
Ahn m’observait et s’agitait de plus en plus. Elle sut que j’avais compris
sa douleur secrète.
« Je t’en fais cadeau bien volontiers. Ce sera notre secret entre toi et
moi »
Je l’embrassai et la rassurai.
Je lui dis que j’étais d’accord.
Après le petit déjeuner je demandais à Ahn de me montrer ses
tableaux. Elle ouvrit un grand carton dans lequel étaient rangées ses
toiles de soie. Elle ne peignait que des fleurs, à la manière japonaise. Je
pris une des toiles et laissa mon esprit errer, s’incarner dans la toile.
C’était une rose à peine éclose, d’une pâleur pastel. La tige était mince,
fragile; vert clair sur le dessus et comme aspirée par un vert foncé qui
montait du bas de la tige. Les feuilles commençaient à se faner, l’une
d’elles était trouée, attaquée par une chenille. Les épines surtout me
Samedi 7 aout
Enfin Papa vient de rentrer. En 9 ans il avait vieilli et j’ai eu du mal à le
reconnaître. Il m’a paru tout à coup un étranger, père Noël
métamorphosé en maquereau. Avec Bob, nous nous fîmes la fête à
trois. Ahn s’était discrètement retirée. Nous parlions des temps
anciens où nous formions une famille, puis ce que nous étions devenus
depuis son départ. Au bout d’une demi-heure Ahn nous invita à dîner.
Père embrassa Mona et Maria la monta dans son berceau. Le père
Noël se réveilla vite
38
« C’est tout ce que tu as comme fringues? Demain je t’emmènerai avec
Ahn au Centre commercial. Vous pourrez faire du shopping à votre
guise »
C’est une voiture de service de la Cie qui nous emmena.
Assis à côté de moi, père me demanda brusquement:
« Pour une carrière en mathématiques tu as la voie universitaire. Mais
tu mettras bien des années avant de pouvoir te spécialiser dans la
recherche. De plus c’est très mal payé. Pour la recherche au sens large,
c’est l’informatique qui offre le plus grand nombre d’ouvertures à la
créativité. A mon avis une première année d’études supérieures
devrait surtout te révéler l’orientation que tu veux donner à ta vie
professionnelle ».
« Parle-moi de ton projet professionnel »
«Tout à fait d’accord »
Je n’y avais pas songé vraiment. Je me voyais faire de la recherche en
mathématiques, c’est tout »
Tu envisages donc une carrière universitaire d’enseignant-chercheur? »
« Mais je n’ai pas envie d’enseigner »
« Ce sera difficile à dissocier »
Lorsque nous arrivâmes au centre commercial, il m’avait initié à
nombre de réalités de la vie professionnelle. Il nous laissa entre
femmes dans la galerie des textiles et nous donna rendez-vous à
l’entrée de la galerie dans une heure et demie. Ahn avait la fièvre
acheteuse, je dus la freiner. A la fin j’avais acheté pour moi un
pantalon et un jean, trois tee-shirts et une veste trois quart en soie à
broderies locales. Ahn quant à elle s’était largement servie.
Au retour père reprit notre conversation sur le projet professionnel.
« J’ai joint Me Cirière tout à l’heure au téléphone, il m’a fait part de
votre discussion et je suis tout à fait d’accord pour que tu ailles étudier
à La Rochelle, pour mieux cerner ce que tu veux vraiment devenir.
L’université de La Rochelle a un site Internet. On le consultera
ensemble ce soir. Me Cirière et son épouse sont des amis de longue
date. Ils vont t‘accueillir comme si tu faisais partie de la famille»
A la fin de la soirée mon choix était fait: je suivrai une première année
de Physique- Chimie-Mathématiques et dans le même temps une
première année de DUT Informatique. Nous en informions aussitôt Me
Cirière pour les formalités d’inscription ainsi que pour l’ouverture d’un
compte bancaire que mon père allait approvisionner régulièrement.
Lundi 16 août
39
C’est le départ et toute la famille est venue me conduire à l’aéroport.
Les adieux furent émouvants, Bob pleurait. Je tentai de le conforter
« Ce soir Maria te consolera »
« Non, son mari vient de rentrer »
Vendredi 20 aout
« Reviens pour les grandes vacances l’année prochaine. Tu resteras
plus longtemps et nous ferons mieux connaissance »
Je me suis installée en toute discrétion à La Rochelle, me suis
familiarisé avec les bâtiments et les bureaux de l’université, j’ai acheté
les livres et les polycopiés requis
Pour mon père je n’étais pas une femme comme les autres. Il
m’écoutait, se mettait à ma disposition, m’aidait. Je pouvais compter
sur lui. Disparue ma première impression négative. Cela me fut d’un
grand réconfort.
Enfin j’ai repris l’entraînement de boxe thaï, deux soirs par semaine;
j’étais rouillée mais j’ai fini par retrouver le rythme.
Pendant la plus grande partie du voyage, j’ai dû dormir.
J’avais prévu de prendre le TGV de Roissy à La Rochelle; Me Cirière et
son épouse m’avaient fait la surprise de venir m’accueillir à l’aéroport
et nous fîmes ensemble. le voyage jusqu’à La Rochelle. Henri Cirière (il
m’avait demandé de l’appeler par son prénom) me parla de mon
installation à La Rochelle. Ils avaient préparé le studio pour
m’accueillir, rangé les affaires de Charles-Edouard, leur fils et libéré la
place. Ils proposaient de me confier sa petite moto, une MBK 125. (De
toute façon il ne s’en servira plus maintenant qu’il a une voiture) Ils
m’invitaient à venir dîner avec eux un soir par semaine, nous avons
convenu du mardi.
Je me sens prête pour la rentrée courant septembre.
Tout à l’heure, par hasard, j’ai croisé Nanda sur le Vieux Port.
Silhouette plus affinée, démarche plus assurée, un élégant maquillage
couvrait ce qui restait de cette fraîcheur que j’appréciais tant. Elle
avait trouvé un travail régulier comme escort-girl dans un cabinet
d’hôtesses. On se promit de se recontacter; je l’inviterai à mon
anniversaire.
Mardi 14 septembre
Ce matin j’ai reçu deux e-mails, l’un d’Ariane, l’autre de Papaye. Ils me
croient toujours à Jakarta
40
Mado chérie
Cela va faire deux mois que tu es partie rejoindre ton père. Ici les
événements se sont précipités. Les parents d’Isabelle ont déménagé. Ils
ont vendu leur pavillon et se sont installé dans un village perdu de
Corrèze, pays d’origine de la mère. Ils ont cessé leurs activités au
Secours Catholique.
Nanda est partie sur La Rochelle, elle travaille comme escort-girl dans
un Institut d’hôtesses.
Te souviens-tu du petit château qui te plaisait tant? Il a trouvé
acquéreur peu après ton départ. Les nouveaux propriétaires ont fait
une découverte macabre: dans leur cave un cadavre d’homme nu. La
gendarmerie de Talmont a été chargée de l’enquête. Ils nous tiennent
au courant. L’homme Dragomir Ilitz était connu des services de police.
Ancien commandant de l’armée serbe, il s’était reconverti dans le trafic
d’armes et de personnes ainsi que dans le blanchiment d’argent. Il
avait contacté plusieurs banques locales. La gendarmerie privilégie la
piste d’un règlement de compte entre bandes mafieuses. L’autopsie fait
penser qu’il a subi un interrogatoire musclé, perpétré par d’anciens
membres du KGB. Les blessures concluent à une
méthode
d’interrogatoire inhabituelle, de ce fait ils n’excluent pas d’autres
hypothèses. Procureur et préfet leur mettent la pression, ils craignent
que des bandes mafieuses ne s’installent dans la région.
Cette histoire m’a insupporté et j’ai donné ma démission à la police.
Dorothy est de plus en plus amoureuse, elle m’a présenté à ses parents;
Son père, directeur administratif d’une grosse PME locale est un
homme ouvert, fin, énergique. Il m’a jaugé du premier coup. Il m’a
parlé d’un problème qui le tracasse: dans son entreprise des vols assez
importants sont commis régulièrement, sans qu’on arrive à coincer les
voleurs. J’ai compris à demi-mot et j’ai proposé ma collaboration. Il m’a
introduit dans l’entreprise comme une intérimaire. Médium ou chance:
en une semaine j’avais démantelé le réseau. De plus il était dirigé par
un délégué du personnel virulent dont l’entreprise cherchait vainement
à se débarrasser.
Fort de ce succès, et sachant que je cherchais du travail, il me proposa
une « discussion entre hommes » Tout de go il m’offrit sa fille (en
mariage en quelque sorte) avec une grosse dot à la clé. Ils allaient
m’aider à créer mon entreprise de consulting, en Sarl
Dorothy était chargée de la partie administrative; tu sais à quel point
cette âme romantique peut développer un esprit pratique lorsqu’elle
est guidée par l’amour. Son père au sein de l’association des directeurs
administratifs, assure discrètement ma promotion auprès de clients
potentiels. Parallèlement je développe une activité de voyance par
téléphone. Sans publicité, un bouche à oreille favorable se développe.
Voilà ma chérie ce que tu trouveras changé à ton retour dans un an ou
deux
Je t’embrasse fraternellement Ariane
41
J’ai compris que la jalousie de Dorothy surveillait tout, d’où la
prudence d‘Ariane. Ainsi le dossier Ilitz n’était pas clos et que j’avais
intérêt à faire la morte. Le texte présentait une longueur inhabituelle
pour un e-mail. Je compris que c’est ainsi qu’Ariane me déclarait son
amour, à la barbe de Dorothy.
Quant à moi, fidèle à moi-même, je fais le marché, le ménage, la
cuisine…
Mais surtout, grâce à ton scooter, j’ai enfin la possibilité de m’évader,
d’aller à la mer, de visiter le port et rêver devant les bateaux.
La semaine prochaine, Dimitri va retourner travailler dans son
entreprise. Il se sent bien en ménage avec ta mère, envisage de
prolonger sa mission en France. Ils vont probablement me mettre à la
porte.
Dans le même temps me parvint un e-mail de Papaye
Bonjour Mado chérie
Dimitri m’initie à l’informatique, et j’en profite pour t’envoyer quelques
nouvelles du front. Ta mère est sortie de l’hôpital dès la fin juillet, est
bénéficie d’une hospitalisation à domicile. Dimitri est venu habiter avec
nous et ta mère l’a aussitôt fourrée dans son lit. Ca leur réussit bien: ils
s’épanouissent et font des progrès rapides, Dimitri pour l’élocution et
ta mère pour la vue.
Je me suis occupé de ton dossier d’inscription à la faculté de Nantes
mais il faut que tu viennes signer rapidement. Par contre il n’y a plus de
chambre disponible à la Cité universitaire et les chambres en ville sont
chères. Mais sans doute envisages-tu de passer un ou deux ans à
Jakarta; leurs universités sont réputées.
Donne-moi des nouvelles de Bob; j’espère qu’il se plait. Vous me
manquez tous les deux
Avec tout mon amour Papaye.
J’ai pris ta chambre et dors dans ton lit, avec toujours le même
ravissement. Les Emmaüs ont emporté ta grande coiffeuse et le litbureau de Bob. A sa place Dimitri a installé son bureau. Il y travaille le
jour et j’y dors la nuit. Dimitri a retrouvé 70% de son élocution et peut
désormais suivre une conversation normale avec quelque lenteur. Ta
mère commence à voir de plus en plus clair, elle est en avance sur les
prévisions de la Faculté.
Que c’est loin tout ça maintenant…
Le soir je dinais chez les Cirière, je leur ai montré les messages. Henri
était très intéressé, il connait des responsables d’entreprises
susceptibles de faire appel aux compétences d’Ariane
42
Je lui demandais de m’informer de sa venue éventuelle, afin de
prendre rendez-vous.
« Je suis incapable d’être voyante pour moi-même, mais toi tu es en
train de t’enfoncer dans un sacré merdier »
« Prouve-moi que ça en vaut la peine »
Lundi 4 octobre
Mon premier jour de classe à l’IUT. C’est un cours de mathématiques ;
j’exulte Nous sommes une cinquantaine de garçons pour moins de 10
filles. Une ambiance de compétition qui me plait. Mon père a eu raison
de me conseiller l’IUT.
Aussitôt entrées, nous primes une douche ensemble, puis toutes
mouillées, nous nous jetâmes sur le lit. Nos corps luttèrent,
s’embrasèrent, exultèrent, recommencèrent. Encore et encore. Sœurs
de Combat, âmes-sœurs, tigresses jumelles. Ce n’est qu’au petit matin
que nous nous endormîmes, épuisées
Des coups violents frappés dans la porte nous réveillèrent
Jeudi 21 octobre
Mon cœur bat à tout rompre. C’est aujourd’hui que Ariane viendra à La
Rochelle prendre langue son client. Ils dineront ensemble.
Responsable administrative du Cabinet, Dorothy lui avait réservé une
chambre à l’hôtel d’Angleterre. Elle compte y arriver vers 23h. Je
l’attends au bar, mon cœur bat la chamade. Elle finit par arriver et
nous montons aussitôt dans sa chambre. Le veilleur de nuit nous mate
d’un œil sournois.
« Tu crois que Dorothy a payé le veilleur pour t’espionner? »
« Tu ne vas pas devenir parano, toi aussi »
« Qu’en pense la voyante extralucide? »
« Police. Ouvrez »
La porte vola en éclats, quatre policiers entrèrent, en gilets pare-balles
et mitraillette au poing. Un policier en civil montra sa carte:
« Commissaire Durieux. Mademoiselle Rousset, Mademoiselle Le
Guen, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Dragomir
Ilitz«.
Ariane se leva, son corps nu ruisselant d’érotisme. Elle croisa ses mains
derrière la tête en signe de reddition, plantée sur ses jambes écartées,
balançant son pelvis en avant, et pointant ses seins, telle une
chanteuse de rock.
« Permission de nous habiller, chef » Elle avait aboyé sa requête à voix
haute, style U.S. Marine.
43
« A genoux, mains sur la tête » hurla le commissaire. Un agent lui passa
les menottes.
Je m’étais levée, avais pris la même posture, mais personne ne faisait
attention à moi.
Dorothy engoncée dans l’embrasure d’un porche. Elle avait l’air de
pleurer.
« Il n’y a pas d’armes »
Au commissariat on m’introduisit dans une salle d’interrogatoire. On
me laissa mijoter un quart d’heure, puis deux policiers, un homme, une
femme entrèrent. La femme-flic me demanda si j’avais pris mon petit
déjeuner et me proposa un café. Je refusai poliment.
(Ils avaient dû s’imaginer que les présumées tueuses d’un trafiquant
d’armes se promenaient avec tout un arsenal)
Le policier me montra aussitôt une photo du cadavre du commandant.
Je l’examinais attentivement en silence puis la lui rendis.
J’étais prête pour mon numéro.
« Pas de commentaire. Mon avocat ne devrait pas tarder »
« Je suis mineure, l’IGS vous le confirmera. J’exige le respect de mes
droits de mineure. Je veux parler de suite à mon avocat, Me Cirière »
Je replongeai dans le silence et ils sortirent. Dix minutes plus tard, le
commissaire entra
Il flottait comme un parfum de bavure.
« Votre avocat vient d’arriver. Les policiers me demandaient mon
emploi du temps des 27 et28 juillet. Pour autant que je me rappelai
j’avais passé la nuit avec Ariane et au matin elle avait été acheter un
petit meuble en utilisant une voiture de police banalisée.
Un policier avait fouillé le lit et la chambre:
« Habillez-vous » dit le commissaire, résigné.
« Devant tout le monde? »
« Il n’y a pas de femme-flic pour la petite? » renchérit Ariane
« Faites vite»
Des voitures banalisées nous attendaient en bas. Un photographe de la
Charente Libre venait d’arriver. L’espace d’un instant, je crus voir
L’interrogatoire n’avait duré une heure au bout de laquelle le policier
me dit :
« Vous êtes libre » Il s’approcha à me toucher, me toisa avec haine:
« Je sais que c’est vous la coupable. Vous avez réussi à berner la
Scientifique, mais pas moi. Je ne vous lacherai pas. Un jour ou nl’autre
vous vous trahirez »
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Je m’arrachai à son emprise:
« Sans commentaires, Commissaire, sans commentaires ».
Me Cirière m’invita à sortir, Ariane ne tarda pas à nous rejoindre.
adultère. Le matin je partais à mes cours, Ariane se rendit en pseudointérimaire chez son client. Dans notre studio elle travaillait avec son
téléphone portable spécial pour ses consultations de voyance.
Des messages de Dorothy s’accumulèrent sur son portable personnel
mais elle avait décidé de ne pas répondre
« Je parie que vous n’avez pas déjeuné »
Il nous emmena dans un café proche et nous primes un petit déjeuner
copieux.
« Votre dossier est vide, pas d’ADN, pas de mobile, pas d’arme du
crime. De plus l’enquête de voisinage vient de révéler que le soir du 27
juillet, une voisine avait vu Ariane monter les escaliers vers son
appartement tendrement enlacée avec une autre jeune fille).
Vous avez été dénoncées par une jeune femme paumée à la police des
Sables. Ils ont transmis l’information mais ont vite compris qu’il
s’agissait d’une histoire de jalousie entre lesbiennes. Le procureur,
réveillé dans la nuit, a jugé bon de donner suite parce que c’est en ce
moment la seule piste dont la police dispose »
Puis Henri se tourna vers Ariane « Bravo, vous êtes une vraie pro »
Mardi 26 octobre
Message angoissé du père de Dorothy: elle avait fait une tentative de
suicide et se trouvait entre la vie et la mort. Elle avait laissé une lettre
où elle reconnut que son témoignage était une pure invention, dictée
par une jalousie maladive. Elle nous suppliait de lui pardonner. Nous
nous rendîmes sur le champ aux Urgences de l’hôpital des Sables. On
nous fit patienter dans la salle d’attente, où les parents de Dorothy
attendaient déjà. Ils n’étaient pas au courant de l’histoire et
craignaient que leur fille ne fasse un véritable délire de jalousie.
Un médecin vint vers nous
« Elle est sauvée mais vous ne pourrez pas la voir tout de suite. Nous
poursuivons le traitement. Elle sera en état de vous recevoir aprèsdemain ».
Mr Cosset prit Annick à part et sa mère s’adressa à moi
Nous avons décidé qu’Ariane viendrait habiter chez moi, le temps de
sa mission, C’est ainsi que nous avons commencé notre vie de couple
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« Comment a-t-elle pu faire cela? Vous êtes ses meilleures amies.
Pourquoi s’est-elle montrée tout à coup aussi jalouse au point
d’attenter à sa vie? »
Elle pleurait contre moi, je tentai de me souvenir des caresses de Maria
capables de positiver le mauvais Kama. Je lui en effleurais le dos.
Je montai aussitôt dans la chambre. Dorothy m’accueillit avec un
sourire gêné. Je l’embrassai, elle se laissa faire.
« Dorothy, c’est mon anniversaire la semaine prochaine. J’aurai 18 ans,
la majorité. Je venais t’inviter »
« C’est bien aimable »
Au bout de quelques minutes, calmée, elle me jeta un regard de
reconnaissance:
« Merci Mado, tu as un don extraordinaire. Je suis sûre qu’à ton
contact Dorothy va renaître »
Je m’étais assise sur la chaise installée à coté de son lit. Un silence
pesant s’installa entre nous.
En repartant Ariane me résuma sa conversation avec le père:
« Dorothy dis quelque chose, engueule-moi, dis que je t’ai pourri la vie,
que j’ai failli te faire mourir, crois bien que je suis désolé, que je ne
voulais pas te faire de mal »
« Il faut sauver la boite, avec ou sans Dorothy ».
« Je t’ai bien rendu la pareille, alors on est quitte »
Samedi 30 octobre
« Mon suicide, c’était pas du bidon. J’ai vu un couloir de lumière
ouvrant sur un grand portail. Des gens vêtus de lumière m’appelaient.
Il y avait Isabelle, mon grand-père et d’autres gens que j’avais
vaguement connus. Je cheminais vers eux et me sentais divinement
bien.
Il fait un temps de Toussaint, pluvieux et venteux. Dorothy est
désormais hospitalisée chez elle, Ariane a terminé avec succès sa
mission à La Rochelle. Nous avons décidé que c’est moi qui verrai
Dorothy la première, seule; Ariane attendra dans la voiture.
Il est 11 heures c’est la mère qui vint m’ouvrir/
Puis j’ai entendu ta voix qui me rappelait. Je me suis retournée. Tu
avais le corps d’un bébé garçon étendu sur un coussin rose dans un
petit canot, une coquille de noix. Derrière toi, flottaient en longes
toges Papaye et Annick, figures tutélaires.
« Te voilà enfin, Dorothy te réclame »
Je suis revenu vers toi et t’ai contemplé longuement. Tu as fini par me
dire
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« Mon sexe est à celui qui me sauve, homme, femme, jeune ou vieux ».
Je compris que tel était ton destin, et que tu ne m’avais nullement
rejetée.
J’ai repris conscience peu après. J’étais à l’hôpital en réanimation,
médecins et infirmières s’affairaient autour de moi.».
J’étais sonnée, respiration bloquée, j’ai craint de faire une crise
d’asthme.
« Je vais venir m’étendre à côté de toi »
Toute habillée je m’étendis sur la couverture, mon bras droit calé
derrière sa nuque tenait sa main gauche, sur son ventre sa main droite
reposait dans ma main gauche. Un train d’ondes chaudes commençait
à traverser mon corps: je glissais paisiblement vers le sommeil.
rétracter ensuite. Mais vous n’avez pas appelé au secours. Alors ma vie
m’avait plus de sens, je n’avais plus qu’à m’en aller pour de bon »
Nous étions toujours étendues l’une contre l’autre, la main dans la
main, A nouveau un coutant d’ondes positives circula entre nous, plus
lent, plus profond/
L’image de Mère s’imposa à mon esprit, pyromane-pompier elle aussi.
Elle était partie nous laissant démunis, peut-être uniquement pour
qu’on l’appelle au secours et qu’elle puisse rentrer en sauveur. On ne
l’a pas appelé et elle a dû chercher un autre sens à sa vie. Avais-je la
volonté de positiver tout ce Karma négatif?
»Je dois m’en aller, cela fait des heures qu’Ariane m’attend dans la
voiture »
Mme Cosset m’arrêta:
Ce fut la voix de Madame Cosset qui me réveilla:
« Elle reste diner avec nous Mado? »
« Mais non tu vas la chercher et vous allez dîner toutes les deux avec
nous. Nous sommes trop heureux que tout cela finisse bien »
Je regardais ma montre: il était 19h
« Tu as dormi toute l’après midi. Et tu as dû rêver de moi. Tu as parlé
en dormant: Pyromane- pompier et Karma
La pyromane-pompier, c’est moi, je me suis bien reconnue. J’allume un
feu pour que les gens m’appellent au secours afin que je puisse venir
les sauver. C’est pour cela que je vous ai dénoncés, quitte à me
Samedi 6 novembre
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Dorothy avait insisté pour organiser elle-même et seule ma fête
d’anniversaire.
« Ce sera une surprise »
Je devinais sans peine sa surprise: 18 bougies, une figurine de Disney,
une décoration façon Karl Lagerfeld. J’aurai préféré une inscription du
genre E= MC2, une vision qui me projette dans ma future voie
d’adulte. Mais il ne faut pas en demander trop à Dorothy. Je lui suis
reconnaissante de m’avoir révélé mon rêve du pomper-pyromane et
du Karma. Cela signifiait que je voulais faire la paix avec ma mère,
repartir avec elle sur de nouvelles bases. J’allais l’appeler pour l’inviter
à mon anniversaire.
C’est Papaye qui me répondit au téléphone. Il était heureux de
m’entendre. Mère allait mieux, sa vision s’améliorait. Elle avait reçu
une lettre de Bob qui lui disait combien il était heureux mais aussi
combien il l’aimait. Il prévoyait de venir passer un mois avec nous pour
les grandes vacances. L’autre nouvelle était moins agréable. Dimitri
avait récupéré pratiquement toues ses facultés et son élocution dans
un délai nettement plus rapide que prévu. Son Entreprise lui
reconnaissait désormais un potentiel exceptionnel et lui avait proposé
une promotion et une mission importante en Roumanie. Il avait
accepté immédiatement et il était parti il y a deux jours. Papaye appela
ma mère et me la passa au téléphone. Je commençais par lui dire que
j’étais heureuse que Bob lui ait écrit.
« Je me réjouis de le recevoir, mais je suis inquiète: nous n’avons plus
de sous. Nos deux pensions d’invalidité nous permettent à peine de
vivre, et je n’ai plus le droit de conduire et donc ne trouverai pas de
travail. Je lui répondis que je la comprenais, que nous avions connu la
même situation, qu’il y a toujours moyen de s’en sortir, de faire preuve
d’imagination, de positiver »
« Tout cela est de ta faute, c’est toi qui m’a rendu infirme à vie dans ce
commissariat. Tu n’es qu’une mauvaise fille et tu l’as toujours été. Tu
ne penses qu’à me faire du mal, à me contredire, à me contrarier ».
C’en était trop.
« Ecoute Michèle, je t’appelais pour faire la paix, t’inviter à mon
anniversaire, repartir sur de bonnes bases. Dans quelques jours je serai
adulte. Alors raisonnons en adultes en n’examinant que les faits:
Un: le commissaire avait cherché une confrontation entre nous, ce qui
est contraire à la loi; il a été sanctionné pour cela
Deux: c’est toi qui m’as agressée par derrière
Trois: notre chute était accidentelle: deux témoins assermentés l’ont
attesté, l’assurance l’a confirmé
Et quatre: j’ai été reconnue innocente pour le rapt de mon frère; ce
sont des hommes à mon père qui l’ont perpétré, selon son propre aveu
Tu n’avais donc aucune raison de m’agresser. Tu t’es précipitée, tu as
pété les plombs, tu n’as qu’à ton prendre à toi-même. Tu m’accuses
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d’être une mauvaise fille. Es-tu une bonne mère, toi qui as abandonné
tes enfants en les laissant sans un sou? Es-tu une bonne épouse, toi qui
t’es fait plaquer par trois compagnons.. Tu pourras toujours te rabattre
sur Papaye, ton homme à tout faire; tu vas le remettre dans ton lit, tu
es très forte pour cela. Mais lorsque vous baiserez, c’est à moi qu’il
pensera, c’est moi qui suis sa princesse, sa reine, l’amour de sa vie »
Dis-moi, dans votre boite, vous n’envisageriez pas de créer un
département Coaching à domicile? »
Papaye reprit le téléphone « Mado chérie, ta mère souffre »
« Je crains qu’il ne soit obligé de travailler jusqu’à 70 ans. C’est jeune
pour un gourou de son niveau »
« Je sais, j’ai compris. Mais je ne tiens pas à ce que cette souffrance
vienne gâcher mon anniversaire. Je vais avoir 18 ans, être majeure,
adulte. C’est trop important pour que j’accepte qu’on gâche ma fête.
Laissons faire le temps et ta force de persuasion. J‘espère pouvoir vous
inviter dans un an, à mon prochain anniversaire».
Je me sentais un peu honteuse de ma mauvaise foi mais je considérais
que telle était la seule réponse du berger à la bergère. En même
temps leur situation financière me préoccupait, surtout pour Papaye.
Je décidai d’appeler Ariane sur son portable
« Ariane chérie, tu bosses? On peut causer? »
Ariane avait réussi sa mission plus tôt que prévu. Elle était toujours
sous sa couverture d’infiltrée. On lui avait laissé une table à l’infirmerie
de l’Entreprise, où il n’y avait jamais personne et elle rédigeait son
rapport de mission.
« Alors tu vas partir demain, ce sera notre dernière nuit? »
« On trouvera très vite d’autres occasions »
« A voir. Tu penses à Papaye? Je le croyais à la retraite »
« A voir. Tu comprends que je ne décide pas seul »
« Il y a aussi Dorothy qui me préoccupe. Elle a fait deux tentatives de
suicide, et dans les deux cas c’était moi la première concernée »
Long silence
« En clair tu penses à une sorte d’amour-sauvetage, Tu voudrais
coucher avec elle pour prévenir une nouvelle tentative de suicide?
Dorothy pense que c’est de cela qu’il s’agit entre nous. Tu m’aimerais
parce que je t’ai sauvé la vie, et que ton amour pour Papaye serait du
même tonneau ».
« Ariane, tu es extralucide, Dis-moi quelle serait la solution« »
« J’y réfléchirai. Je t’aime trop pour faire ménage à trois »
« Prépare-toi pour ce soir. J’ai enlevé ma petite culotte pour mieux
t’accueillir. Ce soir je te viderai les couilles »
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« Moi aussi je t’embrasse partout où tu aimes »
Je me laissai glisser sur le canapé. J’avais imaginé ma vie d’adulte
fendant le flot toutes voiles dehors. Qu’on pouvait mettre la vie en
équations, à résoudre au fur et à mesure. Qu’on pouvait attraper le
mauvais karma dans une nasse puis le neutraliser rationnellement.
C’est dans ce but que j’avais commencé ce journal. Il m’a aidé à mieux
formuler mes interrogations: ma relation à ma mère, à mon père; à
mon sexe, à mon avenir.
J‘avais trouvé des réponses partielles. Mais ces réponses à leur tour
débouchent sur de nouvelles questions.
Demain je retournerai à l’IUT, la routine. Et je serai à nouveau seule,
avec mes études, mes livres, la boxe, et mes questions sur mon avenir.
Mais je sais que désormais Ariane et moi nous nous aimions vraiment.
C’est la seule chose qui compte.
A SUIVRE…
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