1 Mado Journal d`une lycéenne Ydda Hendrics Dimanche 18 avril
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1 Mado Journal d`une lycéenne Ydda Hendrics Dimanche 18 avril
Le territoire de Bob était occupé par un meuble Ikea en pin, pupitre d’écolier avec son banc et son placard, surmonté à 1,70 m de son lit auquel il accédait par une échelle Mado Journal d’une lycéenne Ydda Hendrics Alors que je dormais la tête coté soleil levant, il avait préféré se coucher tête à l’ouest. Il pouvait ainsi m’observer, réfléchie par le miroir, surtout l’été quand je dormais à moitié nue. Dimanche 18 avril Baccalauréat - 60 jours Un étroit rayon de soleil me piqua l’œil droit et finit de me réveiller complètement. Depuis une demi-heure je me prélassais dans un demisommeil et me livrais à mon exercice favori: visualiser les yeux fermés la chambre que je partageais avec mon frère Bob Un paravent fleuri séparait nos territoires respectifs, coupant la chambre en deux, de la fenêtre à la porte..J’occupais la partie nord avec mon lit cosy-corner plaqué contre le mur. Du côté de la porte une grande coiffeuse surmontée d’un miroir triptyque, que Mère avait déniché dans une brocante et dont elle me fit cadeau pour mes 12 ans. Elle avait toujours souhaité secrètement que je passe davantage de temps devant le miroir que devant mes livres. Appuyé contre le paravent, vers le milieu, un meuble colonne, formé d’un placard fermé par une porte basculante formant table rabattable. C’est dans ce placard que je rangeais livres, cahiers, ordinateur. C’est sur cette table que j’étudiais, assise sur mon lit. J’ouvris les yeux; les interstices des volets roulants projetaient sur mon pyja-short bleu des rais de lumière parallèles, évoquant tantôt une marinière de skipper tantôt une bure de forçat. Au rythme de ma respiration ces rais ondulaient, crêtes de vagues entre lesquelles je surfais librement, affirmant par fractions de seconde successives ma maîtrise face au déferlement fatal. Une demi-heure plus tôt c’est l’entrée discrète de Papaye qui m’avait tirée du sommeil, Comme tous les dimanche matin, vers 7 heures, il venait chercher Bob pour aller au marché. Je me levai enfin pour aller faire ma toilette. Notre maison, héritée de grand’mère, est une ancienne longère, maison de pêcheurs. A notre arrivée, Mère l’avait faite entièrement réaménager La salle de bain fut édifiée dans un ancien couloir, c’est une pièce aveugle séparant la chambre des enfants de la chambre des parents. La douche se trouve au fond de la pièce, lavabo et le WC s’appuient contre le mur gauche. Je pris ma douche, m’habillais. 1 En sortant je risquais un œil dans la chambre dite des parents dont la porte était entre-ouverte. Elle était vide. Le silence de Mère me surprit. D’habitude à cette heure elle marchait dans la cuisine, fumant sa première cigarette et faisant résonner sur le carrelage ses mules à hauts talons « Maman ne rentrera plus parce que vous couchez ensemble » Je me dirigeai vers la cuisine, vide elle aussi. Mère n’était pas rentrée de sa semaine. Elle travaillait comme démonstratrice itinérante pour des produits agro-alimentaires, animant des promotions dans tous les supermarchés des Pays de Loire, La plupart du temps elle logeait à l’hôtel; ne rentrait que le samedi soir pour repartir le mardi matin. En période de fêtes elle travaillait aussi le dimanche matin, mais alors elle nous prévenait par téléphone. « Tu sais Bob, la maison est petite et tu vas avoir besoin d’une grande chambre, alors nous avons pensé occuper la chambre des parents lorsque Mère n’est pas là. Tu comprends cela? » « Oui » Cela faisait à peine deux semaines que j’avais pris pour amant Papaye, le compagnon de ma mère. Nous étions discrets et Mère était trop remplie d’elle-même pour s’en apercevoir. « On fait ça pour toi, inutile de lui en parler, sinon elle me remettra dans la chambre commune » Tout content Bob partit dans la chambre jouer à la Playstation Papaye m’entraina à part: Papaye avait préparé le petit déjeuner: sur la table trois bols, beurre, Nutella et cornflakes; sur le gaz une casserole de lait; devant le grillepain une assiette de tartines Papaye et Bob rentrèrent plus tôt qu’à l’habitude, leur panier à moitié vide. « On ne trouve plus de beaux légumes » se plaignait Papeye, mais le ton de sa voix signifiait autre chose. Il avait aussi oublié d’acheter les traditionnels croissants du dimanche matin. A la fin du repas, rassasié, Bob se mit à sangloter: « Cela va faire un mois que j’observe le manège de ta mère. A chaque week-end elle emporte une partie de sa garde-robe, de ses chaussures et objets de valeur. Aujourd’hui sa penderie est pratiquement vide. Je m’en suis aperçu à temps et j’ai pu nous faire une petite cagnotte, pour voir venir la fin du mois. Tu vois ce n’est pas un caprice, elle a préparé son coup de longue date, sournoisement, pour nous laisser dans l’inquiétude et financièrement dans l’embarras » « Et, le sachant, tu n’as pas voulu discuter avec elle? » « Mado je me doutais que tu étais amoureuse de moi, inconsciemment. J’avais eu le coup de foudre pour toi dès notre première rencontre, il y a 7 ans et que étais encore gamine. Tant que 2 ta mère était présente, je n’aurais jamais pu te l’avouer. Quand je couche avec elle, c’est à toi que je pense dans ta splendide nudité. Peu après déjeuner, Jojo et Momo, les deux copains de Bob sonnèrent à la porte et l’emmenèrent jouer au foot avec eux. Si tu t’es donnée à moi à ce moment précis, c’est que tu avais compris plus ou moins consciemment que cette évolution était irrémédiable, que ta mère ne nous reviendrait pas. Nous sommes tous deux des êtres droits. Et même si elle s’est montrée sournoise et retorse à notre égard, nous ne l’aurions pas été vis-à-vis d’elle » Je proposais à Papeye d’aller prendre le café sur la terrasse, dans la balancelle, sous le chaud soleil printanier. Papaye alla chercher Bob et proposa une partie de basket à trois; le panier était suspendu au mur de la terrasse. Le basket était excellent pour éduquer l’esprit de concentration chez Bob, et obligeait Papeye à des exercices mobilisant sa prothèse de la jambe gauche. Quant à moi je prétextais des révisions pour le bac et montais dans ma chambre. Sur l’ordinateur je consultais nos comptes bancaires: Mère les avait vidé. Ainsi donc elle avait décidé de nous quitter pour longtemps, sinon pour toujours. Papaye observa un long silence J’étais sidérée, dépassée. C’est précisément à cet instant que je pris la décision d’écrire mon journal, relatant les événements au jour le jour, dans l’espoir de les mettre en équation et aussi comme une sorte de thérapie, dans l’espoir que le relevé scrupuleux des faits me permettrait d’en découvrir la clef et « Devenir lucide, ne pas mourir idiot » comme se plaisait à dire Papeye. « Je crois que Mère a compris que désormais nous couchions ensemble et que cela lui a fourni l’ultime prétexte pour s’en aller » « Je ne crois pas qu’elle s’en soit aperçu. Votre conflit, à ta mère et toi, a commencé avant même ta naissance. Il y a 20 ans, ton père travaillait déjà dans le pétrole. Ils firent connaissance lors d’une de ses périodes de récupération, au retour du Nigeria. Il avait de l’argent, du temps libre, et faisait ce qu’il faut pour l’épater. Peu après il fut affecté en Hollande, et il l’emmena. C’est à La Haye qu’ils se marièrent. Son affectation suivante fut une plateforme offshore, au large de la Norvège. Dés lors son rythme de travail était de six semaines, suivies d’une semaine de repos. Ta mère se retrouva seule, dans un pays inconnu et enceinte de toi. Elle se mit à fumer, des cigarettes et bientôt de l’herbe, en vente libre là-bas. Tu naquis avec une constitution chétive et une prédisposition à l’asthme. Après ta naissance ton père demanda une affectation au siège social du groupe, à Pau pour être plus près de vous.. Son salaire s ‘en ressentit: fini les juteuses primes d’expatriation. 3 Tu avais quatre ans lorsque ta grand’mère mourut, vous laissant en héritage sa petite maison de La Pironnière, banlieue des Sables d‘Olonne. Ta mère y avait passé son enfance, elle connaissait du monde. Votre médecin estima que l’air marin te ferait le plus grand bien. La maison était vétuste et nécessitait de grands travaux. Ta mère pressa ton père de reprendre ses chantiers. Seule à nouveau elle se remit à fumer. C’est alors que naquit ton frère Bob. Dès la naissance il connut des problèmes de développement, retard mental et prédispositions à l‘épilepsie.. Ta mère, découragée ne cessa de se plaindre et à réclamer de l’argent. Ton père lui reprochait ses abus de tabac, selon lui causes de votre constitution fragile. A l’époque il travaillait au Kazakhstan, il s’y plut, apprit le russe. Les longs hivers y sont rudes, et le charme slave est redoutable. Une jeune employée, Olga, attira l’attention de ton père et sut le séduire.. Tu avais neuf ans lorsqu’il obtint le divorce. Ta mère dut chercher du travail et trouva un emploi de démonstratrice itinérante, qui l’obligeait à des déplacements constants. Elle vous avait placé tous deux en nourrice chez une paysanne du coin, maman Thérèse. « Oui, je me souviens bien » Mais l’instabilité de ton frère lui causa bientôt des problèmes; Thérèse ne voulut plus de vous. C’est à ce moment que nous fîmes connaissance ta mère et moi. C’était dans la cafétéria d’un supermarché à Brest. Je venais d’être licencié pour faute grave. J’avais eu un accident de voiture après une soirée un peu arrosée. Je fus amputé de ma jambe gauche, à hauteur du mollet Jusque là j’avais travaillé dans l’import-export avec les pays de l’Est Ta mère m’a fait part de ses problèmes. Je lui proposais de travailler comme précepteur à domicile. La maison était petite comme tu sais, aussi me fit elle une place dans son lit. Il n’y avait guère d’amour entre nous mais sur le plan sexuel nous nous entendions bien. Je compris vite à quel point le travail avec Bob serait ingrat. Mais toi tu m’apparus d’emblée comme un rayon de soleil. Je suis tombé amoureux de toi dès le premier jour; un amour très platonique. J’ai compris vite que tu avais un potentiel intellectuel intéressant et que c’est cela qui allait te sauver Il fallait t’entraîner à lutter et à persévérer, à te lancer des défis. La boxe thaï, le russe, le chant choral. Je vis avec plaisir que tu suivais mes incitations, malgré les propos dévalorisants de ta mère. Tu étais une princesse fragile dont je voulus faire une reine forte. Mais jamais, dans mes rêves les plus fous, je n’imaginais que tu déciderais un jour de devenir ma reine à moi… » Au fur et à mesure qu’il parlait, je m’étais appesantie contre lui, respirant au même rythme. J’écoutais ce qu’il me disait, mais c’était 4 comme s’il me racontait la vie d’une autre, une femme que j’aurais vaguement connue dans une autre vie. En ce moment, j’avais soixante ans, comme Papaye, nous étions au soir d’une vie d’études, d’épreuves, de labeurs, d’amour. Nous avions un fils, Bob, qui nous causait bien du tracas, usant notre vie et notre dévouement jusqu’à la corde. « J’ai une triste nouvelle. On a détecté chez moi un cancer du sein à un stade assez avancé. La semaine prochaine on va m’amputer mon sein gauche » Je m’arrachais à ma rêverie, mordillais son mamelon, à hauteur de ma bouche. « C’est injuste. Tu as les plus beaux seins du monde, de vrais seins de star. Regarde nous: J’ai les seins petits et plutôt tristes, Dorothy les a gros et mous, quant à Mado, ce sont tout juste des piqures de guêpe. « Viens me faire l’amour » Je me levai, le tirais à moi, voulus courir vers la chambre. Sa prothèse dérapa, nous chutâmes lourdement. Nous fîmes l’amour aussitôt, goulument, sur le carrelage brûlant de la terrasse. Nous étions consternées. Nanda réagit la première On va lui dire au revoir à ton nichon, lui faire une petite fête d’adieu. Un adieu entre filles. Des bisous de femme à défaut de caresses d’homme. Des baisers d’adieu pour qu’il parte en se disant qu’il a bien vécu et qu’il a été aimé. Et aussi comme gage que nous te soutiendrons de notre mieux dans cette épreuve ». Nanda s’avança vers elle, ouvrit son chemisier, dégrafa le soutiengorge. Ica rougit de pudeur, cacha ses seins dans ses mains. Lundi 29 mars (deux semaines auparavant) Ce lundi après-midi, Isabelle dite Ica, abréviation d’Isabelle la Catholique, nous avait convié Nanda, Dorothy et moi pour prendre le thé. Nous étions seules dans la maison: comme d’habitude ses parents s’occupaient d’œuvres caritatives dans la salle paroissiale. Isabelle avait les yeux embués, elle avait pleuré. Nanda lui caressa les mains qui peu à peu se décrispèrent, puis effleura la naissance du sein « Adieu petit nichon, qui vas précéder notre Isabelle dans un monde meilleur. Adieu petit sein qui ne flétrira jamais, qui restera dans notre souvenir à tous l’image de ta perfection juvénile» Elle embrassa la naissance du sein, ses larmes le mouillèrent. Les doigts d’Ica persistaient à défendre son mamelon. Nous pleurions toutes et 5 l’embrassèrent à tour de rôle. Ses seins me faisaient follement envie, j’aurais voulu me les approprier, les caresser, les arracher jusqu’à ce qu’ils deviennent miens. à tambouriner autour de moi. Je remontais sur le scooter pour rentrer. J’étais trempée. Bob était couché, Papaye bouquinait, revêtu de son kimono. « Ce sont des seins comme les tiens que je rêverais d’avoir » Nanda comprit mon trouble; «Bon les filles je dois vous laisser, j’ai un rendez-vous » « Je commençais à me faire du souci » dit-il en se levant pour m’embrasser. « Je vais prendre une douche et tu vas me frictionner. J’ai pris froid » Dorothy embraya « C’est la présentation de la collection d’hiver de Dior à la télé. Je ne voudrais rater ça pour rien au monde » Ma décision était prise. C’est-ce soir que j’allai en faire mon amant. Nous restions seules Ica et moi. Comme j’approchais mes mains, Ica se recula, se couvrit en hâte: Après la douche je m’avançais vers lui, laissais glisser mon peignoir, défis la ceinture de son kimono. « Je comprends ton désir Mado, mais n’insiste pas c’est mal. C’est un péché mortel que tu veux me faire commettre. Et entre personnes du même sexe c’est un péché contre nature, c‘est encore plus grave. . Je t’en prie, va-t-en maintenant » « J’ai envie de toi Papaye. Viens me faire l’amour » Je le basculai sur le canapé, m ‘agenouillai sur lui, et caressai son corps. J’étais abasourdie, furieuse, et me levai « Ecoute Mado tu me fais le plus beau cadeau de ma vie. Mais laissemoi un peu de temps. Allons dans le lit, nous serons mieux ». « Tu te méprends totalement Isabelle. Je te laisse. Adieu » Pendant près d’une heure je rageais dans la campagne sur mon scooter. Je poussai jusqu’au Puits d’enfer, tout au bout de la plage des Sables d’Olonne, m’assis à regarder le mugissement des vagues à l’assaut de la gorge de pierre, explosant contre la falaise. Le temps était à l’orage, il commençait à faire nuit lorsque des grêlons se mirent Nous nous caressâmes longuement, l’émotion finit par gagner son corps et son sexe. Je le guidai en moi « Je voulais que tu sois le premier». Je sentis une douleur sourde et le sang chaud couler le long de mes cuisses. Nous nous endormîmes l’un dans l’autre 6 Au petit matin je regagnais ma chambre. Inutile d’éveiller les soupçons de Bob. Adolescente je rêvais de longue robe blanche, baisers langoureux, serments ardents, me laisser conquérir de haute lutte par le chevalier blanc. Aujourd’hui les seins d’Ica m’avaient mis en émoi, je me suis jeté sur Papaye, je l’ai pris à la hussarde, sans préalables, sans mots doux, sans fantasmes. J’avais cru que les exercices d’entraînement de boxe avaient eu raison de mon pucelage, je fus surprise de saigner abondamment. J’avais dix ans lorsque Papaye m’avait converti à la boxe thaïe. J’avais exigé alors qu’il soit mon masseur. En toute confiance, je lui ai offert mon corps à modeler. Depuis sept ans, deux fois par semaine, je me suis dénudé devant lui. Le magnétisme de ses doigts connait la moindre de mes fibres, le parfum de l’huile camphrée a exploré tous les points douloureux et recoins secrets de mon corps et sans doute de mon âme. Papaye a guidé toutes les transformations de mon physique, depuis l’enfance au pré puberté et à l’adolescence; il fut le premier témoin de mes règles et de ma touffe pubienne. C’est lui qui m’a expliqué longuement, délicatement les transformations qui s’opéraient dans mon corps. La nature m’avait doté d’un corps chétif, asthmatique. Il m’a appris à refuser la résignation, m’a poussé à me forger un corps de guerrière. Comme je lui ai fait confiance pour me guider à travers les champs de mines de l’adolescence, je lui fais confiance aujourd’hui pour m’initier à ma vie de femme, en conquérante et non pas en fille soumise, Je souris à l’idée que tout à l’heure Papaye devra laver les draps, les faire sécher dans la cour entre deux averses, enlever les taches du matelas avant l’arrivée de Mère Mercredi 7 avril Coup de téléphone de la mère d’Ica: Isabelle avait subi son intervention chirurgicale. L’opération s’était bien passée. Elle se trouvait actuellement en postcure dans une maison de repos à Saint Gilles pour deux à trois semaines. Elle avait chargé sa mère de nous faire de gros bisous. Mardi 20 avril Pour une jeune fille de dix-sept ans, j’ai une vie réglée comme du papier à musique. Tous les jours de la semaine de 8 à 17 heures, priorité aux études, à la préparation du bac (cours, études, travaux divers…) Mes soirées aussi sont très occupées 7 Le mardi et jeudi, de 18 à 20 h entrainement à la boxe thaï (J’ai un bus direct pour me rendre aux Sables, mais depuis 3 ans, par beau temps, je m’y rends en scooter). Ce mardi, à l’entrainement thaï j’étais allé au bout de moi-même. Je m’entraine depuis l’âge de 10 ans. Mère avait donné son consentement, du bout des lèvres, persuadée que j’abandonnerai au bout de quelques semaines. Si j’ai tenu bon, c’est aussi en partie pour lui tenir tête. « Vide ton corps, tu videras ta tête » disait Raymond le coach. Il m’avait prise en amitié; dans son cours junior nous n’étions que 2 filles pour 15 garçons; j’étais la plus chétive mais aussi la plus déterminée. J’évitais les vestiaires, les douches et leurs quolibets: je rentrais en nage, un anorak pardessus ma tenue de sport, Je prenais ma douche à la maison, puis Papaye me massait. Le mercredi de 19-20h, chant choral à la salle paroissiale. « Papaye, comment trouves-tu mes seins? » Le docteur Martin, notre médecin de famille, avait recommandé la pratique du chant pour faire face à mon insuffisance respiratoire « Mais mon cœur ils sont adorables, mignons et adorables » « Peux-tu les faire grossir? » Les lundi et vendredi, temps libre. « Certes, mais cela prendra du temps » Le lundi en général, j’ai rendez-vous avec mes 3 copines Le vendredi se passe en famille et je m’occupe plus particulièrement de mon frère Bob. Il les massa délicatement, titillant de temps en temps le mamelon. Un bruit me fit tourner la tête: Bob était à la porte de la chambre et nous observait. Le samedi soir Mère rentre de sa semaine de travail. Linge à laver, doléances diverses, diner amélioré, télé. Plus tard dans la nuit j’entends, assourdis, soupirs et ahanements. J’imagine Papaye en train de la besogner. Papaye se tourna vers lui. Le dimanche le plus souvent nous accompagnons Bob à son match de foot. « Tu sais, à la boxe on attrape toujours des coups » « Au foot, lorsqu’il y a un blessé, est-ce que le masseur s’en occupe? » « Bien sûr,.. Mado a été blessée? » Bob restait à nous regarder, fasciné par ma nudité. Je me levai, m’enveloppai dans ma serviette, allai lui faire un bisou 8 « Et maintenant dodo » Il retourna aussitôt dans sa chambre. ménage chez des voisines compatissantes. Ali m’a trouvé une solution. Tu sais Alibert le grand blond, le fils du banquier» « Nous aussi dodo. Tu m’excuseras, ce soir je suis vannée » Je m’endormis comme une masse, tendrement nichée contre son épaule. Mercredi 28 avril (Bac - 50 jours) Cela fait plus d’une semaine que nous sommes sans nouvelles de Mère et nos finances sont en baisse. Ce soir à la chorale nous étions peu nombreux. Nanda m’attendait à la sortie et me prit le bras « J’ai vu Bob pleurnicher ce midi. Votre mère vous a quitté? Elle vous a laissé sans le sou? » Nanda me guida vers le Café du Commerce, désert à cette heure-ci et commanda deux Coca. « Tu peux tout me dire. Entre copines on est là pour s’entraider » Je restai silencieuse « Tu sais, je suis dans la même situation. L’année dernière mon père nous a quitté sans laisser d’adresse. Je suis l’ainée de 3 enfants, ma mère est sourde et ne trouve pas de travail, à part quelques heures de « Je connais. L’année dernière nous avions passé ensemble le brevet de secouriste » « Son père anime un Club des Investisseurs, qui organise de temps en temps des soirées fines. Il y en a pour tous les goûts. Certains hommes viennent uniquement pour trouver quelqu’un à qui causer. Cela pourrait t’intéresser. J’ai parlé de toi à Ali. S’il a quelque chose à te proposer, il te contactera. Il sera toujours temps de dire non ». Lundi 3 mai Ali doit venir me prendre à19 h. Il m’avait appelé samedi soir: un client russe, qui se sent très seul, aimerait s’entretenir dans sa langue avec une personne, homme ou femme. Pour la conversation le tarif est de 50 € de l’heure, dont il faut déduire 15% de commission pour Ali. A 19h précises Ali sonna à la porte et demande à parler à Papaye. Il se dit agent-manager artistique, chargé de trouver des personnes susceptibles d’intéresser ou de distraire certains clients de son père, membres d’un Club des Investisseurs. Les soirées ont lieu dans une gentilhommière vide à vendre, mise à leur disposition par un ami agent immobilier. 9 « Vous pouvez me faire confiance, tout se passera bien Mon père ne pourrait se permettre le moindre scandale dans ce petit coin de province. Mado sera entre de bonnes mains ». Dimitri était un homme trapu, à la chevelure blanche éclatante, aux yeux bleus délavés, le regard dans le vague, le visage en sueur, les mains jointes sur la table devant un verre de vodka. Ali me précédait sur sa moto, un gros cube, je le suivis en scooter. J’étais ainsi libre de partir quand je l’aurai décidé. Je l’interpellai en russe « Bonjour Dimitri, comment allez-vous? » Il mit du temps à répondre « Pas très bien.. La tête, la poitrine… » C’est entre chien et loup que nous arrivâmes en vue de la gentilhommière. Une grille rouillée ouvrait sur un parc en friche, Une allée gravillonnée envahie d’herbes folles menait au château. Dans le fond tel une ombre, un épais bâtiment flanqué de deux tourelles, se détachait sur le ciel crépusculaire. L’entrée était signalée par des flambeaux allumés. Nous nous garions sur la pelouse servant de parking, où déjà une quinzaine de voitures étaient alignées. Nous entrâmes dans un hall de réception. L’électricité était coupée, bougies et lampions diffusaient une lumière tamisée Une musique aux rythmes sensuels nous accueillait. Je m’habituais à la pénombre. Au centre du hall quelques couples dansaient. Dans le fond à droite, des hommes et des femmes se pressaient devant un bar. A gauche un large escalier ouvragé conduisait à l’étage Un couple montait, je crus reconnaître Nanda au bras d’un vieux monsieur. Ali m’entraina vers une table où était assis un homme seul. « Dimitri je vous présente Mado » Son élocution était lente, mais ce n’était pas la voix pâteuse d’un homme ivre. Je connaissais ces symptômes « Il fait probablement un AVC » dis-je à Ali. Il faudrait l’emmener aux urgences » Ali disparut et revint accompagné d’un autre homme, qui jeta un coup attentif sur le client, vérifia son pouls dans le cou. . Puis il se tourna vers moi « Je suis le docteur Lejeune. Demandez-lui de tousser » Dimitri fit des efforts sans y parvenir. Il respirait de plus en plus difficilement. Le médecin bascula sa tête en arrière et lui souleva le menton. Puis il lui pinça le nez, couvrit la bouche avec la sienne, lui donna deux insufflations complètes, Puis il se releva et s’adressa à Ali « Aide-moi à le mettre dans ma voiture, puis se tournant vers moi: Suivez-nous » 10 Je m’installais sur la banquette arrière à côté de Dimitri. Ali retourna au château, Le médecin démarra puis se tourna vers moi: « Voulez-vous me ramener au château? Je vais reprendre mon scooter et rentrer. Vous voudrez bien saluer Ali. Il comprendra » « Bravo pour votre diagnostic. Vous faites médecine? » « Dans un mois je passe mon bac Math. J’ai un brevet de secouriste » « D’accord, mais d’abord je vais vous offrir un verre. Vous l’avez bien mérité » Alors vous savez ce que vous avez à faire maintenant. Vous aller placer vos mains au centre de sa poitrine et faire 15 compressions vers le bas. Puis du bouche à bouche en lui pinçant le nez, deux insufflations. Vous recommencerez jusqu’à notre arrivée aux Urgences. Ca ira? » Il m’entraîna à la cafétéria de l’hôpital, m’offrit sa carte de visite, nota mon numéro de téléphone. « J’ai l’impression que vous n’en avez pas fini avec cette histoire » « Je l’ai déjà fait sur un mannequin » Dans la voiture nous bavardâmes de tout et de rien, histoire de déstresser. Il me déposa au parking et je démarrai mon scooter. Tout en roulant il m’observa à travers le rétroviseur « C’est très bien. Vous êtes en train de lui sauver la vie. A l’arrivée aux Urgences vous allez prendre son portefeuille et nous nous occuperons des formalités administratives ». Aux Urgences, il se précipita vers le médecin de garde, deux infirmiers accoururent,, couchèrent prestement le malade sur un brancard et l’emportèrent au trot. Lejeune m’attendait à la réception, la secrétaire me tendit le formulaire à remplir Je finis par trouver dans le portefeuille la carte d’identité et les divers renseignements demandés et à les traduire sur le formulaire. « Il est désormais en de bonnes mains. Que voulez-vous faire maintenant? » Papaye m’attendait, Bob était couché. J’avais gardé le portefeuille. Il y avais 6 billets de 50€, j ‘en offris 3 à Papaye pour le ménage et gardai le 4è pour moi. « Je dois faire le plein, le scooter est à sec ». Je remis les deux autres billets à leur place. Lundi 10 mai Bac - 38 jours Dorothy avait emprunté la voiture de ses parents et par cette belle journée de printemps toutes trois nous voguions en chantant vers Saint Gilles faire la bise à Isabelle. 11 Nanda et moi étions en jeans, Dorothy étrennait un pantacourt blanc et une large chemise à fleurs qui masquait élégamment ses gros seins. N’ayant pas eu le temps de faire faire sa couleur, elle avait emprunté une perruque à sa mère. La maison de convalescence était installée dans un immeuble ancien aux murs intérieurs ripolinés vert d’eau. Située à l’étage la chambre d’Isabelle donnait la vue sur l’océan. Déjà quelques rares baigneurs se doraient au soleil. Isabelle avait mal supporté l’anesthésie, l’opération avait été plus longue que prévu. En l’ouvrant le chirurgien avait trouvé des métastases et avait dû nettoyer plus loin que prévu. Sous sa chemise de nuit elle portait un soutien-gorge blanc; rembourré du coté gauche, ce qui rendit à sa silhouette son l’aspect habituel Elle était visiblement heureuse de nous retrouver et nous bavardions gaiment pendant une heure, jusqu’à ce qu’une infirmière vint lui prodiguer ses soins. Nous l’embrassâmes en partant et Ica me dit à l’oreille qu’elle était contente de m’avoir revu et demanda pardon de s’être trompé sur mes intentions « On n’a pas de maillots » objecta Dorothy « Tout à l’heure, par la fenêtre, on a bien vu sur la plage deux filles aux seins nus. Je connais une petite crique au bout de la forêt d’Olonne discrète et déserte en cette saison. Je vais te guider » La plage était effectivement déserte. Je fus la dernière à me déshabiller, j’avais peur qu’elles se moquent de ma poitrine plate. Personne ne fit de remarque; L’eau était froide mais nous nous amusions comme des folles. Nanda avait compris mon embarras. Avant de nous rhabiller, elle me pinça le téton. « Tu ne sais pas la chance que tu as. Dans 20 ans, nos seins tomberont alors que les tiens auront atteint leur perfection juvénile. Les hommes se détourneront de nous pour se jeter à tes pieds. C’est à nous d’en profiter au maximum maintenant tant que nous sommes belles. Croistu que Dorothy comprend cela? Dorothy, je parie que tu es toujours vierge » « Je n’aime pas folâtrer avec des hommes et je n’ai pas encore trouvé l’âme-sœur » « C’est le cancer qui t’avait fait voir les choses en noir. Maintenant tout cela est derrière toi » répondit-elle en me regardant dans les yeux. Sur la route du retour, Nanda proposa: « Si on allait se baigner. Les hôpitaux me dépriment » Au retour j’empruntais la perruque de Dorothy, en me regardant dans le rétroviseur je me vis ressemblant à ma mère et j’en fus troublée. « Dis plutôt que tu ne fais rien pour la chercher ». 12 Vendredi 14 mai (bac - 34 jours) A 17h, à la sortie du lycée, j’avais rendez-vous avec Ali au Café du Commerce. Il m’apprit que pour Dimitri le plus dur était passé. Mais l’AVC avait laissé des séquelles: une légère amnésie, perte de mémoire du court terme, des troubles du langage et de l’élocution, une paralysie partielle du coté gauche. Il avait quitté l’hôpital, rejoint son studio. Une aide-soignante venait lui faire des soins quotidiens, une orthophoniste s’occupait des troubles de l’élocution. « J’ai discuté avec son chef. Il est d’accord pour que tu viennes converser avec lui en russe pendant une heure par jour. C’est 20€ net la séance, ce qui te ferait 600€ par mois. Est-ce que cela te tente? Bien sûr. Mais je me ferai remplacer lors des épreuves du bac ». « Evidemment. Si tu peux me recommander quelqu’un de qualifié » Dimanche 16 mai (bac moins 32 jours) La Pironnière, ce 16 mai Cher papa Cela va faire 7 ans que nous sommes sans nouvelles de toi. Au début de votre divorce, je t’écrivais régulièrement, sans jamais recevoir de réponse. Je pense aujourd’hui que tes lettres ont été probablement interceptées et détruites par Mère. Elle est partie il y a un mois, emportant toutes nos économies et depuis nous sommes sans nouvelles d’elle. « Bien sur » Il faudra que Dimitri le rencontre et qu’il soit d’accord. Le chef a appris ce que tu as fait pour Dimitri et tient beaucoup à ce que ce soit toi. Il est possible même que Dimitri, malgré son amnésie ait gardé quelque part un souvenir de toi » Des voisins commencent à se poser des questions et je crains que les Services Sociaux ne fassent une enquête prochainement. Tu sais que mon frère Bob est handicapé mental, je suis encore mineure et passerai mon baccalauréat dans un mois L’ex-ami de Mère demeure avec nous mais il ne dispose que d’une maigre pension d’invalidité 13 Dans ces conditions je crains que les Services Sociaux ne nous enlèvent Bob pour le placer en famille d’accueil. « Bonjour Dimitri, quelle belle journée aujourd’hui » Aussi je me permets de te prévenir afin que, le cas échéant, tu puisses prendre des dispositions plutôt que d’être mis devant le fait accompli. Avec tout mon amour, Il sursauta, peut-être avait-il reconnu ma voix, ou alors était-il troublé parce qu’une femme lui parlait dans sa langue. Visiblement il cherchait ses mots et finit par dire laborieusement « Qui êtes-vous? » Ta fille Mado « Je m’appelle Mado et je viens bavarder avec vous ». Gros bisous papa Bob Lettre écrite en russe et adressée à Mr Luc Rousset Cc Direction du personnel Compagnie Forabrendt Mardi 18 mai A 17h30 Ali m’avait donné rendez-vous à Château d’Olonne devant l’immeuble où Dimitri avait loué un deux-pièces, au 3è étage. La porte de l’appartement ouvrait directement sur un séjour qui paraissait grand parce que chichement meublé. Un coin kitchenette côté couloir, au centre une table flanquée de 3 chaises, contre le mur à droite un mini-bureau surmonté d’un ordinateur et d’un rayonnage de bibliothèque. Une baie lumineuse ouvrait sur un petit balcon; à gauche une porte donnait sur la chambre et le cabinet de toilette. Il acquiesça de la tête et me fit un triste sourire. Ali prit congé, nous laissant seuls. Je commençai par lui rendre son portefeuille, précisant que j’en avais eu besoin pour les formalités d’admission à l’hôpital. Le portefeuille m’avait fourni quelques indications: Dimitri était ingénieur-informaticien, âgé de 54 ans. Son épouse était morte il y a 6 ans et son fils avait été tué l’année dernière en Tchétchénie lors d’un raid terroriste, alors qu’il effectuait son service militaire. Dimitri travaillait pour une société d’import-export et avait été envoyé en France pour une mission d’informatisation du réseau clientèle. J’avais préparé une liste de questions fermées auxquelles il n’aurait qu’à répondre par Oui ou Non. Cela me paraissait l’approche la plus simple et la plus encourageante. Le résultat fut catastrophique. Dimitri éprouvait des difficultés réelles à prononcer des mots aussi simples; à la fin de la séance, ses yeux disaient son désespoir. Je partis me défouler à la boxe et rentrai vannée. 14 « Oui. Je suis en mission en France pour un an afin d’informatiser le réseau commercial » Mercredi 19 mai Cette nuit je fis un rêve étrange. Je tapai de toutes mes forces dans un punching-ball. A la fin de l’exercice le ballon s’ouvrit: Dimitri y était enfermé, bâillonné et ligoté. Je me sentis très mal à l’aise et racontai mon rêve à Papaye. Il réfléchit: « Souvent nos rêves apparaissent comme des négatifs photographiques. Tu le boxes, donc tu lui veux du bien. Il est ligoté, et donc plus libre qu’il n’y parait. Tu m’as dit hier qu’il avait l’air désespéré de ne pas y arriver. C’est donc qu’il est conscient; Son potentiel intellectuel est peut-être intact, du moins en partie. Il faudrait voir… » « Oui mais comment? » Ca, ma petite Mado, c’est ton problème. Mets-toi dans la tête que d’ici ce soir tu auras trouvé » Le soir je fis s’installer Dimitri à côté de moi devant son ordinateur. J’écrivis sur l’écran les questions que j’avais préparées: Il avait écrit sa réponse d’un trait. Le résultat était au-dessus de mes espérances: Il savait formuler des phrases entières, il n’était pas amnésique, il pouvait se servir normalement de sa main droite. Dimitri rayonnait de bonheur. Je l’embrassai. Nous continuâmes notre conversation par écran interposé jusqu’à 18 heures, bavardant de tout et de rien. Le lendemain, à mon arrivée, Dimitri était installé devant son ordinateur. Il lisait un livre de mathématiques et écrivit des formules sur l’écran. J’eus une intuition subite. Le matin, en travaillant les Annales du bac, j’avais séché sur un problème de mathématiques. Je repris l’énoncé et le traduisis à l’écran. « Es-tu ingénieur-informaticien? » Dimitri médita un moment, puis écrivit une formule. « Da » Travailles-tu pour Comimport? » Eureka: c’était la clé. Je m’empressai de développer la formule jusqu’à la solution. 15 Nous éclatâmes de rire. « Dimitri, bravo. Je crois que tes facultés intellectuelles sont intactes. Vite un autre exercice. Cette fois, je lui mis le manuel sous les yeux. L’énoncé était en français et Il dut traduire mentalement. A nouveau il formula la clé du raisonnement. « Dimitri je crois que sous peu tu peux te remettre à travailler. Je vais appeler ton chef pour lui annoncer la bonne nouvelle ». si peu de temps. Nous lui avons installé une messagerie électronique, il pourra désormais travailler chez lui comme s’il était au bureau, en temps réel. La fumée me faisait tousser, je m’avançais sur le balcon, Yvan sur mes talons « Encore bravo Mademoiselle. Vous lui avez sauvé la vie et vous nous sauvez la mise. Il peut désormais prendre tout son temps pour réapprendre à parler » Il nota un N° de téléphone sur l’écran. Le chef m’écouta avec attention puis avec enthousiasme et finit par me dire « Bravo. C’est la meilleure nouvelle de la journée. Je vais m’en occuper aussitôt » Il était trop tard pour aller à la boxe et je rentrai directement annoncer la bonne nouvelle à Papaye. Vendredi 21 mai En arrivant à l’appartement de Dimitri un grand brouhaha m’accueillit. Dimitri était devant son ordinateur, entouré de trois collègues. La pièce était enfumée, des cannettes de bière trainaient sur la table. Un des hommes vint à ma rencontre, souriant les bras ouverts: Je suis Yvan Yvanovitch, le chef de service. Vous avez fait un travail remarquable en « Cela mérite bien une petite prime, non? » Yvan éclata de rire, me tapa sur l’épaule, finit par me tutoyer: « Tu parles comme une vraie Moscovite ». Je les laissai entre hommes et appelai le Dr Lejeune sur mon portable pour lui faire part des événements. Il était abasourdi: « Bravo Mado, vous lui avez rendu l’espoir. Maintenant il va redoubler d’efforts pour retrouver la parole. Vous savez le cerveau humain est bien mystérieux. Si telle zone du langage est paralysée, l’influx nerveux cherchera un autre chemin pour atteindre son but. C’est juste une question de temps » Dimanche 6 juin Bac -9 jours 16 Hier j’ai reçu une lettre de Papa que j’ai collée sur la page de mon journal ci-contre en la couvrant de baisers. J’en ai oublié mes révisions, incapable de me concentrer sur une fiche, un texte ou un énoncé de problème. venir nous rejoindre aussitôt passé ton bac. Me Cirière s’occupera de tout, je te joins ses coordonnées. Appelle-le le plus tôt possible Je vais également ouvrir un compte en banque à ton nom. Mes chers enfants je vous embrasse tous les deux et suis impatient de partager avec vous tout le bonheur du monde. Papa Djakarta, ce 20 juin Dimanche 13 juin (Bac moins 2) Ma grande fille chérie Cela fait des années que j’attendais ta lettre, c’est un pur bonheur. Tu m’écris en russe, une langue que désormais tu maîtrises parfaitement. Cela fait 5 ans que Olga m’a quitté, faisant main basse sur toutes nos économies. Je travaille actuellement en Indonésie et j’y suis pour un bon bout de temps. Je vis avec Anh, une gentille Javanaise et nous avons une petite fille de 18 mois, Mona. Anh serait heureuse de vous accueillir tous les deux, mais en priorité Bob. Il lui faut pour cela des papiers et des vaccins. J’ai confié l’affaire à Me Cirière, ami de longue date et avocat à La Rochelle.. Le 16 juillet un groupe d’enfants de collaborateurs de la Société va venir ici en voyage d’études. Nous allons y intégrer Bob, il voyagera incognito et sous bonne garde. Tu pourras Cet après-midi j’ai emmené Bob au foot, puis j’ai été chercher Papeye pour le présenter à Dimitri. Les 2 hommes se sont tout de suite bien entendu. Papaye avait travaillé dans l’import-export avec les Pays de l’Est et ils se sont trouvé des références et même des relations communes. Nous devions reprendre Bob vers 17h. En arrivant au stade; le coach vint à notre rencontre « Il y a eu un accident. Bob et un autre joueur se sont heurtés de front en pleine course. Bob présente une fracture du tibia droit et un traumatisme crânien. L’ambulance vient de les emmener aux Urgences » 17 Nous fonçâmes aussitôt vers l’hôpital. Après 3h d’attente, le chirurgien de garde put nous recevoir. Il avait réduit la fracture et examiné sommairement le crane de Bob. Un examen approfondi allait être effectué dès le lendemain. Une intervention chirurgicale serait nécessaire. Il faudra compter 2 semaines d’hospitalisation. Je devais revenir le lendemain pour les formalités administratives. Depuis la cabine téléphonique de l’hôpital j’appelai Me Cirière pour le tenir au courant. En l’absence je laissai un message sur son répondeur. Lundi 14 juin Vers 9h un appel de Me Cirière. Il me donne des conseils pour le règlement des formalités administratives de l’hôpital sans qu’ils se doutent de l’absence de la mère. Mais il fallait organiser le départ de Bob. Pour éviter des complications du fait de la survenue probable de la mère, il fallait l’enlever secrètement la veille de sa sortie officielle et le lui remettre. L’avocat organiserait la suite. Vers 11 heures Nanda m’appelle au téléphone: « Je viens de quitter Dorothy. Elle a fait une tentative de suicide mais désormais elle est hors de danger. Il faut que demain tu ailles la voir à l’hôpital ». « Qu’est-ce qui s’est passé? » « J’ai parlé avec elle mais c’est très confus. J’ai cru comprendre qu’elle avait pris conscience de son homosexualité et cela l’a profondément troublée. En plus elle est éperdument amoureuse de toi; et elle te croit amoureuse d’Isabelle. D’où le sentiment que c’est sans issue. De plus elle craint de rater son bac ». Je partis aussitôt pour l’hôpital. Dès qu’elle me vit Dorothy se mit à pleurer « Pardonne-moi » Je la pris dans mes bras « Tu n’as pas le droit de nous faire des coups comme ça. On t’aime trop ». « Je croyais que je ne comptais pas pour toi » Mardi 15 juin « Dorothy tu m’es indispensable » Toute la semaine j’allais subir les épreuves du bac. Je serai indisponible pour tout le reste, y compris la rédaction de ce journal. « Des mots » Dorothy es-tu prête à risquer la prison pour moi? » « Je suis toute à toi. Je donnerais ma vie pour toi » Dimanche 20 juin 18 « Alors écoute. Dans quelques jours je dois aller enlever mon frère à l’hôpital. Il me faut une voiture et un déguisement pour ressembler à ma mère. Veux-tu y réfléchir? » toi êtes attirés par des hommes mûrs, Dorothy n’aime que les filles et moi je suis au milieu du gué ». « Oui? » Dorothy m’appela le mardi midi. Elle avait mis au point un projet solide. Il restait à fignoler quelques détails. Mercredi 23 juin Isabelle m’avait donné rendez-vous au Puits d’Enfer à 14h; Le temps était à l’orage, le vent soufflait de la mer, les vagues s’écrasaient sur la falaise, tonnaient dans le gouffre projetaient des haillons d’écume pardessus le parking jusque sur la route. Ica m’attendait, les yeux fixés sur l’horizon, son vélo à la main. Je garai le scooter sur le parking, ôtai mon casque et la rejoignis. Elle hésita à m’embrasser puis m’invita à nous promener sur le chemin de randonnée qui surplombe la falaise. Au premier banc elle s’assit et m’invita à faire de même. « Tu sais ma postcure fut longue. Je faisais une déprime et cela m’a conduit à beaucoup réfléchir sur moi, sur nous, sur l’avenir. Sais-tu ce que nous avons en commun dans notre bande des quatre copines? L’absence d’intérêt pour les garçons de notre âge. Nanda et « Mado, je t’avais accusée de me porter un amour interdit. En vérité, je me suis rendu compte que c’est moi qui te désirais. Je me suis confessé à l’abbé Mouret. Pour lui un démon avait pris possession de moi et il fallait l’exorciser. Avec l’accord de mes parents il vint me voir tous les jours à Saint Gilles pour m’exorciser par la prière, puis par l’imposition des mains sur toutes les parties de mon corps susceptibles de porter au péché. Je le laissai faire, fascinée par son magnétisme. Puis il se dit missionné pour remettre mon orientation dans le droit chemin: l’hétérosexualité. Je n’ai pas à le juger, le jugement n’appartient qu’à Dieu. Mais ce fut pour moi une formidable aventure spirituelle, la fusion de l’amour charnel et de l’amour mystique.. » « Au moins avez-vous pris vos précautions? » « Il m’a dit qu’il faisait attention dans la mesure autorisée par le pape » Je mis ma main sur son ventre: « Isabelle, es-tu enceinte? » Elle rougit d’émotion « C’est possible » « Tu vas faire un test de grossesse, ensuite tu décideras » « Dans tous les cas je garderai l’enfant » 19 « D’accord. Mais que vont dire tes parents? » A 9h je garai le scooter dans la courette et sonnais à la porte de Dorothy. Sa mère vint m’ouvrir, m’embrassa chaleureusement « Ils auront honte. Ils me chasseront » « Et ensuite? » « Dieu veillera sur moi » « Et l’abbé Mouret que deviendra-t-il? Parce que tout finit par se savoir un jour ou l’autre » Ica s’était tassée, silencieuse, une larme coula sur sa joue « Il n’est pas trop tard pour réfléchir. Le mois prochain j’irai rejoindre mon père en Indonésie. Si tes parents te chassent, nous t’accueillerons les bras ouverts. Et là-bas-tu trouveras une spiritualité où fusionnent érotisme et mystique, conformément à tes aspirations » Au moment de nous quitter elle m’embrassa fougueusement, pressa ma main contre son ventre: « Sens-tu mon bébé bouger? » J’étais désemparée. Le soir j’appelai Me Cirière pour demander conseil. Il me rassura « Je m’en occupe. Il manque un évêque à mon tableau de chasse » « Mado comme je suis heureuse. Vous l’avez transformé notre Dorothy. Un vrai miracle. Entrez » Dorothy abandonna son petit déjeuner, se jeta dans mes bras, me proposa une tasse de thé. Puis nous montions dans sa chambre. Décor surprenant: des murs peints en rose, Des rideaux transparents roses filtraient une lumière délicieusement sensuelle. Un lit romantique en fer forgé blanc un duvet fuchsia surmonté de deux gros coussins recouverts de dentelle rubis sur lesquels se prélassait une colonie d’animaux en peluche. Le mur gauche ouvrait sur une penderie à portes coulissantes en miroir, côté fenêtre un petit secrétaire torsadé .Louis XV. Sur le mur de droite un poster: les drôles de dames de la série télévisée. « En route pour les essayages » Dorothy avait emprunté un soutien-gorge à sa mère, rembourré les bonnets avec du coton. Elle le passa pardessus mon teeshirt et l’agrafa. Elle noua une brassière de natation à demi gonflée autour de ma taille. Elle me fit enfiler une robe de sa mère qui ressemblait beaucoup à celle que ma mère portait sur la photo que je lui avais donnée. Vendredi 2 juillet (oral moins 3 jours) Avec Dorothy, notre plan était réglé au chronomètre Elle me maquilla, me mit sa perruque, Elle avait acheté à Défistock des lunettes de lecture à faible grossissement dont la monture ressemblait 20 aux lunettes de Mère. Enfin; à genoux devant moi, elle me chaussa de sandales à hauts talons de liège. Encore quelques ajustements avec des épingles, puis elle m’invita à me regarder dans le miroir coulissant. Le résultat était assez convainquant, ainsi déguisée je ressemblais à ma mère Dorothy défit mon accoutrement, me démaquilla, je repris mon apparence normale. A 11h30 sa mère nous appela pour déjeuner. Elle travaillait à mi-temps et devait prendre le bus de 13h20 Aussitôt après son départ nous remontions dans la chambre, Dorothy me rhabilla comme tout-à-l’heure. Puis elle enfila une robe à fleurs de sa mère, mit une perruque de longs cheveux blonds à la Farah Fawset, Rayban de star et talons-aiguille. « On va jouer à Drôles de Dames ». Je lui fis mettre le casque puis dirigeais le scooter vers le parking souterrain de la gare. Dorothy repéra la voiture de son père, l’ouvrit avec le double des clefs et démarra. Je garai le scooter à sa place et montais dans la voiture. Elle sortit la carte d’abonnement parking de la boite à gants et ouvrit la barrière. Nous partions pour le parking de l’hôpital. Lors de mes repérages j’avais remarqué dans le hall d‘entrée quatre chaises roulantes en libre service. J’en pris une et m’acheminais nonchalamment vers l’ascendeur, puis vers la chambre de Bob. C’était une chambre à deux lits et depuis ce matin l’autre lit était occupé par un petit garçon qui venait d’être opéré. Je lui adressais quelques paroles et lui dis que je profitais du beau temps pour promener Bob dans le parc. Arès lui avoir mis son anorak j’installais Bob dans la chaise roulante et lui fis avaler un léger somnifère et sortis « Au début j’ai vraiment cru que c’était maman » me dit Bob en baillant Le couloir était vide, l’ascendeur aussi. Je déambulais lentement dans le couloir du rez de chaussée, attendant qu’il y ait du monde à la réception pour me diriger vers la porte de sortie, puis vers le parking. Dorothy faisait les cent pas devant la voiture, elle m’aida à installer Bob sur la banquette arrière, à plier la chaise roulante et à la mettre dans le coffre. Puis elle nous conduisit au parking souterrain du Leclerc. Le fond du parking est généralement désert. C’est là que nous attendait une Laguna beige métallisée. « Monsieur Latour de La Roche? » «Pour vous servir » C’était le mot de passe. Le chauffeur, un homme rondouillard au regard malicieux plaça Bob paisiblement endormi sur le siège arrière, lui attacha sa ceinture de sécurité et accepta de mettre la chaise roulante dans le coffre. IL nous salua et démarra. Dorothy fit de même, 21 en direction du parking de la gare. Nous échangeâmes la voiture contre le scooter et repartions vers la maison de Dorothy. « Et vous n’avez pas signalé sa disparition? » « Venez » Papaye l’emmena dans la chambre, ouvrit la penderie vide Après avoir enlevé nos déguisements, elle remit tout en place dans le dressing room de sa mère, nous démaquilla. « Tu as assuré comme une pro » « Oui merci mais j’ai eu très peur » »Moi aussi » Nous nous couchâmes sur le lit tout habillées, elle me prit dans ses bras, me fit sentir la douceur de ses seins, nous bavardions puis nous nous endormîmes. C’est l’arrivée de son père qui nous réveilla, vers 18h 30. « Elle a emmené toutes ses affaires. Un coup de folie. Ce n’est pas la première fois. Elle rentrera bientôt » Le policier était de plus en plus méfiant. Je lui demandais de s’asseoir « Vous allez comprendre. Mon petit frère Bob est handicapé mental. Si nous avions signalé la disparition, les Services Sociaux auraient été alertés et placé Bob en famille d’accueil. Au retour de ma mère nous aurions été dans uns situation inextricable. Je vais vous donner l’adresse de son employeur; il pourra vous communiquer ses nouvelles coordonnées » Peu après nous descendîmes, j’avais mon attaché-case bien en vue. « Bien travaillé les filles? « Oui mais nous sommes vannées » Il sourit, je les embrassais tous deux. «Je me sauve. A bientôt » J’allai lui chercher un dossier comportant un papier à entête de son employeur, une photocopie du permis de conduire et de la carte grise. Le policier examina attentivement la photo. Je remontais sur mon scooter, direction la maison. « C’est de votre frère que je venais parler. Il a disparu de l’hôpital » Papaye avait préparé le dîner et m’invita à manger. Nous commencions à peine lorsqu’on sonna à la porte. C’était un policier en civil qui après avoir montré sa carte demandait à voir Mme Rousset Nous feignions la surprise Question de routine, pouvez-vous me donner vos emplois du temps de la journée? » «Elle est absente » « Je peux l’attendre? » Papaye le fit s’asseoir et lui expliqua qu’elle nous avait quitté il y près de 2 mois « Mon oral du bac commence lundi. Ce matin vers 9h, je suis allé chez une copine pour réviser. Nous avons pris le petit déjeuner puis le 22 déjeuner avec sa mère. Je suis parti vers 18h 30 à l’arrivée de son père » Au réveil j’observai le visage de Papaye Je lui notais l’adresse de Dorothy sur un papier « Tu as l’air très triste » « Et vous Monsieur? » « Tu connais l’adage: Omne animal post actum tristum » « Je m’appelle Johann Potinoff, dit Papaye. Je suis le concubin de Michèle Rousset et je m’occupe de l’éducation de Bob, son précepteur en quelque sorte. Ce matin j’ai été au marché de la Pironnière acheter des fruits et des légumes. Tous les commerçants me connaissent. Cela prend du temps, je bavarde et je me déplace comme je peux » « Oui mais tu es triste parce que je m’en vais voir mon père. Rien ne dit que je vais rester, que je vais m’y plaire. Je me suis inscrite à la fac de Nantes en maîtrise de mathématiques et physique théorique. Tu permets quand même que je prenne quelques vacances » Ii remonta son pantalon, découvrit sa prothèse. Papaye nr dit rien et resta muré dans sa tristesse « Vers 14h mon ami Dimitri est venu me voir. Nous avons bavardé jusqu’à 16h par écran interposé car il a eu un AVC et souffre de difficultés d’élocution. » Mercredi 7 juillet. Papaye nota l’adresse de Dimitri Les résultats venaient d’âtre affichés: j’avais réussi mon bac avec mention Bien. Nanda s’en sortait avec une mention Assez Bien et Dorothy avec l’indulgence du jury. Le policier se leva, nous salua « Je vous tiendrai au courant. Et bonne chance pour le bac » Je pris aussitôt les dispositions pour m’inscrire à la fac de Nantes en maîtrise Mathématiques et Physique théorique. « Merci et bonsoir » Je sautai au cou de Papaye Vendredi 16 juillet « Prépare-toi. Ce soir je te viderai les couilles » 23 Ce jour j’étais convoqué à 10h au commissariat pour un interrogatoire. Me Cirière ne pourrait être présent qu’à partir de 10h30 mais il m’avait donné des instructions précises sur l’attitude à adopter si l’interrogatoire devait commencer avant son arrivée. kidnapping, elle était sur place dans l’hypermarché U, à plus de 200 km de la scène du crime. Cela fait de vous désormais la principale suspecte. Mlle Rousset, qu’avez-vous fait de votre frère? » « Suis-je inculpée? » Je me présentais au commissariat à l’heure prévue. Une femme-flic vint m’accueillir à la réception, m’examina étonnée, me sourit et me conduisis à la salle d’interrogatoire. Elle devait avoir dans les 25 ans, une démarche élégante qui faisait tressauter à chaque pas l’arme de service qu’elle portait sur la hanche droite. Le commissariat se trouvait dans un bâtiment ancien. La salle d’interrogatoire était un local aveugle, sentant le tabac froid. Au milieu une table flanquée de 4 chaises, violemment éclairée par une ampoule qui pendait au plafond. Le reste de la pièce était dans l’ombre. D’un air gêné, la femme me désigna une chaise et me demanda de m’asseoir. Visiblement elle cherchait ma sympathie. Sortirent du l’ombre deux silhouettes, un officier de police et ma mère. Sans un mot elle me jeta un regard haineux. Me Cirière m’avait préparé à cette éventualité, je me composais un masque impassible. « Mademoiselle Rousset, je vais aller droit au but. Comme vous le savez, votre frère Bob a été enlevé de l’hôpital le vendredi 2 Juillet, entre 13 et 15 heures. Silence et stupeur. Je vis la femme-flic esquisser un sourire complice. Mon avocat arrivera d’ici une demi-heure. Je vais l’attendre dehors » « Tu ne vas pas t’en tirer comme ça » hurla ma mère. Elle s’était levée et tirait furieusement sur les bretelles de mon sac. Je me laissai tomber en arrière, l’entrainant dans ma chute. Elle tomba en dessous de moi. Son dos et son crane heurtèrent violemment le carrelage, ma tête percuta son visage, cassa son nez. Je me relevai, elle resta étendue sans connaissance, un filet de sang coulait de son nez et de sa bouche. Bruits, bousculades Le commissaire était sorti m’apostropha: de son bureau, il « T’as vu ce que tu as fait » Je continuai à me taire. La femme-flic intervint « Elle est mineure » D’après les caméras vidéo de surveillance et les témoignages recueillis la ravisseuse ressemble beaucoup à votre mère. Or ce jour-la, elle travaillait au Mans et tous les témoignages concordent: à l’heure du L’ambulance et Me Cirière arrivèrent en même temps. L’avocat s’adressa au commissaire « Qu’est-ce qui se passe? » 24 C’est moi qui répondis Elle me proposa de monter dans sa voiture. « Ils ont commencé l’interrogatoire sans vous attendre, ils m’ont confronté à ma mère et elle a pété les plombs » La saison touristique avait commencé et sur le remblai les places de parking étaient rares. Elle se gara sur un emplacement réservé aux handicapés, alluma son gyrophare. « J’apporte ici un mail de Mr Luc Roussin, le père de Bob. Il affirme que, vu la défection éducative de la mère, il lui appartient désormais à lui d’assurer l’éducation de son fils. Il l’a donc récupéré à l’aide d’une équipe d’hommes à lui. Vous m’auriez attendu, conformément à la loi, rien de tout cela ne serait arrivé. Ma cliente n’avait pas à être inquiétée et un drame tragique aurait été évité » On s’installa à la terrasse et elle commanda deux cafés. « Voua êtes la seule femme-flic « Oui » du commissariat? » demandai-je « Ca se passe bien avec vos collègues-hommes? » Elle fit la moue Me Cirière sortit un papier de sa poche et le remit au commissaire « Ils vous font la cour? » « Venez » me dit-il « C’est un euphémisme. Ils sont d’une vulgarité écœurante. Heureusement je préfère les femmes » La femme-flic nous suivit, me remit sa carte Ariane Le Guen Officier de police «Si vous permettez, Maître, j’aimerai avoir un entretien avec mademoiselle, à titre amical et sans lien avec cette affaire qui désormais n’en est plus une » « Eh bien allons-y tout de suite » répondis-je. Son attitude lors de l’interrogatoire m’avait plu. « J’avais compris. Et c’est mon problème. Des jeunes femmes tombent amoureuses de moi, me font des propositions, alors que ce n’est pas mon orientation et que je ne fais rien, au moins consciemment pour les encourager. Comment expliquez-vous cela? Elle réfléchit un instant « Vous paraissez quelqu’un de solide, de fiable, sur qui une femme fragile peut s’appuyer. Main de fer et gant de velours, un mâle solide dans une grâce toute féminine. Et en même temps on sent que votre assurance a été conquise de haute lutte sur une fragilité originelle. De « Je connais un bistro sympa sur le port. Nous y serons plus à l’aise » 25 quoi émouvoir les hormones de la femme et de la mère qui dorment en chacune de nous » « Ce n’est pas un langage de flic » ont vu ma chute comme accidentelle, alors qu’elle était le fruit d’un long entrainement. J’avais voulu donner une leçon à ma mère, mais je n’avais pas voulu cela. Elle pourra recevoir des visites à partir de la fin de la semaine. « J’ai une maîtrise de psycho. De plus je suis un peu médium. Le travail que je fais ne me plait guère. Je songe à démissionner » Mardi 20 juillet « Qu’attendez-vous de moi? » « Dès que je vous ai vu, j’ai su que nous pourrions bien nous entendre et je voulais vous le faire savoir » Et vous aimeriez qu’on se revoie, pour voir si une amitié pourrait naître entre nous? » « Exactement » Je suis tirée du sommeil à 7 h du matin par un appel d’Ariane Le Guen « Connais-tu Isabelle Bouta? Elle était dans ta classe « C‘est une de mes meilleures amies. Que se passe-t-il?» « Elle a eu un accident. Elle s’est noyée. Veux-tu venir avec moi et me dire ce que tu sais » Nous continuâmes à bavarder et finîmes par nous tutoyer Ariane vint me chercher en voiture, roula vers le chemin de la corniche et arrêta sa voiture face à une crique voisine de celle où nous nous étions baignées. Lundi 19 juillet « On l’a trouvé ici. Elle portait une longue robe blanche. Son vélo, ses chaussures et son sac étaient posés là, contre le rocher. Curieusement, il n’y avait pas de traces sur le sable, ni de pieds, de chaussures ou de roues de vélo. Personnellement je ne crois ni à la thèse de l’accident, ni à celle du suicide. Ce n’est pas le vent qui a effacé ses traces » Les nouvelles de l’hôpital ne sont pas bonnes. L’occiput de Mère avait violement percuté le carrelage. L‘aire visuelle du cerveau est endommagée. Sa capacité visuelle est diminuée: elle ne perçoit guère que des lueurs et des ombres. Il faudra au minimum un an avant qu’elle ne recouvre une vision sensiblement normale. De même son nez subira une opération de chirurgie esthétique. Certes les témoins « Elle était enceinte de l’abbé Mouret. Il roule en mobylette » 26 Je me mis à trembler et à bégayer, incapable de prononcer un mot pendant près de 10 minutes. Ariane me porta jusqu’à sa voiture. Elle me frictionna et progressivement je recouvris l’usage de mes membres et de la parole « Ce qui m’intrigue c’est la robe blanche » « L’abbé Mouret pratiquait l’exorcisme et ils vivaient ensemble une sorte d’expérience mystique » « Alors la robe blanche indiquerait un baptême par immersion ou un mariage mystique » Je vais transmettre tout cela à l’officier chargé de l’enquête. Je te tiendrai au courant » Elle me rappellera le surlendemain L’autopsie avait confirmé une grossesse d’un mois. Il y avait quelques ecchymoses à la tête dont il était difficile d’établir l’origine. Avait-elle roulé contre des rochers? Lui avait-on tenu la tête sous l’eau? En tout cas elle ne s’était pas défendue. L’officier enquêteur avait cherché à contacter l’abbé Mouret sans succès. A l’évêché on lui répondit que l’abbé avait été rejoindre une ONG du Secours Catholique qui œuvrait au Sri Lanka. Cela faisait longtemps qu’il en avait fait la demande et l’opportunité s’était présentée en urgence. Mardi 20 juillet Nous nous étions donné rendez-vous au funérarium toutes les trois pour veiller le corps d’Isabelle. Des camarades de classe sortaient du salon funéraire, ils avaient présenté leurs condoléances et étaient ressorti presque aussitôt. Nous allions faire comme eux: La salle était pleine; la famille assise sur les chaises et deux rangs debout derrière, tout le clan catho était là. Dans ces conditions nous ne pouvions lui faire nos adieux comme nous l’aurions souhaité. « Le deuil se porte dans le cœur » dit Nanda en sortant. Ariane était dans l’assistance elle nous rejoignit et nous proposa d’aller prendre un café. « J’avais été chargée d’interroger les parents. Je leur ai appris qu’Isabelle était enceinte d’un mois et que donc cela devait s’^être passé pendant qu’elle était en postcure. Connaissaient-ils l’homme qui l’aurait fréquenté pendant cette période. Ils ignoraient tout, ils étaient abasourdis. Le visage du père restait de marbre, il déniait la réalité. J’ai vu celui de la mère s’ouvrir sur une larme, elle avait pris conscience puis se tassa dans une lourde résignation. Je leur laissai ma carte en leur demandant de m’appellera si un détail leur revenait en mémoire. La mère me raccompagna à la porte, me serra dans ses bras: « Je suis soulagée que ce n’était pas un suicide. Je suis sûre qu’il lui a donné l’absolution avant de la noyer. Elle est heureuse là où elle est, avec son petit. Ce n’est pas la peine de remuer la boue autour de sa mort. Nous ne porterons pas plainte ». 27 Le procureur s’est dépêché de clore le dossier: c’était un accident. salie à tout jamais. Si je continue, je vais me sentir pute dans mon âme. Mais que puis-je faire d’autre? » Nous bavardâmes un moment, Ariane observait Nanda avec insistance: Je peux voir votre dos?» Nous nous étions rapprochés d’elle et l’entourions de toute notre affection. Je finis par dire Nanda se troubla et finit par dire: « Je vais te venger» « J’ai été fouettée » Elle ouvrit sa chemise, découvrant le haut de son dos. Il était rayé de grandes striures bleues tirant sur le jaune-vert, par endroits la peau avait éclaté et suintait. Au Club elle commençait à manquer de clients, alors elle avait accepté la proposition d’un nouveau membre: 2000€ pour une séance sado-maso. On l’appelait le Commandant. Il l‘avait emmenée dans le sous-sol du château, menottée, bâillonnée, injuriée, puis fouettée jusqu’à lui faire perdre connaissance. Elle s’était réveillée dans le noir, percluse de douleur, pouvant à peine marcher. Le château était vide, la porte fermée. Elle avait sauté par une fenêtre, s’était assise sur le perron, grelottante de froid. Au petit matin elle était remontée sur son vélo et rentrée « Vous portez plainte? » demanda Ariane « A quoi bon, j’étais consentante » Dorothy s’était serrée contre moi, elle pleurait la tête sur mon épaule. Nanda reprit au bout d’un instant Jusqu’ici je jouais les escort-girl en dilettante et je suis toujours tombée sur des clients gentils. Le commandant m’a traitée comme une putain de bas étage. Je n’oublierai jamais. Je suis à la croisée des chemins, J’avais amené Dorothy sur mon scooter, je demandais à Ariane de la ramener. Puis seule avec Nanda, je lui demandais de me préciser dans le détail la façon d’opérer du Commandant. Le lendemain je téléphonais à Ali pour mieux connaître ce nouveau membre. Le père d’Ali l’avait viré du club: il ne répondait pas au profil des investisseurs, son projet était de l’arnaque. A contrecœur Ali me communiqua son numéro de téléphone. Samedi 24 juillet A 18h comme convenu, le commandant m‘attendait sur le perron du château. Je garais mon scooter sur le parking à coté de sa voiture, puis allai vers lui. Il était grand, portait une casquette et une vareuse de marinier, un collier de barbe noir. Ses yeux perçants me faisaient froid dans le dos. Sans un mot il me conduisit au sous-sol par un couloir sombre. Au fond une porte en fer ouvrait sur un ancien atelier. Une lucarne poussiéreuse diffusait une lumière blafarde. Contre le mur du fond un établi en bois massif sur lequel était vissée une enclume. Au- 28 dessus un tableau en contre plaqué portait une panoplie d’outils très complète. Une servante d’atelier à roulettes trainait dans un autre coin. D’un pont-roulant couvrant t toute la largeur du plafond pendait une chaine à crémaillère. Le commandant verrouilla la porte et mit la clé dans la poche de sa vareuse. « Déshabille-toi. Tu peux garder ta petite culotte » comprendre et l’arrêter lorsqu’il se disposait à me menotter dans le dos alors qu’il avait ligoté Nanda par devant pour mieux offrir son dos nu au fouet. Je m’étais complu dans un sentiment de, vengeance, court-circuitant toute réflexion stratégique. Comme si j’allais à une compétition sportive où les adversaires se serrent la main après le dernier round. L’image de ma mère s’imposa à moi: éternelle revancharde, éternelle perdante. Aveuglée par ma colère je n’avais pas prévu de stratégie de rechange, de plan B. Le commandant m’avait laissé tout le temps de prendre conscience de la situation. Il me montra un fouet qu’il caressait en souriant: « Mon chèque d’abord » Il me menotta les mains dans le dos, me colla un bâillon sur la bouche. Il s’avança à me toucher, me tira les cheveux pour basculer ma tête en arrière et m’obliger à le regarder. « Ainsi tu venais pour me flanquer une correction, venger ta copine. Personne ne m’a jamais manqué de respect. Je vais te fouetter à mort. On ne viendra pas chercher ton cadavre ici. Mais tu es maline. Peutêtre réussiras-tu à me tuer moi. Dans ce cas cette pièce sera notre cercueil commun. Qui veux-tu qui vienne te chercher ici. Ton agonie sera longue pendant que tu contempleras mon cadavre » La terreur me suffoqua, puis ce fut la colère contre moi-même. Le récit de Nanda aurait dû me faire comprendre que j’avais à faire à un psychopathe, cruel, intelligent, déterminé: un vrai tueur. J’aurais dû « Héritage familial. Il date de la marine en bois. Il claqua le fouet à trois reprises, si près de moi que j’en sentis le souffle. Le sifflement du fouet s’abattit sur mes mollets, me précipitant à terre. Je hurlais de douleur mais aucun son ne sortit de mon bâillon. J’étais à terre et le fouet laboura ma tête, mon ventre mon dos en sillons de feu. « Debout. Maintenant tu vas danser ». Je me levai péniblement, eus l’intuition soudaine qu’il se trouvait dans le bon axe. Bandant tous mes muscles je m’élançais tête en avant. Mon élan le projeta en arrière, droit sur la pointe de l’enclume. J’entendis un craquement, je crus que la pointe s’enfonçait dans mon propre crane. Son hurlement me déchira les tympans. Il glissa lentement vers le sol, tomba sur les genoux, s’étala face contre terre. Sa colonne 29 vertébrale semblait cassée juste en dessous des dorsales, un mince filet de sang sourdait sous sa chemise. Je sautai sur son dos, à pieds joints, sur la fracture, sur les lombaires, les cervicales, avec une rage meurtrière. Enfin je projetai mon pied sur son cou et appuyai de toutes mes forces pour couper sa respiration. Je sentis son corps ramollir, devenir flasque. Au bout d’une éternité je lâchai prise. Epuisée, j’allai m’asseoir contre le mur en face. Je me sentis prise au piège. Personne ne viendra au château avant cinq jours. Les membres du Club verront alors nos véhicules sur le parking et ils se mettront probablement à notre recherche. Il faudra que je tienne le coup avec mes blessures qui suintent, la fièvre qui commençait à me gagner. J’allai chercher mes vêtements, enfilai tant bien que mal mon jean, réussis à glisser mon coupe-vent sur mes épaules. L’anxiété me gagna, de plus en plus intense, je glissai vers la face obscure de mon âme. Comme si un cordon ombilical, lien vivant avec ma mère, m’emplissait peu à peu de tout son mauvais sang, cet héritage génétique que je pensais avoir vaincu depuis l’âge de raison. Je dus retenir une violente envie de vomir; avec le bâillon qui verrouillait ma bouche je me serais étouffée dans mon propre vomi. J’ai d^m’endormir, grelottante de froid, de fièvre, d’angoisse. Une lueur laiteuse, diffusant à travers le hublot me réveilla. Mes yeux s’habituaient à la pénombre. Le commandant était couché en face, il ne respirait plus. Un parfum douceâtre de mort commençait à flotter autour de lui. Je m’approchais, m’assis, avec les pieds je le retournais sur le dos. Puis avec mes mains liées, je fouillais ses poches à la recherche des clefs. Je finis par les trouver. Je tentais d’abord d’ouvrir les menottes mais dus renoncer au bout d’un temps: la mobilité de mes mains était trop réduite et je ne voyais pas ce que je faisais. Je m’avançais vers la porte. La serrure de sécurité se trouvait à hauteur de ma poitrine. impossible de l’atteindre avec mes mains liées dans le dos. J’étais bien prise au piège, enterrée vivante en compagnie de ce mort étendu à côté de moi Je m’assis, tentai de me concentrer sur mes exercices de relaxation. Spontanément mon esprit visualisa une image: Jonas dans le ventre fétide de la baleine. Je dus m’endormir dans un état second. Je fus réveillée par des appels lointains « Mado, Mado… » Était-ce une hallucination? Je m’approchai de la porte métallique, la fis résonner sous de violents coups de pied. La voix se rapprocha je l’entendis tout contre la porte: « Tu es là Mado? » Je donnai un coup de genou dans la porte. 30 « Réponds-moi par un coup pour Oui, deux coups pour Non » « Je crois » « As-tu accès à la clé? « Oui » « Je vais conduire sa voiture jusqu’au petit bois là-bas. Les hommes s’y arrêtent pour rencontrer des putes. Je laisserai les clés sur le volant. Des gitans ont établi leur campement plus loin, ils écument la région, la voiture ne restera pas longtemps sur place. Je m’arrêterai sue un emplacement de pique-nique, tu continueras vingt mètres plus loin jusqu’à un petit chemin, tu entreras dans le bois et tu m’attendras » « Peux-tu me la glisser sous la porte? » « Oui » Il y avait un petit espace entre la porte et le sol bétonné, j’y glissai la clé. L’instant d’après je m’effondrais dans les bras d’Ariane. Elle me porta jusqu’à une petite camionnette Express « C’est une voiture banalisée du Service. Je t’expliquerai » Elle m’aida à m’asseoir, me tendit une bouteille d’eau et un petit sac plastique de supermarché: « Tu vas reprendre des forces. Eau, jus d’orange, barre de céréales, chocolat. Commence par te restaurer. Après tu me raconteras. Je vais nettoyer la scène de crime. Mais d’abord nous allons prévenir ton ami que tout va bien » Elle me passa son téléphone et je dis quelques mots à Papaye. Je récupérais petit à petit. Ariane revint au bout d’une heure, portant un sac poubelle. « Je l’ai déshabillé, pris son dentier, le fouet, balayé l’atelier, essuyé tout ce qui pouvait porter des empreintes digitales. Tu n’as pas saigné heureusement… Je m’occuperai de tes blessures plus tard. Te sens-tu capable de conduire le scooter sur trois km? » Elle me fit faire un petit tour d’essai sur le scooter et, rassurée, me demanda de la suivre. Je m’arrêtais sur le petit chemin, elle me rejoignit, me fit glisser sur le siège arrière, coiffa mon casque et démarra. Je me serrais contre elle, mes bras autour de sa taille, heureuse. Elle monta le chemin de forêt, obliqua sur une petite route et finit par rejoindre la route par laquelle nous étions arrivés. La voiture du commandant avait disparu. Arrivés au parking du château Ariane ouvrit le coffre de la camionnette, sortit une planche pour créer une pente d’accès, démarra le scooter pour le monter dans le coffre et l’amarra solidement. Elle me fit monter et démarra. « Hier j’étais inquiète. Vers 21h j’ai appelle ton ami: tu n’étais pas rentrée. J’ai appelé Nanda pour m’indiquer précisément l’endroit où elle avait été fouettée. Au commissariat il n’y a pas trop de travail en ce moment. J’ai pris un RTT, demandé qu’on me prête la camionnette pour transporter un meuble acheté dans une brocante. Je suis accouru 31 aussitôt…Nous allons chez moi, tu prendras une douche, je soignerai tes plaies et tu me raconteras » « Et maintenant, raconte ». Je lui contai mon histoire. J’étais étendue nue sur le lit d’Ariane. Elle m’avait mise sous la douche, lavée délicatement, comme un bébé. Puis elle avait désinfecté et soigné mes plaies, pommade cicatrisante et quelques pansements. Elle se redressa, son regard me caressa avec gourmandise, s‘attarda sur ma touffe, mes seins. Jusqu’ici seul Papaye m’avait ainsi vue étendue sans pudeur. Mais Ariane tout comme Papaye m’avait sauvée de l’anéantissement. Je jouais avec l’idée de me laisser aimer, caresser, baiser par une femme. Ariane sourit, alla chercher un drap de bain et m’en couvrit. « Je vais brûler tes habits avec les siens. Je t’en prêterai » Elle ouvrit le portefeuille « D’après ses papiers c’est un Serbe., Dragomir Ilitz Dans une de ses poches il y avait une liasse de 10000€. Je vais vérifier si les N° ne sont pas recherchés et si tout est en ordre, on partage, fifty-fifty » Le téléphone sonna, elle ne décrocha pas, et s’assit à coté de moi « C’est Dorothy. Je l’ai séduite en rentrant l’autre soir. Depuis elle m’appelle jusqu’à 10 fois par jour. Elle est vraiment mordue. Je laisse monter son désir. Ce soir son cul sera à la fête Toi ce n’est pas pareil. Tu es une guerrière, comme moi. Je t’aimerai comme ma petite sœur, un frère d’armes, un frère de sang ». Elle s’étendit à coté de moi, m’attira sur son épaule. « Maintenant tu vas dormir » Elle me réveilla en fin d’après-midi. « Pendant que tu dormais, j’étais parti acheter cette petite table de nuit. J’ai fait trois brocantes avant de trouver ce que je voulais. N’estelle pas mignonne? » Lundi 26 juillet Papaye avait vivement insisté pour que nous allions rendre visite à Mère à l’hôpital. Je finis par céder et l’emmenai sur le scooter. Comme lors de l’enlèvement de Bob je retrouvai le parking, la réception encombrée de visiteurs; les interminables couloirs mal éclairés et enfin une chambre aux murs ripolinés et aseptisés. Comme pour Bob, c’était une chambre à deux lits, la patiente voisine nous sourit et nous salua. Mère était méconnaissable: le crane entouré d’un épais bandage qui débordait sur le nez tel un masque, on nr pouvait voir que la bouche et le menton. Les yeux étaient cachés sous d’épais tampons ronds. Sur ses joues des traces de larmes. Papaye lui prit la main, lui parla doucement. Elle sanglota de plus belle. La voisine expliqua. Elle voulait appeler son ami, j’ai composé le Numéro. Pour autant que j’aie compris il lui a signifié que c’était fini. 32 Papaye tenta de la rassurer. «Bientôt tu vas rentrer à la maison, tu retrouveras ceux qui t’aiment vraiment. Tu pourras te reposer, et reposer sur eux et guérir. Ses sanglots s’espacèrent. Elle ne demanda pas de nouvelles ni de Bob ni de moi. Je sortis sans un mot attendre Papaye dans le couloir. Le soir Ariane nous avait invités dans un restaurant de La Rochelle, Dorothy, Nanda et moi. Elle me remit discrètement une enveloppe contenant les 5000€ du commandant. Vers la fin du repas, je descendis aux toilettes. Ariane me rejoignit. En souriant, elle sortit un cutter entailla légèrement ses poignets, puis les miens. Immobiles, nous nous serrions poignets et corps l’une contre l’autre. Je sentis des racines pousser sous nos pieds, s’enfoncer profondément sous terre. Puis une vague de jouissance monta, nous envahit des pieds au ventre, inonda nos cœurs, nos visages explosa dans nos cranes, nous fit chavirer. La porte des toilettes s’ouvrit, Dorothy s’y immobilisa, hiératique, « Plus jamais ça, sinon je vous anéantis » Jamais je ne l’avais vue dans une telle colère. Ariane la regarda, sortit calmement de sa poche un tampon alcoolisé, nettoya le sang sur nos poignets puis recouvrit nos entailles d’un sparadrap. « Désormais, nous sommes sœurs de sang » Nous retournions en silence dans la salle de restaurant. Nanda proposa de finir la soirée en boite de nuit. Mais quelque chose était cassé. Dorothy commençait à développer une jalousie maladive qui m’inquiéta. Je pris ma décision: j’allai au plus tôt rejoindre mon père à Jakarta. Selon Me Cirière père travaillait pendant six semaines sur une plateforme en mer d’Anefura, puis rentrait en récupération pendant 2 semaines dans son bungalow en banlieue où l’attendait Ahn avec leur bébé et Bob. La secrétaire de Me Cirière s’occupa des formalités de visa et du billet d’avion. Je fis cadeau à Papaye de mon scooter: désormais il pourra à sa guise aller rendre visite à Dimitri et à mère Le 30 juillet j’embarquais pour Jakarta Samedi 31 juillet 21h30 A l’aéroport international de Jakarta Soekarno Hatta un chauffeur m’attendait brandissant une pancarte à mon nom. Il me souhaita la bienvenue en anglais puis m’ouvrit la porte de sa grosse limousine noire. Le long voyage et le décalage horaire m’avaient épuisée, Les lumières vives le long de ma vitre, j’écoutais distraitement le chauffeur parler d’une ville de 12 millions d’habitants du périphérique extérieur Jalal Linga Laur sur lequel nous allions rouler avant d’obliquer vers le port de Mérak pour arriver à la résidence des cadres de la Compagnie Pétrolière. Il s’arrêta devant un bungalow, sonna, dit quelques mots en javanais dans l’interphone. 33 La lumière du perron s’alluma, la porte d’entrée s’ouvrit sur une femme assez jeune en costume traditionnel, tenant sur son bras un enfant jeune et à la main mon frère Bob. Le chauffeur m’ouvrit la portière et Bob s’élança vers moi. Le chauffeur porta ma petite valise sur le perron nous souhaita une bonne soirée et repartit. La femme s’avança vers moi, me salua en anglais. « Je suis Ahn, Luc vous a parlé de moi. Il se faisait une joie de vous recevoir mais il a été rappelé d’urgence sur sa plateforme, il s’était produit un incident de forage qui risquait de provoquer une marée noire. Vous devez être très fatiguée, puis-je vous offrir une tasse de thé? J’ai aussi préparé un bain chaud, vous pourrez vous détendre » J’optai pour le bain, Ahn sonna et une servante m’invita à la suivre, Bob sur mes talons. « Tu permets que j’assiste à ton bain, ce n’est pas la première fois que je te verrai à poil et Maria couche avec moi » Maria m’aida à me déshabiller, me fit entrer dans la grande baignoire. L’eau était très chaude et je sentis peu à peu une grande détente. Maria me lava avec délicatesse, puis m’étendit sur une table pour me masser avec des huiles parfumées. Pendant ce temps Bob me raconta sa vie. Il avait trouvé une bande de copains indigènes avec lesquels il s‘entendait bien, les enfants du personnel de Service. Son père leur avait offert des ballons et ils passaient leurs journées à jouer au foot. Ils avaient trois servantes: une femme de ménage pour les gros travaux, une cuisinière, et Maria pour s’occuper des enfants; de la petite Mona sa demi-sœur et de luimême. Une nuit elle était venue le rejoindre dans sa chambre et lui avait appris l’amour. Elle venait le rejoindre à chaque fois que son mari partait sur des chantiers et lui faisait bien des choses agréables. Il me demanda des nouvelles de Papaye et de mère, mais sans nostalgie particulière Il quelques semaines il avait grandi de quelques centimètres; il avait l’air épanoui, heureux de vivre ici. Maria me passa un kimono de soie, me chaussa de petites mules puis me reconduisit au salon. Ahn avait servi le thé dans des petites tasses en porcelaine fine, ça fleurait bon le jasmin. Enfin Ahn me conduisit à ma chambre, je tombai de sommeil. Dimanche 1er aout Au matin Maria me réveilla en m’apportant le téléphone: c’était père qui m’appelait depuis sa plateforme. Il était navré de n’avoir pu m’accueillir, il devait faire face à de graves ennuis. Il me demanda si j’avais fait bon voyage, me félicita pour mon succès au bac. Il ne pourrait nous rejoindre qu’en fin de semaine. Cet après-midi un étudiant viendrait me chercher pour me faire faire un petit tour de l’île de Java et surtout me faire connaître ses paysages, ses monuments, musées, universités et campus. 34 Le petit déjeuner était servi sur la terrasse, Maria nous servit le thé accompagné de délicieux fruits exotiques. Monas, passer devant le Museum National et le Théâtre du Gedung Kesenian. Ahn me fit faire le tour du jardin, un petit pont japonais passait audessus d’une pièce d’eau à cascade où nageaient des poissons exotiques. Puis elle m »invita dans son atelier contempler ses peintures sur soie, principalement de fins bouquets de fleurs. Nous sommes rentrés vers 20h, il faisait nuit. Elle me parlait de Luc, mon père. Ils s‘étaient connu alors qu‘elle travaillait comme secrétaire chez un fournisseur. Il se remettait mal de sa rupture avec Olga qui l‘avait quittée au moment où il avait le plus besoin d‘elle et avait emporté quasiment tout ce qu‘il possédait. Ahn avait appris le français dans l‘institution catholique de Jakarta où elle avait fait ses études. Ses parents étaient de petits commerçants très estimés dans leur quartier. Après le déjeuner un jeune homme sonna à la porte. Il se présenta Michel Tourneur, étudiant à l’université catholique Tri Sakti. Son père était ingénieur, collègue de travail du mien et lu avait proposé de me servir de guide. Un drôle de tricycle nous attendait devant le portail; « C’est un bajaj, un taxi local; j’ai pensé que ce serait beaucoup plus amusant et surtout plus pratique. Le taxi nous emmena dans l’embouteillage des grandes artères puis dans la circulation un peu plus fluide des petites rues. Il nous emmena voir le monument national de « Demain je viendrai vous prendre à 9heures, nous visiterons quelques universités » Lundi 2 aout Michel était à l’heure et commença par me faire voir la cathédrale de Jakarta puis la mosquée Istiqlal, la plus grande mosquée d’Asie du SudEst. Ensuite il me fit visiter l’Université Tri Sakti, université privée catholique où il étudiait; fier de me raconter que c’est là où eut lieu la fusillade qui , tuant 4 étudiants, devait provoquer les émeutes qui, en mai 1998, avaient amené la démission du président Soeharto. Il me présenta trois camarades, étudiants en Mathématique et Physique, avec lesquels j’eus des échanges intéressants. Nous allâmes déjeuner au restaurant universitaire; en partant l’un d’eux me confia un polycopié du cours de mathématiques de première année. Je passerai une partie de la nuit à le dévorer. Dans l’après-midi il me fit voir l’université gouvernementale d’Indonésie et son splendide campus à Depok. 35 En rentrant, je le remerciai et lui dis que pour l’instant j’en avais assez vu et que je comptais me reposer les deux jours à venir. La solitude commença à me peser et j’en avais assez vu pour décider que de vivre et d’étudier à Jakarta ne m’intéressait pas. J’appelais Me Cirière et lui fis une longue confession, Il fut impressionné par la manière dont j’avais tué le Commandant. « Oui miss, avec des femmes aussi. Ce sont les plus méchantes en vieillissant. Mais dans ma tribu c’est une tradition, le droit d’hospitalité » J’étais abasourdie. L’image de mon père en prenait un coup, mais le ton de Maria était sincère. J’étais surtout inquiète pour Bob. « Et quand elles sont méchantes, tu te venges? » « Des filles comme vous, il n’y en a plus. Je vais voir ce que je peux faire ». Je me sentis tendue et demandai à Maria de me faire un massage. Le magnétisme de ses mains, l’huile parfumée me relaxèrent. Une question me brula les lèvres: « Non miss. Inutile de rajouter du mauvais Karma. Je tache de transformer le mauvais Karma en bon Karma. C’est possible. Il y a des types de caresses pour ça. Comme il y a des caresses pour tout ». « Maria, c’est mon père qui vous a demandé de coucher avec Bob? » Imperceptiblement elle changea sa manière de masser, appuya sur des points qui éveillèrent puis attisèrent le désir. Elle s’approcha de mon oreille « Oui miss » « Veux-tu me faire l’amour? » « Mais il n’a pas 14 ans » Elle avait laissé glisser son kimono, son corps nu se lovait langoureusement contre moi. « Son esprit est en retard, miss, mais son sexe est en avance. Avec moi il est pleinement heureux. D’autant qu’il n’est pas méchant ». « Tu veux dire que tu couches aussi avec des hommes méchants? » « Je te remercie Maria. Mon cœur est déjà pris » J’avais prononcé la phrase sans réfléchir. Je pris conscience brusquement que j’étais amoureuse d’Ariane. « Oui miss. Il faut bien » Maria rajusta son kimono, me sourit: « Mon père te demande de coucher avec des hommes? » 36 « Tu sais en massant les gens on pénètre leur âme. Je te savais amoureuse, mais sans le savoir. Il fallait que je t’en fasse prendre conscience. Viens, nous avons à bavarder». Je hais profondément ma mère, je commence à haïr mon père. Et j’ai tué à coups de talon un homme grand et fort qui avait fait du mal à une amie » Elle me tendit mon kimono, m’aida à l’enfiler et m’entraina vers le petit canapé. Maria resta silencieuse, je sentis s’intensifier les ondes positives qui me traversaient, me faisaient trembler. Assises l’une à coté de l’autre sa main droite prit ma main gauche et elle glissa son bras gauche derrière ma nuque, reposant sa main sur mon épaule. Une onde chaude me traversa, comme un cordon ombilical qui peu à peu me remplirait de chaleur positive. « C’est bien de m’en avoir parlé. Tu apprendras à vivre avec le mal et à le positiver. Fixes-toi ce but et tu te feras ton chemin » « As-tu des enfants, Maria? » « Pas encore, Miss » « Appelle-moi Mado » « Oui miss Mado. Je pense en avoir dans 5 ans. Alors Mona ira à l’école, Bob sera un beau jeune homme et toutes les filles lui courront après. Mon corps attirera moins les hommes. Je pourrai faire des enfants sans encourir la colère de ton père. Mais ce qui t’intéresse c’est ce que va devenir ton frère. Beau comme un dieu, il sera une proie facile. Il ne voit pas le mal et ne sait pas se défendre. Ce que je vais lui apprendre, c’est de transformer le mauvais Karma en bien. C’est un apprentissage long, mais j’y arriverai ». « Maria, je crois que mon père considère les femmes comme des objets, des poupées qui lui doivent obéissance. C’est un guerrier, et je suis une guerrière, je tiens cela de lui. Mais son champ de bataille c’est le champ de pétrole et pour lui la femme n’est que le repos du guerrier. Quand il s’est marié il partait déjà pour le pétrole. IL a laissé ma mère seule et désemparée. Elle s’est mise à fumer et nous, ses enfants sont nés avec des handicaps physiques J’en veux beaucoup à ma mère pour cela. Mais je commence à comprendre que mon père n’a rien fait pour l’aider à s’en sortir, au contraire. Et je me demande si ses autres femmes n‘ont pas connu le même problème» Maria s’essuya discrètement une larme .« Comment se comporte-t-il avec Ahn? » « Ahn ne fume pas, elle fait de la peinture » « Mado, tu es une sainte. Comme ma patronne, Madeleine, une putain devenue une sainte. Je traine moi aussi beaucoup de mauvais Karma. 37 Nous restâmes encore un long moment assises, silencieuses, immobiles. Les ondes chaudes, positives, me pénétrèrent jusqu’au fond du cœur. frappèrent, elles étaient surdimensionnées, brun cacatois et portaient des pointes acérées. Mercredi 3 aout « Tu ne diras rien à ton père » supplia-t-elle. Ce matin très tôt coup de fil de Cirière, sans doute l’effet du décalage horaire.. Il me proposa de rentrer discrètement, de ne pas reprendre contact avec mes amis avant que toute cette affaire ne soit tassée. Sa secrétaire allait m’inscrire à l’Université de La Rochelle: on ne se bousculait pas dans la section Mathématiques. Son fils étudiant possède un studio en centre ville, qui était actuellement vacant; le fils étant parti pour deux ans suivre une spécialisation à Houston aux Etats Unis. il s’arrangerait avec mon père pour la location. « De toute façon il ne comprendrait rien » répondis-je en souriant. Mais si tu veux bien je te l’achète » Ahn m’observait et s’agitait de plus en plus. Elle sut que j’avais compris sa douleur secrète. « Je t’en fais cadeau bien volontiers. Ce sera notre secret entre toi et moi » Je l’embrassai et la rassurai. Je lui dis que j’étais d’accord. Après le petit déjeuner je demandais à Ahn de me montrer ses tableaux. Elle ouvrit un grand carton dans lequel étaient rangées ses toiles de soie. Elle ne peignait que des fleurs, à la manière japonaise. Je pris une des toiles et laissa mon esprit errer, s’incarner dans la toile. C’était une rose à peine éclose, d’une pâleur pastel. La tige était mince, fragile; vert clair sur le dessus et comme aspirée par un vert foncé qui montait du bas de la tige. Les feuilles commençaient à se faner, l’une d’elles était trouée, attaquée par une chenille. Les épines surtout me Samedi 7 aout Enfin Papa vient de rentrer. En 9 ans il avait vieilli et j’ai eu du mal à le reconnaître. Il m’a paru tout à coup un étranger, père Noël métamorphosé en maquereau. Avec Bob, nous nous fîmes la fête à trois. Ahn s’était discrètement retirée. Nous parlions des temps anciens où nous formions une famille, puis ce que nous étions devenus depuis son départ. Au bout d’une demi-heure Ahn nous invita à dîner. Père embrassa Mona et Maria la monta dans son berceau. Le père Noël se réveilla vite 38 « C’est tout ce que tu as comme fringues? Demain je t’emmènerai avec Ahn au Centre commercial. Vous pourrez faire du shopping à votre guise » C’est une voiture de service de la Cie qui nous emmena. Assis à côté de moi, père me demanda brusquement: « Pour une carrière en mathématiques tu as la voie universitaire. Mais tu mettras bien des années avant de pouvoir te spécialiser dans la recherche. De plus c’est très mal payé. Pour la recherche au sens large, c’est l’informatique qui offre le plus grand nombre d’ouvertures à la créativité. A mon avis une première année d’études supérieures devrait surtout te révéler l’orientation que tu veux donner à ta vie professionnelle ». « Parle-moi de ton projet professionnel » «Tout à fait d’accord » Je n’y avais pas songé vraiment. Je me voyais faire de la recherche en mathématiques, c’est tout » Tu envisages donc une carrière universitaire d’enseignant-chercheur? » « Mais je n’ai pas envie d’enseigner » « Ce sera difficile à dissocier » Lorsque nous arrivâmes au centre commercial, il m’avait initié à nombre de réalités de la vie professionnelle. Il nous laissa entre femmes dans la galerie des textiles et nous donna rendez-vous à l’entrée de la galerie dans une heure et demie. Ahn avait la fièvre acheteuse, je dus la freiner. A la fin j’avais acheté pour moi un pantalon et un jean, trois tee-shirts et une veste trois quart en soie à broderies locales. Ahn quant à elle s’était largement servie. Au retour père reprit notre conversation sur le projet professionnel. « J’ai joint Me Cirière tout à l’heure au téléphone, il m’a fait part de votre discussion et je suis tout à fait d’accord pour que tu ailles étudier à La Rochelle, pour mieux cerner ce que tu veux vraiment devenir. L’université de La Rochelle a un site Internet. On le consultera ensemble ce soir. Me Cirière et son épouse sont des amis de longue date. Ils vont t‘accueillir comme si tu faisais partie de la famille» A la fin de la soirée mon choix était fait: je suivrai une première année de Physique- Chimie-Mathématiques et dans le même temps une première année de DUT Informatique. Nous en informions aussitôt Me Cirière pour les formalités d’inscription ainsi que pour l’ouverture d’un compte bancaire que mon père allait approvisionner régulièrement. Lundi 16 août 39 C’est le départ et toute la famille est venue me conduire à l’aéroport. Les adieux furent émouvants, Bob pleurait. Je tentai de le conforter « Ce soir Maria te consolera » « Non, son mari vient de rentrer » Vendredi 20 aout « Reviens pour les grandes vacances l’année prochaine. Tu resteras plus longtemps et nous ferons mieux connaissance » Je me suis installée en toute discrétion à La Rochelle, me suis familiarisé avec les bâtiments et les bureaux de l’université, j’ai acheté les livres et les polycopiés requis Pour mon père je n’étais pas une femme comme les autres. Il m’écoutait, se mettait à ma disposition, m’aidait. Je pouvais compter sur lui. Disparue ma première impression négative. Cela me fut d’un grand réconfort. Enfin j’ai repris l’entraînement de boxe thaï, deux soirs par semaine; j’étais rouillée mais j’ai fini par retrouver le rythme. Pendant la plus grande partie du voyage, j’ai dû dormir. J’avais prévu de prendre le TGV de Roissy à La Rochelle; Me Cirière et son épouse m’avaient fait la surprise de venir m’accueillir à l’aéroport et nous fîmes ensemble. le voyage jusqu’à La Rochelle. Henri Cirière (il m’avait demandé de l’appeler par son prénom) me parla de mon installation à La Rochelle. Ils avaient préparé le studio pour m’accueillir, rangé les affaires de Charles-Edouard, leur fils et libéré la place. Ils proposaient de me confier sa petite moto, une MBK 125. (De toute façon il ne s’en servira plus maintenant qu’il a une voiture) Ils m’invitaient à venir dîner avec eux un soir par semaine, nous avons convenu du mardi. Je me sens prête pour la rentrée courant septembre. Tout à l’heure, par hasard, j’ai croisé Nanda sur le Vieux Port. Silhouette plus affinée, démarche plus assurée, un élégant maquillage couvrait ce qui restait de cette fraîcheur que j’appréciais tant. Elle avait trouvé un travail régulier comme escort-girl dans un cabinet d’hôtesses. On se promit de se recontacter; je l’inviterai à mon anniversaire. Mardi 14 septembre Ce matin j’ai reçu deux e-mails, l’un d’Ariane, l’autre de Papaye. Ils me croient toujours à Jakarta 40 Mado chérie Cela va faire deux mois que tu es partie rejoindre ton père. Ici les événements se sont précipités. Les parents d’Isabelle ont déménagé. Ils ont vendu leur pavillon et se sont installé dans un village perdu de Corrèze, pays d’origine de la mère. Ils ont cessé leurs activités au Secours Catholique. Nanda est partie sur La Rochelle, elle travaille comme escort-girl dans un Institut d’hôtesses. Te souviens-tu du petit château qui te plaisait tant? Il a trouvé acquéreur peu après ton départ. Les nouveaux propriétaires ont fait une découverte macabre: dans leur cave un cadavre d’homme nu. La gendarmerie de Talmont a été chargée de l’enquête. Ils nous tiennent au courant. L’homme Dragomir Ilitz était connu des services de police. Ancien commandant de l’armée serbe, il s’était reconverti dans le trafic d’armes et de personnes ainsi que dans le blanchiment d’argent. Il avait contacté plusieurs banques locales. La gendarmerie privilégie la piste d’un règlement de compte entre bandes mafieuses. L’autopsie fait penser qu’il a subi un interrogatoire musclé, perpétré par d’anciens membres du KGB. Les blessures concluent à une méthode d’interrogatoire inhabituelle, de ce fait ils n’excluent pas d’autres hypothèses. Procureur et préfet leur mettent la pression, ils craignent que des bandes mafieuses ne s’installent dans la région. Cette histoire m’a insupporté et j’ai donné ma démission à la police. Dorothy est de plus en plus amoureuse, elle m’a présenté à ses parents; Son père, directeur administratif d’une grosse PME locale est un homme ouvert, fin, énergique. Il m’a jaugé du premier coup. Il m’a parlé d’un problème qui le tracasse: dans son entreprise des vols assez importants sont commis régulièrement, sans qu’on arrive à coincer les voleurs. J’ai compris à demi-mot et j’ai proposé ma collaboration. Il m’a introduit dans l’entreprise comme une intérimaire. Médium ou chance: en une semaine j’avais démantelé le réseau. De plus il était dirigé par un délégué du personnel virulent dont l’entreprise cherchait vainement à se débarrasser. Fort de ce succès, et sachant que je cherchais du travail, il me proposa une « discussion entre hommes » Tout de go il m’offrit sa fille (en mariage en quelque sorte) avec une grosse dot à la clé. Ils allaient m’aider à créer mon entreprise de consulting, en Sarl Dorothy était chargée de la partie administrative; tu sais à quel point cette âme romantique peut développer un esprit pratique lorsqu’elle est guidée par l’amour. Son père au sein de l’association des directeurs administratifs, assure discrètement ma promotion auprès de clients potentiels. Parallèlement je développe une activité de voyance par téléphone. Sans publicité, un bouche à oreille favorable se développe. Voilà ma chérie ce que tu trouveras changé à ton retour dans un an ou deux Je t’embrasse fraternellement Ariane 41 J’ai compris que la jalousie de Dorothy surveillait tout, d’où la prudence d‘Ariane. Ainsi le dossier Ilitz n’était pas clos et que j’avais intérêt à faire la morte. Le texte présentait une longueur inhabituelle pour un e-mail. Je compris que c’est ainsi qu’Ariane me déclarait son amour, à la barbe de Dorothy. Quant à moi, fidèle à moi-même, je fais le marché, le ménage, la cuisine… Mais surtout, grâce à ton scooter, j’ai enfin la possibilité de m’évader, d’aller à la mer, de visiter le port et rêver devant les bateaux. La semaine prochaine, Dimitri va retourner travailler dans son entreprise. Il se sent bien en ménage avec ta mère, envisage de prolonger sa mission en France. Ils vont probablement me mettre à la porte. Dans le même temps me parvint un e-mail de Papaye Bonjour Mado chérie Dimitri m’initie à l’informatique, et j’en profite pour t’envoyer quelques nouvelles du front. Ta mère est sortie de l’hôpital dès la fin juillet, est bénéficie d’une hospitalisation à domicile. Dimitri est venu habiter avec nous et ta mère l’a aussitôt fourrée dans son lit. Ca leur réussit bien: ils s’épanouissent et font des progrès rapides, Dimitri pour l’élocution et ta mère pour la vue. Je me suis occupé de ton dossier d’inscription à la faculté de Nantes mais il faut que tu viennes signer rapidement. Par contre il n’y a plus de chambre disponible à la Cité universitaire et les chambres en ville sont chères. Mais sans doute envisages-tu de passer un ou deux ans à Jakarta; leurs universités sont réputées. Donne-moi des nouvelles de Bob; j’espère qu’il se plait. Vous me manquez tous les deux Avec tout mon amour Papaye. J’ai pris ta chambre et dors dans ton lit, avec toujours le même ravissement. Les Emmaüs ont emporté ta grande coiffeuse et le litbureau de Bob. A sa place Dimitri a installé son bureau. Il y travaille le jour et j’y dors la nuit. Dimitri a retrouvé 70% de son élocution et peut désormais suivre une conversation normale avec quelque lenteur. Ta mère commence à voir de plus en plus clair, elle est en avance sur les prévisions de la Faculté. Que c’est loin tout ça maintenant… Le soir je dinais chez les Cirière, je leur ai montré les messages. Henri était très intéressé, il connait des responsables d’entreprises susceptibles de faire appel aux compétences d’Ariane 42 Je lui demandais de m’informer de sa venue éventuelle, afin de prendre rendez-vous. « Je suis incapable d’être voyante pour moi-même, mais toi tu es en train de t’enfoncer dans un sacré merdier » « Prouve-moi que ça en vaut la peine » Lundi 4 octobre Mon premier jour de classe à l’IUT. C’est un cours de mathématiques ; j’exulte Nous sommes une cinquantaine de garçons pour moins de 10 filles. Une ambiance de compétition qui me plait. Mon père a eu raison de me conseiller l’IUT. Aussitôt entrées, nous primes une douche ensemble, puis toutes mouillées, nous nous jetâmes sur le lit. Nos corps luttèrent, s’embrasèrent, exultèrent, recommencèrent. Encore et encore. Sœurs de Combat, âmes-sœurs, tigresses jumelles. Ce n’est qu’au petit matin que nous nous endormîmes, épuisées Des coups violents frappés dans la porte nous réveillèrent Jeudi 21 octobre Mon cœur bat à tout rompre. C’est aujourd’hui que Ariane viendra à La Rochelle prendre langue son client. Ils dineront ensemble. Responsable administrative du Cabinet, Dorothy lui avait réservé une chambre à l’hôtel d’Angleterre. Elle compte y arriver vers 23h. Je l’attends au bar, mon cœur bat la chamade. Elle finit par arriver et nous montons aussitôt dans sa chambre. Le veilleur de nuit nous mate d’un œil sournois. « Tu crois que Dorothy a payé le veilleur pour t’espionner? » « Tu ne vas pas devenir parano, toi aussi » « Qu’en pense la voyante extralucide? » « Police. Ouvrez » La porte vola en éclats, quatre policiers entrèrent, en gilets pare-balles et mitraillette au poing. Un policier en civil montra sa carte: « Commissaire Durieux. Mademoiselle Rousset, Mademoiselle Le Guen, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Dragomir Ilitz«. Ariane se leva, son corps nu ruisselant d’érotisme. Elle croisa ses mains derrière la tête en signe de reddition, plantée sur ses jambes écartées, balançant son pelvis en avant, et pointant ses seins, telle une chanteuse de rock. « Permission de nous habiller, chef » Elle avait aboyé sa requête à voix haute, style U.S. Marine. 43 « A genoux, mains sur la tête » hurla le commissaire. Un agent lui passa les menottes. Je m’étais levée, avais pris la même posture, mais personne ne faisait attention à moi. Dorothy engoncée dans l’embrasure d’un porche. Elle avait l’air de pleurer. « Il n’y a pas d’armes » Au commissariat on m’introduisit dans une salle d’interrogatoire. On me laissa mijoter un quart d’heure, puis deux policiers, un homme, une femme entrèrent. La femme-flic me demanda si j’avais pris mon petit déjeuner et me proposa un café. Je refusai poliment. (Ils avaient dû s’imaginer que les présumées tueuses d’un trafiquant d’armes se promenaient avec tout un arsenal) Le policier me montra aussitôt une photo du cadavre du commandant. Je l’examinais attentivement en silence puis la lui rendis. J’étais prête pour mon numéro. « Pas de commentaire. Mon avocat ne devrait pas tarder » « Je suis mineure, l’IGS vous le confirmera. J’exige le respect de mes droits de mineure. Je veux parler de suite à mon avocat, Me Cirière » Je replongeai dans le silence et ils sortirent. Dix minutes plus tard, le commissaire entra Il flottait comme un parfum de bavure. « Votre avocat vient d’arriver. Les policiers me demandaient mon emploi du temps des 27 et28 juillet. Pour autant que je me rappelai j’avais passé la nuit avec Ariane et au matin elle avait été acheter un petit meuble en utilisant une voiture de police banalisée. Un policier avait fouillé le lit et la chambre: « Habillez-vous » dit le commissaire, résigné. « Devant tout le monde? » « Il n’y a pas de femme-flic pour la petite? » renchérit Ariane « Faites vite» Des voitures banalisées nous attendaient en bas. Un photographe de la Charente Libre venait d’arriver. L’espace d’un instant, je crus voir L’interrogatoire n’avait duré une heure au bout de laquelle le policier me dit : « Vous êtes libre » Il s’approcha à me toucher, me toisa avec haine: « Je sais que c’est vous la coupable. Vous avez réussi à berner la Scientifique, mais pas moi. Je ne vous lacherai pas. Un jour ou nl’autre vous vous trahirez » 44 Je m’arrachai à son emprise: « Sans commentaires, Commissaire, sans commentaires ». Me Cirière m’invita à sortir, Ariane ne tarda pas à nous rejoindre. adultère. Le matin je partais à mes cours, Ariane se rendit en pseudointérimaire chez son client. Dans notre studio elle travaillait avec son téléphone portable spécial pour ses consultations de voyance. Des messages de Dorothy s’accumulèrent sur son portable personnel mais elle avait décidé de ne pas répondre « Je parie que vous n’avez pas déjeuné » Il nous emmena dans un café proche et nous primes un petit déjeuner copieux. « Votre dossier est vide, pas d’ADN, pas de mobile, pas d’arme du crime. De plus l’enquête de voisinage vient de révéler que le soir du 27 juillet, une voisine avait vu Ariane monter les escaliers vers son appartement tendrement enlacée avec une autre jeune fille). Vous avez été dénoncées par une jeune femme paumée à la police des Sables. Ils ont transmis l’information mais ont vite compris qu’il s’agissait d’une histoire de jalousie entre lesbiennes. Le procureur, réveillé dans la nuit, a jugé bon de donner suite parce que c’est en ce moment la seule piste dont la police dispose » Puis Henri se tourna vers Ariane « Bravo, vous êtes une vraie pro » Mardi 26 octobre Message angoissé du père de Dorothy: elle avait fait une tentative de suicide et se trouvait entre la vie et la mort. Elle avait laissé une lettre où elle reconnut que son témoignage était une pure invention, dictée par une jalousie maladive. Elle nous suppliait de lui pardonner. Nous nous rendîmes sur le champ aux Urgences de l’hôpital des Sables. On nous fit patienter dans la salle d’attente, où les parents de Dorothy attendaient déjà. Ils n’étaient pas au courant de l’histoire et craignaient que leur fille ne fasse un véritable délire de jalousie. Un médecin vint vers nous « Elle est sauvée mais vous ne pourrez pas la voir tout de suite. Nous poursuivons le traitement. Elle sera en état de vous recevoir aprèsdemain ». Mr Cosset prit Annick à part et sa mère s’adressa à moi Nous avons décidé qu’Ariane viendrait habiter chez moi, le temps de sa mission, C’est ainsi que nous avons commencé notre vie de couple 45 « Comment a-t-elle pu faire cela? Vous êtes ses meilleures amies. Pourquoi s’est-elle montrée tout à coup aussi jalouse au point d’attenter à sa vie? » Elle pleurait contre moi, je tentai de me souvenir des caresses de Maria capables de positiver le mauvais Kama. Je lui en effleurais le dos. Je montai aussitôt dans la chambre. Dorothy m’accueillit avec un sourire gêné. Je l’embrassai, elle se laissa faire. « Dorothy, c’est mon anniversaire la semaine prochaine. J’aurai 18 ans, la majorité. Je venais t’inviter » « C’est bien aimable » Au bout de quelques minutes, calmée, elle me jeta un regard de reconnaissance: « Merci Mado, tu as un don extraordinaire. Je suis sûre qu’à ton contact Dorothy va renaître » Je m’étais assise sur la chaise installée à coté de son lit. Un silence pesant s’installa entre nous. En repartant Ariane me résuma sa conversation avec le père: « Dorothy dis quelque chose, engueule-moi, dis que je t’ai pourri la vie, que j’ai failli te faire mourir, crois bien que je suis désolé, que je ne voulais pas te faire de mal » « Il faut sauver la boite, avec ou sans Dorothy ». « Je t’ai bien rendu la pareille, alors on est quitte » Samedi 30 octobre « Mon suicide, c’était pas du bidon. J’ai vu un couloir de lumière ouvrant sur un grand portail. Des gens vêtus de lumière m’appelaient. Il y avait Isabelle, mon grand-père et d’autres gens que j’avais vaguement connus. Je cheminais vers eux et me sentais divinement bien. Il fait un temps de Toussaint, pluvieux et venteux. Dorothy est désormais hospitalisée chez elle, Ariane a terminé avec succès sa mission à La Rochelle. Nous avons décidé que c’est moi qui verrai Dorothy la première, seule; Ariane attendra dans la voiture. Il est 11 heures c’est la mère qui vint m’ouvrir/ Puis j’ai entendu ta voix qui me rappelait. Je me suis retournée. Tu avais le corps d’un bébé garçon étendu sur un coussin rose dans un petit canot, une coquille de noix. Derrière toi, flottaient en longes toges Papaye et Annick, figures tutélaires. « Te voilà enfin, Dorothy te réclame » Je suis revenu vers toi et t’ai contemplé longuement. Tu as fini par me dire 46 « Mon sexe est à celui qui me sauve, homme, femme, jeune ou vieux ». Je compris que tel était ton destin, et que tu ne m’avais nullement rejetée. J’ai repris conscience peu après. J’étais à l’hôpital en réanimation, médecins et infirmières s’affairaient autour de moi.». J’étais sonnée, respiration bloquée, j’ai craint de faire une crise d’asthme. « Je vais venir m’étendre à côté de toi » Toute habillée je m’étendis sur la couverture, mon bras droit calé derrière sa nuque tenait sa main gauche, sur son ventre sa main droite reposait dans ma main gauche. Un train d’ondes chaudes commençait à traverser mon corps: je glissais paisiblement vers le sommeil. rétracter ensuite. Mais vous n’avez pas appelé au secours. Alors ma vie m’avait plus de sens, je n’avais plus qu’à m’en aller pour de bon » Nous étions toujours étendues l’une contre l’autre, la main dans la main, A nouveau un coutant d’ondes positives circula entre nous, plus lent, plus profond/ L’image de Mère s’imposa à mon esprit, pyromane-pompier elle aussi. Elle était partie nous laissant démunis, peut-être uniquement pour qu’on l’appelle au secours et qu’elle puisse rentrer en sauveur. On ne l’a pas appelé et elle a dû chercher un autre sens à sa vie. Avais-je la volonté de positiver tout ce Karma négatif? »Je dois m’en aller, cela fait des heures qu’Ariane m’attend dans la voiture » Mme Cosset m’arrêta: Ce fut la voix de Madame Cosset qui me réveilla: « Elle reste diner avec nous Mado? » « Mais non tu vas la chercher et vous allez dîner toutes les deux avec nous. Nous sommes trop heureux que tout cela finisse bien » Je regardais ma montre: il était 19h « Tu as dormi toute l’après midi. Et tu as dû rêver de moi. Tu as parlé en dormant: Pyromane- pompier et Karma La pyromane-pompier, c’est moi, je me suis bien reconnue. J’allume un feu pour que les gens m’appellent au secours afin que je puisse venir les sauver. C’est pour cela que je vous ai dénoncés, quitte à me Samedi 6 novembre 47 Dorothy avait insisté pour organiser elle-même et seule ma fête d’anniversaire. « Ce sera une surprise » Je devinais sans peine sa surprise: 18 bougies, une figurine de Disney, une décoration façon Karl Lagerfeld. J’aurai préféré une inscription du genre E= MC2, une vision qui me projette dans ma future voie d’adulte. Mais il ne faut pas en demander trop à Dorothy. Je lui suis reconnaissante de m’avoir révélé mon rêve du pomper-pyromane et du Karma. Cela signifiait que je voulais faire la paix avec ma mère, repartir avec elle sur de nouvelles bases. J’allais l’appeler pour l’inviter à mon anniversaire. C’est Papaye qui me répondit au téléphone. Il était heureux de m’entendre. Mère allait mieux, sa vision s’améliorait. Elle avait reçu une lettre de Bob qui lui disait combien il était heureux mais aussi combien il l’aimait. Il prévoyait de venir passer un mois avec nous pour les grandes vacances. L’autre nouvelle était moins agréable. Dimitri avait récupéré pratiquement toues ses facultés et son élocution dans un délai nettement plus rapide que prévu. Son Entreprise lui reconnaissait désormais un potentiel exceptionnel et lui avait proposé une promotion et une mission importante en Roumanie. Il avait accepté immédiatement et il était parti il y a deux jours. Papaye appela ma mère et me la passa au téléphone. Je commençais par lui dire que j’étais heureuse que Bob lui ait écrit. « Je me réjouis de le recevoir, mais je suis inquiète: nous n’avons plus de sous. Nos deux pensions d’invalidité nous permettent à peine de vivre, et je n’ai plus le droit de conduire et donc ne trouverai pas de travail. Je lui répondis que je la comprenais, que nous avions connu la même situation, qu’il y a toujours moyen de s’en sortir, de faire preuve d’imagination, de positiver » « Tout cela est de ta faute, c’est toi qui m’a rendu infirme à vie dans ce commissariat. Tu n’es qu’une mauvaise fille et tu l’as toujours été. Tu ne penses qu’à me faire du mal, à me contredire, à me contrarier ». C’en était trop. « Ecoute Michèle, je t’appelais pour faire la paix, t’inviter à mon anniversaire, repartir sur de bonnes bases. Dans quelques jours je serai adulte. Alors raisonnons en adultes en n’examinant que les faits: Un: le commissaire avait cherché une confrontation entre nous, ce qui est contraire à la loi; il a été sanctionné pour cela Deux: c’est toi qui m’as agressée par derrière Trois: notre chute était accidentelle: deux témoins assermentés l’ont attesté, l’assurance l’a confirmé Et quatre: j’ai été reconnue innocente pour le rapt de mon frère; ce sont des hommes à mon père qui l’ont perpétré, selon son propre aveu Tu n’avais donc aucune raison de m’agresser. Tu t’es précipitée, tu as pété les plombs, tu n’as qu’à ton prendre à toi-même. Tu m’accuses 48 d’être une mauvaise fille. Es-tu une bonne mère, toi qui as abandonné tes enfants en les laissant sans un sou? Es-tu une bonne épouse, toi qui t’es fait plaquer par trois compagnons.. Tu pourras toujours te rabattre sur Papaye, ton homme à tout faire; tu vas le remettre dans ton lit, tu es très forte pour cela. Mais lorsque vous baiserez, c’est à moi qu’il pensera, c’est moi qui suis sa princesse, sa reine, l’amour de sa vie » Dis-moi, dans votre boite, vous n’envisageriez pas de créer un département Coaching à domicile? » Papaye reprit le téléphone « Mado chérie, ta mère souffre » « Je crains qu’il ne soit obligé de travailler jusqu’à 70 ans. C’est jeune pour un gourou de son niveau » « Je sais, j’ai compris. Mais je ne tiens pas à ce que cette souffrance vienne gâcher mon anniversaire. Je vais avoir 18 ans, être majeure, adulte. C’est trop important pour que j’accepte qu’on gâche ma fête. Laissons faire le temps et ta force de persuasion. J‘espère pouvoir vous inviter dans un an, à mon prochain anniversaire». Je me sentais un peu honteuse de ma mauvaise foi mais je considérais que telle était la seule réponse du berger à la bergère. En même temps leur situation financière me préoccupait, surtout pour Papaye. Je décidai d’appeler Ariane sur son portable « Ariane chérie, tu bosses? On peut causer? » Ariane avait réussi sa mission plus tôt que prévu. Elle était toujours sous sa couverture d’infiltrée. On lui avait laissé une table à l’infirmerie de l’Entreprise, où il n’y avait jamais personne et elle rédigeait son rapport de mission. « Alors tu vas partir demain, ce sera notre dernière nuit? » « On trouvera très vite d’autres occasions » « A voir. Tu penses à Papaye? Je le croyais à la retraite » « A voir. Tu comprends que je ne décide pas seul » « Il y a aussi Dorothy qui me préoccupe. Elle a fait deux tentatives de suicide, et dans les deux cas c’était moi la première concernée » Long silence « En clair tu penses à une sorte d’amour-sauvetage, Tu voudrais coucher avec elle pour prévenir une nouvelle tentative de suicide? Dorothy pense que c’est de cela qu’il s’agit entre nous. Tu m’aimerais parce que je t’ai sauvé la vie, et que ton amour pour Papaye serait du même tonneau ». « Ariane, tu es extralucide, Dis-moi quelle serait la solution« » « J’y réfléchirai. Je t’aime trop pour faire ménage à trois » « Prépare-toi pour ce soir. J’ai enlevé ma petite culotte pour mieux t’accueillir. Ce soir je te viderai les couilles » 49 « Moi aussi je t’embrasse partout où tu aimes » Je me laissai glisser sur le canapé. J’avais imaginé ma vie d’adulte fendant le flot toutes voiles dehors. Qu’on pouvait mettre la vie en équations, à résoudre au fur et à mesure. Qu’on pouvait attraper le mauvais karma dans une nasse puis le neutraliser rationnellement. C’est dans ce but que j’avais commencé ce journal. Il m’a aidé à mieux formuler mes interrogations: ma relation à ma mère, à mon père; à mon sexe, à mon avenir. J‘avais trouvé des réponses partielles. Mais ces réponses à leur tour débouchent sur de nouvelles questions. Demain je retournerai à l’IUT, la routine. Et je serai à nouveau seule, avec mes études, mes livres, la boxe, et mes questions sur mon avenir. Mais je sais que désormais Ariane et moi nous nous aimions vraiment. C’est la seule chose qui compte. A SUIVRE… 50