3e prix - Catégorie Jeunesse Léandre Larouche

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3e prix - Catégorie Jeunesse Léandre Larouche
- 3e prix Catégorie Jeunesse
Léandre Larouche
Depuis le début de l’été suivant l’obtention de son DEC, la vie de Mickaël
semblait être un conte juvénile idyllique et rocambolesque. Évidemment, comme
la plupart de ses amis, les journées passées sans consommer ni alcool ni drogues se
comptaient sur les doigts de la main. Il faut l’avouer, le jeune homme de dix-neuf
ans était très peu singulier dans sa manière de passer du bon temps. Au moins
aurait-il de bonnes anecdotes à raconter lorsque sa jeunesse lui manquerait. La
boisson et les substances illicites qui vous font oublier qui vous êtes transportaient
Mickaël vers un état d’exaltation intense. Un enthousiasme démesuré pour à peu
près tout, une sensation aussi agréable que d’être en amour, mais plus facilement
accessible.
Deux ans d’études en sciences humaines avec mathématiques venaient de
s’achever; trois ans de baccalauréat en administration des affaires se profilaient à
l’horizon. Ça, c’était seulement s’il décidait de ne pas poursuivre à la maîtrise.
Mickaël déménagerait dès l’automne suivant pour étudier dans une autre ville. Il
vivait donc, pour une toute dernière fois, la saison estivale dans son coin de pays
natal. Un endroit où il avait auparavant cherché l’âme soeur, mais avait échoué.
Lamentablement échoué! Tout espoir d’y connaître le bonheur s’étant dissipé,
Mickaël avait choisi de déserter sa région de malheur et de se noyer dans la masse
métropolitaine de Montréal afin de poursuivre son parcours estudiantin dans une
mer plus profonde.
Au cégep, Mickaël avait l’habitude de porter des chemises aux couleurs aussi
peu nuancées que la carrière à laquelle il aspirait. C’était le noir ou le blanc. Les
compressions ou les investissements. Le jeune homme assumait son style depuis des
lustres. Né d’un père entrepreneur en informatique et d’une mère orthodontiste,
son éducation lui avait donné comme principales valeurs le succès et l’argent.
Néanmoins, lorsque l’été suivant l’obtention de son DEC arriva, Mickaël commença
à se sentir un peu trop à l’étroit dans ses chemises. Il y étouffait et le tissu n’était pas
seul en cause.
Le soir du 19 juillet s’annonçait déchaîné. La débauche serait incroyable, pensait
Mickaël, mais les choses ne se passèrent pas comme elles auraient dû. Tous ses
amis s’étant désistés, le jeune homme se retrouvait seul à avoir envie de faire la
fête. C’était sans aucun doute la pire déception qu’il pouvait connaître. Mickaël se
tourna alors vers l’alternative que lui proposèrent sa sœur et son beau-frère: un
spectacle rock au bar l’Aquarium, là jusqu’où l’eau est profonde.
Ne sachant pas quoi porter pour l’occasion, Mickaël décida de farfouiller dans
l’ancienne garde-robe de son frère qui avait quitté le foyer plusieurs années
auparavant. Il y restait quelques morceaux. Mickaël avait toujours méprisé le style
vestimentaire d’Alexandre, le mouton noir de la famille qui était devenu écrivain,
mais il s’en foutait un peu ce soir-là. Il voulait simplement être confortable et bien
habillé. Étonnamment, il trouva immédiatement une pièce qui lui plaisait: un
magnifique cardigan à la teinte de bleu la plus foncée. Il l’essaya par-dessus son tshirt blanc et se rendit compte qu’il lui allait à merveille. Contrairement à ses
chemises, il ne s’y sentait pas du tout serré. Mickaël n’arrivait pas à comprendre
pourquoi Alexandre ne l’avait pas emporté.
Un spectacle rock ne pouvant pas ne pas être accompagné de quelques joints
et de quelques bières, Mickaël se retrouva assez rapidement dans un état de « pas
à jeun du tout ». Assis sur une banquette, perdu au milieu de nulle part, il appréciait
la musique qui dégoulinait lourdement dans ses oreilles. Soudainement, une ombre
passa devant ses yeux et une silhouette s’arrêta près de lui. Une jeune fille aux
cheveux blonds frisés recouverts d’une jolie tuque était désormais assise juste à
côté. Elle lui avait préalablement demandé la permission et ne perdit pas de temps
pour se présenter. Hurlements dans les oreilles suivirent, question de se connaître…
Elle s’appelait Ariane Hébert. Elle habitait la ville voisine à l’Ouest, étudiait le
journalisme et bien qu’il ne sache pourquoi, Mickaël était persuadé qu’elle était la
fille de ses rêves. Le pauvre savait très bien que c’était trop tôt pour penser cela,
mais il ne pouvait s’empêcher de le faire. Mickaël était et avait toujours été un
espèce de Roméo raté.
Ariane assistait au spectacle car elle couvrait l’événement pour un petit journal
local. Mickaël assistait au spectacle pour tromper son ennui mortel. Lorsque la
soirée fut terminée, l’adolescent proposa à Ariane de rester prendre une bière et
de jaser – comme s’il n’avait pas déjà assez bu et comme s’il avait quelque chose
à dire –, mais elle ne pouvait pas. Elle devait quitter. Il lui demanda alors son
numéro de téléphone afin qu’ils remettent ça et, à sa grande surprise, elle le lui
donna…
Excité de revoir cette fille, Michael en parla à tous ses amis. Il y avait selon lui des
chances qu’ils se plaisent réciproquement. Le jeune homme avait l’intention
d’attendre deux ou trois jours et de l’inviter à prendre un café. Il savait déjà où: un
petit établissement pittoresque, chaleureux et débordant de jeux de société qui se
trouvait dans la ville d’Ariane. Il ne consommerait ni alcool ni drogue et porterait
son cardigan.
Encore une fois, les choses ne se passèrent pas tel que prévu. Lorsque Philippe,
un ami de Mickaël, lui apprit l’existence d’Antony, le petit ami d’Ariane, un second
déluge eut lieu dans la vie de notre jeune soûlon en moins de vingt ans. Il ne se
laissa toutefois pas entraîner vers les bas-fonds de la mer. Pas plus que la première
fois, lorsqu’il n’avait que quelques mois. Antony était un beau jeune homme
politiquement engagé contre lequel Mickaël aurait pu se dire qu’il ne pouvait
rivaliser à armes égales, mais aveuglé par le sentiment qu’Ariane lui avait fait
ressentir le soir de sa rencontre, il avait décidé de nager vers le haut. Sa vie venait
de prendre un tout autre sens: plutôt que de chasser l’argent comme substitut à
l’amour, il chasserait l’amour comme substitut à l’argent. De toute façon, on ne
peut acheter la frénésie éternellement sans finir par en mourir.
Le matin du 21 juillet, Mickaël avait enfilé son cardigan et sorti les dents. Il était
déterminé, mais guère pressé. La fin de l’été lui appartenait. Pensant à la promesse
qu’il s’était fait de quitter le Saguenay à l’automne et de ne jamais y revenir,
Mickaël était tracassé. Si le déluge était terminé, peut-être pourrait-il enfin nager en
paix dans son océan natal? De toute façon, peu importe ce qui se passerait avec
Ariane, Mickaël était désormais sûr d’une chose: il ne mettrait pas les pieds au HEC
à l’automne. Le requin en smoking qui l’habitait depuis son enfance était mort
dans l’offensive surprise menée par celui en cardigan.

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