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Horizons – Entretiens – Le haïku, ou l’art d’écrire en voyage
Thierry Cazals retrace sa passion pour le haïku.
Propos recueillis par Gaële de La Brosse
Texte extrait du livre : Chemins de traverse n° 6.
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À la suite d’un doctorat de sociologie, Thierry Cazals a découvert le haïku.
La pratique de cet art l’a alors entraîné vers d’autres horizons, et il a choisi
de se consacrer à deux passions : le voyage et l’écriture. Auteur de
plusieurs ouvrages, il anime également des ateliers sur le haïku dans les
écoles. Place à la poésie et à la douce brise orientale.
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Une rencontre n’arrive jamais par hasard… Qu’est-ce qui vous a poussé
vers l’art du haïku ?
Il y a quelques années, je ne pouvais pas arpenter la nature sans me mettre
aussitôt à noircir des pages entières. Je passais parfois tout un après-midi
penché sur mon carnet, à tenter de décrire un paysage… sans d’ailleurs prendre
vraiment le temps de le voir. À l’arrivée, j’avais l’impression d’être passé à côté
de l’essentiel.
Ce « divorce » aurait pu se prolonger indéfiniment. Et c’est alors que j’ai
découvert le haïku. Originaire du Japon, où il se pratique depuis plusieurs
siècles, le haïku est un petit poème de trois vers seulement. Pas de
commentaires, d’explications et autres bavardages. Tout doit être suggéré en un
minimum de mots.
De par sa brièveté même, cette forme poétique m’est apparue parfaitement
adaptée aux contraintes du voyage. Rapidité, légèreté, spontanéité. Le haïku
n’alourdit pas le sac à dos et peut se pratiquer n’importe où, au bord d’un
précipice comme dans la plus dense des forêts. C’est ainsi que commença mon
voyage au pays du haïku. Délaissant les routes balisées, j’allais où la vie me
disait d’aller, longeant la côte atlantique, escaladant les montagnes du Pays
basque, visitant une poignée d’îles normandes balayées par le vent du large…
Désormais, je pouvais m’abandonner tout entier aux paysages traversés.
L’écriture n’était plus un obstacle à l’expérience vécue.
Quelles dispositions requiert l’écriture des haïkus ?
École de simplicité, de « pauvreté volontaire », le haïku nous conduit à la
découverte du monde, l’esprit le plus ouvert possible. Chaque chose, chaque
rencontre, même la plus futile, devient alors source d’étonnement. La carcasse
d’un crabe rouge vif sur une plage déserte, le silence sans fond d’une falaise
noyée dans le brouillard, une fourmi escaladant un brin d’herbe…
Mais le haïku n’épingle pas des moments morts pour les collectionner dans un
album. Il nous propulse sans cesse au plus vif de la vie. Ces instants d’éternité,
impossible de les provoquer. Il faut les attendre, les guetter. Délester notre esprit
du superflu. Avant de se laisser vivifier, féconder par le réel.
Il n’y a rien donc rien à faire pour écrire des haïkus. Si ce n’est d’être attentif ; de
se laisser chahuter par l’imprévu ; d’être présent là où « ça » se passe.
Quelle est la nature de la rencontre entre le haïku et le voyage ?
L’art du haïku comme l’art du voyage visent le même but : balayer nos habitudes,
nettoyer notre regard, renouveler notre perception.
Écoutons le poète japonais Santoka : « C’est en voyageant à pied que j’arrive à
comprendre véritablement les gens, la poésie et la nature. Ce chemin est long,
inéluctable, étroit, escarpé. Cependant, c’est un chemin de pureté, plein de
choses étonnantes et merveilleuses. » Pour voyager de la sorte, il ne suffit pas
de quitter un lieu pour se rendre dans un autre lieu. L’essentiel se passe entre les
étapes, dans les intervalles, les interstices. Qu’importent la destination ou la
longueur du périple. Le voyage n’est pas dans les kilomètres parcourus, mais
dans la qualité du regard du voyageur.
En cheminant sans but, tout devient alors possible : gravir une montagne en
compagnie d’une libellule bleue, écouter le bruit limpide d’une pierre qui dévale
un ravin, sentir le vent marin tracer des calligraphies invisibles sur notre peau…
Dans cette plongée sans fin, le haïku agit comme une ponctuation rythmant notre
marche silencieuse. S’il nous arrive ici ou là d’écrire quelques lignes, ce n’est pas
pour déserter le monde, mais pour mieux nous y enraciner. Ne plus faire qu’un
avec l’espace qui nous entoure. « Arriver, comme le suggère l’ermite-voyageur
Michel Jourdan, au point où le paysage parcouru, traversé en tous sens, n’est
que nous-même. »
Le haïku est d’origine japonaise, et ce mot n’a pas d’équivalent dans les
autres langues. Mais cet art est pratiqué dans le monde entier.
Le message du haïku est universel. Il est donc inutile de partir très loin pour le
découvrir : le mystère du monde réside ici même, à portée de mains et d’oreilles.
« La sagesse est de voir le nouveau dans l’ordinaire… Il y a des trésors cachés
dans l’instant présent », confiait au début du XXe siècle le poète Santoka. On
Voyez aussi :
Au service du bien-être animal
Marie-Claude Bomsel
Espace du mythe, terre sacrée
Jean Malaurie
Évasions
Jacques Lacarrière
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m’a d’ailleurs souvent demandé si j’étais allé au Japon avant de me mettre à
écrire des haïkus. Ce à quoi je réponds : la patrie du haïku n’est pas le sol
japonais, mais notre esprit, vaste et insaisissable ; et celui-ci ne connaît ni limite,
ni frontière.
Vous animez des ateliers de haïkus dans les écoles. Comment les enfants
réagissent-ils à cet art ?
Les enfants sont d’abord surpris, intrigués par cette forme poétique si brève.
Pour beaucoup d’entre eux, la poésie demeure une façon de s’exprimer à grand
renfort d’adjectifs, de rimes et d’images fleuries. Il faut donc les
« déconditionner », les inviter à découvrir le mystère contenu dans les sensations
et les situations les plus simples.
Vient le moment où les enfants sont mûrs pour écrire leurs propres poèmes. Je
leur conseille pour cela de s’inspirer d’une expérience vécue : un souvenir de
voyage, un moment privilégié dans la nature, une scène insolite observée dans
la rue…
Certains bloquent, disent qu’ils n’ont rien d’intéressant à exprimer. Il faut alors les
ramener à des sensations premières : les orteils trempés dans une rivière en été,
la douce brûlure des flocons de neige sur le visage… Peu à peu, les images
finissent par remonter à la surface. Un enfant d’origine écossaise décrit son pays
en quelques mots elliptiques : « Beaucoup de pluie, de brebis et d’espace. » Une
fillette recueillant de l’eau fraîche au creux de ses mains, soudain, ne fait plus
qu’une avec cet élément… Finalement, au bout de quelques heures, tous les
élèves – et pas seulement les plus doués scolairement – ont fait leurs premiers
pas sur la voie du haïku, explorant les différentes facettes de cet art :
émerveillement, humour, spontanéité, mais aussi fragilité, sentiment d’être seul
et démuni.
On s’en doute, toutes les écoles ne sont pas aussi idylliques. Dans certaines
Zones d’éducation prioritaire, la réalité est plus dure : difficulté d’accepter le
silence, agitation quasi permanente, incapacité à s’écouter les uns les autres…
Autant de fléaux d’un monde moderne qui nous bombarde d’images éphémères
et chaotiques, sans nous laisser le temps d’en approfondir aucune.
Vous vous référez souvent aux poètes Bashô et Santoka. Ont-ils joué pour
vous le rôle de guides au cours de cet apprentissage ?
Lire les grands poètes japonais est un bon point de départ pour forger l’attention.
Ils nous apprennent à savourer les multiples nuances du silence. Ils témoignent
d’un monde où chaque plante, chaque insecte, chaque pierre est sacré, c’està-dire indissociable du reste de l’univers.
Mais ces lectures, aussi estimables soient-elles, ne peuvent pas remplacer
l’expérience brute, le contact direct avec le grand livre de la Nature. À ceux qui
venaient l’interroger sur le fonctionnement de ce monde, Bashô répondait : « Ce
qui concerne le pin, apprenez-le du pin, ce qui concerne le bambou, apprenez-le
du bambou. » Autrement dit : allez voir le monde là où il se trouve ! Allez
l’éprouver par vous-même ! Sans intermédiaire…
Cette philosophie de la vie, Bashô l’appliqua d’abord à lui-même. Car ce
« pionnier » du haïku fut aussi un grand voyageur. Bravant la précarité des
chemins, la pluie et le froid, les puces et les moustiques, il parcourut forêts, îles
et montagnes du Japon en tous sens, rapportant des journaux de voyage dont
les titres en disent long sur son projet à la fois humble et téméraire : « Dussent
blanchir mes os », « La sente étroite du Bout-du-Monde ». Ses pèlerinages le
conduisirent dans des hauts lieux consacrés, comme le temple shintoïste d’Ise,
mais aussi au cœur de la nature toute nue, sans artifice. « En matière d’art,
écrivait Bashô, il convient de suivre la nature créatrice et de faire des quatre
saisons ses compagnes. De ce que nous voyons, il n’est rien qui ne soit fleur, de
ce que nous ressentons, rien qui ne soit lune. Qui en son cœur ne ressent la
fleur s’apparente aux bêtes brutes. » En plein XVIIe siècle, Bashô met en garde
tous ceux qui croient pouvoir se passer de ce lien privilégié avec la nature. Trois
siècles plus tard, en 1948, Albert Camus lui fera écho et sera encore plus sévère
dans son diagnostic : « Nous tournons le dos à la nature, nous avons honte de la
beauté. […] Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence :
la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs. »
Le haïku, art de voyager, n’est-il pas aussi un art de vivre ?
Le mérite du haïku est de toujours nous conduire en terrain vierge. Aucun « déjà
vu », aucune idée préconçue. Le vrai regard ne tisse pas d’écran entre le monde
et nous. Au contraire, il nous rend les choses et les êtres plus proches, plus
familiers. Le plus minuscule brin d’herbe comme la plus lointaine galaxie… L’art
du haïku est donc une excellente école de vie. Une école sans certitudes ni
savoirs, où l’essentiel est d’être réceptif, perméable, ouvert à ce qui s’offre à
nous.
Écoutons à nouveau Santoka : « Tout ce qui n’est pas réellement présent dans le
cœur ne relève pas du haïku. » On comprend donc pourquoi, bien que vieux de
plusieurs siècles, l’art du haïku n’a pas pris une ride. Qu’il se pratique au Japon,
en plein désert ou dans quelque vallée du centre de la France, son exigence est
toujours la même : simplicité, profondeur, présence.
Le haïku est ainsi un art de vivre, qui nous permet d’aller et venir, sans attache ni
pesanteur. Il nous rappelle que la saveur du monde n’est jamais bien loin. Elle
nous attend là, au plus près. Alors, pourquoi s’en priver ?
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Thierry Cazals
Gaële de La Brosse
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