Mensonges et faux-semblants

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Mensonges et faux-semblants
© 2013. Lisa Heme
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sous le label « Libres d’écrire »
www.is-edition.com
ISBN : 978-2-36845-208-0
(versions numériques)
Dédié à mon Père, mon héros,
mon Père et son saxo,
et à tous ceux que j’ennuie avec ma vérité.
« Parfois un bon mensonge vaut mieux qu’une mauvaise
vérité… »
Anonyme et nuisible
« Dans la mare des mensonges, il ne nage que des poissons
morts »
Proverbe russe
« Il y a des gens qui mentent, simplement pour mentir »
Pascal -1670
A contrario, tout ici n’est que fiction,
toute ressemblance avec, etc, etc.
Avant-propos
C’est le moment précieux où le doute envisage de laisser la
place au calme.
C’est le moment où mes parts d’ombre et leur nuisance
lâchent prise pour accueillir le réconfort d’une paix fragile.
C’est le moment où les fantômes sont contraints d’affronter
la lumière du jour.
C’est aussi celui où les bons génies doivent être enfin
remerciés.
C’est maintenant.
Je vieillis. Je commence à avoir plus de passé que d’avenir.
Je reste vigilante.
Je ne veux pas me mentir.
J’essaye de rester dans un entre-deux correct, mais la partie
cachée en moi reste enfouie.
Je ne mens jamais, jamais. Je ne sais pas le faire, même si
souvent ce serait plus confortable pour moi-même ou pour
les autres, même si quelquefois c’est même un peu difficile
socialement et que cela peut passer pour de la provocation de
ma part.
Je ne me sens pourtant pas aussi exigeante dans d’autres
domaines, plutôt ouverte, mais la notion de vérité,
incontournable au mot près, à la virgule près, me tient
vraiment à coeur et j’enquiquine tout le monde, un peu
fatigante comme fille certains jours… un peu psycho rigide
même, je dirais.
Cette raideur, cette rigueur excessive et vigilante me bloque,
elle doit cacher quelque chose, il y a certainement un nœud
quelque part.
Je sais où se cachent ces nœuds, j’en sais même quelquesuns, une vraie pelote embrouillée.
Je n’ai pas les compétences d’une psychologue, mais j’ai du
bon sens et un certain courage, je dois faire la paix avec moimême et mes racines, pour avancer et finir correctement
cette vie qui ne l’a pas toujours été.
Sinon me dis-je, ma pauvre Jenny, tu vas vieillir pénible et
amère.
Je suis une « rangeuse » efficace, spécialiste de
l’ordonnancement des armoires, du tri sélectif, du
classement des tiroirs, maniaque de la logique et de
l’organisation, je structure ma vie comme un chef
d’entreprise. Peut être un remède contre un chaos éventuel?
Je vais sortir tous les fantômes de leur lit, les réveiller, les
confronter entre eux, les détricoter… Puis les classer
définitivement dans la rubrique « à jeter ».
Définitivement ? Pas sûr, on n’en a jamais fini avec ses
fantômes.
Je vais tout écrire, puis tout classer ou tout brûler. Après ça
sera plus propre, désinfecté. Je prendrai le temps qu’il faut.
Ce n’est pas urgent.
Je m’aperçois qu’il m’est quelquefois impossible d’écrire
certains passages à la première personne, un peu de distance
m’est nécessaire pour fouiller ainsi cette jeunesse
particulière, comme si Jenny était une autre. Plus en
distance, je me sens plus objective et plus courageuse.
C’est ce que j’ai fait. Le résultat n’est pas évident.
Comprenne qui pourra.
Départementale 13, le 15 Janvier 1996
9 heures du matin
La route de Roujan serpente,
plutôt chaotique maintenant que j’ai dépassé les pourtours de
Pézenas, c’est la campagne, dans la fraîcheur claire du
matin.
Je cherche le « Poisson FA »,
j’y ai rendez-vous avec Lui.
Je grimpe la côte avec ma voiture de location,
le chemin devient caillouteux, bosselé,
je me concentre pour ne pas penser.
Je ne connais pas cet endroit, comme moi, la voiture renâcle,
je ne sais pas bien me servir d’une voiture automatique.
J’ai ouvert la fenêtre pour respirer l’air du matin,
l’angoisse m’étreint, j’ai le souffle court.
La journée s’annonce ensoleillée,
j’ai rendez-vous avec Lui.
La pluie me gêne, je vois mal,
il fait beau, c’est moi qui pleure,
je vais pouvoir enfin lui parler,
lui dire les choses importantes qu’il attend,
je vais pouvoir enfin le remercier.
Je perçois une musique lointaine,
de plus en plus forte, présente,
j’ai le cœur serré, je me sens intimidée.
J’arrête la voiture sur le parking surchargé.
La musique m’envahit, presque indécente
je reconnais cette mélodie, c’est …
Je cherche son nom sans le trouver.
Oui, je sais c’est Chek Baker in Paris,
je m’accroche à cette musique.
Je me sens baignée de musique,
le bruit devient assourdissant,
j’avance timidement, enveloppée, portée, tremblante.
J’ai rendez-vous avec Lui.
Je me sens totalement anéantie, dévastée,
ils sont encore tous là,
je les connais tous, mais je n’en reconnais aucun.
Je n’ai rendez-vous qu’avec Lui.
Ils ont improvisé, et mis quelques tables bout à bout.
Je fais un signe à ceux qui, silencieux,
jouent aux cartes dans un coin,
là, en voilà d’autres qui dorment sur leurs sièges
malgré les décibels fous qui s’échappent des amplis.
Ils étaient une vingtaine réunis hier soir
pour fêter les cinquante ans de musique de l’un d’eux,
tous amis, tous pareils, tous avec leur instrument.
Faire un « bœuf » d’anniversaire, ils avaient dit.
Poppy a pris son saxo pour jouer Body and Soul,
sur scène, debout, il l’a joué en solo,
il l’a dédié à son ami,
sous les applaudissements, il a salué,
s’est incliné, s’est penché encore…
Ils ont pensé qu’il en faisait un peu trop…
Ils sont restés avec lui, ils ne l’ont pas quitté,
j’ai rendez-vous avec lui,
c’est mon premier vrai rendez-vous.
Je dois enfin lui dire son importance,
je dois lui dire combien je l’admire,
même sans son saxo, c’est lui,
je vois mal, j’ai les yeux brouillés,
malgré mes larmes, je dois lui dire combien je l’aime,
je dois lui dire qu’il m’a aidée ce jour là,
et que sans lui…
Il est beau, il a toujours été beau,
Il porte son costume de scène, le bleu foncé, son préféré,
et ses chaussures noires bien cirées.
J’ai rendez-vous avec Lui.
Ils ont pensé à poser son saxo à côté de lui,
ils ont allumé des bougies, plein de bougies
il ne bouge pas, il ne bougera plus.
Je dois lui dire merci,
merci Papa, c’est moi, Jenny.
I - Les années mensonge
Tout le monde le dit, « il y a autant de mensonges qu’il y a
de vérités. »
Enormes mensonges honteux ou petits arrangements
mesquins, anecdotiques voire inutiles, évitements lâches ou
omissions faciles, suscités par la culpabilité ou par la
soumission confortable, ils restent des mensonges…
Ils peuvent cacher, oblitérer l’évidence, oublier la
culpabilité, servir pour manipuler les autres et surtout
l’histoire avec un petit h, construire et inventer sa propre
vérité, telle qu’on la préfère, pour frimer, pour raconter autre
chose aux autres, mais surtout à soi…pour avoir l’air
convenable et correct.
Sournoisement, comme un virus, le mensonge s’installe, se
fortifie, se modifie, grossit. On entre dans le non-dit, le flou,
la contradiction, et on en étouffe.
Si on ne l’affronte pas en face à face, il vous tue à petit feu,
il vous empoisonne en toute impunité.
Je m’appelle Jenny.
Je tente de retrouver la petite Jenny, la vraie Jenny, qui
est en moi.
Je souhaite bien finir ce qui a mal commencé.
Elle avait deux ans à peine, pas plus, quand elle subit
comprend-elle son premier mensonge, mensonge fondateur ?
Certainement pas déjà, mais un premier inconfort, un
premier malaise.
Elle ne parlait pas encore, mais comprenait bien certains
mots, elle sentait que ça allait mal. Depuis quelque temps, à
la maison, l’ambiance était très tendue, son père et sa mère
se déchiraient. Ce jour-là, la tension était extrême, sa mère
pleurait, criait, hurlait même. Jenny ne savait pas pourquoi,
mais elle pleurait aussi, par empathie ou mimétisme, par
impuissance, prise de panique devant la catastrophe qu’elle
pressentait.
« Tu vois, TU fais pleurer Jenny. »
« Tu vois ce que TU lui fais… » criait sa mère.
… mais non, se rebella silencieusement Jenny, je ne pleure
pas à cause de Papa, mais à cause d’Elle, pourquoi
s’agrippe-t-elle, pourquoi ne pas le laisser partir comme
chaque fois qu’il part, pourquoi ces cris ?
Elle sentait intuitivement que le comportement maternel
pouvait donner à son père une raison supplémentaire de
partir.
Voilà ce que Jenny aurait voulu dire, mais les mots étaient
comme empêchés… les mots n’étaient pas encore nés.
… et surtout, pourquoi l’impliquer Elle, se servir de ses
pleurs à Elle. Elle qui ne sait pas encore dire les choses ?
Je me souviens très précisément de cet empêchement à
m’exprimer. Pourtant à 2 ans ?
Ce n’était pas vraiment un mensonge, mais elle l’a reçu
comme tel, en fait c’est son premier souvenir, un souvenir
précis, violent et c’est clair encore aujourd’hui, on se servait
d’elle, on profitait de sa présence, on utilisait ses pleurs.
Et ce jour-là, j’en voulu à ma mère, de tout ça, de cette
implication inutile et forcée… et je lui en veux encore.
Tous ces cris en vain. Il avait déjà sa valise et son instrument
à la main, fermement, silencieusement, il partit quand même,
dévala l’escalier, les laissant seules, hébétées, inutiles,
humiliées, guetter par la fenêtre, tout en haut de leur
immeuble montmartrois, sa petite silhouette qui fuyait,
presque en courant, certainement lâche et honteuse, le
mariage raté et la paternité obligée.
Après ces mots « TU fais pleurer Jenny… » ces premiers
mots entendus, compris et définitivement en mémoire, le
silence s’installa, pour plusieurs lourdes et douloureuses
années, entre cette mère déçue, désemparée, humiliée,
amère, trop jeune certainement, vingt ans c’est pas
beaucoup, et cette petite fille qui s’était sentie l’enjeu, ou
tout au moins le principal témoin, d’un conflit qui la
dépassait.
On était le 18 Juillet 1947, Poppy partait pour une longue
tournée au Liban et en Turquie, coïncidence de l’Histoire
avec un grand H, c’était aussi le jour où un bateau
transportant 4500 rescapés de l’Holocauste fut refoulé par
les anglais en Palestine, il s’appelait Exodus.
Ce jour-là, à l’échelle de mes deux ans, le départ de
mon père fut mon Exodus à moi.
Poppy, c’était son nom de scène, était saxophoniste. Vingtquatre ans, plutôt bel homme, grand, musclé, légèrement
métissé, version exotique et Martinique, voix enveloppante,
œil de velours et moustache ravageuse.
Avec son beau saxo, sa silhouette de grand félin et ses yeux
de velours, il tombait les filles, ou plutôt les filles lui
tombaient avec délice dans les bras.
Dès la fin du spectacle. Il partait avec la plus mignonne.
Il était jeune, il était beau, Nice sentait bon le sable chaud, la
musique, la danse et l’amour, rien de mieux pour faire
reculer la réalité de la guerre, l’occupation de la moitié de la
France, le malaise du gouvernement de Vichy, les soucis
quotidiens, les pénuries, les ennuis d’argent. Il fallait profiter
de la vie avant qu’elle ne nous casse ou ne nous use.
Rien d’étonnant alors qu’une jolie midinette de dix-sept ans,
en mal de tendresse et en rupture d’études, lui succombe par
une journée d’hiver 44, sous le doux soleil niçois.
La musique, le Jazz, un beau musicien, un cocktail réussi en
ces temps de guerre pour se sentir amoureux et seuls au
monde.
Pour preuve, en plus de l’amour, les alliés débarquèrent en
Provence en Août 1944, la délivrance et la liberté étaient au
rendez-vous.
Rien d’étonnant non plus que cette idylle spontanée et naïve
donne lieu à un bébé niçois neuf mois plus tard, et rien
d’étonnant encore que ce couple improvisé ne résiste pas
longtemps à la réalité usante de la vie.
Pour des raisons pseudo pratiques, c’est à Paris, maintenant
libéré, qu’ils décidèrent d’habiter, peut-être pour demeurer
plus près des opportunités de travail pour Poppy, peut être
pour prendre de la distance avec la famille méridionale, peut
être parce que Paris serait toujours Paris. L’histoire ne le dit
pas.
Dans le Paris d’après-guerre, il y avait des appartements à
prix accessibles. Pour sa nouvelle famille, Poppy avait
acheté avec ses quelques sous un deux pièces, cuisine, salle
de bain, un luxe, près des étoiles, sous les toits de
Montmartre.
L’idée d’un nid d’amour, mais…
Entre une nuit de jazz au Caveau de la Huchette assortie de
rencontres exaltantes et la quotidienneté nécessairement
étriquée et pesante, la grossesse fatiguante, puis les couches,
les horaires des biberons, les difficultés financières, les
responsabilités… il n‘y avait pas de concurrence possible.
Restait donc une situation fort banale dans ce Paris d’après
guerre, une jeune mère seule et un bébé, pas de projets, pas
de revenus, pas d’amis, un vide latent.
Petite et vaine vengeance, ou pour l’humilier à distance, on
ne parla plus de ce père. Il était parti, loin, c’était son choix,
il l’avait “abandonnée”, on le gomma, on lui fit savoir qu’il
n’était pas le bienvenu, qu’on se passerait de lui, il n’existait
plus, totalement effacé, on ne prononça plus jamais son nom.
Ça JAMAIS.
D’ailleurs, hormis le jour de son départ, avait-il vraiment
existé ? Jenny n’en a aucun autre souvenir.
Par commodité, on fit comprendre à Jenny, un peu plus tard,
qu’il était décédé, sans précision de causes ni explications
supplémentaires. Un père mort, c’est encore plus facile à
gérer qu’un père absent, pas de questions, de toutes façons
Jenny n’avait pas la capacité d’en poser, pas de visites, pas
d’ingérence malvenue, on va rester entre femmes…
FIN DE L'EXTRAIT
Table des matières complète
Avant-propos
I - Les années mensonge
II – Les années brouillard
III - Home d’enfants pour enfants sans maison
IV - Famille d’écueils
V – La liberté des mots enfouis
VI- Séisme & désolation
VII- La Conciergerie, la parole rendue
VIII – Le silence après la tempête
IX – La délivrance, l’année Musique
X – Jenny va mieux
À propos de l’auteur

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