Courir

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Courir
Jean ECHENOZ
Courir
Eléments biographiques
Jean Echenoz est né à Orange en 1947. Fils d'un psychiatre, il passe sa petite
enfance dans un milieu familial culturellement favorisé. Il poursuit des études
de sociologie et de génie civil et s’installe à Paris en 1970. Il collabore
brièvement au journal L’Humanité et à l’AFP. En 1975, il suit à Paris les cours de
L’Ecole Pratiques des Hautes Etudes à la Sorbonne. Il publie son premier livre Le
Méridien de Greenwich. Il obtient le prix Médicis en 1983 pour Cherokee et le
prix Goncourt en 1999 pour Je m'en vais. Lac, son quatrième roman, publié en
1989. En janvier 2006, il fait paraître Ravel et en octobre 2008, Courir. Dans le
cadre d'une nouvelle traduction de la Bible pour les éditions Bayard, qui ont
confié à différents auteurs la rédaction de chaque livre de celle-ci, il effectue en
2001 – en collaboration avec un spécialiste de l'hébreu – une traduction très
lisible, en termes pratiquement contemporains, des Livres des Macchabées.
Il reçoit le grand prix littéraire Paul Morand en 2006 pour l'ensemble de son
oeuvre littéraire.
Eléments bibliographiques
Les livres de Jean Echenoz ont été publiés aux Editions de Minuit.
Le Méridien de Greenwich, 1979 Prix Fénéon
Cherokee, 1983
Lac, 1989
Je m'en vais,1999
Jérôme Lindon, 2001
Au piano, 2003
Ravel, 2006
Courir, 2008
Des éclairs, 2010
Article de presse sur Courir
Article paru de Aimé Ancian paru le 06/11/2008 dans La
Tribune
Jean Echenoz s'en va courir avec Zatopek
Avec Courir, Jean Echenoz retrace le parcours de Zatopek en
renouvelant le genre de la biographie romancée.
Tous les romans de Jean Echenoz pourraient s’appeler Je m’en vais. Ils
commencent souvent par un départ et on y prend toujours la porte, la route,
ou la fuite. C’est la condition de la mise en marche de l’histoire. Dans son
nouveau livre, Courir, l’écrivain s’attache aux pas d’un homme qui s’en va vite,
très vite, un professionnel du départ mais aussi de l’arrivée : Emil Zatopek
(1922-2000), l’un des plus grands coureurs de fond de tous les temps, quatre
fois médaillé d’or aux Jeux Olympiques, dix-huit fois champion du monde.
Il ne s’agit pas d’une biographie romancée traditionnelle. Jean Echenoz retrace
à un train d’enfer le parcours de celui qu’on surnommait "la locomotive
tchèque". Il ne mentionne aucune date, mais précise bien tous les lieux : le
calendrier importe peu, seuls comptent la carte et les pistes. Il accorde aux
événements politiques qui ébranlent le XXe siècle la même place que les
incidents qui émaillent la carrière sportive de Zatopek.
Il délaisse la famille et l’entourage du coureur au profit de ses adversaires, des
spectateurs et de la presse. Il dédaigne la psychologie, mais détaille les
méthodes d’entraînement et les tactiques employées pour gagner les 5.000 ou
les 10.000 mètres. Rien ne vient ainsi ralentir le récit, qui règle sa course sur
celle de Zatopek.
Article de presse
Article de Olivier Mony paru dans Le Figaro le 19/12/08
Toujours en course
Portrait d'un romancier discret, auteur d'un magnifique hommage à la légende
de l'athlétisme, Emil Zatopek.
Paris XIXe, rue des Solitaires. Il n'y a pas plus solitaire qu'un romancier ou un
coureur à pied. Comme c'est joli, dès lors, qu'il faille emprunter cette voie pour
rejoindre Jean Echenoz. Un bel appartement sous les toits, beaucoup de ciel,
un salon un peu vide, un paquet de cigarettes sur une table basse, des livres et
quelques disques. Echenoz a la discrétion intrigante. Mince, élégant, il reçoit
avec la courtoisie nécessaire pour éloigner de la conversation le spectre de
l'embarras.
L'homme a du style et de l'éducation. Il pourrait être l'un de ces héros flous en
quête d'identité, agents secrets ou aventuriers, qui traversent son œuvre.
Quoique ces temps-ci, la fiction et lui se livrent à un étrange pas de deux.
Pendant des années, de Cherokee à Je m'en vais (prix Goncourt 1999), il a
revivifié un romanesque exsangue, via un détour par le récit de genre et un jeu
infiniment subtil, virtuose et fécond, sur ses codes, ses impasses et ses beautés.
Désormais, il quitte ces rivages et accoste ceux encore vierges de récits tout en
trompe-l'œil, du côté des vies, de l'Histoire, là où le réel n'est qu'une promesse
supplémentaire de fiction. Un peu à la façon du Modiano d'Un pedigree auquel
le rattache un même hyperréalisme, troublant jusqu'à l'hypnose. Ravel, son
précédent livre, sublime portrait empathique du compositeur saisi durant sa
chute, inaugurait cette veine ; Courir la prolonge, dénichant à cette écriture des
harmoniques nouvelles.
Courir, c'est le seul horizon qui fut jamais offert à Emil Zatopek. De Melbourne
à Ostrava, d'Helsinki à Londres, de la Fête de l'Huma à Saint-Sébastien, Emil
courait. Il le fit comme on fuit, en rond et en tous sens, dans l'illusion de la
liberté et la certitude d'être bientôt rattrapé. Mais il le fit tant et si bien qu'il
devint le plus grand coureur de tous les temps. Il n'était pas très beau, il
grimaçait tout le temps, mais battait des records. On l'appelait la «Locomotive
tchèque», c'était un chic type qui ne fut jamais dépassé que par les
événements.
Echenoz ne le réinvente pas, il le réinvestit, lui restitue son humanité brute. Il
écrit comme Emil courait : divinement, tout en ruptures de rythme, par
périodes successives et envolées finales, sans emphase (autant ne pas
énumérer la liste de tous ceux qui, ces dernières années, se sont essoufflés en
vain à chercher à le suivre). En ce sens, Courir est son art poétique. Il dit avoir
su très vite vouloir « s'attaquer » à une légende sportive. Avoir d'abord pensé
un peu à l'auto et au vélo, à Stirling Moss ou Louison Bobet, mais avoir trouvé
son sujet à la seule sonorité du nom - Zatopek -, ce nom d'enfance plein de
goûters du jeudi, ce nom qui résonne dans la mémoire comme un galop, une
course. Echenoz dans sa jeunesse a couru et nagé (il continue), il sait le leurre
de liberté que cela procure. Le reste, comme d'habitude avec lui, sera affaire de
tempo, de musique. Et de voyages, comme pour faire écho au « il voyagea. Il
connut la mélancolie des paquebots... » d'un Flaubert vénéré entre tous (avec
Dickens et Stevenson).
A un domaine vinicole, le château Chasse-Spleen, qui lui demandait une phrase
pour orner l'étiquette de son millésime 2006, Jean Echenoz offrit « Adieu
sombre caserne, adieu brutal climat ». Courir c'est aussi cela : un adieu aux
larmes. Mais on ne se débarrasse pas si facilement, comme d'un vieux
pardessus usé, de la tristesse. On l'oublie seulement. En courant peut-être. En
écrivant, parfois. En lisant Jean Echenoz, assurément.
Entretien avec l’auteur
Article de François Dufay publié dans L’Express le
02/10/2008
Zatopek, un saint laïque
On ne vous savait pas cette passion pour l'athlétisme...
Jean Echenoz : Après mon livre sur Ravel, j'avais envie de continuer à travailler
sur une «vie», mais en m'aventurant dans un domaine que je connaissais mal.
J'ai un peu couru dans ma jeunesse, le nom d'Emil Zatopek était pour moi
légendaire, mais je ne savais rien de lui. A la Bibliothèque nationale, j'ai
dépouillé 3 000 exemplaires du quotidien L'Equipe de 1946 à 1957, des
premiers entrefilets consacrés à ce coureur tchécoslovaque étonnant aux Unes
où il devient une figure mythique. Je recopiais sur un cahier et, rentré chez moi,
je tapais tout ça. Certains de ces articles avaient des qualités littéraires
formidables. Parfois il fallait négocier avec ça, parfois j'ai réutilisé des images.
Qu'est-ce qui vous a tant fasciné chez lui?
Pendant ce travail de documentation, ma sympathie à son égard est allée
croissant. Tous les articles décrivent Zatopek, hors des pistes, comme un
personnage ouvert, généreux. Au départ, il a une antipathie profonde pour
toute forme de sport. Et puis il y a cet enchaînement qui fait de lui l'homme le
plus rapide du monde pendant quelques années, cet amour de la souffrance
qui le pousse en permanence. Obligé d'exploiter ses dons, il a fait d'une
contrainte extérieure une contrainte intérieure. C'est une espèce de saint
laïque, comme Ravel. Ce sont des vies entièrement vouées à une pratique qui,
en même temps, leur vole leur vie.
Pas simple de raconter des courses à pied...
La difficulté était de ménager une sorte de suspense. J'ai essayé de maintenir
une tension, qui correspond à celle de la course. Cela m'a intéressé aussi de
superposer ce personnage sur un fond historique. J'ai fait l'hypothèse, par
exemple, que la «très chère amie» présente au côté de son épouse, évoquée
par un journaliste de L'Equipe venu faire un reportage à son domicile, était en
fait un policier chargé de sa surveillance.
A l'arrivée, ce livre est-il une biographie ou une fiction?
Sur la couverture, il est écrit «roman». C'est aussi une décision de l'éditeur,
mais ça ne me gêne pas. Je pense continuer dans cette veine, qui consiste à
traiter des figures réelles comme des personnages de roman. Pour mon
prochain livre, j'hésite encore entre deux personnages...