Fiche du film
Transcription
Fiche du film
Fiche n° 1227 Charlie’s country 31 déc - 6 janv 2015 Charlie’s country de Rolf De Heer avec David Gulpilip, Peter Djigirr, Luke Ford 1h48 - Australie - sortie 7.12.2014 Prix du meilleur acteur - Un Certain Regard Cannes 2014 Charlie est un ancien guerrier aborigène. Alors que le gouvernement amplifie son emprise sur le mode de vie traditionnel de sa communauté, Charlie se joue et déjoue des policiers sur son chemin. Perdu entre deux cultures, il décide de retourner vivre dans le bush à la manière des anciens. Mais Charlie prendra un autre chemin, celui de sa propre rédemption. Charlie’s country marque un certain tournant dans l’œuvre insolite de Rolf de Heer, cinéaste australien à qui on doit des films aussi inclassables que Bad Boy Bubby (1993) ou La chambre tranquille (1996). Déjà, 10 canoës, 150 lances et 3 épouses, fable écolo distanciée, traduisait une volonté de s’ouvrir à un plus large public. C’est également le cas de ce nouvel opus qui aurait pu très bien être signé par un artisan talentueux du cinéma indépendant américain, ou un auteur inspiré de l’industrie hollywoodienne. Non que Charlie’s country soit dépourvu de style et de réelle créativité. On retrouve la griffe de Heer dans ces splendides scènes naturelles, qui voient le protagoniste essayer de communier tant que mal avec sa terre d’origine. Et quand il se retrouve à la case prison, cheveux et barbes coupés, visage impassible, se livrant aux éternels rituels de l’univers carcéral, on se dit que Rolf de Heer ne perd pas la main et a le sens des récits elliptiques et de la suggestion. L’œuvre apparaît pourtant plus sage, lisse, et pour tout dire consensuelle, comparativement au début de filmographie du cinéaste. Mais Charlie’s country n’en demeure pas moins un film estimable, au scénario bien construit. Le récit montre avec finesse les déboires d’une acculturation douloureuse et, audelà d’un cas individuel, l’intégration difficile d’une communauté encore victime de la domination des Blancs. L’une des séquences emblématiques montre ainsi Charlie procurer de l’alcool à ses pairs, privés quant à eux de l’autorisation d’en acheter. Sans être lourdement accusateur ni manichéen, Rolf de Heer donne à son film une touche humaniste qui ne verse jamais dans le sentimentalisme. Le charme réel de Charlie’s country doit également beaucoup à l’acteur aborigène David Gulpilil, qui a participé à l’élaboration du scénario. Très populaire en Australie, il y a tourné des films majeurs dont La randonnée (N. Roeg, 1971) et La dernière vague (P. Weir, 1977), tout en participant à des productions américaines. La sobriété de son jeu et sa puissance d’expression corporelle dégagent une émotion réelle.. àvoiràlire Explorateur et témoin, à la recherche des racines australiennes, Rolf de Heer livre avec Charlie’s Country, une aventure fascinante en miroir de la trajectoire de son acteur, co-scénariste et surtout ami David Gulpilil, aborigène perverti par les paradis artificiels que l’homme blanc a emmené sur la terre de ses ancêtres. Sans trop en faire, avec naturel et sensibilité, il signe une odyssée drôle et touchante, à la fois tragique et pleine d’espoir. Rolf de Heer a fait du chemin depuis sa bombe Bad Boy Bubby, en auscultant film après film ce qui fait la caractéristique de sa terre d’adoption, l’Australie, lui dont les origines européennes lui permettent de garder ce regard à la fois extérieur et concerné. Charlie’s Country démarre comme une simple chronique du quotidien avant de prendre de l’ampleur. Le film est tout entier dévoué à son sujet, Charlie, incarné par l’inestimable David Gulpilil, figure de l’aborigène vu dans Crocodile Dundee, Le Chemin de la liberté ou The proposition. Un film dont il est également co-scénariste, y ayant injecté une grande partie de sa propre existence. Avec une retenue modeste, en permettant à son incroyable acteur de s’exprimer complètement sans la moindre censure, en lui offrant sur un plateau chaque plan qu’il habite de sa présence naturelle, Rolf de Heer vient capter la tragédie de tout un peuple. C’est toute l’histoire des aborigènes australiens qui se déroule via l’odyssée de Charlie, un destin hors du commun au moins aussi terrible que celui des indiens d’Amérique. Avec sa longue focale, ses quelques notes de piano et ses mouvements panoramiques pour capter la place de cet homme dans ce pays qui est le sien et qui lui échappe chaque jour un peu plus, le réalisateur tape exactement là où il faut et n’en fait jamais trop, n’accentue aucune émotion, laisse ses acteurs s’exprimer pour raconter son histoire, mais surtout la leur. Il vient capter ces petits gestes du quotidien, cet état d’esprit qui garde la notion de troc en éliminant presque complètement celle de propriété. Il faut voir ces premières scène où Charlie va retirer de l’argent, en distribue à quiconque lui en demande un peu, puis pioche des cigarettes dans le paquet d’un ami qu’il croise, avant de les jeter dans les flammes devant son humpy, abri de fortune qui lui sert de lieu de résidence. Par ces simples gestes, il en dit long sur la situation de ce peuple relégué en marge de la société australienne, dans des réserves qui ne sont autre que des camps à ciel ouvert. Charlie’s Country est un film militant, engagé, mais qui plutôt que d’asséner un message énervé et désespéré, va jouer sur une démonstration de l’absurdité de la situation. Il y met notamment en exergue le racisme haineux qui rythme le pays, en montrant l’amitié impossible entre Charlie et un policier blanc, les gentilles provocations (« White bastard, Black bastard ») finissant par se transformer en un affrontement physique terrible. Un racisme qui se traduit par une incompréhension totale des traditions ancestrales des aborigènes que l’homme blanc aura perverti par divers poisons de l’esprit (alcool, drogues…). Le plus bel exemple est cette scène pendant laquelle Charlie, dont le fusil et le buffle qu’il vient de chasser ont été confisqués par la police, se fait également confisquer la lance qu’il vient de fabriquer pour chasser, et se nourrir d’autre chose que « la nourriture des blancs ». Ce film engagé autopsie donc le quotidien de la communauté aborigène, pour mieux élaborer un discours des plus percutants : ces natifs australiens, ayant vu leur terre envahie, sont aujourd’hui des étrangers dans leur propre pays. Pourtant, Charlie’s Country n’est pas simpliste et va plus loin qu’un traité « anti-blanc » car il n’oublie pas ce qu’a apporté le peuple britannique, notamment au niveau de la santé, même si ces hôpitaux soignent essentiellement des maux liés à tous ces démons. Il est beaucoup question d’alcool et de gandja dans cette triste aventure, qui dans sa partie urbaine se fait tragique, et dans sa partie « survie », avec un magnifique retour aux valeurs ancestrales, se fait poétique et viscéral. Rolf de Heer s’appuie autant sur la maîtrise d’une mise en scène aussi simple qu’élégante, que sur la prestation monumentale de David Gulpilil. Son regard chargé de souvenirs, son visage si expressif et marqué par ces démons, son rire incroyable, font de Charlie’s Country un très beau film, aussi drôle que bouleversant, et dont le dernier plan semble contenir tout l’avenir d’un peuple, à la fois ici et déjà ailleurs, dont les traditions resfilmosphère tent les témoins d’une existence.