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www.nzima-kotoko.com HISTOIRES D'OUTRE-MER Mélanges en l'honneur de Jean-Louis MIEGE Tome II Offerts par L'Institut d'Histoire des Pays d'Outre-Mer , 1992 Publications de l'Université de Provence 29, avenue Robert Schuman 13621 Aix-en-Provence Cedex I GRAND-BASSAM: ORIGINES ET ACTIVITES COMMERCIALES (XVe -XVIIIe SIECLES) Niamkey Georges KODJO De nombreuses études ont été consacrées à la ville de Grand-Bassam, mais elles concernent la période postérieure à l'installation des Français dans le pays, c'est-à-dire a 1842, date du premier traité qui autorisait le roi des Français à exercer sa souveraineté sur la région. Le passé ancien de la cité et le rôle des Nzima dans le développement de la métropole marchande n'ont jamais fait l'objet d'une étude sérieuse. Nous nous proposons à la lumière des sources cartographiques, des relations de voyages et des sources orales d'étudier ses origines, son essor sous l'action conjuguée des négociants africains et de la concurrence sans merci à laquelle se livraient lès-Européens le long des côtes françaises à partir du milieu du XVe siècle (i). Le domaine de notre étude couvre la région côtière comprise entre Axim ou Bolofo (ville nzima dans l'actuel Ghana) et Grand-Lahou (2), mais nous porterons une attention particulière à la toponymie de la région d'Issini (Âssinie) et de la vallée du Comoé qui semble avoir joué un rôle décisif dans la migration des Akan dans l'actuelle Côte d'Ivoire: ce dernier, nom était connu parfois mais il désignait uniquement Je littoral appelé Côte des Dents ou de l'Ivoire. I. Les origines de Bassam Dans l'état actuel de nos connaissances, l'archéologie n'apporte aucune lueur sur le passé de la ville de Bassam. Pendant longtemps les études devront tenir compte des données cartographiques et des sources orales, souvent contradictoires à cause des revendications des Abouré et des Nzima sur la fondation de la ville. Nous espérons que la cartographie apportera des éléments de réponse à ce débat stérile. A. L'apport de la cartographie Une étude des villes de la côte atlantique est largement tributaire des sources portugaises; les Portugais étaient en effet les premiers Européens à avoir établi des contacts étroits avec les Noirs vers la fin du Moyen Age. Les informations recueillies auprès des populations côtières furent très tôt consignées et diffusées grâce aux cartographes italiens. Nous savons que la première carte daterait de 1471 (3), c'est- www.nzima-kotoko.com à-dire peu après le retour des navigateurs portugais Joao de Santarem et Pedro de Escobar qui atteignirent, dit-on, la Côte d'Or ou Gold Coast, visitant ainsi le littoral compris entre le Cap Lahou et le Cap des Trois Pointes. Le succès de ces premières explorations poussa le roi du Portugal Jean II (14811495) à confier une nouvelle mission à Diogo Cao pour une meilleure connaissance des côtes ouestafricaines. Les résultats de ces expéditions scientifiques furent exploités par le cartographe et navigateur portugais Pedro Reinel et reproduits sur une carte (c. 1486) (4). Ce document constitue la base de tout travail sur la Côte des Dents. Nous notons déjà sur le site de Bassam, l'existence d'un village du nom d'Acaminda ou Acominda; ceci prouve que la côté bassamoisë était habitée et qu'elle commerçait avec les Portugais qui fréquentaient la région depuis 1470 (5). Au XVIe siècle, la toponymie de la côte subit des changements: AcomimUi disparaît au profit d'un nouveau nom, Villalonga Daroma, sur les cartes de Martin Waldesecmuler (1470-1518), ou Concholada sur celles du célèbre cartographe flamand Petrus Plancius (1552-1622) (oj. Ceci n'a rien de surprenant car les noms ne seront pas fixés avant le XIXe siècle. Nous savons que Sabi, Xavier, Gléhoué, Grégois et Savi désignaient au XVUle siècle, Je, même lieu, la capitale du royaume d'Ajuda ou Ouidah. Acominda n'a certainement pas échappé à la règle. La connaissance des côtes africaines se précisa davantage au cours de la première décennie du XVIe siècle, grâce à la Description... De Valentim Fernandes (1506-1507) et à l'Esmeraldo de Situ Orbis de Duarte Pacheco Perein (1506-1508) (7). L'Europe allait s'intéresser de plus en plus aux habitants de 1a côte, à leurs coutumes, à leur passé et aux produits du commerce. L'oeuvre capitale dans ce domaine fut celle de Barros, le Descobrimento, dont une partie parut sous le titre Asia en 1552 (8). Les informations fournies par Barros furent exploitées par les cartographes entre la seconde moitié du XVIe siècle et le début du siècle suivant. Parmi ces travaux citons ceux de Val d'Abbeviile et de Guillaume de l'Isle, deux cartographes français au service de la marine royale. Ils éditèrent en 1635 un recueil de cartes qui porta le nom d'Atlas. Le fait nouveau, c'est la mention du toponyme Gammo ou Gamma à remplacement de Concholada (9). En 1653 du Val d'Abbeville publia une nouvelle carte qui témoigne d'une solide connaissance de la côte ivoirienne, les noms tels que Gammo, .Jack-Jack, Jack-Lahou et Cap-Lahou apparaissent clairement. Ils indiquent sans aucun doute les lieux ou depuis le milieu du XVIe siècle les nations européennes se livraient à une concurrence âpre. L'Atlas de 1653 intéresse les populations côtières et celles de Thinterland proche: citons le cas des Abouré que l'auteur appelle Aborras: il les localise au nord-ouest d'El Mina. Ces nouvelles indications tendraient à prouver que du Val d'Abbeville a exploité des données qu'il n'avait pas au moment de la publication de l'Atlas de 1635. Les villes côtières étaient non seulement des centres d'affaires mais aussi des lieux où l'on s'informait et où Ton diffusait les nouvelles recueillies par les courtiers africains. La quête des renseignements conduisait parfois les Européens à se mêler aux populations locales. Nous savons que l'agent commercial Valentim Fernandez utilisait les services d'un Portugais du nom de Alvaro Velho qui séjourna pendant huit ans en Sierra Leone www.nzima-kotoko.com et qui visita l'hinterland du Golfe de Guinée au début du XVIe siècle. Les Portugais parcouraient encore les villages africains à la fin du XVÎe siècle. En 1594, sous la plume d'Alvares de Almada, on lit: "Les mauvais Portugais, mêlés à la vie indigène, parcourent librement et sûrement tout le sertao guinéen, faisant fortune en procurant aux élrangers les précieuses cargaisons... (10). Ces Portugais ont laissé partout des traces de leur passage et nous partageons l'avis de Henri Mouey lorsqu'il écrit: " (les Portugais) eurent certainement des points d'appui sur la côte ouest dans le rio de San-Andréa (Sassandra) et San-Pedro. Ils ne furent pas non plus sans avoir des relations avec les populations avoisinanles d'Axim et principalement Assinie. Plusieurs mots de la langue sont d'origine portugaise, pawn (pain) de pao; tabwa (planche) de taburo; copre (monnaie de bronze) de cobr; pikini (0,25) de picana, sauve (serrure), etc... Ils n'établir cependant pas de comptoir sur le littoral qui correspond aujourd'hui à la Côte d'Ivoire". Nous sommes persuadé que les Portugais étaient encore très actifs le long des côtes ivoiriennes au début du XVIIe siècle. En tout cas, ils ont joué un rôle moteur dans la collecte des informations relatives aux sociétés africaines. Ils furent relayés aux siècles suivants par les Français, les Danois, les Anglais et les Hollandais qui allaient fournir de nouvelles données sur la toponymie ouest-africaine. La circulation des nouvelles, à partir des marchés africains, permit aux cartographes européens de mieux faire connaître l'Afrique noire côtière. Parmi ces derniers, citons d'Anville (Jean-Baptiste Bourguignon: 1697-1782), connu non seulement pour ses remarquables travaux sur les cartes anciennes, mais aussi et surtout pour ceux relatifs à la côte ivoirienne au début du XVIIIe siècle. Il exploita systématiquement les documents portugais et les récents voyages du chevalier des Marchais (12), du capitaine Ducasse (1687), du chevalier Damon (1688), de Tibierge (1692) et surtout de Godetroy Loyer (1701) (13). L'analyse des cartes que d'Anville édita en 1729 permet de tirer les conclusions suivantes: premièrement les Abouré que l'auteur appelle K o m p a s sont parfaitement localisés au nord du pays éotilé ou vétérez; apparemment, ils n'ont aucun contact direct avec la mer. Leur implantation dans la région daterait probablement de la seconde moitié du XVlIe'siècle. En effet les cartes de du Val d'Abbeville et de Guillaume de i'Isle éditées en 1653 présentaient les Abouré et les Adow dans le nord de l'Apollonie; or en 1706 les cartes de Guillaume de Tïsle mentionnent les Adow sur la côte des Quaqua. A partir de la seconde moitié du XVIIe siècle et peut-être bien avant, on assiste donc à un grand mouvement migratoire de TApollonie vers la Côte des Dents. Nous pensons que ce flux a conduit les Abouré vers les régions occupées parles Eotilé. deuxièmement les Nzima, à partir du royaume Guiomoré, semblent rayonner sur Assinie et les régions voisines. Nous reviendrons plus tard sur les débuts de l'implantation de cette population le long de la Côte des Dents. troisièmement, nous notons chez d'Anville un détail capital: il porte sur le même site Gammo ou Bassam ou Abassan; d'Anville est donc le premier cartographe à signaler que sous Gammo se cachait le véritable nom de Bassam. L'Europe connaissait Gammo au moins depuis le début du XVIe siècle. Comme le soulignait Clozel, le Gammo des anciens géographes "correspond à peu près à la situation qu 'occupe aujourd'hui Grand-Bassam " (14). En 1706, Gammo apparaissait www.nzima-kotoko.com encore sur les cartes anglaises: citons celle de l'ouvrage de Bosman dans l'édition anglaise de la même année (15). Quoi qu'il en soit, les cartographes français abandonnèrent le mot Gammo au profit de Bassam ou de Grand-Bassam après la diffusion des cartes du comte de Maurepas (17011787) à partir de 1739. L'atlas qu'il réalisa pour les services de la marine française indiquait clairement que Gammo et Grand Bassam désignaient la même ville (16). La première moitié du XVIIIe siècle marque donc un tournant dans l'histoire de la ville médiévale de Bassam. L'apparition de ce dernier nom dans les documents européens est le signe manifeste du recul de l'influence des sources portugaises. Elle indique la volonté des Français de s'imposer dans la région d'Assinie et de Bassam. Le qualitatif de Grand attribué à cette dernière localité montre qu'elle était devenue au milieu du XVIIIe siècle, une métropole commerciale. En nous fondant sur l'ensemble des cartes que nous venons de présenter, nous pouvons conclure que Gammo ou Bassam existait dès latin du XVe siècle. Examinons maintenant l'origine des mots Gammo et Bassam. B. Gammo et Bassani 1. Gammo Les recherches que nous avons effectuées depuis 1972 dans la région actuelle de Grand-Bassam et dans les localités habitées par des descendants des premiers commerçants de la côte ont révélé l'existence du mot Gamma. Dans les milieux nzima ce terme désignait les Portugais qui autrefois trafiquaient avec les Africains et notamment ceux du Guiomoré ou d'Axim (17). On ignore aujourd'hui le sens de ce mot: certains informateurs cependant établissent un rapport entre ce terme et les lumières des navires à voile qui, la nuit, illuminaient la mer. En effet, Gan'oun exprime en langue nzima une idée d'intensité lumineuse. Dans ces conditions Gan'ounma ou Gan'ounmo et par contraction Gamma ou Gammo désigneraient les lumières ou les maîtres des lumières et par extension les premiers Portugais, comme le confirme le linguiste Chînebuah: "Nzema also known as Ahmelyiah or Amanahiu (...). in différent old documents and books (18). The Nzema called thé PortHgitese cmd Dufch Jama or Gamma" (19). Dans la région de Bassam, le terme Gamma désignant exclusivement les Portugais: les Danois et les Hollandais étaient connus sous le nom de Kangan (26) Nous constatons donc que les Portugais et les Nzima s'attribuèrent réciproquement des noms: ceci prouve que les deux peuples se connaissaient et entretenaient des relations très suivies depuis une époque lointaine, probablement dès la fin du XVe siècle. Mouezy a raison lorsqu'il dit qu'entre 1482 et 1592, l'on devait déjà trouver des éléments nzima sur la côte ivoirienne (21), soit deux siècles environ avant l'installation des Abouré dans la vallée du Comoé comme nous avons l'occasion de le voir. www.nzima-kotoko.com Le commerce avec les Portugais devint pour les Nzima un moyen d'ascension sociale et certains riches courtiers reçurent le surnom de Gamma. Ce nom est encore porté par des familles de Bassam et les vieux de la ville gardent le souvenir du chef Allou Gamma qui mourut au milieu de ce siècle. Tout porte à croire que le fondateur de Gamma ou. Gammo. appartenait sans aucun doute à la lignée des premiers hommes d'affaire. L'un clés centres,, en effet, qui attira très tôt les commerçants nzima fut incontestablement le site actuel de Bassam qui permettait de nouer un contact facile avec les "interlope^ "étant au vent et éloigne des forteresses" (22). Gamma désignait donc par excellence la région où les Portugais faisaient de bonnes affaires avec les populations côtières. La fondation de Gammo était donc étroitement liée au commerce atlantique dans lequel les Nzima constituaient des intermédiaires incontournables: on les trouvait partout où Ton pouvait nouer des relations commerciales; ceci a fait dire à Rougerie que le Nzima "« essaimé tout comme l'Européen des temps héroïques, créant de véritables colonies le long de la côte. II compte parmi les plus anciens boutiquiers indigènes (...). Ce n'est pas un nomade comme le marchand di ou ta traditionnel, II se fixe dans ses échoppes, comme dans ses exploitations de pêche, de culture..."" (23). A partir de la fin du XVe siècle, les Nzima, en grand nombre, quittent l'Apollonie pour s'installer le long de la Côte des Dents et principalement à Bassam, pour des raisons essentiellement économiques. 2. Bassam Voyons maintenant l'origine du mot Bassam qui apparaît tardivement sur les cartes, à partir seulement du XVIIIe siècle. Ce mot a fait couler beaucoup d'encre: les Abouré de fa famille Eyé prétendent avoir fondé cette ville au moment de leur installation (24); la version couramment admise était la suivante: "Le groupe Ehé ayant à sa tête Ahtnvi-Anga partit. Il se dirigea vers l'ouest. Arrivé à l'embouchure du fleuve Comoé à Alsam (Abassam, Bassani), la mère d'Anga se trouva mal..." (25). Il n'est pas exact de dire qu'Alsam et Bassam désignait la même ville. Alsam était un ancien hameau, aujourd'hui disparu et qui se trouvait sur la rive gauche du Comoé à l'opposé de Bassam; il n'avait aucun avenir commercial, d'où le silence des auteurs européens à propos de cette localité. Grâce à Loyer nous savons aujourd'hui que ce hameau communiquait difficilement avec la mer à cause des bancs de sable qui fermaient l'embouchure et la rendait inaccessible. Les anciennes traditions abouré recueillies au début du XXc siècle mentionnent le séjour des Eyé à Alsam: elles expliquent pourquoi les Abouré abandonnèrent ce village: ces derniers auraient tenté de dégager les bancs de sable et provoquèrent une grande inondation qui détruisit une partie des habitations. Les rescapés se réfugièrent sur la rive droite et fondèrent le village de Mooussou (26). www.nzima-kotoko.com A quelle date peut-on situer les événements tragiques d'Alsam qui n'ont rien à voit avec la ville de Bassam? Le document que nous venons de signaler contient la liste des premiers rois de Mooussou: 1. 2. 3. 4. 5. Alounvi - Anga (personnage de l'exode signalé par Niangoran - Bouah) Nobou (autre personnage de l'exode) Alangba Anounou Tiki (règne bref) Assamoi (vivait en 1854) (27) Confrontons cette liste avec celle recueillie par Jean-Louis Triaud, le 31 janvier 1974, auprès du notable abouré Albert Alouan (28): 1. Alangba. 2. Assamoi 3. Moté(Boté)Say... Alangba apparaît donc comme un personnage du milieu du XIXe siècle. La fondation de Mooussou dans ces conditions est un fait récent que l'on peut situer au plus tard au début du XIXe siècle. Ceci remet en cause l'hypothèse selon laquelle les Eyé seraient à Mooussou depuis le milieu du XVIIe siècle (29). Cette hypothèse repose sur le texte de Loyer à propos des Esiep que l'on a identifier à tort ou à raison aux Eyé. Présentons quelques extraits de ce passage : "IIy a environ soixante-dix ou quatre-vingts ans qu 'un certain peuple nommé Esiep, dont le Roi se nommait Faï, qui habitait dans les terres les plus voisines du Cap communément aooelé Appollonia, en fut chassé par les guerres que lui déclarèrent les peuples d'Axime (Axim), et se réfugia à Ashiny, lieu appartenant aux peuples appelez Vêlerez... " Vers 1670, (30), il arriva qu 'une nation nommée Ochin qui habitait une terre à dix lieues en deçà du cap Appollmia, nommé Issyny (...), cette Nation fut contrainte de se retirer, et de chercher une autre terre (...), les Vêlerez mécontents de leurs premiers hôtes, et n'osant leur faire tête, se persuadèrent que le ciel leur envoyait par là une occasion favorable pour se venger des outrages passez (...); en sorte que les Vêlerez aidez de leurs nouveaux hôtes eurent plusieurs avantages dans les combats qui se livrèrent (...), les plus faibles battirent toujours en retraite et abandonnèrent le champ de balai lie aux gens d'issyny. Ceux-ci occupèrent leurs places, prirent leurs terres et s'y établirent, pendant que ceux d'Esiep fuyaient leur fureur, et se retiraient dans la Côte des Dents, autrement dite des Qiiaqua, où ils se sont arrêtés et établis vers la rivière Saint-André; et oit ceux d'Issyny vont souvent les chercher, pour les battre et faire des esclaves, étant toujours demeurez depuis ennemis irréconciliables" (31). . NiangoranBouah ne partage pas l'avis de Loyer à propos du séjour des Esiep dans la région ouest de la côte des Dents. 11 écrit : "Le nom Esiep donné par le Père Loyer est une déformation du nom Khê, branche des Abouré de Mooussoii (...). Le l'ère Loyer a orthographié ce nom sous sa www.nzima-kotoko.com consonnance Nzima (32). Fraction détachée du bloc Akan et devançant le gros des invasions Agni-Ahouré du XVHe siècle, les Abouré auraient directement gagné le Sud-Est de la Côte d'Ivoire" (33). II retient la date, mais précise: "Après Aniwan-Aniwan, ils (les l'isiep) s'établirent à remplacement du cercle d'Aboisso. Les guerres avec les Kofilé et les Ahanta ne cessant pas, le groupe Ehë, ayant à sa tête Alunvi-Anga, est parti, il se dirigea vers LOnesi. Arrivé à l'embouchure du fleuve Comoé à Alsam (Abassam puis Bassam), la mère d'Anga se trouva mal; elle souffrait toujours après l'étape. Au moment de repartir, le chef réunit tout le monde et déclara: "Mowo (à cause de ma mère) (...) Installons nous définitivement ici ". C 'est pour cette raison que le village construit à cet endroit a reçu le nom de Mousson..." (34). A notre avis le texte de Loyer relatif à la fuite des Esiep vers Saint-André (Sassandra) ne peut être rejeté pour trois raisons fondamentales: premièrement, les événements dont il est question sont récents; ils se sont produits une trentaine d'années à peine avant l'arrivée de l'auteur (1700-1701). Ce dernier a pu recueillir ses informations auprès des témoins oculaires. A lire Niangoran-Bouah, on serait même tenté de dire que Loyer a interrogé des Nzirna; or nous savons que ces négociants sillonnaient la Côte des Dents depuis le XVe siècle; deuxièmement, on voit mal les Esiep s'établir à Alsam juste après leur défaite. Ils auraient constitué à coup sûr un réservoir d'esclaves pour les Issyny. Les Esiep ont dû fuir la vallée du Comoé; troisièmement, les sources orales Abouré recueillies au début du siècle par Asindjo fournissent un argument de poids: "En effet, disent-elles, Aloitnvi-Anga et sa suite se remit en roule et arriva à Brignan; là, il constata que le terrain est. loin de répondre à son désir, il rebroussa chemin...(35). Brignan n'est rien d'autre que Grand-Lahou dans la langue Avikam. La présence des Esiep dans la région de Grand-Lahou confirme la thèse de Loyer. Les Esiep après avoir été chassé par les Issiny ont erré longtemps avant de revenir dans la vallée du Comoé pour s'installer à Alsam en face de la florissante ville de Bassam. A quelle date peut-on situer ces nouveaux événements? Nous pensons que les Esiep avaient été refoulés par les Brafés de la branche brignan qui, en 1740, cherchaient à s'établir dans la région de Grand-Lahou (36). C'est donc vers cette date qu'il conviendrait de situer l'installation définitive des Eyè à Alsam. L'histoire de Bassam n'est donc pas liée à la migration des Eyè. Contrairement aux Nzima qui ne se préoccupaient que du négoce, les Eyè réalisèrent la conquête d'une partie importante de la vallée du Comoé: après la fondation de Mooussou, ils refoulèrent les Ebrié vers l'intérieur des terres et se rendirent maître de l'arrière-pays de Bassam au début du XIXe siècle. Ils devinrent ainsi les intermédiaires incontournables dans les échanges avec le monde ébrié. www.nzima-kotoko.com Voyons maintenant l'origine du mot Bassam. Les traditionnistes nzima proposent plusieurs versions: pour les uns le mot viendrait d'Aso-ayam (les eaux m'entourent) (37j; pour les autres ce serait la déformation de Bazouam, phrase que l'on entendrait quotidiennement sur le littoral et qui, littéralement, veut dire "viens et aide-moi à poser la charge sur la tête". Les deux versions se complètent. La première phrase aurait été prononcée par le général Aman qui échappa aux troupes de Kakou Aka grâce au site défensif du cordon (38); la seconde rend compte au contraire des origines commerciales de la ville qui, dans le passé, fut l'un des hauts lieux du commerce de l'or et des produits manufacturés que les navires européens débarquaient dans la région. A notre avis, la ville de Bassam doit son nom à une rivière du même nom. A la fin du XVIle siècle, le chevalier Damon écrit: Li II faut avant toul rendre compte du commerce qu 'on y peut faire, l'or y est le plus commun qu 'il n '« encore esté. Ils ont découvert une mine au royaume d'Agovin qui est éloigné de la mer d'environ huit journées où l'on va par la rivière de Bassant..,'" (39). Le traité de 1842, signé entre le roi de Bassam (Peter) et le roi des Français, mentionne explicitement la rivière de Grand-Bassam (40). En 1850, le lieutenant de vaisseau Cournet qui s'intéressait à la fondation de Bassam écrit: ''Le village avait une position défendue (...) (4l) an sud par des marigots, Mosso (Mooussou?), et Bassan ef à /'ouest par des forêts vierges impénétrables" (42). Bassant ou Bassan ou Bassam étaient les différents noms sous lesquels on désignait le Comoé. Ce serait donc ce fleuve, qui conduisait dans le passé les négociants nzima vers les régions aurifères des pays ando ou baoulé, qui donna son nom à la ville de Bassam; ceci expliquerait le fait que les cartes anciennes ont longtemps fait mention de Bassan ou Abassan pour indiquer la ville actuelle de Grand-Bassam. Cette dernière doit en effet son essor à son site qui constituait un débouché naturel pour les mines d'or de la vallée du Comoé mais aussi et surtout à l'action des Nzima que nous allons essayer de décrire (43). II. Bassam, une métropole Nzima Le contact avec les Portugais développa très tôt chez les Nzima un sens aigu des affaires; ils devinrent à partir du XVIe siècle les "meilleurs commerçants et traitants de la côte'" (44). Leur installation à Bassam daterait de la construction du fort d'Axim vers 1503 (?) (45). L'érection de ce bâtiment de guerre compromit dangereusement le commerce interlope et, parlant, celui des Nzima. Ceux-ci émigrèrent vers la Côte des Dents où ils nouèrent à nouveau des contacts avec les navires étrangers. La construction du fort d'Axim, connu sous le nom de Sao Antonio, eut donc pour conséquence le déplacement du centre du commerce interlope vers la Côte des Dents et la fondation de Bassam par les Nzima. www.nzima-kotoko.com La migration des courtiers nzima ne semble pas avoir revêtu la forme d'un exode à l'image de l'expansion mandé qui, à la même époque, développait les premiers centres de commerce dans le nord de l'actuelle Côte d'Ivoire. A la différence des Mandé. Les courtiers de la côte ne cherchaient pas à créer des chefferies et à dominer politiquement le pays qui s'ouvrait à eux. Les Nzima visaient à acquérir les richesses par le biais du négoce comme en témoigrienl les premières institutions qu'ils mirent en place Celles-ci avaient pour but d'assurer la paix au sein de la communauté et de protéger les voies de communications par où circulaient les marchands. Grâce aux témoignages des descendants des anciens traitants nzima, nous connaissons un peu mieux l'organisation commerciale mise en place à Bassam par les premiers migrants. Celle-ci tirait sa force de deux conseils, PEnweazo-ayia et l'Ebonoii-ayia Le premier s'occupait des transactions avec les marchands européens et le second de la circulation des produits à l'intérieur du pays. L'Enweazo-ayia était composé essentiellement par une aristocratie de marchands et d'hommes d'affaires connus dans les textes anciens sous le nom de brembi ou de capechères (46) et que Rodney appelle les primes marchants (47). Les brembi sont les véritables maîtres du commerce. Ils nous introduisent au sommet de la hiérarchie du négoce traditionnel (48). L'Enweazo-ayia et l'Ebonou-ayia étaient présidés par un personnage qui s'attribuait effectivement le titre de Belemgbunli (roi) d'où le nom de royaume donné à la cité-Etat de Bassam sur laquelle s'exerçait son autorité. Au début du XVIIIe siècle. Loyer s'insurgea contre l'emploi abusif des mots roi et royaume; il écrit: "Le royaume d'Ahassam (Bassam) n'est éloigné de Takuéchué que de dix ou douze lieues non pas que quantité d'autres petites seigneuries, qui a proprement parler ne sont que quelques hameaux... Chacun de ces peuples a son chef, qu'ils appellent entre eux Capitaines, mais depuis qu'ils fréquentent les Européens et que même quelques-uns d'entre eux sont de retour des Cours d'Europe, où on les avoit conduits pour leur apprendre à se conformer à nos manières, ils ont poussé leur ambition démesurée jusqu'à se faire aussi appeler Rois (W), quoique le plus souvent à peine leur Royaume peut-il fournir quatre mille âmes, tel celui-ci, qui dans, une extrémité pressante trouverait à peine deux mille combattants y compris les esclaves" (50). Le Belemgbunïi dont il est question n'était pas roi au vrai sens du mot, mais le chef de la cité des marchands. II était choisi parmi les riches négociants les plus anciennement installés dans le pays, en fonction de sa fortune et de ses qualités morales et intellectuelles. Il avait des pouvoirs étendus qui ont fait dire à Loyer que "les forts et les plus riches se sont rendus les maîtres, et y dominent sur les autres'" (51). Le Belemgbunli présidait les réunions de l'Enweazo-ayia chargé d'assurer le bon déroulement du commerce côtier avec les Européens. Il garantissait les paiements des produits entre les Africains et les étrangers, jugeait tous les délits portés à sa connaissance (fraudes, vols, captures de marchand à bord des navires...) (52). Il pouvait décider l'exclusion de marchands www.nzima-kotoko.com indélicats de la cité et le boycottage des navires pour faute grave. Ceci conférait au Belemgbunli un pouvoir considérable. Les Nzima ont pu grâce à ce pouvoir fort commercer en toute quiétude avec les marchands occidentaux. N'étant plus à la merci de leurs partenaires, les courtiers de la côte allaient désormais défendre âprement les produits qu'ils destinaient à l'Europe; ceci fit dire à Pulgar, à la fin du XVe siècle que: "Ces sauvages devinrent plus expérimentés et augmentèrent le prix de leur or; désormais, ils ne le donnèrent pas avec cette libéralité qu 'ils avait manifestée à ceux qui étaient venus les premiers" (53). La maturité des commerçants de la côte se lit dans les documents anglais du milieu du Xve siècle: "Ce sont des gens très avisés, et ils ne perdent pas une parcelle d'or- Ils se servent de poids et de mesures et les utilisent avec beaucoup de circonspection" (54). A partir du Xve siècle, on peut dire que les Nzima avaient appris à se détendre, à utiliser les lois du marché et à dicter au sein de TEnweazo-ayia les conditions de l'échange et les prix de l'or (55). Trois facteurs décisifs ont favorisé l'essor de la ville de Bassam. Le premier et de loin le plus important fut la concurrence aveugle à laquelle les nations européennes se livrèrent à partir du milieu du XVIe siècle (1516-1530). Comme le souligne Terray: "Les rivalités qui dreusent les Européens les uns contre les autres affaiblissent leur position et leur btirgtiining power1 (56)". Cette compétition allait établir des rapports égaux entre Africains et Européens dans les échanges: tous obéissaient aux lois de l'offre et de la demande. Ecoutons Samuel Brun qui écrivait au début du XVÏIe siècle (1617): '"Autrefois les Hollandais ont gagné dans ce pays les bénéfices qu'ils ont voulus. C'est cela qui a donné à la Hollande tant de riches marchands. En effet, ils en ont entretenu toute une compagnie. Mais aujourd'hui elle s'est disloquée. Cela a appauvri beaucoup de gens et au contraire enrichi les Noirs: en effet, il y a quelques années, il ne venait pas ici plus de quatre navires par an. Aujourd'hui il en vient bien vingt et pourtant il n' y a pas davantage d'or qu 'avant: aussi ils font monter le prix de l'or et répuisent" (51}. A la fin du XVIle siècle, le chevalier Damon (1698) conseillait aux autorités françaises de construire des établissements à Lahou et au débouché de la rivière Suriou d'Acosta (Comoé) où abondaient i'or et les défenses d'éléphants afin de contrôler par ce moyen "'soixante lieues du meilleur pays de la Coste d'Or" et d'ôter ainsi "le commerce à plus de cinquante navires interlopes, hollandais et anglais qui y vont trafiquer tous les ans..." (58). Le nombre croissant des navires à Bassam provoqua une hausse des prix de l'or et des défenses d'éléphants; ceci favorisa la fortune des Nzima qui frappa les visiteurs étrangers à la fin du XIXe siècle (59). Le second facteur qui contribua efficacement à enrichir les courtiers nzima fut la part active que les interlopes jouèrent dans les échanges. Ducasse (1687-1688) disait à propos de la côte ivoirienne: "C'est le lieu de la côte où incontestablement il u en a le plus (d'or). C'est l'asile de tous les interlopes où ils font la plus grande partie de leur commerce étant au vent et éloigné des forteresses" (60). www.nzima-kotoko.com Les interlopes allaient affaiblir davantage la position des marchands officiels en proposant aux Africains des marchandises "à trop bon marché" (6l). Au début du XVIIIe siècle, Bosman disait qu'ils proposaient des prix défiant toute concurrence, "inférieurs d'un tiers à ceux des établissements fixes" (62). Durant de nombreux siècles, les Africains tirèrent profit de la concurrence entre les Européens et de la présence des interlopes dans les circuits commerciaux le long des côtes africaines. C'est dans ce contexte qu'il convient de situer l'origine de la fortune des w.ima de Bassani entre le XVIe et le milieu du XIXe siècles. Le chevalier Damon a dressé une liste des meilleures marchand!ses" que Ton offrait aux Noirs; "des fusils, de la poudre, des bassins de cuivre, des verroteries qui se fabriquent à Rouen, des petits draps de lits usés, des serges bleues, de l'eau-de-vie, plusieurs autres étoffes légères de coton de diverses couleurs et du sel que les nègres qui sont dans les terres aiment mieux qu 'autres choses parce qu 'il sert à leur subsistance" (63). Résumons dans un tableau la variation des prix de l'or (64). Années Produits 1660 6 ou 8 mousquets 1 bende d'or (30 Reichsthaler) Côte de TOr 1 baril de poudre de 100 livres 1 livre d'or de Guinée Côte de POr 1692 1 baril de poudre, 1 fusil 1702 21 fusils 7 fusils 10 fusils XVIIIe siècle 12 fusils 14 ou 16 fusils Prix 2 gros d'or le quintal (50kg?) Régions concernées Côte de l'Or De la Palma 2 onces d'or 2 onces 2 onces 2 onces 100 florins soit 2 onces Côte de l'Or Sur la base de huit gros l'once, nous constatons que les Africains, à partie de la seconde moitié du XVIIe siècle, vendaient l'or au prix fort: et pour le même poids, ils obtenaient davantage de marchandises. Il est difficile de connaître la quantité d'or qu'exportait la métropole nzima faute de documents. Néanmoins les achats réalisés en 1827 par !e navire L'Africain de Nantes donnent une idée de l'importance du trafic au large de la côte (66). Du 25 janvier au 23 mars ce navire se procura 784 gros d'or soit 98 onces; à raison de 31,18 grammes l'once on obtient 3 www.nzima-kotoko.com 055,64 grammes. Sur la base des informations fournies par Damon à la fin du XVI le siècle et dans l'hypothèse que les bateaux qui croisaient au large de Bassam chargeait chacun un poids d'or au moins égal à celui de L'Africain, on obtient pour les 50 navires un poids d'or de 152, 782 kilogrammes par an. A titre de comparaison, nous savons qu'El Mina, "pendant ies vingt premières années dn XVIe siècle jusq’à terme de I52T a procuré "annuellement u la capitale portugaise plus de 410 Kg d'or" (67). Du fait de l'absence d'établissements fixes, la Côte des Dents devint au XVIIe siècle le haut lieu du commerce de l'or; Bassam à notre avis devait traiter plus de 200 kilogrammes d'or par an. D'après les renseignements que nous avons recueillis, les transactions se déroulaient de la manière suivante: dès qu'un navire signalait sa présence, les agents du maître du commerce se rendaient à bord pour établir le contact et ramener a terre les responsables du navire ou des marchands. Le Beleingbinili convoquait l'Enweazo-ayia et rendait compte de la nature des marchandises que transportait le bateau; un héraut répandait la nouvelle et quelques heures plus tard les marchands prenaient d'assaut la cour du Belemgbunli et celle des maîtres du commerce qui avaient la confiance du chef de la cité. On dressait alors la liste complète des produits demandés. Les transactions avaient de moins en moins lieu à bord du navire pour les raisons de sécurité que nous avons évoqiées plus haut. Le bateau déchargeait les marchandises sous l'entière responsabilité du chef de la ville. Cette opération n'était pas gratuite et les services du Belcmgbimli coûtaient très cher. Ils faisait l'objet d'une taxe appelée assi (merci) qui représentait 5 à 10% de la valeur des livraisons. En 1827, L 'Africain de Nanles offrit au Chef de Bassani un assi de 30 piastres et un autre de 50 au courtier Tako (68). A en croire les descendants des anciens commerçants africains, les discussions devaient être vives et on le comprend: les étrangers étaient pressés de repartir pour éviter de vendre à perte en traitant avec un partenaire unique: les Noirs au contraire faisaient traîner les choses afin d'obtenir un traitement plus favorable. Les débats avaient lieu le plus souvent en anglais surtout à partir du XVlle siècle: ceci explique pourquoi les Nzima parlaient, selon Binger, " mauvais anglais" à la fin du XIXe siècle (60). Les paiements se faisaient en or et ceci allait faire prospérer une catégorie sociale, les soukouavoulè, les manieurs d'argent qui vivaient surtout de bousséa, c'est-à-dire le prêt usuraire avec des taux de l'ordre de 30 à 50% (70). La plupart des marchands s'adressaient aux soukouavoulè pour financer rapidement les achats en attendant le retour des caravanes. Une fois les tractations terminées, le Belemgbunli et ses principaux notables touchaient les assi et le navire reprenait sa route. Ils acheminement des marchandises vers l'intérieur du pays dépendait de PEbonou-ayia (Conseil du marché de la brousse) (7l). L'Ebonou-ayia était chargé d'étudier toutes les questions relatives à l'organisation des caravanes et à la sécurité des marchands et des produits hors de la cité. L'Ebonou-nyia avait une structure légèrement différente de celle de rEnweazo-ayia: elle relevait de l'autorité de Belemgbunli mais les décisions importantes étaient prises au sein d'un cbniité restreint de www.nzima-kotoko.com douze membres connu sous le nom de Aycla (Echos, Nouvelles): celui-ci traitait en effet toutes les informations que les marchands avaient recueillies sur la route. Aucune caravane ne pouvait quitter la cité sans son ordre. Il recommandait aux négociants de voyager groupés en compagnie d'une escorte de dix ou cent fusiliers en fonction de l'importance de la caravane. L'Ayela, au nom du Belumgbunli, signait des traités d'alliance et d'amitié avec les chefs des régions traversées et il recommandait aux hommes d'affaires de distribuer de nombreux cadeaux sur leur chemin (72). Grâce à cette organisation minutieuse, les Nzima se frayaient facilement une voie jusqu'aux régions productrices d'or. Les unions qu'ils contractaient dans les villages-étapes avec les filles des notables du pays les mettaient à l'abri des surprises désagréables. Delafosse a raison lorsqu'il dit que les Nzima "généralement riches et aimés des femmes" ont laissé "partout des traces de leur passage" (73). D'où venait l'or que les Nzima utilisaient pour leur commerce? Au début du XVIIle siècle Damon a appris l'existence d'une mine d'or située dans le royaume d'Agovin; à huit journées de marche de l'embouchure du fleuve Comoé (74) Au XIXe siècle l'amiral Fleuriot de Langle apporta quelques précisions: "... On peut aller par la rivière du Comoé à Baouré; les escales sont au nombre de sept,' on met huit jours à exécuter le voyage: il fallait remonter jusqu 'à Goffin, appelé également Costine. Si l'on veut éviter le. détour, on .v 'airefi' à Agnasoui où la rivière est encombrée de roches et l'on gagne Bavure à pied en un jour. Les Eambara comptent Baouré comme une de leurs étapes en allant à Bont/oitkott" (75), A notre avis le Goffin de Fleuriot de Langle n'est rien d'autre que l'Agovin de Damon et nous identifions le Baouré au pays Anno fréquenté assidûment par les Dioula On peut a ce litre confronter les informations recueillies par Braulot au XÎXe siècle à celles oblenues par Loyer: voici le texte de Braulot à propos de l'or de l'Anno: '7,tf seul mêla! exploite esl /V;/. On /<.'• trouve dans /es filons quartzeiix et dans les brouillages de même nature désagrégés par /C'A eaux. Les indigènes ne recueillent que for qu'ils trouvent dans les parties géodées de la roche. Le procédé d'exploitation est le lavage à la bâtée. Les puits de J.XO a 2 ni lkr profondeur sont creusés au hasard dans le voisinage des points où on a trouve des pépites. Dans l'Anno, on fore des puits de cinq à hutl mètres à travers lu couche urgileuse (...). Malgré la grossièreté des procédés d'extraction, le rendement est asse'z 'i'émunéraieur, surtout après l'hivernage, quand la nature s'est chargée dit lavage des minerais. L 'or de belle qualité est en pépites polies plus ou moins grosses. If n 'est pas rare d'en renconlrcr qui pèsent de 40 à 50 grammes" (76). A propos des gisements de PAgovin, Damon disait que la mine était "si abondante qu 'on en a tiré des morceaux d'or gros comme le pouce". Il a vu deux pépites qui pesaient respectivement dix-neuf écus et demi et cinquante écus (77), Les informations fournies par Loyer, Fleuriot de Langle et Branlot se recoupent admirablement. Nous savons par ailleurs que les mines d'or de PAnno étaient effectivement en exploitation dès la fin du XVe siècle (78). Ce sont donc les gisements de la vallée du Comoé qui alimentaient le commerce nzima et contribuèrent au développement de la ville de Grand-Bassam. www.nzima-kotoko.com Contrairement aux villes de la Côte de POr (Axim, El Mina, Accra), Bassani ne lut pas un marché important pour la traite négrière 11 semble d'ailleurs que les N/irna absorbaient l'essentiel des captifs pour faire fructifie: leurs entreprises Ils les utilisaient d;ws le commerce 'porteurs, agent de commerce, soldats), dans l'agriculture, comme domestiques ou pécheurs. Il faut dire que l'arrière-pays ne connut pas les graves affrontements qui embrasaient celui de la Côte de l'Or à la fin du XVHe siècle par exemple. On peut citer répreuve de force qui opposa l'Adansi au Denkyira vers 1660, la conquête de l'Aowin, du Sewi et du Wassa (région aurifère par excellence) par le Denkyira dans les années 1670 et enfin le choc décisif entre ce dernier et PAshanti entre 1698 et 1701. Bassam bénéficia donc d'un calme relatif qui favorisa sa croissance économique. C'est dans ce contexte que s'effectuèrent les grandes migrations akan en direction de la Côte des Dents et la genèse des états du Sanwin et de l'lndénié. L'installation des Baoulés dans les vallées du Bandama et du Nzi au milieu du XVIIle siècle donna un coup de fouet à l'exploitation des gisements aurifères du pays (Kokoumbo, Hiré...). C'est, semble-t-il, à partir de cette date que le Bandama joua un rôle économique de premier plan dans le développement des villes forestières et côtières de l'actuelle Côte d'Ivoire, notamment Tiassalé, Lahou et Bassam. L'importance de cette dernière expliquerait le qualificatif de "Grand" Bassam. Au milieu du XVIIIe siècle, la ville médiévale était devenue une métropole commerciale sous l'impulsion nzima. Sa prospérité entraîna la ruine d'Assinie à la fin du XVIIIe siècle, ce n'est pas par hasard si au début du XIXe siècle les Français délaissèrent cette dernière cité pour s'établir à Bassam. Les Nzima avaient ainsi accompli un travail considérable dans la vallée du Comoc. Us avaient fait du hameau de Gammo ou Gamma, un hameau de pêcheurs, une florissante ville commerciale ouverte au pays Baoulé et Ando à travers la vallée du Baiidariia ,dès le milieu du XVIIIe siècle. Malheureusement Bassam allait connaître des moments difficiles dès le début du XIXe siècle, à cause d'une part des migrants nzima qui fuyaient la tyrannie de Kakou Aka, roi d'Apollonie, et d'autre part des mécontentements que suscita l'installation des Fiançais à Bassam. Le XXe siècle ouvre ainsi une ère nouvelle, celle des conflits et des affrontements armés, qui met fin à la quiétude des négociants bassamois. Annexes 1. Pour l'histoire de Grand-Bassani voir ATGER. La France en Côte d 'Ivoire de JX43 à IS93 : 50 cuis d 'fK'xttttiions pniiti commerciales. Université de Dakar. 1962. 204p, H.DIABATE. Le Sanvin, un royaume akan de Côte à"] voire, J 701- 1901, thèse pour le doctorat d'état, Paris ï, 1984, 6 vol. P. KIPRE. Ailles de Côte d'Ivoire, 1893-1940. Abidjan, N.E. A., 1985 M.C. MANOUAN. Bassam, de la fondation du fort de Nemours à son déclin : IH42-1900 (mémoire de maîtrise). Département d'Histoire, www.nzima-kotoko.com Abidjan, année universitaire 19X8-1989. 1 10 pp. Dactylographiées. C. WONDJI. La Fièvre jaune à Grand-tiassam, 1889-1903. Paul Geuthncr, 1972. 36 p. 111. Et Revue Française d'Histoire et 'Outre-Mer. Paris, 1972. n° 215. pp. 205-239. 2. La région décrite ici est connue des auteurs français de l'époque SOUP le nom do Côlc rlc l'Or (voir S.DAGET, in Enquêtes et Documents, Université de Nantes. n° VU. 1982. p 81). Nous réserverons cette appellation pour la frange côlicrc de Factuel Ghana. 3. Voir Catalogue général des cartes, plans et dessins d'architecture. Archives Nationales. Paris, I-1V, série N.N. Pour les renseignements cartographiques voir B.N ' Paris. 4. Voir Pedro RE1NEL, "Sea Chart ofthc West African Coast" in On Map dnting from liie twelth ta thé eighteenth century. Lcip/.ig. 1968. B.N., 1. AF. Gc DD 470K. p.45 5. Raymond MAUNY, Tableau géographique de l'ouest africain au ^loyt'.n-Age..,, Dakar. I.F.A.N., 1961. p. 298. ' 6. Paris, B.N..LAf. Fascicule 1 n° 1541. 7. Pour Valentim Fernandes, voir P. De CENIVAL et Th. MONOD, 1938 (de Ceula au Sénégal), Th. MONOD, A. TEIXEIRA DA MOT A et MAUNY, 1951 (du Sénégal au cap de Monte, Archipels). Pour Pacheco voir la partie : Du Sahara au Gabon, dans R. MAUNY. Bissau, 1956 (1957). 8. Voir Hcrnani CIDADE et Manuel MUR1AS, Lisboa, 1945. cl les travaux de V. MAGALH AES-GODTNO: "Les grandes découvertes ". Bull des étud. Portitg. De I '(nst. Franc. Du Portugal, 1 952, t. XVI. pp. 3-54 : L 'économie de. l 'Empire portugais aux ve et ATIe siècles, Paris, S.E.V.P.E.N., 1969, 852 p. 9. B.N. Pans. 6 JJ 68. 10. MAGALH AES GOD1NO. op. Cit.. 1969, p. 221 1 1. Henri MOUEZY, A.winie t>l le Royaume de Krinjaho,.., Paris, 1954. p. 21. 12. Voir Jean-Baptiste LABAT, Nouvelle relation de l'Afrique occidentale..., Paris, 1728. 5 vol. Voir volume IV, 392 p. 111. (Nouvelle édition 1730). Pour les cartes voir B.N.. 6 JJ 35bis. 13. ROUSSIER (Paul). l 'établissement d'issiny 16X7-1702, Pans. 1 935. 235 p. Pour les cartes d'Anville voir B.N. YOUSSEF KAMAL. t. V.. fascicule II n° 1579 (époques 1725-1729); Monumenta cartographie^ et Aegypti. D'Anville publia sans relâche 78 mémoires de 2 1 1 cartes qui couvrent le monde entier. Sa carte d'Afrique de 1729 (1749) est un monument inégalé: ce dernier fixe de manière certaine la toponymie de la Côte des Dents. 14. FJ.CLOZEL. Dix ans à la Côte d'Ivoire, Paris, 1906, p.253. 15. Guillaume BOSMAN. A new and accttraie description oflhe Coati »f'( îuincci. Lo.ndoî Knapton. 1706 (1721), 456 p. Bosman étail un commercial hollandais qui comme Pickr des Marées (1602) avait qiialor/c de terrain. Chez les Anglais, on peut cilcr Richard Jobson (1623) cl Francis Moorc (1738). Ils ont laissé des documents de première main. 16.Maurcpas, B.N., 6 JJ 68. 17.Nos informateurs sont; Bassam: AMAN Emmanuel, <>5 ans, nolablc, EGNOUI Eblc, ancien interprète. 7l) ans Mnw TANOE, 73 www.nzima-kotoko.com ans, issue d'une famille de grands commerçants: 7 mars cl 12 mars 1974: Anyama: ALIMANTCHI et son frère KOUAO. anciens commerçants : 2 avril 1970. 18.Loyer, in ROUSSIER, op. cit., pp. 17-18; Archives Nationales du Ghana. A.D.M.. 19X2. 19.Note inédite de K. Isaak Chincbiiah. Accra. 1975 20.D'après les informateurs que nous avons interrogés. 21.MOUEZY, op. cit., pp. 18-19. 22.ROUSSIER, op. cit., p. 7. 23. G. ROUGERIE, LesAgni du sud-est de la Côte d'Ivoire forestière, Abidjan. I.F.A.N.. 1957. pp 119-120. 24.J. A. ABBLE. Histoire' a traditions potiti<]in>s ahouré. Abidjan, Imprimerie Nationale. 447 pages ; NIANGORAN6BOUA1L. "Les Abourc. une société lagunairc de Côte d'Ivoire". Annales de l'Université d'Abidjan, série lettres cl Sciences Humaines. 1965, n° J. pp. 37-171 ; ALLOU KOUAME. L 'étal de lienyinli ef la naissance du peuple nzima. Du royaume Adjomolo à rémigrai ion desAdnvolè. ] 'e-XLe siècles, thèse de .lemc ccle. Université d'Abidjan, 1988. p. 147. 25.NIANGORAN-BOUAH, <>/>. cit.. p. 58. Mademoiselle Manouan a eu le mérite de reconnaître que les "Nzima furent donc les premiers "colons " du site qui esi aujoitrd 'fiai le quartier résidentiel de Cirandttux.sam...". Malheureusement, elle a cru que ees événements se situaient dans les années IX20-I890 (op. cit., p.]8). Elle a recopié les dates de Ablc qui ne peuvent en aucun cas concerner les N/ima 26.Informations recueillies par Célcslin Asindjo, secrétaire particulier du gouverneur Angoulvanl, le 12 mai 1907 à Bassam, cf. MANOUAN,^. en., pp. 76-84. 27. Jean-Louis TRIAUD, Rois et chefs de Grand-iïassam d'après les archives coloniales. rapport dactylographié, s.d.p. L Université d'Abidjan. Département d'Hisloirc. 28. Id.. Enquête àMooiissou.,., rapport dactylographié, p. 2, Université d'Abidjan. Département d'Histoire. 29. NIANGORAN-BOUAH. op. cit.. p. 57. 30. Ces déplacements de populations apparaissent sur les cartes d'Abbcville, de Guillaume de L'islc réalisées dans la seconde moitié du XVIIc siècle comme nous Pavons souligné plus haut 31. ROUSSIER, op. cil., p. 187. 32. NIANGORAN-BOUAH. op. cit.. p. 58. 33. /A/Y/. 34. 76/rf. 35. ASINDJO in MANOUAN, op, cit., p. 76. 36. ROUGERIE, op. cit., pp. 54 et suiv. 37. ALIMANTCHI et KOUAO déjà cités 38. Archives Nationales de Côlc d'Ivuirc. Noies sur l'histoire du pays de (inuid-ttaswm, par COURNET(1850). 5G. 23. 39. COURNET, op. ci 40. Arch. Nal.. Paris, O.M. C.I., 111. 3. www.nzima-kotoko.com 41. Les points de suspension indiquent les parties illisibles. v 42. VOURNET, ibid. 43. Pour Bassani, voir aussi ROUSSIER, op. cit., p. 103. 44. BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mo.si, Paris, 1892.1. II. p. 323. 45. Albert VAN DANTZÏG, A short Ilistory ofthe Ports and Castles of Ghana, Lcgon (Accra). National Muséum. 1971, p. 7. 46. Pour les termes de Brcnibi cl de Capcclicrcs, voir ROUSSIER, op. cit., p. IH9. 47. W. RODNEY, "Gold and Slaves on Ihc Gold Coast", Transaction* ofthe. History Société of Ghana, Legon, 1969, vol. X. p. 16. 48. L'organisation du commerce n/.ima rappelle celle des Dioula. Nous retrouvons clic/ ces derniers la concentration du pouvoir dans les mains d'une aristocratie de riches, connus sous le nom de dyagotigui (les seigneurs du commerce), voir à ce sujet Y PER'SON, Sàmori, une révolution dyula. Dakar, I.F.A.N., 1968, t. 1, p. 117. 49. Allusion au prince Anyaba qui avait séjourne en France, à la cour de Louis XIV. 50. ROUSSIER, op. cit., p. 189. 51. Ibid. 52. Selon les traditionnistes de Bassani déjà cités. 53. PULGAR in BLAKE, English trade with thé Portuguese Empire in West Africa (1561-1629), Lisboa. Congresso de Mundo Porlugues, 1940, vol. VI, t. 1, p. 207. 54. John LOK, in HAKLUYT, Voyages à la Côle. de Guinée..... London, 1958 (1962). vol. II. p. 63. 55. E.TERRA Y, Une histoire du royaume ahron du Gyaman, des origines à la conquêt