POURQUOI NE PAS DEVENIR MÉDECIN DE FAMILLE
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POURQUOI NE PAS DEVENIR MÉDECIN DE FAMILLE
COURRIER DES LECTEURS son revenu doit être comparable à celui d'un collègue spécialiste. L’écart actuel de 78 % après la prise en compte des frais de bureau est inacceptable. Cette disparité financière doit être atténuée pour attirer les étudiants vers la MF. QU’EST-CE QUI AMÈNERAIT LES ÉTUDIANTS À RECONSIDÉRER UNE CARRIÈRE EN MF? PAR BRIAN GORE, MD MÉDECIN DE FAMILLE À MONTRÉAL DIRECTEUR DES SERVICES PROFESSIONNELS AU CENTRE GÉRIATRIQUE MAIMONIDES 6. Finalement, des incitatifs financiers sous forme de bourses ou de radiation de dette devraient être offerts aux étudiants optant pour la médecine familiale et souhaitant demeurer au Québec, au moins jusqu’à ce que le rapport entre MF et médecins spécialistes s’équilibre. POURQUOI NE PAS DEVENIR MÉDECIN DE FAMILLE Au cours des trente dernières années, les nombreuses rencontres de collègues lors de congrès locaux de médecine familiale nous ont amplement donné l’occasion de prendre le pouls de la communauté médicale de Montréal. Il faut le reconnaître, le sujet de nos conversations est passé au fil du temps des dernières recommandations en matière de soins médicaux à ce qu’il adviendra de nos patients dans un proche avenir, tandis que nous réduirons notre pratique ou partirons à la retraite. En dépit des problèmes constants liés à la relève, le seul aspect de notre vie professionnelle que nous apprécions toujours est la présence d'étudiants en médecine de l'Université McGill dans nos cabinets. C’est un plaisir de les accueillir et de les initier à la vie de médecin de famille (MF). Ces étudiants sont brillants, enthousiastes et exceptionnellement motivés à découvrir l’art et la science de la médecine familiale ainsi que tout ce que nous avons appris au fil des ans et que nous avons hâte de partager. Ce processus de mentorat fait partie intégrante de l’apprentissage de la prochaine génération d’omnipraticiens. Néanmoins, malgré l’intérêt des étudiants, les nombreux obstacles qu’ils perçoivent et dont ils discutent entre eux les dissuadent clairement de s'engager dans la voie de la médecine familiale (MF). Afin de mieux cerner leurs préoccupations, je résumerai les principaux obstacles qui les détournent des postes de résidence dans ce domaine. POURQUOI JE NE DEVIENDRAI PAS MÉDECIN DE FAMILLE 1. À l’avant-plan, l'imposition des restrictions québécoises à la pratique, notam20 Santé inc. juillet / août 2011 ment les activités médicales particulières (AMP – obligatoires) suivies des non moins répressifs plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM – restrictions sur les régions où il est permis de pratiquer), dressent d’énormes barrières. Les étudiants ne peuvent comprendre comment, tandis que le Québec connait une pénurie de près de 1 200 médecins de famille, la restriction de l'accès à la pratique familiale contribuera à améliorer la situation en matière de services de soins de première ligne. Au Québec, la hausse des inscriptions aux écoles de médecine peut entraîner davantage de diplômés, mais en raison du goulot d’étranglement que constituent les PREM, de nombreux nouveaux médecins préfèrent se diriger soit vers la pratique privée non couverte par l’assurance maladie, soit vers une carrière à l’extérieur du Québec. 2. Les étudiants demeurent perplexes devant le fait que, dans la seule région de Montréal, au moins un tiers des omnipraticiens en exercice, soit environ 700, prendront leur retraite dans les prochaines années, alors que le gouvernement n’a accordé que 61 permis PREM aux nouveaux diplômés cette année. Qui plus est, on a refusé à 30 nouveaux médecins de famille le droit de pratiquer à Montréal. Ainsi, l’apport net de nouveaux médecins de famille sur l’île cette année s’élève au nombre dérisoire de 12 (les retraités moins les nouveaux MF). 3. Avec un écart salarial de 78 % entre les MF et les médecins spécialistes au Québec en 2009-2010 (après déduction des frais de bureau), il n’y a rien d’étonnant à ce que moins de 35 % des étu- Tandis que nous, l’avant-garde des médecins bébé-boumeurs, avançons vers la retraite, nous savons qu'un grand nombre de patients se retrouveront sans médecin de famille. La dernière génération qui devait prendre la relève est absente, et, à présent, les nouveaux étudiants en médecine continuent à être exposés aux aspects négatifs d'une carrière en MF. Le gouvernement ne peut plus faire la sourde oreille et doit agir de manière responsable et rapide, afin de mettre un terme à la détérioration de la pratique locale et de raviver le domaine des soins de santé primaires. Autrement, l'avenir est sombre pour le système de soins de santé primaires au Québec. diants en médecine orientent leur carrière vers une résidence en médecine familiale. Cela explique pourquoi de 50 à 70 postes de résidents en médecine familiale demeurent vacants au Québec chaque année, tandis que pratiquement tous les postes de spécialité trouvent preneur. Il est fort regrettable que de nombreux étudiants prometteurs continuent à renoncer à une carrière en MF, laissant ainsi un grand nombre de Québécois démunis dans un système de soins de santé primaires en déroute. Les années de microgestion gouvernementale du réseau de soins de santé primaires, au cours desquelles commission après commission et ministre de la Santé après ministre ont tenté d’imposer leur propre approche, ne sont jusqu’à présent pas parvenues à redresser la situation en dépit du mouvement en faveur des nouveaux groupes de médecine familiale (GMF). QUELLES INITIATIVES AMÈNERAIENT LES ÉTUDIANTS À RECONSIDÉRER UNE CARRIÈRE EN MF? maires contribuerait largement à attirer davantage de nouveaux médecins vers la pratique de la MF. Ma propre expérience en MF et les discussions que j’ai eues avec mes collègues du domaine m'ont fourni certaines pistes de solutions susceptibles de redorer l’image de la médecine familiale pour les étudiants. 3. Créer un environnement de travail attrayant, notamment au moyen de dossiers médicaux électroniques, de soutien technologique et paramédical, ainsi que d'équipement médical de pointe. Il est possible que les nouveaux GMF deviennent de tels lieux, si on assouplit la réglementation et si on l’adapte aux différents milieux de pratique existants. 1. Prolonger la pratique des MF d’expérience afin de faciliter l'intégration de la relève. Recourir à des programmes incitatifs pour la collaboration de MF débutants et chevronnés. 2. Élaborer des programmes de mentorat stimulants pour étudiants au sein des écoles de médecine et pour résidents en MF au sein de cabinets, de cliniques et de GMF locaux. Un programme de mentorat bien rodé en soins de santé pri- 4. En temps de pénurie, les restrictions d’accès à la pratique sont insensées. Conséquemment, les AMP et particulièrement les PREM devraient être considérablement assouplis, voire abolis dans l'ensemble de la province. 5. Compte tenu qu’un MF doit assumer la responsabilité de 1 000 à 1 500 patients, Brian Gore, MD Médecin de famille Montréal *** QUESTIONS D’OPINION ET SURTOUT D’ATTITUDE Je m’appelle Anne Leclerc, médecin de famille depuis 15 ans. Je viens d’ouvrir une clinique de médecine familiale privée dans un quartier populaire de la région de Québec, Médicina. Pendant le processus de structuration et de démarrage de ce projet, j’ai pu entendre diverses opinions sur notre système de santé public et l’émergence du privé, et j'ai pu constater la présence de débats de plus en plus chauds sur le sujet. Cela de la part de citoyens, de patients, ainsi que de collègues médecins. Du côté de la population, le privé semble bien perçu, comme un choix, une alternative à laquelle on peut adhérer ou non. Chez plusieurs, une option au privé est plus que souhaitée. juillet / août 2011 Santé inc. 21 COURRIER DES LECTEURS Cependant, j’ai entendu chez des collègues de travail des remarques parfois étonnantes. Il m’a semblé qu'il existait un flou (quant aux procédures pour se désaffilier), un genre de terreur cachée (par exemple, perdre des acquis par rapport au CMQ), des relents de culpabilité (ne pas travailler assez fort ou être trop bien payé), la peur d’être jugé par des pairs qui souvent choisissent de demeurer dans des conditions de travail qui les épuisent ou sont financièrement insatisfaisantes. Ces collègues n’arrivent pas à se faire une opinion claire en raison des fausses croyances et autres phrases toutes faites qui sont véhiculées depuis si longtemps. En voici quelques-unes: > « Nous allons créer un système pour les mieux nantis. » Il s’agit là d’une affirmation qui peut être vraie puisqu’en entreprise privée, c’est le propriétaire qui décide de sa grille tarifaire. Cependant, rien n’empêche certaines entreprises d’offrir des tarifs plus que raisonnables, abordables pour la majorité de la popula- 22 Santé inc. juillet / août 2011 tion. Cette croyance est donc fausse; il s’agit que des médecins motivés par l’action sociale plus que par le but lucratif démarrent des bureaux privés, et tout le monde pourra en sortir gagnant. > « Nous allons perdre des soins de première ligne. » Quand nous attendons que nos omnipraticiens épuisés abandonnent le système public pour se diriger vers d’autres activités privées autre que la médecine générale, c’est là que nous perdons des joueurs de première ligne. Mais si nous construisions un réseau de médecine générale au privé, nous serions peut-être justement capables de garder ces médecins en pratique générale en leur offrant des conditions de travail adaptées à leur besoins et bien rémunérées. Médicina EST de la médecine de première ligne. > « Nous allons créer la médecine à 2 vitesses. » Je dirais que c’est bien correct si les deux sont accessibles à la majorité. La différence de vitesse, à mon avis, sera reliée à une gestion moins lourde et plus saine au privé, donc plus efficace et avec de meilleures technologies. Une petite compétition ne nuit à aucun système et permet à tous de s’améliorer et de mieux performer. De plus, la charge de travail que la partie privée prendra pourra donner une chance à notre système public de respirer un peu et de se restructurer. De plus, les patients qui choisiront de consulter au public (ou, dans certains cas, ceux qui ne pourront vraiment pas se payer le privé) auront davantage de services, car il y aura moins de patients. > « Tous nos meilleurs médecins s’en iront au privé. » Je crois que tous les médecins diplômés sont compétents, et qu’il y aura toujours des médecins qui, par choix ou par principe, vont rester au système public. N’oublions pas que beaucoup de médecins y sont heureux et satisfaits de leurs conditions de travail. Par ailleurs, qu’est-ce qui empêcherait un médecin disons moins compétent (hypothèse et non suggestion) de se tourner vers le privé? Je crois plutôt que cette fausse croyance est reliée à certaines surspécialités, où des « éminences » médicales qui se sont fait recruter par des chasseurs de tête pour des compagnies au privé. Autre chose : plusieurs voient la procédure pour passer du public au privé tellement compliquée et effrayante! La seule chose qui change est que votre revenu ne vient plus de la RAMQ, mais d’un employeur (qui peut être vous-même). Il n’y a aucune période d’arrêt de travail et c’est une simple lettre enregistrée qu’on envoie à la RAMQ. La procédure est tout aussi simple pour revenir sous l'égide de la Régie si on change d’idée. Tout le reste ne change pas: CMQ, ACPM, crédits de FMC, etc. Mon intention aujourd’hui est de démystifier pour la communauté médicale une partie de ce flou autour du privé/public et de proposer une autre façon de voir les choses. Je crois qu’il est temps de cesser les discours moralisateurs et culpabilisants, en affirmant que « l’on perd encore des médecins, que l’on accentue la pénurie, qu’il n’y aura plus de médecins pour travailler le soir et les weekends… » Toutes des affirmations gratuites et sans fondement. Comme si tous les médecins œuvrant dans le public travaillent néces- sairement le soir et les weekends, et comme si cela était impossible au privé. Il y aura toujours des médecins qui aimeront être dans une urgence, d’autres qui préféreront des horaires de soir ou de weekend pour avoir d’autres moments libres dans leurs horaires. Il faut amorcer une ère de travail dans un esprit de complémentarité et avec un esprit d’ouverture; cesser de se concentrer sur tout ce qui peut aller mal et voir comment on peut faire les choses autrement, pour le bien de tous. Les systèmes de santé public et privé ne sont pas en opposition; il faut cesser d’argumenter à l’infini sur le sujet et passer à l’action. Il faut également que la population ne soit plus prise en otage dans ces débats dont on ne voit pas l’issue. Le privé peut certainement constituer un soutien pour le système public et pour les citoyens qui désirent avoir le choix. Anne Leclerc, MD Médecin de famille Médicina, Québec ⌧ juillet / août 2011 Santé inc. 23