Salvador, quels enjeux pour le second tour de l`élection

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Salvador, quels enjeux pour le second tour de l`élection
Note n°203 - Fondation Jean-Jaurès - 11 mars 2014 - page 1
Salvador,
quels enjeux
pour le second
tour de l’élection
présidentielle ?
Jean Jacques Kourliandsky*
*Chercheur à l’IRIS
L
e Salvador et son voisin costaricien ont essuyé le 2 février les premiers plâtres d’une année
électorale latino-américaine particulièrement dense. Sept pays vont en effet renouveler
leurs équipes dirigeantes par la voie des urnes en 2014, le Salvador et le Costa Rica, puis
dans l’ordre chronologique, la Colombie, le Panama, la Bolivie, le Brésil et enfin l’Uruguay. Que
dire sur ces consultations en cascade, sinon, et sans originalité, que l’on peut et doit s’en féliciter.
Le Salvador, il y a un petit peu plus de vingt ans, était en guerre civile. Bolivie, Brésil, Panama
et Uruguay sortaient de longues années de dictatures militaires et la démocratie colombienne
était à la peine, empêtrée entre violences d’origine diverse et corruption.
Que le calendrier électoral soit initié par le Salvador, l’un des pays les plus gravement affectés par
les tragédies démocratiques d’un continent, marquées par les conflits internes et la mort tragique
de personnalités morales comme l’évêque Oscar Romero, a donc une valeur symbolique forte.
Il convient de le rappeler. Le Salvador vit aujourd’hui aux rythmes d’une démocratie apaisée.
Les ennemis d’hier, le FMLN (Front Farabundo Marti de libération nationale), l’ancienne
guérilla, et l’ARENA (Alliance républicaine nationaliste), le parti de la droite dure, cohabitent
et acceptent la règle de l’alternance électorale. Ils l’ont démontré une nouvelle fois le 2 février
avec la désignation de celui qui va diriger le pays de 2014 à 2019. Notons de même qu’il n’y a eu
dimanche aucun incident notable.
AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de
concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions
dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de l’argumentation contribuent à
atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles.
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Comme cela est le cas depuis 1992, l’an I du Salvador démocratique, celui de la paix signée entre
les différentes parties au conflit, la bataille électorale s’annonçait serrée. Les uns, le FMLN,
et les autres, l’ARENA, dans le passé l’ont emporté d’une courte tête. Les sondages effectués
ces dernières semaines avaient confirmé la tendance plaçant le candidat de gauche, Samuel
Sánchez Cerén (FMLN), quelques points devant son principal rival de droite, Norman Quijano
(ARENA). Les électeurs ont amplifié l’écart constaté par les enquêtes et ont imposé un deuxième
tour, d’ores et déjà programmé pour le 9 mars prochain, qui opposera Samuel Sánchez Cerén
à Norman Quijano.
La division du camp conservateur a bonifié le résultat du candidat FMLN. Dix points séparent
en effet Samuel Sanchez Cerén et Norman Quijano. La guerre des chefs au sein de l’ARENA
s’est terminée en fractionnisme. Le chef de l’État sortant en 2009, Elias Saca, a présenté sous
l’étiquette Unidad sa candidature, parallèlement à celle de son ex-coreligionnaire Quijano. Tout
au plus, mais cela n’est pas rien, les droites ont-elles réussi à faire bloc pour protéger de 2009
à aujourd’hui ceux des leurs qui auraient pu être mis en examen, ou être remplacés dans la fonction
publique. La scission, et tout ce que cela suppose, augure mal des reports de voix Saca au second
tour sur Quijano.
Rien n’est pour autant joué. Juan José Rendón, consultant vénézuélien, proche de l’opposition aux
gouvernements successifs de Hugo Chavez et Nicolas Maduro, recruté par le candidat ARENA, l’a
rappelé : « Une élection se dispute jusqu’à l’ultime minute. L’électorat est émotionnel. Et la gauche
le sait et lui vend l’impossible : tout gratuit. La droite doit savoir parler au peuple autrement que
par des chiffres ». Le candidat FMLN, actuellement vice-président, Samuel Sánchez Cerén, ne
bénéficiait pas du soutien plein et entier du chef de l’État, Mauricio Funes, élu en 2009 avec
l’appui du FMLN, sans en être membre. La radicalisation à la vénézuélienne, conseillée par Juan
José Rendón, a marginalisé cette contradiction restée virtuelle et a fait sortir du bois Mauricio
Funes. De même, son épouse est entrée en campagne au côté de Sánchez Cerén.
Les tensions avaient pourtant été nombreuses entre un président sans parti, Mauricio Funes,
privilégiant le mérite et la défense de valeurs éthiques et ses alliés Frontistes, formés à la dialectique
marxiste et aux disciplines collectives. Mais, divisée, la droite n’a pas été en mesure de proposer
une autre façon de faire de la politique. L’équilibre électoral a favorisé la perpétuation d’une sorte
d’immobilisme, contraint par les circonstances parlementaires. La conduite de l’économie n’a
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pris aucun aiguillage novateur. Le Salvador est lié par plusieurs traités commerciaux aux ÉtatsUnis, à la Corée du Sud et à Taïwan. Sa monnaie est toujours celle des États-Unis, le dollar.
Le revenu national reste assuré par les transferts de devises effectués par les 2 millions d’émigrés
qui travaillent aux États-Unis et les entreprises de montage installées en zones franches,
les maquilas. En dépit de drames humains qui ont défrayé la chronique, l’avortement reste
interdit et passible de nombreuses années d’emprisonnement. A la marge, deux dossiers ont
malgré tout bénéficié de la dernière alternance – celle de 2009, de Mauricio Funes et du FMLN
–, le social et la sécurité publique. L’État s’est endetté afin de lancer des programmes destinés
aux plus pauvres, leur assurant en particulier la gratuité de l’école et de la santé. L’autre avancée
concerne la sécurité publique. Un compromis a été trouvé en 2012, via l’Église, avec les chefs
de bandes, les maras. Ce compromis a été facilité par l’État. Les maras avaient porté le Salvador
au sommet de la statistique du crime. En un peu plus d’un an, le nombre d’assassinats est ainsi
passé de 14 à 5 par jour.
Les candidats en présence, en dépit de leurs maillots politiques différents, proposent un changement
d’équipe, plus qu’un changement de politique. En tous les cas, le face-à-face organisé le 12 janvier
dernier dans les locaux du centre d’expositions de la capitale a laissé cette impression. Les choix
économiques ne sont pas questionnés et les programmes sociaux ne sont pas contestés, en dépit
des incertitudes pesant sur la capacité d’un État sans moyens fiscaux à continuer à s’endetter
pour les financer. Seule petite variante, le candidat du FMLN propose de faire adhérer le pays
à l’ALBA, l’Alliance bolivarienne des Amériques, soutenue par le Venezuela. Paradoxe – mais en
est-ce vraiment un –, le parti UNIDAD, scission de l’ARENA, qui a contribué à assurer la majorité
parlementaire ces dernières années, n’est pas contre. L’argent du pétrole a permis de surmonter
bien des a priori dans certains secteurs patronaux. Les séquelles de la scission à droite aidant,
il est vraisemblable que sous une forme ou sous une autre, FMLN et Unidad trouvent un terrain
d’entente avant le 9 mars.
Les difficultés d’un petit pays sans beaucoup de ressources, victime récurrente de cyclones,
dépendant des États-Unis qui accueillent 20 % de sa population et soucieux de préserver une
paix intérieure si difficilement acquise, constituent la toile de fond d’une consultation qui cette
année est encore davantage protégée et démocratique. En effet, plus de 600 nouveaux bureaux
de vote ont été mis à la disposition des électeurs, les Salvadoriens vivant à l’étranger ont pu voter
et 40 000 policiers, soldats et pompiers ont été mobilisés pour en assurer le bon déroulement.
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Résultats obtenus par les principaux candidats aux présidentielles du 2 février 2014 :
• FMLN (gauche) : Salvador Sánchez Cerén (vice-président sortant) : 48,9 %
• ARENA (droite) : Norman Quijano (maire de la capitale) : 38,6 %
• UNIDAD (droite) : Elías Antonio Saca González (ex-président ARENA,
de 2004 à 2009) : 11,5 %
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