Bon mais pas bête - Peace Watch Switzerland

Transcription

Bon mais pas bête - Peace Watch Switzerland
2
REGARDS
LE COURRIER
MERCREDI 4 FÉVRIER 2015
LES DOUZE
TRAVAUX
DE YANIS
VAROUFAKIS
«
L
mettant aux paysans de traa Bible dit qu’il faut être
vailler. Le même jeune homme
bon mais pas bête! Oui,
résume joliment ces mesures
on lutte pacifiquement,
avec l’expression «dar gato por
mais on ne peut pas rester sans
liebre», littéralement, donner un
agir face à l’injustice.» Un jeune
chat à la place d’un lièvre. Il rede Las Pavas me confie ses
proche à l’Etat de donner
doutes par rapport au Prix naquelque chose (souvent une
tional de la Paix, décerné en noaide financière) pour éviter le
vembre 2013 à sa communauté
véritable problème. Certaines
par le gouvernement. Il craint
PAR
aides jouent même en faveur du
que cette récompense soit une
SARA
gouvernement. Par exemple,
manière pour les autorités de
KASME*
lorsque ce dernier finance
garder le village «tranquille», de
l’amélioration des maisons dans
l’empêcher, sous l’argument de
la non-violence, d’exprimer son mécon- le village, il incite les gens à y rester, car
elles sont plus confortables, plutôt que
tentement.
d’aller vivre sur les terres qu’ils
revendiquent. Ainsi, il fait bonne figure tout en évitant de se
RÉCITS DU NORDESTE COLOMBIEN
confronter avec l’entreprise.
De la même manière, l’Unité
de Victimes du gouvernement
s’organise autour de trois axes:
vérité, justice et réparation. Or
jusqu’à présent, elle a été principalement active dans l’axe
«réparation», soit l’aide financière. Cet axe est le plus facile à
mettre en place, mais certainement pas le plus durable; si
Ce prix national semble à première vue l’Etat donne de l’argent pour reconstruire
une victoire, une reconnaissance officielle une maison détruite mais que les agresaprès des années d’âpre lutte. Les familles seurs ne sont pas sanctionnés, il est fort
revendiquent des terres qu’elles tra- possible qu’une situation similaire se revaillent depuis plus de quarante ans mais produise quelques mois plus tard. Et que
qui ont tout de même été vendues l’injustice, l’instabilité et la peur persis– illégalement – en 2007 par un présumé tent.
Or personne n’est dupe. «Payaso, payanarcotrafiquant à l’entreprise d’huile de
palme San Isidro. Depuis, l’entreprise s’é- so, payaso». Soit clown. C’est ce que l’entend et fait tout pour empêcher les pay- treprise a écrit sur la barrière placée pour
sans d’aller travailler sur le peu de terres empêcher les paysans d’accéder à leurs
qu’il leur reste. Malgré la pression natio- terres. Cette barrière, la police l’a enlevée à
nale et internationale, malgré la couvertu- cinq reprises... pour que quelques jours
re médiatique et les preuves juridiques, plus tard, elle soit de nouveau en place!
qui confirment toutes que les paysans ont L’insulte «payaso» n’est pas destinée aux
été dépossédés dans une ignorance totale paysans mais bien à la police – et donc
des droits humains, la situation sur le ter- indirectement au gouvernement – qui se
rain n’a pas changé, voire s’est empirée. fait mener par le bout du nez par l’entreAlors oui, lorsqu’après des années de pro- prise et ne parvient pas à faire respecter les
messes de la part des autorités à la com- mesures prises.
Agir ne signifie pas être violent. Alors
munauté, l’entreprise continue de gagner
du terrain et que les paysans ne peuvent que la communauté attend une autorisatoujours pas travailler, on peut en effet se tion officielle pour aller retravailler les
terres, les années passent et l’entreprise
poser des questions.
Les soutiens du gouvernement – dans continue de semer de la palme... Or que
le cas du Prix de la Paix principalement feront les paysans – s’ils les récupèrent –
symbolique – ne sont que des réponses de ces terres devenues stériles?
partielles et provisoires. Elles ne garantis- * Titulaire d’une maîtrise universitaire en géographie humaine,
sent en aucun cas un respect des lois et observatrice des droits humains en Colombie mandatée par
des droits humains, ni une sécurité per- Peace Watch Switzerland.
«Bon mais
pas bête»
POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ
Dérision, irrévérence
et insoumission
taire, son insolence, son impertioilà un mois que l’impennence, son indécence. Nous adsable est arrivé. Depuis ce
mirions certains de ses dessinafuneste 7 janvier, spéciateurs, mais nous n’aimions pas
listes, analystes et témoins se
son incapacité à ne pas être sexissuccèdent à l’antenne, qu’elle
te.
soit radiophonique ou télévisuelJournal de gauche, journal
le, écrivent ou accordent des inantiraciste, il n’a jamais réussi à
terviews dans les colonnes des
être antisexiste. Cette question
journaux. Comme l’a très justePAR
n’a jamais été jugée digne d’atment relevé Silvia Ricci Lempen
MISO ET MASO*
tention! Combien de fois ne nous
dans une chronique1, point de
sommes-nous pas énervées, oufemmes à l’horizon médiatique.
Dans les situations d’urgence, lorsqu’il s’agit de trées, offusquées de voir un énième dessin sexiste?
donner «une parole d’autorité sur la marche En outre, il s’agissait la plupart du temps d’un hugénérale du monde, le naturel revient au galop», mour graveleux, voire d’un humour bien gras,
comme on le trouve dans nombre de cantines et
c’est vers les hommes que l’on se tourne.
Si cet état de fait illustre fort bien le système de bars. L’humour ne pourrait-il pas porter les hapatriarcal qui nous gouverne, ici, en Europe, il y a bits du féminisme, comme ceux de l’anticoloniapeut-être autre chose. Peut-être qu’un certain lisme ou de l’antiracisme? Il semble que ce soit
nombre de femmes, analystes, spécialistes, mais difficile!
Aujourd’hui, nous nous retrouvons devant un
aussi féministes, ne se sentaient pas très à l’aise
pour parler de Charlie Hebdo. Car s’il va de soi paradoxe. Incapable de dépasser le sexisme, élevé
qu’il fallait dénoncer la violence et la sauvagerie par certains au rang de valeur républicaine, Charde cet assassinat, les voix critiques ont instantané- lie Hebdo n’aura jamais cédé au «politiquement
ment été bâillonnées. La naissance sur les réseaux correct». Si nous déplorons son sexisme, il n’a pas
sociaux de «je suis Charlie», véritable cri de sou- fait de l’égalité de façade, comme tant d’autres. Il
tien au principe de la liberté d’expression, a fait n’a pas lissé la surface sans rien changer en proplace presque instantanément à un phénomène fondeur. Peut-être faut-il le relever à défaut de s’en
de mode, il fallait en être, qui que nous soyons. réjouir...
Cette liberté totale lui a permis de dénoncer
Plus encore, en quelques heures, c’est devenu une
tous les intégrismes, tous les obscurantismes. Per«obligation républicaine», un impératif!
Cette injonction à «être Charlie» s’est faite par- sonne n’y a échappé, ni les curés, ni les rabbins, ni
ticulièrement forte à l’égard des personnes d’origi- les imams. Singées, caricaturées, ridiculisées, ces
ne maghrébine, susceptibles d’être musulmanes, figures du pouvoir patriarcalo-religieux! Idem
et donc invitées encore plus que les autres à mon- pour le personnel politique, qu’il soit de gauche,
trer qu’elles dénonçaient l’horreur en devant de droite, d’extrême-droite.
Si son sexisme nous a agacées au plus haut
s’identifier à un journal, duquel la veille encore si
point, Charlie et nous, féministes, avons cepenpeu se réclamaient...
Mais revenons sur l’absence des voix fémi- dant des ennemis communs, les religions, le pounines, et surtout féministes. L’après-7 janvier a voir de tout type, mais surtout nous avons les
créé un climat qui n’a plus permis de faire en- mêmes armes: la dérision, l’irrévérence et l’insoutendre une voix discordante. Tout ça au nom de la mission. C’est cela qu’aujourd’hui il faudrait rapliberté d’expression, ce qui n’est pas le moindre peler, souligner, commémorer. Pour ne pas figer
paradoxe. Ce qui s’est passé dans les médias est dans le marbre des figures de la liberté d’expresexactement ce qui s’est passé dans la rue, où les sion, osons le débat, ramenons la controverse et
gens ont défilé pour la liberté sous l’œil des sni- signons nos désaccords, c’est encore ce que la dépers. Pourtant, un certain nombre de féministes, mocratie peut offrir de mieux!
dont nous nous réclamons, n’aimaient pas Charlie * Investigatrices en études genre.
Hebdo. Nous aimions son esprit libre, voire liberLe Temps, 23 janvier 2015.
V
1