Régimes matrimoniaux

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Régimes matrimoniaux
Revues
Lexbase La lettre juridique n˚638 du 8 janvier 2016
[Régimes matrimoniaux] Jurisprudence
De la prescription des créances entre époux en participation
aux acquêts... et ailleurs !
N° Lexbase : N0635BWG
par Jérôme Casey, Avocat au Barreau de Paris, Maître de conférences à la Faculté de droit de Bordeaux
Réf. : Cass. civ. 1, 2 décembre 2015, n˚ 14-25.756, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2715NY9)
La question du régime des créances entre époux n'est pas des plus aisées à résoudre (en dépit de son
apparente facilité), ce que la doctrine a déjà eu l'occasion de souligner (v., not., deux très belles études
sur le sujet : P. Hilt, Les créances au sein du couple : des créances ordinaires ?, AJ Famille, 2006, 231 ; E.
Buat-Ménard, La prescription des créances dans le couple, AJ Famille, 2015, 461). La décision de la Cour de
cassation en date du 2 décembre 2015 montre une nouvelle facette de cette trompeuse simplicité, laquelle
est due cette fois à l'existence du régime de la participation aux acquêts (Cass. civ. 1, 2 décembre 2015, n˚
14-25.756, FS-P+B+I).
En l'espèce, deux époux ont été définitivement divorcés par décision d'un juge aux affaires familiales en date du 22
décembre 2007. La liquidation traîne, et l'ex-mari assigne son ex-femme le 20 juin 2012 en paiement d'une certaine
somme au titre d'une créance née de l'acquisition du domicile conjugal (lequel était indivis). Il est débouté en
première instance, décision confirmée par la cour d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 18 juin 2014, n˚ 13/05 590
N° Lexbase : A4779MRG) qui juge que les sommes dont un époux pouvait être créancier à l'égard de son conjoint
devaient être ajoutées à la créance de participation pour être soumises au même règlement (C. civ., art. 1575, al. 2
N° Lexbase : L1661AB7), ce dont il résultait que la demande en paiement de la créance faisait partie intégrante de la
liquidation du régime matrimonial et se trouvait donc soumise à la prescription de trois ans de l'article 1578 du Code
civil relatif à la liquidation du régime. L'ex-mari forme alors un pourvoi contre l'arrêt montpelliérain, faisant valoir
que les créances entre époux relevaient d'un régime distinct de la liquidation du régime et donc que la prescription
de droit commun de cinq ans était applicable à la demande en paiement. Mais en vain. La Cour de cassation
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rejette son pourvoi en précisant que "l'action en paiement des créances entre époux, dont le règlement participe
de la liquidation du régime matrimonial de participation aux acquêts, est soumise au même délai de prescription de
l'article 1578, alinéa 3, du Code civil que l'action en liquidation".
Il faut le dire d'emblée, la solution consacrée est heureuse et bienvenue. Même si elle ne concerne que le régime
de la participation aux acquêts stricto sensu (I), une telle position résonne fortement à l'égard des autres régimes
matrimoniaux, surtout à l'heure de l'entrée en application du désormais célèbre et déjà controversé nouvel article
267 du Code civil (N° Lexbase : L1685KMD, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, modifié par l'ordonnance n˚ 20151288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille N° Lexbase : L0901KMC) (II).
I — Une solution logique dans la participation aux acquêts
Depuis le début de la procédure, l'ex-mari soutenait que sa créance n'était pas soumise au délai de prescription
spécifique à l'action en liquidation de la créance de participation prévue par l'article 1578 du Code civil (délai de 3
ans), précisément parce que, selon lui, cette action n'est pas assimilable à l'action en liquidation de la créance de
participation. Là était donc le cœur du débat : assimilation ou distinction ? La réponse finale vient donc de tomber
par la voie du juge du droit, lequel confirme d'ailleurs la position prise par les deux degrés des juridictions du fond : le
règlement des créances entre époux "participe de la liquidation du régime matrimonial" avec pour conséquence qu'il
est soumis à la prescription triennale de l'article 1578, alinéa 3, du Code civil. C'est donc la thèse de l'assimilation qui
est consacrée, et il faut s'en réjouir. En effet, décider du contraire reviendrait à soumettre l'action en paiement des
créances entre époux à une prescription de cinq ans, ce qui dénaturerait fortement le but poursuivi par le législateur,
qui est d'accélérer le règlement du régime. Au demeurant, en l'espèce, il faut souligner que la qualification même de
"créance entre époux" est un rien curieuse, car la dépense exposée par l'ex-mari concernait un bien indivis et non
un bien du patrimoine originaire de l'épouse. La créance était donc plutôt contre l'indivision qu'à l'encontre de l'autre
époux personnellement (la distinction est jugée depuis plusieurs années déjà en régime de séparation de biens).
Dans ces conditions, dire que la créance en cause entre dans le champ de l'article 1575 (créances entre époux)
est sans doute discutable. Mais personne n'ayant soulevé la difficulté, nul ne peut en vouloir à la Cour de cassation
de s'en être tenue à la qualification de créance entre époux. Cependant, cela ne fait que renforcer l'opportunité de
sa décision. Cette créance "participe" en effet de la liquidation du régime matrimonial lato sensu. L'emploi du verbe
"participer" est du reste très bien choisi (à la limite du jeu de mots, vu le nom du régime matrimonial...), car cela
traduit bien cette idée qu'en effet, stricto sensu, les créances ne relèvent pas de la liquidation du régime (la preuve,
on peut les réclamer à tout moment en cours de mariage, bien que ne liquidant pas le régime en même temps),
mais on voit bien qu'elles entrent, lato sensu, dans la liquidation finale des intérêts des époux. Où l'on retrouve
alors l'observation précédente : il serait fâcheux et peu pragmatique de les laisser se prescrire par cinq ans, là
où la créance de participation (qui est "la" créance entre les créances entre époux, si l'on nous pardonne cette
curieuse expression) se prescrit, elle, par trois ans. La cohérence de l'ensemble commande de soumettre toutes
les revendications financières au même délai, qui est donc de trois ans. Les praticiens veilleront donc à ne pas se
laisser surprendre en connaissant bien le régime applicable à cette prescription (laquelle ne court évidemment pas
entre époux, v. C. civ., art. 2236 N° Lexbase : L7221IAP ; le point de départ de l'action est le jour de la décision
définitive de divorce, v. Cass. civ. 1, 14 mai 1996, n˚ 94-11.338 N° Lexbase : A9629ABA, Bull. civ. I, n˚ 209 ; JCP
éd. G, 1996, I, 3962, obs. M. Storck ; JCP éd. N, 1997, 391, obs. J. — F. Pillebout ; Defrénois, 1996, 126, obs. G.
Champenois ; RTDCiv., 1997, 214, obs. B. Vareille ; aux causes de droit commun d'interruption de la prescription, on
ajoutera le procès-verbal de dires et de difficultés, v. Cass. civ. 1, 11 juillet 2006, n˚ 03-19.464, FS-P+B N° Lexbase :
A4249DQG, Bull. civ. I, n˚ 390).
II — Une solution opportune au-delà de la participation aux acquêts
Il est toujours risqué pour un commentateur de lire une décision de la Cour de cassation par-delà la saisine émanant
du moyen de cassation. Pourtant, il est des décisions que l'on a du mal à limiter à leur strict domaine de réponse
tant la généralité du motif trouve un écho dans d'autres questions, et ceci par identité de raison. Tel est bien le cas
en l'espèce. En effet, affirmer que la liquidation des créances entre époux "participe" de la liquidation du régime
matrimonial, c'est ouvrir la porte à une lecture plus large d'un tel motif. Certes, le régime ici visé tait celui de la
participation aux acquêts. Mais ne doit-il pas en aller de même sous d'autres régimes quand bien même ceux-ci
n'ont pas de délai de prescription spécifique pour la liquidation ? Ce que nous voulons dire, c'est que l'affirmation
selon laquelle l'action en paiement d'une créance entre époux "participe" de la liquidation du régime n'est pas vraie
uniquement en régime de participation aux acquêts. C'est vrai de tous les régimes matrimoniaux... Si l'idée de la
Cour de cassation est de tenter de concentrer au maximum les règlements pécuniaires à l'occasion d'un divorce
(et ce but est plus que souhaitable) dans le but d'éviter la dispersion (et donc la multiplication) du contentieux, alors
l'idée contenue par la présente décision dépasse largement le cadre étroit de la seule participation aux acquêts. Et
le tout nouvel article 267 du Code civil renforce encore un peu plus ce sentiment...
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On rappellera que le juge du divorce est compétent pour statuer sur les créances entre époux (v., P. Hilt et E.
Buat-Ménad, préc,). Ce n'est que logique : dès lors que ces créances peuvent être réclamées à tout moment entre
époux, même bien avant l'introduction d'une procédure de divorce, avec pour juge compétent, désormais, le juge
aux affaires matrimoniales, il n'est que logique que ce même juge conserve sa compétence lorsque la question lui
est posée lors d'une instance en divorce. Qui peut le plus... Pourtant, en pratique, la plupart des juges aux affaires
familiales statuant sur le divorce se déclarent incompétents si d'aventure un plaideur leur demande de statuer
aussi sur des créances entre époux. Et certaines cours d'appel sont aussi de cet avis... La position est cependant
clairement erronée en droit, la Cour de cassation décidant le contraire depuis longtemps déjà (v., not. Cass. civ.
1, 22 mai 2007, n˚ 05-12.017, FS-P+B N° Lexbase : A5208DWS, Bull. civ. I, n˚ 201 ; AJ Fam., 2007, 360, obs. P.
Hilt). Ce refus de nombreux juges du fond traduit souvent une ignorance des règles applicables, mais aussi, dans
nombre de dossiers, une volonté de ne pas mélanger les deux procédures, celle en divorce et celle en liquidation.
Désormais avec le nouvel article 267, cette position sera intenable. Plus que jamais le juge du divorce est le juge
de la liquidation, et il lui faudra bien trancher toutes les questions, y compris celles qui ont une coloration liquidative
telle que les créances entre époux...
Mais c'est alors que la question de l'articulation avec la liquidation stricto sensu risque de se poser. En effet, lorsqu'il
existe, après le prononcé du divorce, une "vraie" liquidation à faire (il y a des biens à partager et des droits à liquider
avant tout partage) il ne sera pas difficile de joindre les créances entre époux à cet ensemble liquidatif afin d'obtenir
un règlement unique. Dans cette hypothèse l'action en paiement de la créance entre époux "participera" de la
liquidation du régime, c'est certain (quitte à faire des comptes, on peut bien ajouter les créances entre époux).
C'est d'ailleurs pour cela que la Cour de cassation décide qu'une instance distincte en paiement de la créance est
irrecevable (v., not., Cass. civ. 1, 28 novembre 2000, n˚ 98-13.405 N° Lexbase : A9342AHH, Bull. civ. I, n˚ 306 ; Cass.
civ. 1, 22 mai 2007, préc.). Tout doit se régler en même temps que l'action en partage. Là encore, la concentration
des procédures justifie la solution. On peut comprendre que l'existence d'une liquidation et d'un partage "sauve"
la créance entre époux, car il n'est pas forcément opportun de dépecer le règlement d'ensemble des mouvements
financiers entre époux. Bien entendu, ce sera mieux encore si, avec le nouvel article 267, le juge du divorce tranche
aussi la liquidation et les créances au lieu de renvoyer la liquidation et le partage (et donc les créances avec) à
une procédure postérieure et distincte de celle de divorce. Mais gageons qu'il faudra du temps pour que ce tableau
idéal arrive un jour, s'il arrive...
Alors, bien entendu, cela laisse grande ouverte l'autre hypothèse, celle où, post-divorce, il n'existe pas de "vraie"
liquidation à faire (aucun bien indivis à partager, pas de récompense, rien...). Ce cas est donc celui où, post-divorce,
la seule chose en discussion est une créance entre époux (ou plusieurs créances, cela ne change rien à la question).
Faut-il alors permettre une résurgence du contentieux en dehors de toute liquidation et de tout partage ? Rien n'est
moins sûr... Après tout, les créances entre époux relèvent du droit commun des obligations, non de la liquidation
du régime. N'est-ce pas pour cela que leur règlement ne constitue pas une opération de partage ? Dès lors, et
puisqu'il n'y a rien à régler en dehors de ces créances, ne serait-il pas logique de dire qu'une instance en paiement
formée après le prononcé du divorce est irrecevable ? Il aurait fallu la former avant le divorce, ou au plus tard
au moment du divorce... Mais après, c'est trop tard... La position peut sembler sévère, mais rappelons tout de
même qu'une partie de la doctrine soutenait, il n'y a pas si longtemps encore, que les créances devaient être
soumises au juge du divorce au plus tard dans l'assignation en divorce, ce qui est bien plus sévère encore (v., les
développements de P. Hilt, préc, qui rappelle avec raison ce point). L'argument se renforce encore un peu plus,
évidemment, avec le nouvel article 267 et la jurisprudence de la Cour de cassation de 2012 qui veut concentrer,
clarifier, les demandes financières au moment du prononcé du divorce. Car les praticiens le savent bien : il y a
souvent une part de duplicité à évoquer vaguement des créances au moment du divorce (ou à les cacher) afin de
ne pas altérer un droit à prestation compensatoire (ou pour ne pas minorer ou au contraire risquer d'augmenter
celle-ci). Les plaideurs restent volontiers dans le flou sur ces questions, pensant sans doute comme le Cardinal de
Retz que l'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment... Pourtant, il ne serait pas scandaleux, bien au contraire, de
les obliger à se positionner, lors du prononcé du divorce, à propos des éventuelles créances qu'ils estiment détenir
et ceci par la menace d'une impossibilité d'agir post-divorce dès lors que nul partage n'est à faire. Cela éviterait des
contentieux post-divorce qui ne portent que sur une unique créance ou sur quelques créances isolées (au sens de
détachées de toute liquidation et de tout partage).
La règle serait donc celle de l'arrêt précité de la Cour de cassation du 22 mai 2007 : tant que le divorce n'est
pas définitif, un époux peut revendiquer sa créance contre son conjoint (y compris pour la première fois en cause
d'appel). Mais une fois le divorce prononcé, il est trop tard, sauf à ce qu'une véritable liquidation et un partage soient
possibles, un règlement d'ensemble étant alors préférable. L'action en partage serait ainsi une sorte de session de
rattrapage, mais la règle de principe serait bien de devoir réclamer ses créances au moment du prononcé du divorce.
Malheur à ceux qui n'ont pas joué franc-jeu au moment où le juge statue sur la prestation compensatoire...
C'est dire combien le présent arrêt ouvre des perspectives très intéressantes, bien au-delà de ce que le moyen
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soutenait. En affirmant que l'action en paiement des créances n'est pas autonome et qu'elle est liée à l'action en
liquidation, la Cour de cassation invite à la concentration du contentieux, et c'est une excellente chose. Sur ces
bases, on peut aller plus loin encore et concentrer davantage encore le contentieux en affirmant que s'il n'existe
aucun partage à faire, aucune action en paiement d'une créance entre époux n'est recevable après le prononcé du
divorce. Cela obligera le prétendu créancier à réclamer le paiement de sa créance en cours de régime, ou au plus
tard devant le juge du divorce. Fou ? Nous ne le pensons pas. A suivre...
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