Le désir du vin à la conquête du Monde - Physio-Géo

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Le désir du vin à la conquête du Monde - Physio-Géo
Physio-Géo - Géographie Physique et Environnement, 2009, volume III, comptes rendus
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Le désir du vin à la conquête du Monde
Jean-Robert PITTE, 2009
Éditions FAYARD, 333 p.
Il s'agit là d'un livre de géographie culturelle qui peut sembler être éloigné des
préoccupations de la revue Physio-Géo. Cependant la géographie physique est souvent liée à
la géographie humaine, car son objectif principal est de permettre à l'homme de vivre le
mieux possible sur notre planète tout en conservant ce patrimoine terrestre. Pour cela, il faut
aussi connaître et comprendre les désirs des hommes.
L'auteur nous emmène dans une magnifique "promenade culturelle". De chapitre en
chapitre, il explique l'origine du vin sur les bords de la mer Caspienne et en Mésopotamie il y
a plus de 6000 ans. S'appuyant sur les recherches archéologiques, il décrit l'histoire du vin en
Mésopotamie antique, en Égypte, Grèce, Rome et le Monde chrétien. Il montre aussi le rôle
du vin dans les religions. On est alors frappé de la comparaison entre Dionysos et JésusChrist : tous deux sont fêtés le 6 janvier, tous deux transforment l'eau en vin, tous deux sont
morts et ressuscités comme la vigne, seule plante de la Mésopotamie et de la Palestine qui
"meurt" en automne en perdant ses feuilles et "ressuscite" au printemps. On part ainsi à la
conquête du Monde en traversant toutes les cultures (même l'Islam) et tous les continents.
J.R. PITTE montre ainsi les relations du vin avec les religions et notamment celles
monothéistes, les relations du vin avec le pouvoir, avec les sociétés, avec la santé, avec le luxe
et enfin avec l'économie. Il montre ainsi qu'il y a une civilisation du vin, devenu boisson
universelle. Cette analyse permet de comprendre bien des faits de société et d'économie
politique du monde viticole actuel.
C'est dans ce contexte que depuis quelques années on voit revenir en force la notion de
terroirs. Cette notion a été inventée par Olivier de SERRE, agronome. Elle a ensuite été reprise
au début du XXème siècle par des géographes français ruralistes pour expliquer la répartition
des terres cultivées à l'intérieur d'un espace occupé par une communauté humaine qui vivait
surtout en autarcie. Cette conception est tellement française que le mot terroir n'a pas de
traduction dans les autres langues qui utilisent des mots approchants et parfois le mot français.
Au milieu du XXème siècle, les géographes ruralistes ont un peu délaissé cette expression qui,
parfois, a même pris un sens péjoratif. Un produit qui avait le "goût du terroir" n'était pas
toujours considéré comme étant d'une grande qualité par certains.
En revanche, pour les vignerons, le terroir avait gardé toutes ses lettres de noblesse et a
permis de définir, en 1936, les zones d'appellation contrôlée (AOC). Aujourd'hui, en France,
on voit revenir en force cette notion et d'autres produits commencent à délimiter des zones
d'appellation contrôlée. Ce sont les fromages, l'huile d'olive, les herbes aromatiques, etc. Dans
le domaine viticole, cette notion a dû se préciser et définir des critères plus rigoureux. Surtout
quand le vin est de qualité, se vend bien et qu'un élargissement de la zone de production se
fait sentir, comme en Champagne. Comment classer de nouvelles surfaces dans la zone
d'AOC ?
Un des critères souvent retenu est celui de la tradition. Mais quelle tradition ? On a donc
besoin d'études de géographie culturelle qui permettent de connaître l'origine et l'histoire du
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vin. C'est ce que fait J.R. PITTE dans ce livre.
Un autre critère retenu est celui de la spécificité naturelle du terroir. Et c'est là que le
géographe physicien souhaite tempérer certains propos du géographe humain. En effet, il ne
faut pas tomber dans des extrêmes. Dans un premier temps, J.R. PITTE reprend l'idée de
R. DION pour qui "le terroir n'est qu'une sorte de page blanche, d'un certain grain il est vrai" ;
J.R. PITTE donne cette image : "avec un planche de sapin, on peut confectionner un
stradivarius ou une caisse à savon". Contrant les propos d'un vigneron qui met 90 % des
vertus du terroir dans la nature, il parle même "d'une idolâtrie du volet environnemental du
terroir (qui) ne peut reposer que sur une volonté de préserver un capital foncier". L'homme est
donc, dans l'élaboration du terroir, le facteur primordial. Donner une valeur au facteur naturel
relèverait donc uniquement d'un conservatisme qui a pour but de maintenir un prix élevé aux
hectares de vigne.
Le géographe physicien n'est évidemment pas de cet avis. Il y a des conditions naturelles
(certains diraient des "contraintes naturelles") qui donnent des caractéristiques originales à
chacun des vignobles. Ce sont elles qui expliquent la répartition des vignobles dans le Monde.
Ce sont elles qui donnent la typicité des vins. On ne peut pas nier que l'homme intervient pour
les adapter, pour les dompter parfois. Mais connaître, dans le détail, les caractéristiques
naturelles des terroirs permet de mieux cultiver les vignes en tenant compte des processus
climatiques et géomorphologiques responsables de phénomènes d'érosion, de choisir les
cépages les mieux adaptés aux terroirs, de mieux dégager la typicité des vins et de mieux les
sélectionner pour construire des assemblages au goût extraordinaire. Ce travail commence
avec la nature et se finit bien sûr par le savoir-faire de l'homme, le vigneron et l'œnologue.
Quoi qu'il en soit, le livre de J.R. PITTE donne une excellente vue du vin et de toute la
notion culturelle qui l'entoure depuis son origine jusqu'à nos jours. L'économie du vin est
fondée sur cette notion culturelle. La France a été le pays qui a su le mieux développer cet art.
Mais soyons vigilent, car les connaissances acquises dans nos terroirs ont pu être exportées
dans d'autres pays où on a su faire aussi de bons produits. Cependant la notion culturelle du
vin n'est pas la même en France et dans les pays du nouveau monde vinicole où on cherche
des références simples avec le développement des vins de cépages. Le terroir est alors mis en
retrait et les réglementations de ces pays sont souvent bien plus "élastiques" que celles de
France. Des pratiques courantes utilisées dans ces pays sont considérées comme des fraudes
en France. Le terroir qui définit la typicité des vins, n'est pas exportable. Il faut donc
développer sa connaissance, à la fois pour garder cette typicité et pour mieux maîtriser les
méthodes de production avec des coûts les plus bas possibles.
C'est là un livre à lire tout en dégustant un bon vin de nos terroirs !
Alain MARRE
Université de Reims Champagne-Ardenne

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