Compte-rendu - collegeaucinema37.com

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FORMATION SUR LE FILM D'ANIMATION
Le Tableau
de Jean-François Laguionie
Le mercredi 9 octobre 2013, l’association Collège au Cinéma 37 a reçu Jean-Pierre Pagliano, historien du
cinéma et critique de films d'animation et producteur de radio, pour parler du film d'animation Le Tableau de
Jean-François Laguionie, programmé pour les élèves de 6ème/5ème.
I - Quelques repères sur l'histoire du film d'animation
Le cinéma d'animation est un genre méconnu. Même si l'origine du cinéma d'animation se trouve certainement
dans les dessins des grottes préhistoriques où les hommes décomposaient la foulée du bison ou le geste du
chasseur, Jean-Pierre Pagliano n’évoquera aujourd’hui que la période qui remonte à la fin du 19 e siècle.
Le cinéma d'animation est très à la mode aujourd'hui alors qu'auparavant ce genre n'était pas intégré à la
cinéphilie. Depuis une dizaine d'années, le public va voir les films d'animation comme n'importe quel autre
genre de films sans se soucier de la tranche d'âge ciblée et en s'intéressant à plusieurs techniques
d'animation. L'animation est tellement à la mode que beaucoup de longs métrages se ressemblent jusqu'à ne
plus faire la différence entre les productions Pixar, Dreamworks... Nous sommes à la frontière des arts
plastiques et des arts vivants.
Le cinéma français est souvent décrit comme réaliste et psychologique - y compris pour les comédies
françaises - et l'animation en constitue souvent le versant fantastique.
Le cinéma d'animation a été inventé en France en deux fois.
> Emile Reynaud
Une première naissance par Emile Reynaud, professeur de physique, créateur de jouets d'optique où il faisait
du dessin animé sur des bandes en décomposant dessin par dessin, précédant ainsi le cinéma. L'animation
est plus ancienne que le cinématographe car dès 1892, Reynaud a perfectionné son praxinoscope, véritable
théâtre optique dont il tournait lui-même les manivelles derrière l'écran (visionnement d'un extrait du film
Naissance du cinéma de Roger Leenhardt). Ce courant est très bien représenté dans l'animation française.
> Emile Cohl
La deuxième naissance du cinéma d'animation a eu lieu après l'invention du cinéma des frères Lumière grâce
à Emile Cohl qui a inventé la plupart des procédés. Dès 1908, il a pratiqué toutes les techniques (dessin
animé, animation d'objets, de papier découpé, de personnages vivants). Emile Cohl ne va pas chercher à
raconter des histoires mais essayer d'émerveiller le spectateur par la magie comme le faisait Méliès sur scène
par le biais du cinématographe. Emile Cohl va utiliser la technique de l'image par image pour « épater » le
spectateur
et
pour
finalement
réaliser
des
métamorphoses
(extrait
de
Fantasmagorie :
http://www.youtube.com/watch?v=6FQCESiyqaM).
> Norman McLaren
Emile Cohl a inspiré tout un courant dont Norman McLaren qui a pratiqué le papier découpé, le dessin animé
et la pixillation (extrait du film Le Merle : http://www.youtube.com/watch?v=mc1DlBU18Fw). Parmi la
filmographie de McLaren, il y a Neighbours (Les voisins), court métrage pacifiste sur les problèmes du
voisinage, tourné en pixillation avec des personnages réels.
> Alexandre Alexeieff
De son côté,Alexandre Alexeieff a créé l'écran d'épingles : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cran_d
%27%C3%A9pingles
(visionnement d'un extrait de Trois thèmes d'Alexandre Alexeieff).
Des artistes comme Robert Lapoujade font de la peinture animée c'est-à-dire qu'ils travaillent sous la caméra
et retouchent image par image à la peinture, au pastel ou au sable. Aujourd'hui, Florence Miailhe est une
plasticienne qui cherche à raconter des histoires. Une autre artiste, Caroline Leaf, raconte des histoires d'une
manière très poétique à partir de peintures animées ou de sables de couleur animés (The Street :
http://www.youtube.com/watch?v=o78pCUDEIj8 et Entre deux sœurs : http://www.youtube.com/watch?
v=eq4GxS8Rzg8). Caroline Leaf dépasse l'anecdotique pour rejoindre le symbolique.
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> Paul Grimault
Visionnement de L'épouvantail de Paul Grimault : http://www.dailymotion.com/video/x3qics_l-epouvantail-paulgrimault-1943_shortfilms
Le Roi et l'Oiseau de Paul Grimault a reçu le prix Delluc en 1979, seul film d'animation l'ayant reçu à ce jour.
Paul Grimault a réalisé ce film en deux étapes : en 1950, le producteur lui retire son film pour le terminer seul,
car le coût de départ a été sous-estimé. A la sortie du film en 1953 Grimault et les principaux animateurs sont
atterrés par le résultat. En 1951, le réalisateur crée sa maison de production Les films Paul Grimault où il a
travaillé jusqu'à sa mort. Quand il recommence à travailler sur Le Roi et l'oiseau, il se rend compte qu'il y a des
jeunes réalisateurs qui sont venus à l'animation grâce à ses films dont Le petit soldat. Le premier de ses
admirateurs qui a travaillé comme stagiaire était Jacques Demy et il a commencé par faire de l'animation dans
une publicité pour les pâtes Lustucru !
II - Jean-François Laguionie
Jean-François Laguionie (JFL) a été le troisième jeune réalisateur à bénéficier de l'aide et de la protection de
Grimault après Jacques Colombat. Laguionie ne se destinait pas au cinéma et avec Paul Grimault, il a mis au
point sa technique du papier découpé. Grimault a également aidé Jacques Colombat et Jean-François
Laguionie à « bricoler » un banc-titre vertical avec caméra horizontale. La demoiselle et le violoncelliste est un
coup d'essai et un coup de maître pour Jean-François Laguionie. Ce dernier est un conteur, un écrivain qui
vient du spectacle de rue. Il a été initié au mime par Jean-Pierre Sentier que l'on retrouve comme comédien
dans La traversée de l'Atlantique à la rame où il est le narrateur.
Suite à ces courts métrages, JFL réalise Gwen qui n'a pas rencontré le succès escompté mais qui est très
beau visuellement. Ensuite il y a eu Le château des singes, fidèle à sa thématique de la verticalité que l'on
retrouve dans Le Tableau. (Jean-Pierre Pagliano aime beaucoup L'Île de Black Mor malgré, selon lui, un
certain manque d'ambition). Avec le dessin animé, le réalisateur part de rien : on crée le mouvement avec la
forme alors que lorsque l'on réalise avec des marionnettes, on doit d'abord les construire puis on les anime.
Jean-François Laguionie a pratiqué le papier découpé avant de passer au dessin animé, avec pourtant la
même esthétique.
L'animateur est le véritable interprète de son personnage : Paul Grimault choisissait l'animateur selon sa
personnalité et la vie qu'il pourrait donner au personnage. Le mot d'ordre de Paul Grimault repris par Laguionie
est « Il faut animer de l'intérieur » c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas seulement de donner des caractéristiques au
personnage mais de le sentir et de le faire vivre « de l'intérieur ». Une autre formule de Paul Grimault est
« C'est le personnage qui commande à son animateur ». Pour Grimault, la définition du dessin animé était « la
forme naît dans le mouvement » et pour McLaren, « l'animation n'est pas l'art des dessins qui bougent mais
l'art des mouvements dessinés. Ce qui se passe entre deux images est plus important que chacune des
images ».
En 1979, Jean-François Laguionie crée La Fabrique. Tous ses films sont des sortes de contes philosophiques.
III - Le Tableau
Tout comme L'Île de Black Mor où le personnage principal recherchait son père, les personnages du film Le
Tableau partent à la quête du peintre, de leur « père » voire du Père.
Le Tableau est un film sur la création artistique, sur les arts plastiques, sur le spectacle. L'idée de départ d'Anik
Le Ray, la scénariste, était de faire un film sur le peintre et son modèle, idée qui s'est beaucoup enrichie. Ce
film parle aussi de la Société et de ses clivages, ses injustices symbolisées par une architecture verticale,
proche du Roi et l'Oiseau (ville haute, ville basse) avec la hiérarchie des personnages (Toupins, Pafinis,
Reufs). Cette histoire est aussi une fable sur les degrés de réalité (ex : les soldats du deuxième tableau se
croient de vrais soldats).
Avant qu'apparaisse le cadre du premier tableau, il y a un toussotement, comme au théâtre : à ce moment-là,
le spectateur rentre dans le tableau par un travelling avant et Lola, le personnage principal, présente l'action (le
film se terminera également avec elle). Lola nous abandonne brièvement car elle déclare qu'elle a également
un rôle à jouer dans l'histoire.
Après ce prologue, arrive cette poursuite avec un changement de rythme brutal et la présentation des
différents types de personnages. Le point de départ de l'histoire est le dialogue de Ramo, un Toupin, avec
Claire, une Pafinie « le peintre va revenir ou j'irai le chercher et il finira le tableau ». L'enjeu dramatique se
retrouve dans cette déclaration, les personnages ayant l'impression d'avoir été abandonnés. Les Toupins
apparaissent dans la scène suivante où l'on suit le discours du Grand Chandelier puis le massacre du petit
Reuf. Quand à Lola, une Pafinie, elle est noire ou métisse tout comme son amie Claire est blanche. Ramo et
Claire appartiennent à des castes différentes, comme la bergère et le ramoneur dans Le Roi et l'Oiseau qui,
eux, ne sont pas de la même couleur. Après la découverte du Reuf massacré, il y a la séquence où Ramo,
Lola et Plume traversent la forêt de fleurs géantes en pirogue. Tant sur le plan graphique que
cinématographique, Jean-François Laguionie s'est amusé avec les plongées, les contre-plongées, les
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panoramiques, les travellings, des profondeurs de champs avec une splendeur plastique des fleurs au premier
plan qui apparaissent et disparaissent et la pirogue qui se fraie un chemin. Il y a des éléments d'humour (le
Reuf,personnage inachevé, ne termine pas ses phrases). [Antoine Macarez trouve que ce Reuf, Plume, a un
phrasé particulier , comparable à celui de Gollum dans Le Seigneur des Anneaux.]
Jean-François Laguionie joue sur différents registres : par exemple, la référence picturale du rêve de Claire est
différente du reste du dessin animé.
Pour la peinture dans l'atelier, Jean-Pierre Pagliano pense plus à une référence à Kisling (La dormeuse) qu'à
Matisse.
Le tournant dans le film intervient lorsque Lola tombe du premier tableau car , à partir de là, le spectateur se
retrouve dans l'atelier du peintre et cette scène peut être mise en parallèle avec une séquence du film Le Roi
et l'Oiseau quand le ramoneur et la bergère quittent leurs tableaux respectifs. Sur les plans du graphisme et de
l'animation, des séquences peuvent faire penser à certains moments du film L'homme qui plantait des arbres
de Frédéric Bach comme celle où les trois personnages traversent la forêt dans le premier tableau.
L'univers du film Le Tableau est traité en dessin animé, en images de synthèse et à la fin du film, en prise de
vues réelles pour le peintre et son univers.
Pour le tableau de la guerre, Lola et Magenta traversent la toile qui est en images de synthèse.
Dans l'atelier du peintre, le spectateur peut découvrir Garance (références picturale et cinématographique avec
Garance jouée par Arletty dans Les Enfants du paradis de Marcel Carné d'un scénario de Jacques Prévert).
Ensuite, nous voyons Arlequin qui peut faire penser à la période bleue de Picasso. Apparaît alors l'autoportrait
du peintre avec la voix de Jean-François Laguionie. Sur la place de Venise, Ramo trouve la solution pour les
Pafinis.
Dans le début de la séquence, Claire est prisonnière et dans le tableau de guerre, Magenta repeint les deux
camps en mauve.
Les Pafinis se terminent eux-même avec les peintures que Ramo, Lola, Magenta et Plume ont rapportées.
Dans la séquence où Ramo peint Claire, Lola disparaît pour aller visiter seule l'atelier du peintre. A des
moments clés, Lola se détache pour chercher son propre chemin et va ainsi rencontrer le peintre.
[Visionnement de la séquence finale où Lola rencontre le peintre].
Avec ce film, les enseignants peuvent, par exemple, travailler sur des mouvements picturaux et leurs
différentes esthétiques.
Dominique Roy se souvient d'une interview qu'elle avait eue avec Takahata Isao, rencontré à Tours en 2010 :
à la question de savoir si un film d'animation pouvait avoir autant de force, de pouvoir émotionnel qu'un film en
prises de vues réelles, il lui avait répondu « Tout est question de mise en scène. ». A ce propos,Jean-François
Laguionie a précisé qu'il s'est aperçu de l'importance de la mise en scène depuis qu'il fait des longs métrages.
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Jean-Pierre Pagliano de sa venue pour son intervention à Tours
devant les professeurs de collège investis dans le dispositif Collège au cinéma.
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