Calvet Louis-Jean et Dumont Pierre (dir.), 1999, L`enquête

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Calvet Louis-Jean et Dumont Pierre (dir.), 1999, L`enquête
Calvet Louis-Jean et Dumont Pierre (dir.), 1999, L’enquête sociolinguistique, Paris : L’Harmattan.
EXTRAITS
Avant-propos (par P.Dumont) .....................................................................................................................................9
Introduction (par L.-J.Calvet) ...................................................................................................................................11
Le questionnaire (par A.Boukous) ............................................................................................................................15
La sociolinguistique a pour objet de décrire et d’expliquer les rapports existant entre, d’une part, la société et,
d’autre part, la structure, la fonction et l’évolution de la langue. Le sociolinguiste étudie ces rapports dans la vie
sociale en collectant les données à analyser in vivo, c'est-à-dire auprès d’un échantillon représentatif de la
communauté linguistique, par le moyen d’instruments qui assurent aux résultats de la recherche objectivité et
fiabilité. Le questionnaire occupe une position de choix parmi les instruments de recherche mis à contribution
par le sociolinguiste car il permet d’obtenir des données recueillies de façon systématique et se prêtant à une
analyse quantitative. (p. 15)
1. Objectifs du questionnaire
2. Types de questions
2.1. Contenu des questions
On distingue dans les questions relatives au contenu les questions de fait et les questions d’opinion.
(I)
les questions de fait sont relatives aux phénomènes observables, aux faits vérifiables sur le plan
empirique ; la validité de ces questions pet être éprouvée par le recoupement des informations ou
par l’observation directe, ce sont par exemple les questions ayant trait au sexe et à l’âge du sujet, ou
encore des questions comme : Quelles langues écrivez-vous ? Quels sont les journaux que vous
lisez ?
(II)
les questions d’opinion, dites aussi parfois questions psychologiques, portent sur les opinions, les
attitudes, les motivations, les représentations des sujets, etc. (exemple : Estimez-vous qu’enseigner
une langue vernaculaire est utile ?) Dans certains cas, il paraît difficile de distinguer questions de
fait et questions d’opinion (…). (p. 16)
2.2. Forme des questions et des réponses
Le questionnaire peut se présenter sous deux formes, une forme structurée ou une forme non structurée ; le
questionnaire structuré est composé de questions fermées ou semi-fermées tandis que le questionnaire non
structuré comprend exclusivement des questions ouvertes.
(I)
les questions fermées suscitent de la part du sujet une réponse positive ou une réponse négative,
mutuellement exclusives ; les réponses à ces questions sont fixées à l’avance. (exemple : Parlezvous une langue étrangère) Dans un questionnaire structuré, les questions peuvent être semifermées, elles prennent alors la forme de question à choix multiples où un ensemble de réponses
préétablies est suggéré au sujet qui choisit parmi les réponses alternatives celle qui lui paraît la plus
conforme à son point de vue. Les réponses données à chaque question doivent couvrir le champ des
réponses possibles, il est préférable de proposer aussi une réponse autre (à spécifier) pou donner
encore plus de latitude au sujet. (exemple : Pourquoi avez-vous décidé d’apprendre l’anglais ?
a. pour avoir un salaire important, b. pour être cultivé, c. pour être moderne, d. autre [à spécifier])
(II)
les questions ouvertes sont posées sans suggestion de réponses. (exemple : que pensez-vous de la
situation de l’espagnol dans le monde ?) Le sujet est invité à répondre librement, à livrer ses
commentaires, à donner des détails, à nuancer sa pensée, à formuler des jugements à sa guise ;
l’enquêteur note fidèlement les réponses du sujet pour en traiter le contenu par la suite.
Le questionnaire structuré et le questionnaire non structuré présentent des avantages et des inconvénients.
L’avantage des question fermées est qu’elles permettent une formulation, un codage et n traitement simples, en
outre les résultats se prêtent à une analyse immédiate ; elle ont cependant l’inconvénient d’imposer au sujet de
faire un choix parmi des réponses alternatives proposées alors qu’il se peut que son opinion soit plus nuancée
que oui/non, d’accord/pas d’accord, favorable/non favorable, etc. ; de plus, le questionnaire qui a une structure
rigide peut être ennuyeux pour le sujet et fastidieux pour l’analyste. L’avantage des questions ouvertes est
qu’elles donnent l’entière liberté au sujet d’exprimer son point de vue, elles sont notamment appropriées aux
questionnaires portant sur l’opinion, l’attitude et la représentation. Elle présentent en revanche l’inconvénient de
fournir des réponses difficiles à coder et à traiter ; en outre, en répondant aux question ouvertes, le sujet peut
fournir des réponses ne présentant pas de réel intérêt pour le sujet enquêté ou des réponses sans pertinence par
rapport à l’objet soumis à l’étude, le sujet peut aussi omettre dans ses réponses des aspects importants de la
recherche. C’est pourquoi la plupart des chercheurs préfèrent élaborer un questionnaire structuré comprenant à la
fois des questions fermées et des questions semi-fermées, plutôt qu’un questionnaire composé uniquement de
questions ouvertes. Dans certains cas, le chercheur est conduit à construire un questionnaire qui englobe des
questions fermées, des questions semi-fermées et des questions ouvertes. (p. 17-18)
3. construction du questionnaire
Le but du questionnaire étant de permettre d’obtenir des informations auprès d’une population déterminée, il
convient de poser des questions appropriées, c'est-à-dire des questions dont les réponses fournissent des
informations pertinentes par rapport au sujet de la recherche. C’est pourquoi une attention particulière doit être
prêtée à la formulation des questions. La construction du questionnaire est une tâche délicate qui nécessite une
bonne préparation, du temps et des moyens. (p. 18)
Tout en sachant que la construction du questionnaire est une affaire d’expérience et de savoir-faire et que son
apprentissage ne peut se réduire à des recettes infaillibles et généralisantes à l’infini, on peut à titre d’indications
faire quelques recommandations sur les propriétés du bon questionnaire. (p. 19)
3.1. systématicité du questionnaire
Le même questionnaire doit être administré à tous les groupes et sous-groupes de l’échantillon, c’est la condition
même de la mesurabilité de l’objet de recherche. (p. 19)
3.2. Durée du questionnaire
Elaborer un questionnaire aussi bref que possible permet d’économiser la durée de la passation et celle du
traitement ; un nombre important de questions implique généralement un nombre proportionnel de questions de
recherche, d’hypothèses et de variables, ce qui contribue évidemment à alourdir la recherche. Les sujets sont plus
enclins à répondre quand le questionnaire est court et précis, il est donc préférable d’éviter de bourrer le
questionnaire en éliminant les questions dont les réponses se trouvent dans d’autres sources et celles que u font
double emploi. La durée raisonnable d’une passation à domicile, dans une salle de classe ou dans tout lieu
tranquille peut atteindre une heure, en revanche une passation effectuée dans des conditions moins favorables,
par exemple dans la rue ou dans un lieu de travail, ne devrait pas excéder un quart d’heure. S’il y a nécessité
d’un questionnaire lourd, le segmenter en deux ou plusieurs questionnaires soumis à des échantillons
comparables et indépendants permet parfois de résoudre le problème de la durée de la passation. On peut aussi
soumettre des parties différentes du questionnaire aux mêmes sujets à des moments différents, il faut être
conscient alors qu’entre-temps les sujets ont pu réfléchir, il faut être conscient alors qu’entre-temps les sujets
ont u réfléchir aux questions, révisé leur attitude, etc. (p. 19)
3.3. maîtrise de la langue du questionnaire
Une recommandation évidente mais utile : le questionnaire doit être rédigé dans une langue parfaitement
maîtrisée par les sujets. (p. 20)
3.4. exhaustivité des réponses suggérées
Lorsque le questionnaire est structuré, il convient de faire en sorte que les réponses suggérées aux questions
semi-fermées soient exhaustives, cas qu’elles couvrent le champ des réponses pertinentes possibles. (p. 20)
3.5. Une idée par question
[Une seule idée, sans présupposé, par question, pas question de fait + question d’opinion dans la même question
par exemple.]
3.6. Des questions qui font sens
La formulation des questions ne doit pas dérouter le sujet, le cadre de référence des questions doit être clair et
cohérent pour tous les sujets. [cohérence question/sujet, question/questionnaire/ question elle-même.] (p. 20)
3.7. Simplicité et clarté de l’énoncé des questions
Le lexique employé doit éviter le jargon en étant à la portée des sujets. Par exemple, éviter les questions
comme : Pratiquez-vous le bilinguisme avec ou sans diglossie ? Dans quelles situations pratiquez-vous le codemixing ? Ces questions ne sont comprises que par les sujets qui maîtrisent le jargon sociolinguistique, il est
naturel que les autres sujets n’y répondent pas ou donnent des réponses au hasard, sans en comprendre le sens, ce
qui contribue à biaiser les résultats de l’analyse. Plutôt que d’employer des notions qui ne sont comprises que des
spécialistes, il est recommandé d’en donner la définition métalinguistique, par exemple la question sur le codemixing peut être ainsi reformulée : Dans quelles situations mélangez-vous les langues ?. (p. 21)
3.8. Neutralité des questions
Les questions formulées doivent éviter de charrier les préjugés de l’analyste sinon cela pourrait provoquer un
préjudice déterminant la réponse du sujet ; aussi les termes et les expressions chargées de subjectivité feront-ils
place à une langue neutre. (p. 21)
3.9. Ordonnancement des questions
Le rangement des questions selon un ordre logique et psychologique approprié permet de mettre à l’aise le sujet
par exemple en faisant en sorte que les questions générales précédent les questions spécifiques et que les
questions d’opinion suivent les questions de fait. (…) L’ordre des questions peut aussi influer sur la réponses du
sujet, qui a tendance à interpréter les question selon leur position dans le questionnaire. (p. 23)
4. récupération du questionnaire
L’idéal serait que l’enquêteur puisse récupérer le questionnaire immédiatement après la passation, sinon il a
intérêt à procéder à un suivi régulier du retour d’un nombre maximum de questionnaires afin de garantir la
représentativité de l’échantillon et la crédibilité des résultats de la recherche. Des questionnaires récupérés après
un laps de temps important après leur administration non seulement retardent l’opération de traitement mais
encore risquent de biaiser les résultats de l’analyse. (p. 23)
5. Validation du questionnaire
Une fois que le chercheur a estimé que le questionnaire est conçu à peu près correctement, que les questions sont
assez bien formulées et bien classées, il procède à sa vérification empirique auprès d’un échantillon limité par le
moyen d’un pré-test permettant de procéder à la validation de la version provisoire du questionnaire, pour
s’assurer qu’il est approprié à la population et adéquat aux question que se pose le chercheur. Cette opération
permet notamment de savoir si les questions sont bien comprises par tous les sujets de la même façon, si elles
sont comprises comme les entend le chercheur et si elles ne présentent pas de difficultés d’interprétation. Le prétest a également pour objectif de vérifier l’adéquation de la procédure de constitution de l’échantillon et de
contrôler la fiabilité des enquêteurs. (p. 23- 24)
6. Avantage et inconvénients du questionnaire
Si l’entretien permet le contact direct avec les sujets sur lesquels porte l’enquête sociolinguistique et s’il offre
l’avantage de placer l’enquêteur et l’enquêté dans une relation humaine, souple et coopérative, il présente
néanmoins quelques inconvénients dont les plus importants sont le coût en temps et en moyens matériels et
financiers, la réduction de la taille de l’échantillon et le fait que la plupart des informations qu’il permet de
collecter peuvent être obtenues par le moyen de questionnaires écrits soumis aux sujets. Le questionnaire est en
effet bien souvent plus pratique et plus efficace que l’entrevue, il présente surtout l’avantage de permettre de
travailler avec un échantillon plus large que celui qui peut être touché par l’entrevue. Le caractère standardisé du
questionnaire permet notamment de soumettre les sujets exactement aux mêmes instructions ; de ce fait, la
personnalité, l’humeur ou les préférences de l’enquêteur n’interviennent pas dans le déroulement de l’enquête et
n’entachent pas les résultats de la recherche. En bref, le sujet enquêté maîtrise mieux les réponses à des questions
formulées dans un questionnaire que celles énoncées lors d’un entretien non directif où interviennent des faits
liés à la subjectivité.
Mais la construction d’un questionnaire adéquat et fiable est une opération délicate qui, lorsqu’elle n’est pas
accomplie selon les normes méthodologiques, donne lieu à un instrument qui présente l’inconvénient de
soumettre aux sujets des questions sans pertinence pour la recherche ou des questions pouvant être mal
comprises ou mal interprétées par eux, il est en effet difficile de formuler des questions claires, bien ordonnées et
dénuées d’ambiguïté pour tous les sujets. (p. 24)
L’enquête dialectologique. Les atlas linguistiques (par P.Brasseur) ....................................................................25
L’entretien et ses techniques (par J.Bres) ................................................................................................................61
L’interview est un type d’interaction verbale auquel ont recours les sciences humaines, notamment la
sociolinguistique. Pourquoi interviewer ? Avant de répondre, remarquons –c’est une évidence – que l’interview
ne fait pas partie dans outils des sciences de la matière : leur objet existe en soi – même s’il a bien sûr besoin
d’être défini et construit – en dehors de toute verbalisation, alors que fréquemment en science humaines l’objet
d’étude ne peut être appréhendé en dehors de la médiation de la parole, quand ce n’est pas la verbalisation ellemême qui fait l’objet d’analyse. La sociolinguistique qui traite des pratiques et des représentations
(socio)linguistiques a, plu que tout autre science sociale, affaire à du matériau verbale, à de la matière discursive.
Cet objet, elle peut l’atteindre par l’observation des pratiques réelles. (p. 61)
[le corpus est coûteux à constituer si on observe les interactions verbales sans les provoquer] Pour réduire le coût
de la récolte et multiplier ses fruits, la solution est de susciter des interactions verbales sur le thème en question :
d’interviewer. (p. 62)
1. Interview et interaction(s) verbales(s)
L’entretien relève, comme toutes les pratiques langagières, de la catégorie de l’interaction verbale. (citation de
Gardin, Bakhtine…).
L’entretien, en tant que produit en interaction verbale, appartient au type dialogal des interactions verbales, aux
côtés de la discussion, du débat, de colloque… et de la conversation qui fonctionne comme le prototype de ce
type discursif. Par rapport à la conversation, l’interview se caractérise essentiellement par 5 traits :
• sa plus grande formalité
• son caractère finalisé
• l’organisation des participants en 2 parties (au sens que ce terme a en droit civique, par exemple, dans
partir adverse : intervieweur/interviewé
• L’asymétrie des rôles : l’intervieweur est à l’initiative de l’interaction ; il l’a sollicitée et, dans
l’entretien, il lui revient essentiellement de poser des questions, l’interviewé a une mission dialogale
réactive : il a accepté la proposition d’interviewer et sa tâche discursive est (en principe) de répondre
aux questions qui lui sont posées
• la présence d’un tiers absent, d’une autre scène, signalés par le magnétophone ou la caméra qui feront
que les paroles de l’interview ne s’envoleront pas. (p. 62-63)
2. Les différents types d’entretien
On peut distinguer trois types d’interview : directive, non directive, interactive (p. 63)
2.1. L’interview directive
Il s’agit du questionnaire que ce questionnaire soit fermé ou ouvert. Le principe qui préside à sa conception est
celui de la standardisation ; dans le souci et l’objectif de pouvoir comparer scientifiquement les différentes
réponses, on adresse aux interviewés exactement les mêmes questions. Sont notamment préétablis leur forme
linguistique et leur ordre : l’intervieweur lit une question puis passe à la suivante lorsque son interlocuteur a fini
de répondre. (p. 63)
[problèmes que posent ce type d’interview]
• dans la conversation, l’ordre des tours de parole pas plus que leur forme linguistique ne sont
prédéterminées : ils font l’objet de constantes négociations. (…) La questionnaire, faisant fonctionner
chaque couple de question/réponse comme un échange isolé, s’interdit cette pertinence, ce qui produit
fréquemment une désagréable impression de discontinuité (…).
• La standardisation des questions repose sur le présupposé selon lequel les locuteurs recevraient un
même stimulus, et partageraient donc pour un même sens. La sociolinguistique et l’analyse du discours
ont montré qu’il n’en est rien. Le sens est co-produit en interaction : un même énoncé peut avoir
différents sens, un même sens être produit par des énoncés différents.
• La standardisation repose également sur le présupposé de la transparence du sens : l’interviewé
actualiserait le même sens que l’intervieweur. On sait qu’il n’en est rien : parvenir à un même sens
nécessite des ajustements de part et d’autre que le cadre même du questionnaire interdit.
• [toute question non seulement demande une réponse, mais l’oriente –plus ou moins directement – par ce
qu’elle présuppose : la réponse est donc toujours déjà en partie contenue implicitement dans la
question ; par sa batterie de questions toutes prêtes d’autre part, l’enquêteur directif guide l’entretien au
bout en bout. Ainsi cadrée, la parole de l’enquêté est sous la forte dépendance de celle de l’enquêteur.]
De sorte que l’interview aboutit à des effets inverses de ceux attendus : elle est de ce fait sans cesse guetté par
l’artificialité, le malentendu, la superficialité et la stéréotypie qui minent de l’intérieur sa pertinence
méthodologique. (p. 64-65)
2.2. L’interview non directive
La méthode de l’interview non directive s’est élaborée en réaction contre le questionnaire (…) Pour pallier ces
contraintes fautrices de facticité, l’interview non directive propose de réduire les interventions de l’enquêteur à
leur plus simple expression : une seule question initiale, la moins contraignante et la moins orientée possible à
laquelle l’interviewé doit répondre, l’enquêteur n’intervenant dès lors plus que pour assister l’interviewé à
accoucher de sa parole par des régulateurs et des relances. La longueur de cette réponse-entretien est parfois
fixée à l’avance. (…)
Les principaux gains escomptés de ce type d’entretien sont les suivants :
- en limitant la participation de l’enquêteur au rôle de pur auditeur idéal, on recueille la vraie parole de
l’enquêté : minimalement liée à – donc déterminée par – la parole de – et plus globalement l’interaction
avec – l’autre qui n’est là que pour assurer passivement sa réception
- en laissant se prolonge la parole de l’enquêté, on l’invite à revenir sur elle-même, à dépasser la
superficialité première, à accéder à des lieux dérobés à l’échange social, à se confronter à ses
contradictions, à se construire en autonomie : on recueille une parole authentique, débarrassée – au
moins en partie – des censures de la sociabilité ;
- en ne posant pas de question (sauf bien sûr celle qui engage l’entretien), on accède aux questions que se
posent les enquêtés sur un thème – et par voie de conséquence à celles qu’ils ne se posent pas -, donc à
leur façon de le problématiser, de le rendre signifiant de l'intérieur au lieu d’imposer de l’extérieur cette
problématisation comme dans le questionnaire ;
- en cédant l’initiative à l’enquêté, l’interviewer se place en position haute, plus propice au
développement du discours et à son investissement par le sujet parlant.
Si l’entretien non directif ne maque pas de qualités, on ne saurait cependant taire ses défauts qui s’originent dans
la croyance qu’il existerait un lieu d’authenticité de la parole qui se situerait hors interaction, ce qui impliquerait,
afin de l’approcher sinon l’atteindre, des techniques pour (tenter de) la neutraliser. (…) En refusant qu’elle
[l’alternance des tours de parole] ne se produise, l’entretien non directif place le locuteur dans une situation
d’extrême contrainte, fautrice de malaise interactif : devoir parler à quelqu’un sans que celui-ci réponde apparaît
artificiel (…).
Ces critiques n’invalident pas l’interview non directive en tant qu’outil de recueil de données ; elles visent à
présenter les difficultés que ne manquera pas de rencontrer qui l’utilisera, à expliciter les biais induits par cette
méthode. (p. 65-67)
2.3. L’interview interactive
Ce troisième type d’entretien est également nommé semi-directif, ce qui pourrait inciter à penser qu’il se situe à
égale distance des types directifs et non directif, en un juste milieu permettant d’éviter les excès de ces deux
extrêmes. Il n’en est rien. L’entretien interactif s’est construit non en emprunt aux deux méthodes précédemment
décrites, mais en rejet de la position qui leur est commune : (croire) neutraliser l’interaction pour obtenir de la
parole authentique. Au contraire, il s’agira, dans l’entretien interactif (..) de choisir l’interaction verbale au lieu
de tenter – en vain – de la contourner. (…)
Par cette dimension [interactive], l’entretien voit son caractère formel diminué, sans pour autant se confondre
avec une conversation : l’enquêteur a pour visée non de parler mais de faire parler ; il subordonne sa parole à la
parole de l’autre et à l’écoute minutieuse qu’il en fait. [c’est contraignant, on ne pas en faire + de 3/j] (p. 68)
Ce sont là trivialités qu’il me semble important de rappeler dans la mesure où elles conditionnent tant le recueil
des données que leur analyse : la parole produite en entretien ne saurait échapper à l’interaction ; il convient
donc dans la collecte de la choisir plutôt que de tenter stérilement de la neutraliser ; dans l’analyse, de l’intégrer
comme paramètre plutôt que de la passer sous silence.
L’entretien interactif trouve ses limites moins en lui-même que dans ce qu’il requiert de l’intervieweur. La
position en dehors que permet l’entretien tant directif que non directif peut apparaître comme moins risquée
sinon comme plus confortable que la position au-dedans qu’implique l’entretien interactif : l’intervieweur ne
peut plus s’abriter derrière ses questions prêtes à dire ou se retrancher dans la non intervention ; il est dans
l’arène de l’interaction et, pour poursuivre cette métaphore tauromachique, le succès de l’entretien dépend des
passes verbales qu’il saura accomplir avec l’enquêté. Ajoutons que ce risque à prendre fait aussi l’intérêt voir le
charme de l’entretien interactif. (p. 70)
3. un exemple d’enquête sociolinguistique par entretiens interactifs La question du magnétophone
Commençons tout d’abord par une évidence : le tiers absent, représenté par le magnétophone, est à prendre
comme un des paramètres de l’interaction ; pas plus que l’intervieweur, on ne saurait l’effacer (voir dans Labov
1973/76 : 145-156 quelques moyens pour neutraliser localement ces deux paramètres) (p. 74)
conclusion
L’entretien n’est pas la voie royale d’accès à la parole des locuteurs mais un moyen commode de provoquer sa
production – et donc sa récolte – dans un cadre particulier : l’interaction de l’interview. Il convient donc de le
concevoir en complémentarité avec – et non en substitution de – l’observation des pratiques langagières de la vie
sociale.
Les enquêtes « micro » Pratiques et transmissions familiales des langues d’origine dans l’immigration en
France (par Ch.Deprez) ..............................................................................................................................................77
L’observation des pratiques réelles (par C.Juillard) ............................................................................................103
Jeu de rôles et recueil de données socio( ?)linguistiques (par B.Maurer) ..........................................................115
Analyser les discours. Le cas de l’interview sociolinguistique (par J.M.Barbéris)...........................................125
Retour à Babel : les systèmes de transcription (par B. Maurer).........................................................................149
1. La fidélité : mission impossible de la transcription
1.1. Limites d’ordre sémiotique
G. Psathas et T. Anderson (1990 : 90) développent les différents aspects de cette rupture sémiologique et font
remarquer que :
a. L’écriture est discrète. Elle divise un courant continu de sons en unités discrètes ;
b. elle est organisée en séries ;
c. elle est disposée en un format ligne à ligne ;
d. elle peut seulement être lue en série et non appréhendée comme une totalité de sons et action/mouvement à la
manière dont elle était primitivement disponible aux participants/producteurs de l’interaction ;
e. elle peut être lue différemment de l’original en dépit des efforts du transcripteur ;
f. elle est sujette à toutes les interprétations habituelles en lecture. (p. 151)
1.2. Les limites de l’écoute
A cet écart, irréductible car de nature épistémologique, viennent s’ajouter ensuite des contraintes plus matérielles
dont la prise en compte n’est pas moins importante. Au premier chef, il convient de prendre en considération les
difficultés d’écoute d’une bande enregistrée.
Il arrive fréquemment que le chercheur soit confronté à un enregistrement de mauvaise qualité. Ceci est
particulièrement fréquent dans le cas d’une enquête sociolinguistique visant à décrire les usages sociaux d’une
langue. (p. 151-152)
Il arrive fréquemment qu’au terme de plusieurs écoutes par différents transcripteurs, plusieurs solutions
irréductibles restent proposées et la solution de sagesse consiste alors à transcrire les différentes variantes
possibles (…). (p. 153)
1.3. Les limites de la codification
Le système de transcription peut être construit à partir de l’alphabet phonétique international et procéder à une
notation minutieuse des caractéristiques phonétiques de la parole des interactants (…). (p. 154)
On peut, toujours en utilisant l’alphabet phonétique international, s’en tenir à un système de notation seulement
phonologique (…)
Le recours au système orthographique est également possible, plus simple à utiliser pour le transcripteur, plus
simples à lire également. (…)
Une quatrième solution est possible consistant à adopter un système de notation orthographique tout en rendant
quelques-unes des caractéristiques majeures de l’oralité (…) (p. 155)
Le choix du code n’est pas tout, il faut encore adopter un certain nombre de positions de principe relatives à
quelques points importants que nous allons rapidement évoquer :
(1) l’intonation
On peut penser que la notation de l’intonation est capitale dans la construction du sens et que bien souvent c’est
elle qui porte les informations les plus pertinentes, son apport sémantique pouvant inverser le sens de ce qui est
exprimé par l’énoncé comme c’est le cas dans les séquences ironiques. Néanmoins la notation de l’intonation
pose des problèmes, autant pour l’adoption d’un système de codage performant qu’en raison du niveau de
technicité requis par une telle entreprise.
(2) la ponctuation
La ponctuation appartient au système de notation orthographique de la langue parlée : son emploi, qui
correspond à une visualisation des relations syntaxiques à l’intérieur d’un énoncé ou d’un texte, relève déjà d’un
processus interprétatif ; l’utiliser lors de la phase de transcription revient à faire, avant même la phase d’analyse,
des interprétations syntaxiques, sémantiques qui risquent d’orienter par trop l’exploitation ultérieure du corpus
transcrit. D’un autre côté, si l’on adopte le système orthographique, l’absence de toute ponctuation rend parfois
difficilement lisible un texte qui va se révéler plein d’ambiguïtés et contrevenir aux modes de lecture habituels.
On voit que le parti pris, quel qu’il soit, pose des problèmes.
(3) Les pauses
La pause n’est pas une partie négligeable de la communication. (…)
(4) Les attitudes des locuteurs
La position du corps, les mimiques, la gestuelle sont autant de manifestations qui accompagnent la parole et se
révèlent extrêmement signifiantes.
(5) Les ratés de la communication verbale
Bégaiements, changements de programme de phrase, arrêts d’un programme de phrase, lapsus, mots-valises sont
autant de phénomènes que les linguistiques de la langue considèrent comme des contingences peu dignes
d’intérêt, des scories de la communication mais que les linguistes de la parole ne peuvent négliger à priori tant
ces phénomènes sont nombreux dans toute interaction verbale. (p. 155-157)
2. Dis-moi pourquoi tu transcris, je te dirai comment le faire
La fidélité absolue étant de l’ordre de l’improbable, il convient d’adopter une position pratique et de se contenter
d’une fidélité relative, conçue non plus par rapport au document de départ, à l’amont de la recherche, mais en
tenant compte de la nature des faits recherchés, de l’aval en quelque sorte ; selon les objectifs poursuivis,
l’accent en termes de fidélité devra être mis sur telle ou telle composante de la communication, plus ou moins
importantes selon les cas. (p. 158)
Conclusion : Chaque transcription est une version des données orales pour un projet particulier d’analyser.
Transcrire, c’est déjà commencer en cela l’analyse. On comprend mieux la raison de la diversité des systèmes de
transcription unique, permettant au lecteur d’accéder sans effort particulier à tous les corpus oraux transcrits.
Tout au plus peut-on émettre le vœu que, dans chaque grand domaine de la recherche sociolinguistique, un
accord soit trouvé sur un certain nombre de conventions communes de manière à ce que si chacun continue à
prendre en compte des faits particuliers les mêmes conventions soient utilises par des chercheurs ayant des
objectifs communs pour transcrire les mêmes phénomènes. (p. 165-166)
Quelles méthodes d’enquête sont effectivement employées aujourd'hui en sociolinguistique ? (par
B.Maurer) ...................................................................................................................................................................167

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