Le devoir de loyauté en droit des sociétés

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Le devoir de loyauté en droit des sociétés
SYNTHÈSE DE LA THÈSE
Cette thèse est la première étude approfondie sur le devoir de loyauté en droit des
sociétés. Elle présente la conception du devoir de loyauté et révèle la place croissante des
obligations découlant du devoir de loyauté dans toutes les situations impliquant un conflit
d’intérêts. L’étude se veut prospective en ouvrant de nouvelles perspectives d’application du
devoir de loyauté et en mettant en avant les mécanismes de gouvernance permettant de gérer
les conflits d’intérêts des dirigeants et des actionnaires prépondérants.
Nous présenterons d’abord l’objet des travaux de recherche (1), les principaux
fondements méthodologiques utilisés (2) et enfin, les résultats de la recherche et ses apports
(3).
1. Objet des travaux de recherche
L’objet de la présente étude est d’amorcer une réflexion sur les perspectives offertes
par le devoir de loyauté en droit des sociétés.
Les travaux de recherche avaient d’abord pour objet de dégager la conception du
devoir de loyauté en droit français des sociétés. Afin de dégager la conception, il fallait tout
d’abord aller à la source, c’est-à-dire analyser les arrêts ayant affirmé ou rejeté le devoir de
loyauté. La proximité du devoir de loyauté avec le devoir fiduciaire des pays de common law
ayant été rapidement soulignée par la doctrine, des recherches approfondies sur le sujet nous
ont permis de confirmer la conception fiduciaire du devoir de loyauté. Il s’agissait en effet de
déterminer si les obligations imposées en droit français et dans les pays de common law
avaient la même nature et si le devoir de loyauté possédait les mêmes caractéristiques.
La conception du devoir de loyauté dégagée, les travaux de recherche ont consisté à
envisager les possibilités d’extension du devoir de loyauté en s’interrogeant sur l’ensemble
des personnes susceptibles d’être débitrices ou bénéficiaires du devoir de loyauté ainsi que sur
les différentes obligations susceptibles d’être imposées. Il s’agissait donc de proposer de
nouvelles relations et obligations de loyauté dans des situations conflictuelles qui échappent à
la loi et dans lesquelles le devoir de loyauté va pouvoir se nicher.
Cette étude impliquait de s’intéresser également au contrôle du devoir de loyauté en
recherchant les mécanismes de gouvernance susceptibles non seulement de détecter et de
gérer les conflits d’intérêts mais également de sanctionner les dirigeants ou actionnaires
prépondérants ayant manqué à leur devoir de loyauté. Dans cet objectif, des recherches
exhaustives ont été menées sur la gouvernance des sociétés, que ce soit dans la littérature
française ou dans celle des pays de common law.
2. Principaux fondements méthodologiques utilisés
Nous présenterons les fondements utilisés selon la logique d’élaboration des normes :
la loi (2.1.), la jurisprudence (2.2.), les rapports et recommandations de l’AMF (2.3.), les
rapports sur la gouvernance d’entreprise (2.4.), ainsi que les chartes et autres documents
(2.5.).
2.1. La loi
L’analyse des dispositions légales a été nécessaire pour détecter les situations qui
traitent des conflits d’intérêts.
Nous nous sommes ainsi référés aux dispositions du Code de commerce relatives aux
conventions conclues avec la société (not. art. L. 225-38 C. com.), aux mandats, fonctions et
liens d’intérêts des dirigeants (not. art. R. 225-83 1° C. com.) ainsi qu’aux apports en nature,
avantages particuliers et biens appartenant à un actionnaire acquis par la société (not. art. R.
224-2 C. com.).
Nous nous sommes également intéressés à l’ordonnance n° 2010-1511 du 9 décembre
2010 portant transposition de la directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 concernant l’exercice
de certains droits des actionnaires de sociétés cotées.
Les dispositions du Code de commerce prévoyant des mécanismes juridiques
permettant de contrôler l’action des dirigeants sociaux et des actionnaires majoritaires ont
également fait l’objet de toute notre attention. Il en est ainsi notamment des questions écrites
(art. L. 225-108 C. com.) et de la demande d’inscription de points ou de projets de résolution
(art. R. 225-71 et R. 225-73-1 C. com.).
Enfin, en droit anglais, nous nous sommes référés au Companies Act qui traite du
devoir fiduciaire de loyauté (section 175).
2.2. La jurisprudence
De source jurisprudentielle, l’étude du devoir de loyauté impliquait de s’intéresser aux
arrêts ayant affirmé ou rejeté le devoir. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a
ainsi affirmé le devoir de loyauté du dirigeant envers l’associé dans l’arrêt VILGRAIN en
date du 27 février 1996 et le devoir de loyauté du dirigeant envers l’entreprise dans l’arrêt
KOPCIO en date du 24 février 1998, arrêts qui ont été confirmés et affinés par la suite par la
Cour de cassation (not. Cass. com., 12 mai 2004, n° 00-15.618 ; Cass. com., 22 févr. 2005, n°
01-13.642 ; Cass. com., 11 juill. 2006, n° 05-12.024 ; Cass. 1re civ., 25 mars 2010, n° 0813.060).
L’étude s’est également intéressée aux arrêts de common law puisqu’il s’agit de la
source principale du droit dans ces pays. Ont ainsi été étudiés des arrêts américains, anglais,
canadiens ou australiens.
2.3. Les rapports et recommandations de l’AMF
Depuis plusieurs années, l’Autorité des marchés financiers œuvre pour l’amélioration
de la gouvernance des sociétés. Dans le cadre du contrôle du devoir de loyauté, nous nous
sommes notamment penchés sur les rapports de l’Autorité des marchés financiers relatifs au
gouvernement d’entreprise et au contrôle interne ainsi qu’aux rapports sur le gouvernement
d’entreprise et la rémunération des dirigeants.
Nous nous sommes également intéressés à la recommandation de l’AMF n° 2011-06
sur les agences de conseil en vote ainsi qu’à la position - recommandation AMF n° 2011-11
relative aux opérations d’apports ou de fusion.
2.4. Les rapports sur la gouvernance d’entreprise
2.4.1. Les rapports français
La problématique des conflits d’intérêts, au cœur de notre étude sur le devoir de
loyauté, a été abordée par l’ensemble des rapports sur la gouvernance des sociétés, rapports
qui ont fait l’objet d’un examen attentif.
Il en est ainsi des rapports de Place tels que les rapports Viénot, Bouton, le Code
AFEP-MEDEF sur le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, du code MiddleNext ou
du rapport du Comité d’éthique du MEDEF pour prévenir et gérer les conflits d’intérêts dans
l’entreprise.
Il en est ainsi également des recommandations sur le gouvernement d’entreprise de
l’AFG, du rapport de l’Institut Montaigne (« Mieux gouverner l’entreprise ») ou des rapports
de l’Institut français des administrateurs (Comité de nomination : gouvernance & bonnes
pratiques, sept. 2011 ; Partager les meilleures pratiques du gouvernement d’entreprise : les
propositions de l’IFA, 19 oct. 2005 ; Administrateurs salariés : atout de gouvernance ?, févr.
2006 ; L’animation d’un réseau d’administrateurs au sein d’un groupe de sociétés,
05/12/2006 ; Les comités de rémunérations et nominations, janv. 2007 ; La gouvernance des
sociétés cotées. Synthèse des recommandations sur le rôle et les modes d’action des conseils,
mai 2007 ; Le secrétaire du conseil et la gouvernance d’entreprise, juin 2007).
Tout particulièrement, la note de synthèse de la commission déontologie de l’IFA
ayant pour thème les administrateurs et les conflits d’intérêts a retenu notre attention puisque
le devoir de loyauté y apparaît comme une règle de comportement explicitement
recommandée.
2.4.2. Les rapports internationaux
Au niveau international, nous nous sommes principalement intéressés au rapport de
l’American Law Institute, (Principles of Corporate Governance : Analysis and
recommendations, 1994) qui consacre un chapitre au devoir de loyauté.
Les rapports de l’OCDE qui abordent également ce sujet ont également attiré toute
notre attention (Le gouvernement d’entreprise. Améliorer la compétitivité des entreprises et
faciliter leur accès aux marchés financiers mondiaux, 1998 ; Principes de gouvernement
d’entreprise de l’OCDE, 2004 ; Gouvernement d’entreprise. Panorama des pays de l’OCDE,
2004 ; Tables régionales sur le gouvernement d’entreprise : Principaux enseignements,
2004).
Nous nous sommes également intéressés au Code BUYSSE de la Bourse de
Luxembourg ou au rapport WINTER (Un cadre réglementaire moderne pour le droit
européen des sociétés, 2002) qui abordent le devoir de loyauté.
2.5. Les chartes et autres documents
Dans une approche plus pragmatique, nous nous sommes penchés sur les documents et
chartes des sociétés françaises contenant des dispositions sur les conflits d’intérêts (ACCOR,
Document de référence 2008 ; SANOFI-AVENTIS, Rapport annuel 2004, p. 20 ; Société
Générale, Charte de l’administrateur, (dans la rédaction en vigueur au 13 févr. 2007) ; SUEZ,
La Charte de l’administrateur, adoptée par le conseil d’administration du 9 janv. 2002).
La Charte de l’administrateur et le Vade-mecum de l’administrateur élaborés par
l’Institut français des administrateurs ont également constitué des références sur les règles de
comportement recommandées ainsi que sur la gestion des conflits d’intérêts au sein de la
société.
3. Résultats de la recherche et apports
L’étude sur le devoir de loyauté en droit des sociétés nous a permis de faire plusieurs
constats : celui de la proximité de la conception française avec celle des devoirs fiduciaires de
common law (3.1.), celui des possibilités d’extension du devoir de loyauté dans les rapports
internes de la société (3.2.) et des obligations découlant du devoir de loyauté (3.3.) et enfin,
celui d’un devoir de loyauté susceptible d’être encadré par les mécanismes préconisés par les
principes et rapports sur la gouvernance d’entreprise (3.4).
3.1. Proximité du devoir de loyauté avec le devoir fiduciaire de common
law
L’analyse des arrêts ayant affirmé ou rejeté le devoir de loyauté nous a permis de
dégager la conception du devoir de loyauté en droit des sociétés. À l’analyse, les juges ont en
effet construit une conception cohérente du devoir de loyauté du dirigeant. Ce devoir impose
au dirigeant une obligation d’information sur les négociations en cours envers l’associé cédant
et une obligation de non-concurrence envers l’entreprise. Dans les deux affirmations, le
manquement du dirigeant est caractérisé par la violation d’une obligation en vue de satisfaire
son intérêt personnel, que ce soit pour acheter les actions à une valeur inférieure à leur valeur
réelle afin d’obtenir un profit personnel, ou que ce soit pour privilégier une entreprise
concurrente dans laquelle il est intéressé.
En common law, le devoir fiduciaire de loyauté (fiduciary duty of loyalty) consiste à ne
pas utiliser sa position fiduciaire à l’encontre des intérêts de la personne pour laquelle le
fiduciaire agit. Un fiduciaire est quelqu’un qui agit dans l’intérêt, ou pour le compte, d’une
autre personne dans une relation de confiance, et que l’equity protège en lui imposant un
devoir de loyauté. Plus précisément, cette position fiduciaire apparaît lorsque le fiduciaire
détient un certain pouvoir discrétionnaire ayant un effet sur les intérêts du bénéficiaire qui est
alors vulnérable.
L’éclaircissement conceptuel nous a donc conduits à un premier constat, celui de la
proximité du devoir de loyauté avec le devoir fiduciaire de loyauté tel qu’il est imposé en
common law et tel qu’il est promu par les principes de la gouvernance d’entreprise. Dans les
deux conceptions, c’est la détermination d’un pouvoir d’une personne – le dirigeant – envers
une autre – l’associé ou la société – qui justifie le devoir de loyauté, et c’est l’utilisation de ce
pouvoir dans un intérêt contraire à celui du bénéficiaire qui caractérise un manquement au
devoir de loyauté. Cette conception pose le devoir de loyauté en termes de conflit d’intérêts
puisque le titulaire du pouvoir est tiraillé entre son devoir d’agir dans l’intérêt du bénéficiaire
et son intérêt personnel qui peut être pécuniaire ou non pécuniaire (recherche ou maintien du
pouvoir). On retrouve d’ailleurs les mêmes obligations imposées au dirigeant telles que
l’obligation de ne pas concurrencer la société ou l’obligation de ne pas exploiter une
information privilégiée.
3.2. Extension du devoir de loyauté dans les rapports internes de la société
La conception du devoir de loyauté éclaircie, et la notion se révélant prometteuse,
l’étude s’est engagée dans l’extension des relations de loyauté afin d’envisager de nouveaux
sujets.
Dans une conception extensive, le devoir de loyauté peut s’imposer à l’ensemble des
dirigeants. En droit positif, il s’impose au gérant, au directeur général, au directeur général
unique et au directeur général délégué. Nous avons proposé de l’étendre aux membres du
conseil d’administration, du directoire ou du conseil de surveillance pris collégialement ou
individuellement. En effet, ces dirigeants sont tenus d’agir avec loyauté dans l’intérêt de la
société et dans l’intérêt de tout associé. S’agissant des associés, nous avons proposé d’étendre
le devoir de loyauté aux seuls associés prépondérants. Et, toujours dans une conception
extensive, le devoir de loyauté peut bénéficier aux tiers. Toutefois, pour ces derniers, nous
avons constaté que le devoir de loyauté a un caractère résiduel.
Cette étude nous a conduits à un deuxième constat : le devoir de loyauté s’impose
principalement dans les rapports internes des sociétés. À cet égard, là où l’on aurait pu
observer un nouveau champ de séparation entre les règles applicables aux sociétés cotées et
celles applicables aux sociétés non cotées, on s’est aperçu que le devoir de loyauté s’adresse
dans les mêmes termes aux dirigeants et associés prépondérants de ces sociétés.
3.3. Extension des obligations découlant du devoir de loyauté
Dans ce prolongement, l’étude visait à dégager les situations dans lesquelles le devoir
de loyauté peut venir se loger. Le devoir de loyauté peut imposer de nouvelles obligations qui
s’inscrivent dans le droit fil des principes de la gouvernance d’entreprise.
Il en est ainsi de l’obligation de révéler le conflit d’intérêts. Cette obligation, imposée
ponctuellement en droit positif, peut être étendue à toute situation conflictuelle ou
potentiellement conflictuelle. Dans ce cas, la première démarche de l’intéressé consiste à
révéler le conflit réel ou potentiel lors de son entrée en fonction. Cette révélation peut
également être actualisée pendant toute la durée du mandat de l’administrateur en fournissant
périodiquement à la société tout renseignement utile pour permettre à celle-ci de veiller à ce
que l’administrateur ne soit pas conduit à délibérer sur un sujet à même de le mettre en
situation de conflit d’intérêts. Mais le plus souvent, l’obligation de révélation va s’imposer in
concreto au moment de l’opération concernée, avant ou pendant la réunion du conseil. La
révélation peut ainsi porter sur l’existence d’un intérêt dans une convention pour laquelle
l’obligation n’est pas imposée. Il en est notamment ainsi pour les conventions courantes
puisque la loi du 17 mai 2011 a supprimé l’obligation de communication. La révélation peut
également porter sur l’existence d’une opportunité d’affaires que l’administrateur souhaite
s’approprier ou encore sur les intérêts que l’administrateur détient dans une entreprise
concurrente.
Il en est ainsi également de l’obligation de ne pas voter qui peut s’imposer aux
dirigeants ou actionnaires intéressés échappant au dispositif légal. Il en est ainsi du gérant de
SARL lorsqu’il participe au vote fixant sa rémunération.
Cette approche prospective nous a conduits à un troisième constat : la richesse des
obligations susceptibles d’être imposées par le devoir de loyauté en droit des sociétés.
3.4. Un devoir de loyauté encadré par les mécanismes préconisés par les
principes et rapports sur la gouvernance d’entreprise
Restait à envisager les moyens permettant d’assurer l’effectivité du devoir de loyauté.
À cet égard, nous avons constaté que les mécanismes juridiques et judiciaires peuvent exercer
un contrôle préventif et répressif.
Divers mécanismes juridiques de gouvernance permettent de surveiller et de contrôler
les dirigeants et les associés prépondérants en vue de prévenir les manquements au devoir de
loyauté. Parmi ces mécanismes, le conseil d’administration occupe une place centrale. De
nombreux rapports sur la gouvernance d’entreprise se sont en effet penchés sur l’amélioration
de son fonctionnement afin que celui-ci joue pleinement son rôle de contrepouvoir à l’action
des dirigeants et des associés prépondérants. Le conseil joue à la fois un rôle général de
contrôle des décisions soumises au conseil et un rôle de détection des conflits d’intérêts. À cet
égard, il faut souligner le rôle particulièrement important du bureau du conseil dans
l’identification des conflits d’intérêts afin de déterminer les délibérations pour lesquelles les
membres du conseil intéressés ne doivent pas participer aux débats, ni voter. En particulier, au
sein du bureau, l’administrateur référent joue un rôle de plus en plus important puisqu’il a
pour mission d’exercer une action préventive de sensibilisation des intéressés sur l’existence
de faits de nature à engendrer des situations de conflits d’intérêts. En outre, lorsque des
dirigeants, placés en position de conflit d’intérêts, siègent au conseil, il peut s’avérer opportun
de confier à un comité spécialisé composé d’administrateurs indépendants la mission
d’étudier l’opération envisagée et de soumettre des recommandations au dit conseil.
Individuellement, chaque membre du conseil peut également jouer un rôle de vigilance à
l’égard des situations conflictuelles et, en cas de désaccord, un rôle d’opposition à l’égard des
décisions contraires à l’intérêt de la société. Dans le cadre des réflexions sur la gouvernance
d’entreprise, l’assemblée générale apparaît depuis quelques années comme un contre-pouvoir,
autonome mais complémentaire au contrôle du conseil. Parmi les moyens utilisés pour
contrôler les prises de décisions du conseil et de l’assemblée générale, les actionnaires
peuvent, avant l’assemblée, soumettre des résolutions ou poser des questions écrites suite à la
consultation des documents sociaux préparés pour l’assemblée générale annuelle. Les
actionnaires peuvent également poursuivre leur contrôle au cours de l’assemblée générale en
posant des questions, en amendant ou en déposant des projets de résolutions, mais surtout en
exerçant leur droit de vote. Le bureau de l’assemblée générale a également un rôle à jouer
dans l’identification des conflits d’intérêts. Ces mécanismes internes, parce qu’ils permettent
de contrôler les conflits d’intérêts des dirigeants et des associés prépondérants, constituent des
mécanismes permettant de contrôler le devoir de loyauté.
Les recours judiciaires constituent un mécanisme externe de gouvernance grâce au
contrôle que les tribunaux peuvent exercer à l’égard des dirigeants et des associés
prépondérants. Le contrôle judiciaire peut intervenir ponctuellement pour faciliter la
révocation du dirigeant ayant manqué à son devoir de loyauté ou pour placer sous le contrôle
du juge une opération de nature à produire des effets préjudiciables à la société. Mais le plus
souvent, le contrôle judiciaire permet d’exercer une fonction réparatrice lorsque la décision
est rendue, ainsi qu’une fonction dissuasive en incitant les dirigeants et les associés
prépondérants à respecter leur devoir de loyauté. Les dirigeants et associés prépondérants qui
envisagent de privilégier leur intérêt personnel au détriment de celui de la société ou des
associés doivent prendre en considération le risque d’une transgression de leur devoir. En
effet, une telle transgression pourra être sanctionnée par la nullité de l’acte litigieux mais
également par une poursuite en dommages-intérêts. La prise en considération de la réalité des
poursuites judiciaires peut susciter une crainte suffisante auprès des dirigeants et des associés
prépondérants. Ceux-ci peuvent appréhender les conséquences négatives d’un recours qui
inclus non seulement le coût financier direct, tel le paiement de dommages-intérêts, mais
également le coût indirect d’ordre économique, social et émotionnel. Selon plusieurs auteurs,
les recours judiciaires peuvent ainsi exercer une fonction de dissuasion en raison des facteurs
liés à la crainte d’une atteinte à la réputation et au désir de se conformer aux normes sociales
de bonne conduite. À ces facteurs s’ajoute le désir, pour les dirigeants, d’éviter les
perturbations et les ennuis d’ordre professionnel et personnel, comme la perte de temps, le
stress et l’humiliation qu’ils peuvent subir devant un tribunal. Ainsi, le devoir de loyauté qui
encadre la conduite des dirigeants et des associés prépondérants peut influer sur leur intérêt à
se conduire de manière opportuniste. Par ailleurs, nous avons proposé l’exonération de
responsabilité des administrateurs qui ont respecté l’équité procédurale. Cette notion,
inconnue du droit français, est en effet utilisée en common law par les juges américains et
canadiens pour évaluer le respect des devoirs de diligence et de loyauté des administrateurs
ainsi que le caractère équitable de la décision impliquant un conflit d’intérêts. Selon cette
conception, les administrateurs peuvent s’exonérer de leur responsabilité en démontrant qu’ils
ont agi avec diligence au regard de la nature et de l’étendue des précautions prises par les
administrateurs pour éviter le manquement au devoir de loyauté. En particulier, les juges se
penchent sur les pratiques de bonne gouvernance mises en place pour préserver l’esprit
indépendant des administrateurs. Ils évaluent les comportements des membres de la direction
en mettant l’accent sur l’obligation, pour le conseil d’administration, d’agir de manière
désintéressée, notamment par la création de comités composés d’administrateurs
indépendants, par la consultation de conseillers externes indépendants ou par l’obtention
d’une approbation par une majorité d’actionnaires indépendants.
L’étude de ces mécanismes nous a conduits à un dernier constat : le devoir de loyauté
– notion érigée en règle de bonne gouvernance au niveau international – peut être encadré par
les mêmes mécanismes préconisés par les principes et rapports sur la gouvernance
d’entreprise.
Au final, au terme de cette étude, est apparue une attente, celle du développement du
devoir de loyauté en droit des sociétés non seulement parce que la notion permet d’imposer
des obligations là où la loi n’intervient pas, mais également par la modernité qu’offre la
notion en inscrivant le droit des sociétés dans la dynamique de la gouvernance d’entreprise.
En outre, il faut noter que ce sujet est une notion en devenir d’une actualité brûlante. Il
s’inscrit en effet dans un contexte où la gestion des conflits d’intérêts devient une
préoccupation majeure du droit des sociétés. Le devoir de loyauté apparaît d’ailleurs depuis
novembre 2010 comme une règle de comportement explicitement recommandée par l’Institut
français des administrateurs. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un
arrêt important le 15 novembre 2011 en imposant une nouvelle expression du devoir de
loyauté du dirigeant social. Enfin, le devoir de loyauté a également été avancé dans un arrêt
de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 12 janvier 2012.