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L’Encéphale (2012) 38, 126—132
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉTHODOLOGIE
Approche méthodologique de la variabilité inter
« Guidelines » : exemples dans la prise en charge
du trouble bipolaire
Methodological approach to inter ‘‘guideline’’ variability in the
management of bipolar disorders
L. Samalin ∗, P.-M. Llorca
Service de psychiatrie, centre médico-psychologique B, CHU de Clermont-Ferrand,
BP 69, 63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France
Reçu le 16 août 2010 ; accepté le 11 mai 2011
Disponible sur Internet le 31 août 2011
MOTS CLÉS
Trouble bipolaire ;
RPC ;
recommandations de
pratique clinique ;
« Guidelines »
KEYWORDS
Bipolar disorder;
Guidelines;
∗
Résumé Au cours de ces dernières décennies, un nombre croissant de molécules ont été validées dans le traitement des troubles bipolaires. Ces avancées thérapeutiques constituent un
nouveau challenge pour les praticiens dans le choix thérapeutique pour le patient bipolaire.
Dans le cadre d’une démarche evidence-based medecine, des aides à la décision médicale ont
été élaborées dans le traitement du trouble bipolaire : les « guidelines » ou recommandations
de pratique clinique (RPC). Il existe cependant des différences, voire des divergences, selon les
RPC dans le trouble bipolaire. Les recommandations issues d’une RPC peuvent en effet varier
en fonction de leur méthodologie de construction, de leur date d’élaboration, du contexte
géoculturel et du positionnement de leur groupe d’experts. Ainsi, il peut paraître difficile au
clinicien de choisir l’une de ces RPC pour son activité quotidienne. Il paraîtrait donc intéressant
de réaliser, sur la base d’une échelle validée (AGREE) ou complétée par d’autres items comme
l’année de développement et le nombre de recommandations proposé, une étude comparative
des différentes RPC concernant le trouble bipolaire. Cependant, la compréhension méthodologique d’élaboration d’une RPC reste l’élément central permettant au praticien de choisir
une RPC en pratique clinique. La mise en application des RPC permettrait de répondre à leur
objectif initial : « rechercher les soins les plus appropriés » pour les patients.
© L’Encéphale, Paris, 2011.
Summary
Introduction. — In recent decades, an increasing number of pharmacologic agents have become
available in bipolar disorder treatment. These therapeutic advances provide a new challenge
for clinicians in the choice of medication for patients with bipolar disorder. In this context, tools
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (L. Samalin).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011.
doi:10.1016/j.encep.2011.07.004
Approche méthodologique de la variabilité inter « Guidelines » dans le trouble bipolaire
CPR;
Clinical practice
recommendations
127
have been developed for making medical decisions in the management of bipolar disorder:
guidelines.
Methods. — Guidelines for bipolar disorder were compared on the basis of their construction
methodology (evidence-based treatment guidelines or consensus-based treatment guidelines),
results and recommendations for clinical practice.
Results. — There are differences between guidelines for treating bipolar disorder. For the American Psychiatric Association (APA), the severity of the manic episode is a primary endpoint of
the decision-making tree for the choice of therapy. On the other hand, the National Institute for
Health and Clinical Excellence (NICE) ruled that the choice of the initial treatment, in the case
of manic episode, should be based first on the current patient’s treatment (history of anti-manic
therapy) while the World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) emphasizes
the clinical classification of the type of mania. The sequencing of medication in the guidelines
may vary according to the construction methodology, the date of elaboration, the geocultural context and experts’ position. Recent guidelines consider the last randomized controlled
trials (RCT) as those of aripiprazole in the treatment of mania, recommending it in first line
as anti-manic agent. The recent updated WFSBP guidelines changed in its construction methodology taking into account the negative studies or those showing non-superiority compared
to placebo. Thus, a recent study of non-superiority of lithium monotherapy compared to placebo in the treatment of bipolar depression downgraded lithium from level of evidence B to D.
During recent years, a large number of RCT have demonstrated superior efficacy (particularly in
mania treatment) of lithium or valproate combined with second-generation antipsychotic compared with lithium or valproate monotherapy. Consequently, according to geocultural context
or experts’ position, some guidelines recommended medication combinations in first line (Canadian Network for Mood and Anxiety Treatment) and other guidelines considered monotherapy
in first line (except for particular cases) to promote tolerance and good therapeutic alliance
(WFSBP). Malhi et al. recommended a sequencing of medication based on the benefit risk ratio
for the management of each phase of bipolar disorder. These differences between guidelines
may cause difficulties for clinicians in choosing clinical practice guidelines.
Conclusion. — While there are a large number of guidelines for bipolar disorder, the recommendations may vary depending on multiple factors. It seems interesting to conduct a comparative
study of guidelines for bipolar disorder on the basis of a validated scale (AGREE) or completed
by other items such as date of elaboration and number of proposed recommendations. However,
the methodological understanding of guidelines remains the central element for practitioners
in their choice of guidelines. Thus, the initial objective of guidelines ‘‘to develop statements to
assist clinician and patient decisions about the most appropriate health care for specific clinical
situations’’ could be implemented in clinical practice.
© L’Encéphale, Paris, 2011.
Introduction
Au cours de ces dernières décennies, un nombre croissant de molécules ont été validées dans le traitement des
troubles bipolaires. Ces avancées thérapeutiques constituent un nouveau challenge pour les praticiens dans le choix
thérapeutique pour le patient bipolaire. Dans le cadre d’une
démarche evidence-based medecine, des aides à la décision
médicale ont été élaborées dans le traitement du trouble
bipolaire ; les « guidelines » ou recommandations de pratique clinique (RPC) [2,5—9,11,12,14,15,17—21,24—35]. Il
existe cependant des différences, voire des divergences,
selon les RPC. Il peut apparaître difficile au clinicien de
choisir l’une de ces RPC pour son activité quotidienne.
La prolifération des RPC n’est pas spécifique au trouble
bipolaire [16]. Elles deviennent des outils de synthèse
largement développés, visant à améliorer la qualité des
soins. Les différences entre RPC ne sont pas non plus
spécifiques au trouble bipolaire. La croissance du nombre
de RPC disponibles dans l’ensemble des spécialités est
source de préoccupation. Certains auteurs remettent en
cause leurs validités et leurs fiabilités [16]. La nécessité de critères rigoureux pour leur construction est
indispensable à leur crédibilité. Le projet AGREE était
destiné à définir des critères permettant d’évaluer la
qualité des RPC [1]. Gaebel et al. ont déjà utilisé
les critères AGREE afin de comparer les nombreuses
RPC pour la schizophrénie [13]. Aucune étude comparative des RPC pour le trouble bipolaire n’a été publiée
jusqu’aujourd’hui.
Nous proposerons à travers cet article, d’expliciter les
différences méthodologiques des RPC dans le trouble bipolaire et de présenter des critères pratiques permettant de
guider le clinicien dans le choix d’une RPC.
128
Les recommandations pour la pratique
clinique
Définitions
Les RPC sont définies comme « des propositions développées de façon méthodique, utilisées pour aider le médecin
et le malade à décider des soins appropriés à des circonstances cliniques spécifiques » [3,4,23]. Leurs objectifs sont
d’améliorer la qualité des soins en limitant leur variabilité
inexpliquée et en intégrant dans la pratique quotidienne les
progrès issus de la recherche clinique.
Méthodologie de construction des
recommandations pour la pratique clinique
La méthodologie de construction de RPC est fondée sur une
analyse et une synthèse objectives de la littérature scientifique sur le thème à traiter (Evidence-Based Medicine) et
sur des avis d’experts, permettant d’établir un état des
connaissances à un moment donné sur un thème précis.
La méthodologie employée n’est pas la même selon les
RPC. On en distingue trois types :
• conférences de consensus ;
• recommandations pour la pratique clinique ;
• consensus formalisé.
La méthode « Conférence de consensus » est la plus
anciennement décrite et utilisée [3]. Cette méthode
consiste en la rédaction de recommandations par un jury
au terme d’une présentation publique de rapports d’experts
faisant la synthèse des connaissances. Les recommandations
issues de ce type de méthodologie sont de moins en moins
nombreuses.
La méthodologie de type « recommandations pour la pratique clinique » (evidence-based treatment guidelines) est
la plus utilisée [4]. La grande majorité des RPC sur la prise
en charge du trouble bipolaire en est issue. Elle consiste
à faire rédiger des recommandations par un groupe de travail au terme d’une analyse critique des données disponibles
sélectionnées et classées selon leur niveau de preuve. Ces
recommandations sont systématiquement gradées en fonction du niveau de preuve. Selon les RPC, la classification
du niveau de preuve et la gradation des recommandations
peuvent différer (Tableau 1).
La méthode de type « consensus formalisé » (consensusbased treatement guidelines) consiste à rédiger des
recommandations à partir de l’avis et l’expérience pratique
d’un groupe de professionnels [23]. Un groupe de pilotage
propose au préalable des recommandations sur la conduite à
tenir dans un ensemble de situations cliniques élémentaires
et concrètes, après analyse critique des données disponibles. L’avis du groupe de professionnels (expert sur le sujet
ou ayant une pratique régulière dans le domaine) est formalisé en utilisant une échelle visuelle graduée de 0 (ou 1) à 9,
et le degré d’accord et de désaccord entre les professionnels est à chaque fois mesuré. Les recommandations issues
de cette méthodologie sont gradées en fonction des scores
obtenus pour chacune des questions.
L. Samalin, P.-M. Llorca
Cette méthode est utilisée par quelques RPC dans la prise
en charge du trouble bipolaire [7,29]. Elle est particulièrement intéressante lorsque les données disponibles sont
rares, controversées ou reflètent mal les situations rencontrées en pratique.
Chacune des méthodologies utilisables pour élaborer des
RPC présente ses avantages et ses limites. En fonction
de la méthodologie choisie, de son application (variantes
d’une même méthodologie selon les RPC) et des données
disponibles au moment de l’élaboration de la RPC, les
recommandations pour la prise en charge d’un même trouble
mental vont varier d’une RPC à l’autre.
Les recommandations pour la pratique
clinique pour le trouble bipolaire
De nombreuses RPC concernant le trouble bipolaire ont
été développées ces dernières années par l’intermédiaire
d’agence nationale ou de sociétés savantes indépendantes
ou soutenues par des compagnies pharmaceutiques. La
majorité d’entre elles ont été élaborées aux États-Unis et
au Royaume-Uni (Tableau 2). En France, la Haute Autorité
de santé (HAS) a récemment édité un guide pour la prise
en charge du trouble bipolaire mais qui par sa méthodologie
de construction ne peut être assimilé à une RPC [22]. Dans
le cadre d’une démarche d’amélioration de la qualité des
soins, l’Association française de psychiatrie biologique et
neuropsychopharmacologie (AFPBN) a proposé l’élaboration
de recommandations formalisées d’experts (RFE) sur le
dépistage et la prise en charge du trouble bipolaire [7].
Nous avons centré notre analyse sur des points précis
de la prise en charge médicamenteuse du trouble bipolaire
(critères de choix du traitement initial et gradation des
molécules) afin de mettre en avant les différences méthodologiques à l’origine des variabilités inter-RPC.
Critères de choix du traitement initial
Citons trois RPC pour le trouble bipolaire : l’American Psychiatric Association (APA) [5,6], le National Institute for
Health and Clinical Excellence (NICE) [27] et la World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) [20,21].
Ces trois RPC présentent l’intérêt d’être issues de plusieurs continents et donc de cultures distinctes (Américaine,
Fédération mondiale et britannique). Elles utilisent des
méthodologies de construction et comportent des dates de
publications différentes.
À titre d’exemple, nous citerons quelques divergences de
recommandations pour le traitement de l’accès maniaque.
En ce qui concerne l’arbre d’aide à la décision thérapeutique, l’APA considère que le choix du traitement initial
doit être guidé par des facteurs cliniques comme la sévérité
de l’épisode, ses caractéristiques (présence d’éléments psychotiques, d’une symptomatologie catatonique, de comorbidités addictives ou psychiatriques), son type (maniaque,
mixte, cycle rapide) et par les préférences si possible du
patient avec une attention particulière au profil d’effets
secondaires. Pour le NICE, l’arbre d’aide à la décision thérapeutique se fera tout d’abord en fonction du traitement en
cours du patient (antécédent de traitement anti-maniaque).
La WFSBP définit un spectre de la manie (manie euphorique
Approche méthodologique de la variabilité inter « Guidelines » dans le trouble bipolaire
129
Tableau 1 Niveaux de preuve et gradations des recommandations correspondantes des recommandations pour la pratique
clinique issues de la CANMAT et de la BAP 2009 [15,36].
Niveau I
Niveau II
Niveau III
Niveau IV
Méta analyse d’études contrôlées randomisées
Au moins une étude contrôlée randomisée versus placebo ou molécule de référence
Études prospectives non contrôlées incluant moins de 10 sujets, études comparatives non randomisées,
études cas témoin
Avis d’expert
CANMAT 2009
1er ligne
2e ligne
3e ligne
Non recommandé
BAP 2009
Niveau
Niveau
Niveau
Niveau
de
de
de
de
preuve
preuve
preuve
preuve
I ou II
III
IV
I ou II ayant prouvé une absence d’efficacité
Tableau 2 Recommandation pour
[2,5—7,14,15,17—21,25,28,30,33—36].
la
pratique
clinique
concernant
le
GRADE
GRADE
GRADE
GRADE
trouble
A
B
C
D
Niveau
Niveau
Niveau
Niveau
bipolaire
de
de
de
de
preuve
preuve
preuve
preuve
depuis
I
II
III
IV
2005
Années
Sous l’égide de
Titre
2010
Association française de psychiatrie biologique
et de neuropsychopharmacologie (AFPBN)
Recommandation formalisée d’experts sur le
dépistage et la prise en charge du trouble
bipolaire
2009—2010/2004—2002
World Federation of Societies of biological
Psychiatry (WFSBP)
World Federation of Societies of biological
Psychiatry (WFSBP) guidelines for biological
treatment of bipolar disorders part I, II, III
update
2009
Malhi et al. National Health and Medical
Research Council (NHMRC)
Clinical practice recommendations for bipolar
disorder
2009/2003
British Association for Psychopharmacology
(BAP)
Evidence-based guidelines for treating bipolar
disorder
2009/2007/2005
Canadian Network for Mood and Anxiety
Treatments (CANMAT)
Guidelines for the management of patients
with bipolar disorder
2006
National Institute for health and Clinical
Excellence (NICE)
NICE new guidance to improve the treatment
of bipolar disorder
2005
Argentine Association of Biological Psychiatry
(AAPB)
Argentine consensus on the treatment of
bipolar disorder
2005/2002/1994
American Psychiatric Association (APA)
Guideline Watch Practice guideline for the
treatment of patients with bipolar disorder
2005/2003/1998
Texas Department of Mental Health and Mental
Retardation
The Texas implementation of medication
algorithms : update to the algorithms for
treatment of bipolar I disorder.
2005/1997
American Academy of Child and Adolescent
Psychiatry
Treatment guidelines for children and
adolescents with bipolar disorder
ou classique, manie dysphorique, épisode mixte et manie
avec symptômes psychotiques à côté de sa forme atténuée
qu’est l’hypomanie) qui va guider le choix thérapeutique.
De plus, la WSFBP insiste sur l’importance de choisir un traitement pour l’épisode aigu compatible avec le traitement
prophylactique et d’essayer d’optimiser la compliance du
patient en utilisant une molécule ayant un profil de tolérance adapté à ses caractéristiques individuelles.
Comme on le voit, le choix du traitement initial va être
guidé par des facteurs différents (cliniques, nosographiques
ou thérapeutiques) selon les RPC en lien direct avec le positionnement du groupe de travail qui les élabore.
Gradation des molécules recommandées
Aripiprazole comme agent anti-maniaque
L’importance de la date de publication est illustrée par
les RPC récentes proposées par l’AFPBN, la British Association for Psychopharmacology (BAP), le National Health and
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L. Samalin, P.-M. Llorca
Medical Research Council (NHMRC) en Australie ou la WFSBP
[7,15,20,25]. Elles prennent en compte, par exemple, les
dernières études randomisées contrôlées sur l’efficacité de
l’aripiprazole dans le traitement de la manie. Ainsi, les RPC
développées depuis 2006 sont les seules à recommander aux
côtés du lithium, du valproate et d’autres antipsychotiques
de seconde génération, l’aripiprazole en première intention
comme agent anti-maniaque.
Lithium dans la dépression bipolaire
La WFSBP a, lors de la mise à jour en 2009/2010 de ses
premières RPC (2002/2004), modifié sa méthodologie de
construction en proposant une gradation du niveau de
preuve qui tient compte des études négatives ou de nonsupériorité par rapport au placebo. La prise en compte
d’une étude récente de non-supériorité du lithium en monothérapie par rapport au placebo dans le traitement de la
dépression bipolaire [36] a fait passer le lithium d’un niveau
de preuve B à D. C’est la modification de la gradation du
niveau de preuve qui génère une recommandation différente
concernant la place du lithium dans la dépression bipolaire.
Polythérapie ou monothérapie
Les RPC récentes proposent de manière consensuelle les
mêmes molécules en première ligne dans la prise en charge
d’un épisode maniaque. Nous retrouvons le lithium, le
valproate et les antipsychotiques de seconde génération
(olanzapine, rispéridone, aripiprazole, quétiapine). Ces dernières années, plusieurs études contrôlées randomisées ont
démontré une efficacité supérieure des associations lithium
ou valproate avec un antipsychotique de seconde génération
par rapport aux monothérapies par lithium ou valproate. La
prise en compte de ces publications et donc les recommandations sur le choix d’une monothérapie ou d’une bithérapie
d’emblée sont divergentes. Certaines RPC proposent parmi
les thérapeutiques de première ligne dans le traitement de
l’épisode maniaque une bithérapie [35], d’autres RPC considèrent toujours sauf cas particulier (sévérité de l’épisode,
réponse inadéquate ou rechute sous traitement) en première intention une monothérapie afin de favoriser la bonne
tolérance et l’alliance thérapeutique [20].
Rapport bénéfice/risque
L’interprétation de la notion de bénéfice/risque dans la
hiérarchisation des molécules peut aboutir à des choix totalement différents. La RPC de Malhi et al. propose une
gradation des molécules qui considère en premier lieu
l’efficacité puis le facteur tolérance [25]. Dans le traitement de l’épisode maniaque, les associations lithium ou
valproate + antipsychotique de seconde génération apparaissent en première ligne, puis les monothérapies avec
aripiprazole et ziprazidone en tête de liste et olanzapine et
lithium en fin de liste du fait des effets indésirables (Fig. 1).
Même si les méthodologies de construction et les dates
de publication de ces RPC sont proches, les différences de
recommandations retrouvées dans la gradation des molécules (association ou monothérapie en première intention
et prise en compte du rapport bénéfices/risques) dépendent
ici principalement du contexte géoculturel et du positionnement du groupe de travail de la RPC.
Figure 1 Rapport bénéfice/risque des anti-maniaques préconisés dans la prise en charge d’un épisode maniaque issue de la
recommandation pour la pratique clinique de Malhi et al., 2009
[25].
Au total, les recommandations issues d’une RPC dans le
trouble bipolaire peuvent varier en fonction de leur méthodologie de construction, de leur date d’élaboration, du
contexte géoculturel et du positionnement de leur groupe
d’experts. Ainsi, il peut paraître difficile au clinicien de
choisir une RPC sur laquelle s’appuyer dans sa pratique quotidienne.
Comment choisir une recommandation pour la
pratique clinique en pratique ?
Une RPC de bonne qualité est celle qui conduit à des résultats thérapeutiques attendus chez les patients. Elle doit
être scientifiquement validée, simple et fiable. À l’heure
actuelle, aucune publication n’a répertorié les RPC sur la
prise en charge du trouble bipolaire à travers des critères de
choix. Des différences entre ces RPC sont pourtant notables
et peuvent aboutir à des décisions médicales divergentes
pour une même situation clinique.
Devant la prolifération actuelle des RPC dans toutes les
spécialités médicales, un outil permettant l’appréciation
qualitative d’une RPC a été développé. Cet instrument issu
de l’AGREE (the Appraisal of guidelines, REsearch and Evaluation) collaboration, permet d’évaluer et de comparer les
différentes RPC [1]. Il se compose de 23 items classés dans
six domaines différents qui définissent les critères de qualité
d’une RPC :
• sujets et objectifs : la RPC doit spécifier l’ensemble de
ses objectifs, des questions cliniques abordées et décrire
la population ciblée ;
• participants engagés : la RPC doit contenir l’information
de la composition, de la discipline et des compétences du
groupe la développant et les patients concernés doivent
être associés au développement de la RPC. Par ailleurs,
les utilisateurs ciblés doivent être clairement définis ;
• rigueur de développement : la RPC doit contenir, une
information détaillée sur la stratégie de recherche, les
critères d’inclusion et d’exclusion de sélection des données scientifiques et sur la méthodologie utilisée pour
formuler les recommandations. Ces dernières sont issues
d’une littérature scientifique d’un niveau de preuve élevé
et d’une discussion sur les bénéfices sur la santé, les effets
indésirables ainsi que les risques possibles. Une relecture doit être réalisée par des intervenants extérieurs au
Approche méthodologique de la variabilité inter « Guidelines » dans le trouble bipolaire
développement de la RPC avant sa publication et la RPC
doit détailler sa procédure d’actualisation ;
• clarté et présentation : la RPC doit formuler des recommandations spécifiques appropriées aux soins du patient
et considérer différentes options possibles. Les recommandations clefs sont facilement détectables. Enfin, une
version résumée et un livret destiné au patient doivent
être fournis ;
• applicabilité : les changements organisationnels et les
coûts impliqués afin d’appliquer les recommandations ont
été examinés ;
• indépendance de l’éditeur : la RPC ne doit pas être
influencée par son financement ou par les membres du
groupe la développant par un conflit d’intérêts.
Cette échelle, a été utilisée en psychiatrie afin de
comparer les différentes RPC (27 ont été sélectionnées) dans
la schizophrénie [13]. Il en ressort des résultats montrant
une rigueur de développement moyenne et pour la plupart
une applicabilité difficile. La NICE se distingue particulièrement avec un score final de 90 % et une applicabilité de
100 % et à l’inverse, l’Anaes n’obtient qu’un score final de
26 % avec une applicabilité de 11 %. Ainsi, malgré une méthodologie rigoureuse, la mise en pratique des RPC semble être
aussi un facteur limitant leur utilisation.
Les résultats de l’utilisation de l’échelle AGREE permettent de notifier la qualité méthodologique d’une RPC de
type evidence-based treatment guidelines. Cependant, cet
outil ne prend pas en compte les RPC basées sur les opinons
d’experts (conférence de consensus ou consensus formalisé
d’expert) ainsi que d’autres critères d’évaluation tel que
l’année de publication et ne permet pas la comparaison des
recommandations issues de chaque RPC. Son utilisation en
pratique clinique reste donc limitée.
D’autres études comparatives inter-RPC ont été publiées
dans la schizophrénie sur la base de critères de qualité différents et moins nombreux que l’échelle AGREE : la date de
publication, la validité scientifique, la facilité d’emploi et le
nombre de recommandations concernant la pharmacothérapie [10]. L’année de publication va jouer un rôle majeur dans
le choix d’une RPC. La prise en compte d’études récentes
peut promouvoir de nouvelles molécules ou conduites thérapeutiques et remettre ainsi en cause une pratique de
prescription jusque là validée. Le nombre de recommandations est un critère intéressant, dans la mesure où plus il
sera élevé, plus la RPC va apporter de réponses aux cliniciens. Inversement, le nombre élevé de recommandations
va jouer sur la validité scientifique de la RPC, puisqu’elle
va répondre à des questions cliniques ayant peu d’évidence
scientifique. Certains considèrent ainsi l’Expert Consensus
Guideline [29] basé sur une méthodologie par consensus formalisé comme une RPC très complète, puisqu’elle présente
un très grand nombre de recommandations qui compense
en quelque sorte sa validité scientifique inférieure à celle
d’autres RPC [10].
La compréhension de la méthodologie d’élaboration
d’une RPC, la prise en compte d’autres critères tel que
l’année de sa publication, sa facilité d’utilisation, sa clarté
de présentation devraient permettre au praticien de choisir
la RPC qui répondra le mieux à ses besoins.
131
Conclusion
S’il existe un grand nombre de RPC concernant le trouble
bipolaire, une certaine variabilité de recommandations
entre ces différentes RPC a pu être mise en évidence.
Il paraîtrait intéressant de réaliser, sur la base d’une
échelle validée (AGREE) ou complétée par d’autres items
comme l’année de développement et le nombre de
recommandations proposées, une étude comparative des
différentes RPC concernant le trouble bipolaire. Cependant,
la compréhension méthodologique d’élaboration d’une RPC
reste l’élément central permettant au praticien de choisir
une RPC en pratique clinique. La mise en application des RPC
permettrait de répondre à leur objectif initial : « rechercher
les soins les plus appropriés » pour les patients.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Remerciements
Nous remercions les laboratoires Sanofi-Aventis France pour
leur soutien lors de l’élaboration de ce travail.
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