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L’Encéphale (2012) 38, 126—132 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MÉTHODOLOGIE Approche méthodologique de la variabilité inter « Guidelines » : exemples dans la prise en charge du trouble bipolaire Methodological approach to inter ‘‘guideline’’ variability in the management of bipolar disorders L. Samalin ∗, P.-M. Llorca Service de psychiatrie, centre médico-psychologique B, CHU de Clermont-Ferrand, BP 69, 63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France Reçu le 16 août 2010 ; accepté le 11 mai 2011 Disponible sur Internet le 31 août 2011 MOTS CLÉS Trouble bipolaire ; RPC ; recommandations de pratique clinique ; « Guidelines » KEYWORDS Bipolar disorder; Guidelines; ∗ Résumé Au cours de ces dernières décennies, un nombre croissant de molécules ont été validées dans le traitement des troubles bipolaires. Ces avancées thérapeutiques constituent un nouveau challenge pour les praticiens dans le choix thérapeutique pour le patient bipolaire. Dans le cadre d’une démarche evidence-based medecine, des aides à la décision médicale ont été élaborées dans le traitement du trouble bipolaire : les « guidelines » ou recommandations de pratique clinique (RPC). Il existe cependant des différences, voire des divergences, selon les RPC dans le trouble bipolaire. Les recommandations issues d’une RPC peuvent en effet varier en fonction de leur méthodologie de construction, de leur date d’élaboration, du contexte géoculturel et du positionnement de leur groupe d’experts. Ainsi, il peut paraître difficile au clinicien de choisir l’une de ces RPC pour son activité quotidienne. Il paraîtrait donc intéressant de réaliser, sur la base d’une échelle validée (AGREE) ou complétée par d’autres items comme l’année de développement et le nombre de recommandations proposé, une étude comparative des différentes RPC concernant le trouble bipolaire. Cependant, la compréhension méthodologique d’élaboration d’une RPC reste l’élément central permettant au praticien de choisir une RPC en pratique clinique. La mise en application des RPC permettrait de répondre à leur objectif initial : « rechercher les soins les plus appropriés » pour les patients. © L’Encéphale, Paris, 2011. Summary Introduction. — In recent decades, an increasing number of pharmacologic agents have become available in bipolar disorder treatment. These therapeutic advances provide a new challenge for clinicians in the choice of medication for patients with bipolar disorder. In this context, tools Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Samalin). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011. doi:10.1016/j.encep.2011.07.004 Approche méthodologique de la variabilité inter « Guidelines » dans le trouble bipolaire CPR; Clinical practice recommendations 127 have been developed for making medical decisions in the management of bipolar disorder: guidelines. Methods. — Guidelines for bipolar disorder were compared on the basis of their construction methodology (evidence-based treatment guidelines or consensus-based treatment guidelines), results and recommendations for clinical practice. Results. — There are differences between guidelines for treating bipolar disorder. For the American Psychiatric Association (APA), the severity of the manic episode is a primary endpoint of the decision-making tree for the choice of therapy. On the other hand, the National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) ruled that the choice of the initial treatment, in the case of manic episode, should be based first on the current patient’s treatment (history of anti-manic therapy) while the World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) emphasizes the clinical classification of the type of mania. The sequencing of medication in the guidelines may vary according to the construction methodology, the date of elaboration, the geocultural context and experts’ position. Recent guidelines consider the last randomized controlled trials (RCT) as those of aripiprazole in the treatment of mania, recommending it in first line as anti-manic agent. The recent updated WFSBP guidelines changed in its construction methodology taking into account the negative studies or those showing non-superiority compared to placebo. Thus, a recent study of non-superiority of lithium monotherapy compared to placebo in the treatment of bipolar depression downgraded lithium from level of evidence B to D. During recent years, a large number of RCT have demonstrated superior efficacy (particularly in mania treatment) of lithium or valproate combined with second-generation antipsychotic compared with lithium or valproate monotherapy. Consequently, according to geocultural context or experts’ position, some guidelines recommended medication combinations in first line (Canadian Network for Mood and Anxiety Treatment) and other guidelines considered monotherapy in first line (except for particular cases) to promote tolerance and good therapeutic alliance (WFSBP). Malhi et al. recommended a sequencing of medication based on the benefit risk ratio for the management of each phase of bipolar disorder. These differences between guidelines may cause difficulties for clinicians in choosing clinical practice guidelines. Conclusion. — While there are a large number of guidelines for bipolar disorder, the recommendations may vary depending on multiple factors. It seems interesting to conduct a comparative study of guidelines for bipolar disorder on the basis of a validated scale (AGREE) or completed by other items such as date of elaboration and number of proposed recommendations. However, the methodological understanding of guidelines remains the central element for practitioners in their choice of guidelines. Thus, the initial objective of guidelines ‘‘to develop statements to assist clinician and patient decisions about the most appropriate health care for specific clinical situations’’ could be implemented in clinical practice. © L’Encéphale, Paris, 2011. Introduction Au cours de ces dernières décennies, un nombre croissant de molécules ont été validées dans le traitement des troubles bipolaires. Ces avancées thérapeutiques constituent un nouveau challenge pour les praticiens dans le choix thérapeutique pour le patient bipolaire. Dans le cadre d’une démarche evidence-based medecine, des aides à la décision médicale ont été élaborées dans le traitement du trouble bipolaire ; les « guidelines » ou recommandations de pratique clinique (RPC) [2,5—9,11,12,14,15,17—21,24—35]. Il existe cependant des différences, voire des divergences, selon les RPC. Il peut apparaître difficile au clinicien de choisir l’une de ces RPC pour son activité quotidienne. La prolifération des RPC n’est pas spécifique au trouble bipolaire [16]. Elles deviennent des outils de synthèse largement développés, visant à améliorer la qualité des soins. Les différences entre RPC ne sont pas non plus spécifiques au trouble bipolaire. La croissance du nombre de RPC disponibles dans l’ensemble des spécialités est source de préoccupation. Certains auteurs remettent en cause leurs validités et leurs fiabilités [16]. La nécessité de critères rigoureux pour leur construction est indispensable à leur crédibilité. Le projet AGREE était destiné à définir des critères permettant d’évaluer la qualité des RPC [1]. Gaebel et al. ont déjà utilisé les critères AGREE afin de comparer les nombreuses RPC pour la schizophrénie [13]. Aucune étude comparative des RPC pour le trouble bipolaire n’a été publiée jusqu’aujourd’hui. Nous proposerons à travers cet article, d’expliciter les différences méthodologiques des RPC dans le trouble bipolaire et de présenter des critères pratiques permettant de guider le clinicien dans le choix d’une RPC. 128 Les recommandations pour la pratique clinique Définitions Les RPC sont définies comme « des propositions développées de façon méthodique, utilisées pour aider le médecin et le malade à décider des soins appropriés à des circonstances cliniques spécifiques » [3,4,23]. Leurs objectifs sont d’améliorer la qualité des soins en limitant leur variabilité inexpliquée et en intégrant dans la pratique quotidienne les progrès issus de la recherche clinique. Méthodologie de construction des recommandations pour la pratique clinique La méthodologie de construction de RPC est fondée sur une analyse et une synthèse objectives de la littérature scientifique sur le thème à traiter (Evidence-Based Medicine) et sur des avis d’experts, permettant d’établir un état des connaissances à un moment donné sur un thème précis. La méthodologie employée n’est pas la même selon les RPC. On en distingue trois types : • conférences de consensus ; • recommandations pour la pratique clinique ; • consensus formalisé. La méthode « Conférence de consensus » est la plus anciennement décrite et utilisée [3]. Cette méthode consiste en la rédaction de recommandations par un jury au terme d’une présentation publique de rapports d’experts faisant la synthèse des connaissances. Les recommandations issues de ce type de méthodologie sont de moins en moins nombreuses. La méthodologie de type « recommandations pour la pratique clinique » (evidence-based treatment guidelines) est la plus utilisée [4]. La grande majorité des RPC sur la prise en charge du trouble bipolaire en est issue. Elle consiste à faire rédiger des recommandations par un groupe de travail au terme d’une analyse critique des données disponibles sélectionnées et classées selon leur niveau de preuve. Ces recommandations sont systématiquement gradées en fonction du niveau de preuve. Selon les RPC, la classification du niveau de preuve et la gradation des recommandations peuvent différer (Tableau 1). La méthode de type « consensus formalisé » (consensusbased treatement guidelines) consiste à rédiger des recommandations à partir de l’avis et l’expérience pratique d’un groupe de professionnels [23]. Un groupe de pilotage propose au préalable des recommandations sur la conduite à tenir dans un ensemble de situations cliniques élémentaires et concrètes, après analyse critique des données disponibles. L’avis du groupe de professionnels (expert sur le sujet ou ayant une pratique régulière dans le domaine) est formalisé en utilisant une échelle visuelle graduée de 0 (ou 1) à 9, et le degré d’accord et de désaccord entre les professionnels est à chaque fois mesuré. Les recommandations issues de cette méthodologie sont gradées en fonction des scores obtenus pour chacune des questions. L. Samalin, P.-M. Llorca Cette méthode est utilisée par quelques RPC dans la prise en charge du trouble bipolaire [7,29]. Elle est particulièrement intéressante lorsque les données disponibles sont rares, controversées ou reflètent mal les situations rencontrées en pratique. Chacune des méthodologies utilisables pour élaborer des RPC présente ses avantages et ses limites. En fonction de la méthodologie choisie, de son application (variantes d’une même méthodologie selon les RPC) et des données disponibles au moment de l’élaboration de la RPC, les recommandations pour la prise en charge d’un même trouble mental vont varier d’une RPC à l’autre. Les recommandations pour la pratique clinique pour le trouble bipolaire De nombreuses RPC concernant le trouble bipolaire ont été développées ces dernières années par l’intermédiaire d’agence nationale ou de sociétés savantes indépendantes ou soutenues par des compagnies pharmaceutiques. La majorité d’entre elles ont été élaborées aux États-Unis et au Royaume-Uni (Tableau 2). En France, la Haute Autorité de santé (HAS) a récemment édité un guide pour la prise en charge du trouble bipolaire mais qui par sa méthodologie de construction ne peut être assimilé à une RPC [22]. Dans le cadre d’une démarche d’amélioration de la qualité des soins, l’Association française de psychiatrie biologique et neuropsychopharmacologie (AFPBN) a proposé l’élaboration de recommandations formalisées d’experts (RFE) sur le dépistage et la prise en charge du trouble bipolaire [7]. Nous avons centré notre analyse sur des points précis de la prise en charge médicamenteuse du trouble bipolaire (critères de choix du traitement initial et gradation des molécules) afin de mettre en avant les différences méthodologiques à l’origine des variabilités inter-RPC. Critères de choix du traitement initial Citons trois RPC pour le trouble bipolaire : l’American Psychiatric Association (APA) [5,6], le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) [27] et la World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) [20,21]. Ces trois RPC présentent l’intérêt d’être issues de plusieurs continents et donc de cultures distinctes (Américaine, Fédération mondiale et britannique). Elles utilisent des méthodologies de construction et comportent des dates de publications différentes. À titre d’exemple, nous citerons quelques divergences de recommandations pour le traitement de l’accès maniaque. En ce qui concerne l’arbre d’aide à la décision thérapeutique, l’APA considère que le choix du traitement initial doit être guidé par des facteurs cliniques comme la sévérité de l’épisode, ses caractéristiques (présence d’éléments psychotiques, d’une symptomatologie catatonique, de comorbidités addictives ou psychiatriques), son type (maniaque, mixte, cycle rapide) et par les préférences si possible du patient avec une attention particulière au profil d’effets secondaires. Pour le NICE, l’arbre d’aide à la décision thérapeutique se fera tout d’abord en fonction du traitement en cours du patient (antécédent de traitement anti-maniaque). La WFSBP définit un spectre de la manie (manie euphorique Approche méthodologique de la variabilité inter « Guidelines » dans le trouble bipolaire 129 Tableau 1 Niveaux de preuve et gradations des recommandations correspondantes des recommandations pour la pratique clinique issues de la CANMAT et de la BAP 2009 [15,36]. Niveau I Niveau II Niveau III Niveau IV Méta analyse d’études contrôlées randomisées Au moins une étude contrôlée randomisée versus placebo ou molécule de référence Études prospectives non contrôlées incluant moins de 10 sujets, études comparatives non randomisées, études cas témoin Avis d’expert CANMAT 2009 1er ligne 2e ligne 3e ligne Non recommandé BAP 2009 Niveau Niveau Niveau Niveau de de de de preuve preuve preuve preuve I ou II III IV I ou II ayant prouvé une absence d’efficacité Tableau 2 Recommandation pour [2,5—7,14,15,17—21,25,28,30,33—36]. la pratique clinique concernant le GRADE GRADE GRADE GRADE trouble A B C D Niveau Niveau Niveau Niveau bipolaire de de de de preuve preuve preuve preuve depuis I II III IV 2005 Années Sous l’égide de Titre 2010 Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie (AFPBN) Recommandation formalisée d’experts sur le dépistage et la prise en charge du trouble bipolaire 2009—2010/2004—2002 World Federation of Societies of biological Psychiatry (WFSBP) World Federation of Societies of biological Psychiatry (WFSBP) guidelines for biological treatment of bipolar disorders part I, II, III update 2009 Malhi et al. National Health and Medical Research Council (NHMRC) Clinical practice recommendations for bipolar disorder 2009/2003 British Association for Psychopharmacology (BAP) Evidence-based guidelines for treating bipolar disorder 2009/2007/2005 Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) Guidelines for the management of patients with bipolar disorder 2006 National Institute for health and Clinical Excellence (NICE) NICE new guidance to improve the treatment of bipolar disorder 2005 Argentine Association of Biological Psychiatry (AAPB) Argentine consensus on the treatment of bipolar disorder 2005/2002/1994 American Psychiatric Association (APA) Guideline Watch Practice guideline for the treatment of patients with bipolar disorder 2005/2003/1998 Texas Department of Mental Health and Mental Retardation The Texas implementation of medication algorithms : update to the algorithms for treatment of bipolar I disorder. 2005/1997 American Academy of Child and Adolescent Psychiatry Treatment guidelines for children and adolescents with bipolar disorder ou classique, manie dysphorique, épisode mixte et manie avec symptômes psychotiques à côté de sa forme atténuée qu’est l’hypomanie) qui va guider le choix thérapeutique. De plus, la WSFBP insiste sur l’importance de choisir un traitement pour l’épisode aigu compatible avec le traitement prophylactique et d’essayer d’optimiser la compliance du patient en utilisant une molécule ayant un profil de tolérance adapté à ses caractéristiques individuelles. Comme on le voit, le choix du traitement initial va être guidé par des facteurs différents (cliniques, nosographiques ou thérapeutiques) selon les RPC en lien direct avec le positionnement du groupe de travail qui les élabore. Gradation des molécules recommandées Aripiprazole comme agent anti-maniaque L’importance de la date de publication est illustrée par les RPC récentes proposées par l’AFPBN, la British Association for Psychopharmacology (BAP), le National Health and 130 L. Samalin, P.-M. Llorca Medical Research Council (NHMRC) en Australie ou la WFSBP [7,15,20,25]. Elles prennent en compte, par exemple, les dernières études randomisées contrôlées sur l’efficacité de l’aripiprazole dans le traitement de la manie. Ainsi, les RPC développées depuis 2006 sont les seules à recommander aux côtés du lithium, du valproate et d’autres antipsychotiques de seconde génération, l’aripiprazole en première intention comme agent anti-maniaque. Lithium dans la dépression bipolaire La WFSBP a, lors de la mise à jour en 2009/2010 de ses premières RPC (2002/2004), modifié sa méthodologie de construction en proposant une gradation du niveau de preuve qui tient compte des études négatives ou de nonsupériorité par rapport au placebo. La prise en compte d’une étude récente de non-supériorité du lithium en monothérapie par rapport au placebo dans le traitement de la dépression bipolaire [36] a fait passer le lithium d’un niveau de preuve B à D. C’est la modification de la gradation du niveau de preuve qui génère une recommandation différente concernant la place du lithium dans la dépression bipolaire. Polythérapie ou monothérapie Les RPC récentes proposent de manière consensuelle les mêmes molécules en première ligne dans la prise en charge d’un épisode maniaque. Nous retrouvons le lithium, le valproate et les antipsychotiques de seconde génération (olanzapine, rispéridone, aripiprazole, quétiapine). Ces dernières années, plusieurs études contrôlées randomisées ont démontré une efficacité supérieure des associations lithium ou valproate avec un antipsychotique de seconde génération par rapport aux monothérapies par lithium ou valproate. La prise en compte de ces publications et donc les recommandations sur le choix d’une monothérapie ou d’une bithérapie d’emblée sont divergentes. Certaines RPC proposent parmi les thérapeutiques de première ligne dans le traitement de l’épisode maniaque une bithérapie [35], d’autres RPC considèrent toujours sauf cas particulier (sévérité de l’épisode, réponse inadéquate ou rechute sous traitement) en première intention une monothérapie afin de favoriser la bonne tolérance et l’alliance thérapeutique [20]. Rapport bénéfice/risque L’interprétation de la notion de bénéfice/risque dans la hiérarchisation des molécules peut aboutir à des choix totalement différents. La RPC de Malhi et al. propose une gradation des molécules qui considère en premier lieu l’efficacité puis le facteur tolérance [25]. Dans le traitement de l’épisode maniaque, les associations lithium ou valproate + antipsychotique de seconde génération apparaissent en première ligne, puis les monothérapies avec aripiprazole et ziprazidone en tête de liste et olanzapine et lithium en fin de liste du fait des effets indésirables (Fig. 1). Même si les méthodologies de construction et les dates de publication de ces RPC sont proches, les différences de recommandations retrouvées dans la gradation des molécules (association ou monothérapie en première intention et prise en compte du rapport bénéfices/risques) dépendent ici principalement du contexte géoculturel et du positionnement du groupe de travail de la RPC. Figure 1 Rapport bénéfice/risque des anti-maniaques préconisés dans la prise en charge d’un épisode maniaque issue de la recommandation pour la pratique clinique de Malhi et al., 2009 [25]. Au total, les recommandations issues d’une RPC dans le trouble bipolaire peuvent varier en fonction de leur méthodologie de construction, de leur date d’élaboration, du contexte géoculturel et du positionnement de leur groupe d’experts. Ainsi, il peut paraître difficile au clinicien de choisir une RPC sur laquelle s’appuyer dans sa pratique quotidienne. Comment choisir une recommandation pour la pratique clinique en pratique ? Une RPC de bonne qualité est celle qui conduit à des résultats thérapeutiques attendus chez les patients. Elle doit être scientifiquement validée, simple et fiable. À l’heure actuelle, aucune publication n’a répertorié les RPC sur la prise en charge du trouble bipolaire à travers des critères de choix. Des différences entre ces RPC sont pourtant notables et peuvent aboutir à des décisions médicales divergentes pour une même situation clinique. Devant la prolifération actuelle des RPC dans toutes les spécialités médicales, un outil permettant l’appréciation qualitative d’une RPC a été développé. Cet instrument issu de l’AGREE (the Appraisal of guidelines, REsearch and Evaluation) collaboration, permet d’évaluer et de comparer les différentes RPC [1]. Il se compose de 23 items classés dans six domaines différents qui définissent les critères de qualité d’une RPC : • sujets et objectifs : la RPC doit spécifier l’ensemble de ses objectifs, des questions cliniques abordées et décrire la population ciblée ; • participants engagés : la RPC doit contenir l’information de la composition, de la discipline et des compétences du groupe la développant et les patients concernés doivent être associés au développement de la RPC. Par ailleurs, les utilisateurs ciblés doivent être clairement définis ; • rigueur de développement : la RPC doit contenir, une information détaillée sur la stratégie de recherche, les critères d’inclusion et d’exclusion de sélection des données scientifiques et sur la méthodologie utilisée pour formuler les recommandations. Ces dernières sont issues d’une littérature scientifique d’un niveau de preuve élevé et d’une discussion sur les bénéfices sur la santé, les effets indésirables ainsi que les risques possibles. Une relecture doit être réalisée par des intervenants extérieurs au Approche méthodologique de la variabilité inter « Guidelines » dans le trouble bipolaire développement de la RPC avant sa publication et la RPC doit détailler sa procédure d’actualisation ; • clarté et présentation : la RPC doit formuler des recommandations spécifiques appropriées aux soins du patient et considérer différentes options possibles. Les recommandations clefs sont facilement détectables. Enfin, une version résumée et un livret destiné au patient doivent être fournis ; • applicabilité : les changements organisationnels et les coûts impliqués afin d’appliquer les recommandations ont été examinés ; • indépendance de l’éditeur : la RPC ne doit pas être influencée par son financement ou par les membres du groupe la développant par un conflit d’intérêts. Cette échelle, a été utilisée en psychiatrie afin de comparer les différentes RPC (27 ont été sélectionnées) dans la schizophrénie [13]. Il en ressort des résultats montrant une rigueur de développement moyenne et pour la plupart une applicabilité difficile. La NICE se distingue particulièrement avec un score final de 90 % et une applicabilité de 100 % et à l’inverse, l’Anaes n’obtient qu’un score final de 26 % avec une applicabilité de 11 %. Ainsi, malgré une méthodologie rigoureuse, la mise en pratique des RPC semble être aussi un facteur limitant leur utilisation. Les résultats de l’utilisation de l’échelle AGREE permettent de notifier la qualité méthodologique d’une RPC de type evidence-based treatment guidelines. Cependant, cet outil ne prend pas en compte les RPC basées sur les opinons d’experts (conférence de consensus ou consensus formalisé d’expert) ainsi que d’autres critères d’évaluation tel que l’année de publication et ne permet pas la comparaison des recommandations issues de chaque RPC. Son utilisation en pratique clinique reste donc limitée. D’autres études comparatives inter-RPC ont été publiées dans la schizophrénie sur la base de critères de qualité différents et moins nombreux que l’échelle AGREE : la date de publication, la validité scientifique, la facilité d’emploi et le nombre de recommandations concernant la pharmacothérapie [10]. L’année de publication va jouer un rôle majeur dans le choix d’une RPC. La prise en compte d’études récentes peut promouvoir de nouvelles molécules ou conduites thérapeutiques et remettre ainsi en cause une pratique de prescription jusque là validée. Le nombre de recommandations est un critère intéressant, dans la mesure où plus il sera élevé, plus la RPC va apporter de réponses aux cliniciens. Inversement, le nombre élevé de recommandations va jouer sur la validité scientifique de la RPC, puisqu’elle va répondre à des questions cliniques ayant peu d’évidence scientifique. Certains considèrent ainsi l’Expert Consensus Guideline [29] basé sur une méthodologie par consensus formalisé comme une RPC très complète, puisqu’elle présente un très grand nombre de recommandations qui compense en quelque sorte sa validité scientifique inférieure à celle d’autres RPC [10]. La compréhension de la méthodologie d’élaboration d’une RPC, la prise en compte d’autres critères tel que l’année de sa publication, sa facilité d’utilisation, sa clarté de présentation devraient permettre au praticien de choisir la RPC qui répondra le mieux à ses besoins. 131 Conclusion S’il existe un grand nombre de RPC concernant le trouble bipolaire, une certaine variabilité de recommandations entre ces différentes RPC a pu être mise en évidence. Il paraîtrait intéressant de réaliser, sur la base d’une échelle validée (AGREE) ou complétée par d’autres items comme l’année de développement et le nombre de recommandations proposées, une étude comparative des différentes RPC concernant le trouble bipolaire. Cependant, la compréhension méthodologique d’élaboration d’une RPC reste l’élément central permettant au praticien de choisir une RPC en pratique clinique. La mise en application des RPC permettrait de répondre à leur objectif initial : « rechercher les soins les plus appropriés » pour les patients. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Remerciements Nous remercions les laboratoires Sanofi-Aventis France pour leur soutien lors de l’élaboration de ce travail. Références [1] AGREE. Development and validation of an international appraisal instrument for assessing the quality of clinical practice guidelines: the AGREE project. 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