transformation sàrl en sa. 2001.08.30

Transcription

transformation sàrl en sa. 2001.08.30
1
Transformation d'une société
à responsabilité limitée en société anonyme
Introduction
Depuis la révision du droit de la société anonyme qui est entré en vigueur en 1992, les
sociétés à responsabilité limitée ont connu un succès important auprès des justiciables1. On
constate néanmoins dans la pratique qu'un certain nombre de chefs d'entreprise ont sous estimé l'image d'une petite structure donnée par la sàrl - ne parle-t-on pas de la "SA du
pauvre" - ou les contraintes spécifiques de cette forme de société.
Au titre de ces dernières, on peut mentionner 2:
•
pour la cession des parts entre vifs, il faut l'accord des trois quarts des associés qui
doivent en outre représenter les trois quarts au moins du capital social3;
•
la cession et la promesse de cession d'une part sociale ne sont valables que si elles
sont constatées par un acte authentique, ce qui en fait un instrument lourd à manier 4;
•
en cas de transfert par voie successorale, puisque les parts ne sont pas des papiers
valeurs, cela pose des problèmes, les associés n'ayant comme choix que d'accepter le
nouvel associé héritier ou de racheter sa part à la valeur réelle 5;
•
il y a absence d'anonymat, puisque la demande d'inscription au Registre du commerce
doit indiquer les noms de tous les associés6;
•
il est relativement difficile de trouver un associé non gérant. En effet, tous les associés
sont, vis-à-vis des tiers, solidaires pour les dettes sociales à concurrence du montant du
capital social non versé7;
•
alors que l'actionnaire d'une société anonyme n'a qu'une seule obligation qui est de
libérer les actions qu'il a souscrites, dans la sàrl l'associé peut être amené à assumer
d'autres obligations à l'égard de la société puisque les statuts peuvent prévoir que, pour
éteindre les pertes, chaque associé devra faire des versements supplémentaires 8;
•
la loi ne garantit pas aux associés le droit de sortir librement de la société, mais les
statuts peuvent leur conférer ce droit et en subordonner l'exercice à des conditions
déterminées 9;
•
enfin, et sans être exhaustif, il faut rappeler que la faillite d'un associé ou la saisie de sa
part sociale entraîne normalement la dissolution de la société et de sa liquidation, en
principe10.
Le projet de révision du droit de la société à responsabilité limitée 11 n'avance guère. Quand
bien même il supprime la plupart des inconvénients mentionnés ci-avant, il n'est à l'évidence
pas près de voir le jour. En conséquence, les exigences légales actuelles vont encore
vraisemblablement pour plusieurs années limiter lourdement les facultés d'adaptation
pourtant voulues par le monde économique.
2
Des solutions pragmatiques doivent donc être trouvées. Quant au projet de loi sur la fusion,
actuellement en discussion auprès des Chambres fédérales 12, il ne paraît pas être sur le
point d'entrer en vigueur… Il faut enfin rappeler que le code des obligations prévoit
expressément la transformation d'une société anonyme en sàrl, mais pas l'inverse13.
Un arrêt 14 relativement récent du Tribunal fédéral, encore peu connu, a comblé une lacune
dans ce domaine.
Rappel des faits
Une société à responsabilité limitée a été constituée en 1996 avec un capital social de
Fr. 240'000.-- libéré sous forme d'apports en nature, les biens apportés étant énumérés et
évalués dans une convention reproduite dans les statuts. Ces biens correspondent à des
meubles, à de la vaisselle, à des ustensiles et à la batterie de cuisine d'un café-restaurant,
ainsi qu'à la clientèle de l'établissement.
Par acte authentique, l'année suivante, l'assemblée des associés a décidé de manière
unanime de transformer la sàrl en société anonyme, ce qui impliquait d'adapter les statuts au
droit de la SA, principalement en ce qui concerne la raison sociale, la subdivision du capital
social et les organes.
Une réquisition fut ainsi déposée au Registre du commerce qui refusait de procéder à
l'inscription requise. La société a recouru auprès du Tribunal cantonal vaudois qui rejeta la
demande en 1998. Un recours de droit administratif fut alors déposé auprès du Tribunal
fédéral qui l'a admis partiellement. Il faut préciser que l'Office fédéral du registre du
commerce, invité à déposer ses observations, était favorable au principe de la
transformation.
Les conditions de la transformation
La société entendait se transformer en SA par la seule modification de ses statuts, sans qu'il
n'y ait de dissolution ni de liquidation 15. La question que le Tribunal a été amené à examiner
était de déterminer si l'absence de base légale était plutôt un silence qualifié du législateur
qui ne souhaitait donc pas autoriser la transformation d'une sàrl en SA, ou une lacune
pouvant être comblée par les autorités du Registre du commerce.
La Cour cantonale vaudoise faisait observer que la valeur des apports en nature composant
un capital social n'avait pas fait l'objet d'un rapport de vérification, de sorte que l'inscription
au Registre du commerce de la transformation pouvait mettre en danger les intérêts des
créanciers. En outre, la responsabilité des associés n'était pas identique à celle des
actionnaires.
La transformation voulue par la recourante ne devait engendrer ni dissolution ni liquidation,
seul l'habit juridique devant changer. En d'autres termes, la recourante voulait se soumettre
à une transformation par changement de la forme juridique, opération s'effectuant par une
simple modification des statuts16. La transformation d'une SA en sàrl, sur la base des articles
824 et suivants CO, réalise ce cas.
3
L'Office fédéral du registre du commerce avait déjà, ces dernières années, peu à peu
assoupli sa position en matière de fusion et de transformation. Dans le rapport explicatif de
novembre 1997 concernant l'avant-projet de la loi fédérale sur la fusion, la scission et la
transformation, les conditions suivantes sont posées:
•
les formes juridiques en cause doivent être fondamentalement compatibles;
•
la continuité du patrimoine et celle du sociétariat doivent être garanties;
•
l'acte envisagé ne doit pas porter atteinte aux intérêts directs ou potentiels des
créanciers.
L'avant-projet de la loi fédérale pose le principe selon lequel le sujet peut changer sa forme
juridique par la voie de la transformation, tout en conservant l'ensemble de ses rapports
juridiques. En particulier, une société de capitaux, telle une société à responsabilité limitée,
peut se transformer en une société de capitaux d'une forme juridique différente, par exemple
une SA. Il s'agit là d'un cas de transformation par changement de la forme juridique.
La possibilité de transformer une sàrl en SA est également prévue dans le projet de
novembre 1996 concernant la révision du droit de la sàrl.
Le Tribunal fédéral, dans la présente affaire, a donc relevé que le contexte économique
s'était beaucoup modifié depuis 60 ans, et que le besoin de souplesse des entreprises est
plus important aujourd'hui qu'auparavant. La Haute Cour indique aussi que la loi elle-même
n'est pas d'une rigueur à toute épreuve en matière de transformation, puisque la loi fédérale
sur le droit international privé 17 autorise une société de droit étranger à se transformer
directement, sans ilquidation, en une société de droit suisse, pour autant qu'elle puisse
s'adapter à l'une des formes du droit suisse et, en principe, que les conditions fixées par le
droit étranger soient réunies.
Pour le Tribunal fédéral, l'existence d'un silence qualifié ne peut donc être retenue.
Les conditions suivantes doivent dès lors dans tous les cas être remplies pour que la
transformation puisse s'effectuer:
•
le capital de la sàrl doit être entièrement libéré. La responsabilité solidaire des
associés18 ne peut être transposée dans la SA. Ainsi, si le capital social n'est pas
entièrement libéré, les créanciers pourraient subir un préjudice;
•
le capital doit être entièrement couvert au moment de la transformation. Cela suppose
l'existence d'un bilan de transformation récent. L'évaluation des apports en nature doit
être vérifiée et attestée par écrit par un réviseur19;
•
le capital social de la sàrl sera, le cas échéant, porté à Fr. 100'000.-- au moins 20;
•
les statuts de la sàrl prévoyant, à la charge des associés, l'obligation de faire des
versements supplémentaires ou d'autres prestations21, ou qui leur imposent une
prohibition de concurrence22, devront être abrogés avant la transformation 23;
•
la décision de transformation doit contenir toutes les adaptations statutaires qui sont
nécessitées par le passage à la forme de la SA: raison de commerce, convocation de
l'assemblée générale, organisation, désignation des nouveaux organes de la société,
etc.
4
L'acte authentique
L'acte authentique, du point de vue rédactionnel, mérite quelques commentaires24. Le
Tribunal fédéral évoque l'augmentation du capital social. Si la libération intervient en
espèces, il semble préférable de consigner le montant en question selon les règles de la
société anonyme. Il en va de même pour une libération en nature. L'arrêt ne comporte par
contre pas de remarque particulière au sujet du droit préférentiel des associés dont le
respect demeure obligatoire.
L'assemblée des associés doit révoquer le mandat des gérants, abroger les anciens statuts
et en adopter de nouveaux, selon ce qui figure ci-avant, en précisant que la transformation
intervient sans liquidation.
Les nouveaux actionnaires, jusqu'alors associés, devront souscrire des actions dans les
mêmes proportions par rapport à ce qu'ils détenaient dans le capital social. La libération du
capital-actions est opérée grâce à l'apport des actifs et passifs de la société à responsabilité
limitée, et de l'éventuelle libération supplémentaire du capital.
Le conseil d'administration doit être désigné et il en va de même pour l'organe de révision.
Un rapport de transformation doit être établi par l'organe de révision, comportant un
commentaire sur les circonstances de la transformation et sur les actifs et les passifs
transférés, afin de préserver les intérêts des tiers.
Un bilan de transformation et une attestation de vérification accompagnent également l'acte
authentique. Il est possible que l'augmentation du capital social préalable ne figure pas dans
le bilan de transformation. Il faudra cependant s'y référer dans le rapport de transformation
qui doit porter sur un capital de Fr. 100'000.-- au moins. Le Registre du commerce n'exige
pas que le bilan de transformation soit intégré au texte des statuts.
Conclusion
Dans l'attente de la loi sur la fusion, la scission et la transformation, ainsi que de la révision
du droit de la sàrl, l'arrêt du Tribunal fédéral donne une excellente opportunité à tous les
chefs d'entreprise qui souhaitent donner à leur entreprise une ampleur plus grande. Une telle
transformation peut aussi, par exemple, être intéressante dans le cadre d'une planification
d'un transfert successoral pour une entreprise de famille.
La spécificité de chaque cas exige que, par prudence, on soumette les textes en cause au
Registre du commerce préalablement à la signature, en attendant que les révisions légales
en cours aboutissent.
1
Données intéressantes www.statistik.adm.ch, rubriques Travail et rémunération, et
Recensement des entreprises
2
Voir Pascal Favre, Création, protection et transmission d'une entreprise, 3ème édition 2000,
Edition Fiduciaire Michel Favre SA/Lausanne, pages 124 et suivantes
3
Article 791 al. 2 du code des obligations (CO)
4
Article 791 al. 4 CO
5
Article 792 al. 2 CO
5
6
Articles 780 al. 3 chiffre 1 et 791 chiffre 4 CO
Articles 772 al. 2 et 800 al. 1 CO
8
Article 803 CO
9
Article 822 al. 1 CO
10
Dans un délai de 6 mois, les autres associés peuvent éviter, à certaines conditions, la
dissolution et la liquidation. Voir notamment l'article 794 CO
11
Une
documentation
peut
être
trouvée
sur
le
site
Internet,
voir
www.ojf.admin.ch/f/index.html, rubrique Economie & Commerce. Il est prévu qu'un Message
du Conseil fédéral à l'attention du Parlement soit rédigé d'ici à la fin 2001
12
Voir le site de l'assemblée fédérale, Message FF 2000, pages 3995 ss. Le projet peut être
téléchargé sous www.ojf.admin.ch
13
Article 824 CO
14
ATF 125III 18, du 20 novembre 1998, que l'on trouve sur le site du Tribunal fédéral
www.bger.ch
15
Il faut rappeler que le passage d'une société d'une forme juridique à une autre peut
s'effectuer par la dissolution et la liquidation de la société existante, puis la fondation d'une
nouvelle société à laquelle le patrimoine de l'ancienne société est cédé selon les règles de la
succession à titre singulier, sur la base de l'article 181 CO.
16
Contrairement à une transformation dite "par transfert", dans laquelle il y a dissolution sans
liquidation, le patrimoine de la société dissoute étant transféré par succession universelle à
la société nouvellement constituée.
17
Article 161 de la loi fédérale sur le droit international privé entré en vigueur le 1er janvier
1989
18
Articles 772 al. 2 et 802 CO
19
Articles 634 chiffre 3, 635 chiffre 1 et 635a CO
20
Article 621 CO
21
Articles 777 chiffre 2 et 803 CO
22
Article 818 al. 2 CO
23
Article 680 al. 1 CO
24
L'auteur remercie Me Wahlen, notaire, pour ses remarques
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