Alfred GROSSER, « Manuel scolaire nazi », in Dix leçons sur le
Transcription
Alfred GROSSER, « Manuel scolaire nazi », in Dix leçons sur le
NOM : .............................................. Prénom : .............................................. Information et communication — automne 2014 Mathieu RODUIT Alfred GROSSER, « Manuel scolaire nazi », in Dix leçons sur le nazisme, Paris : Fayard, 1976. a) Un aliéné coute quotidiennement 4 marks, un invalide 5,5 marks, un criminel 3 marks. Dans beaucoup de cas, un fonctionnaire ne touche que 4 marks, un employé 3,65 marks, un apprenti 2 marks. Faites un graphique avec ces chiffres. 5 b) D’après des estimations prudentes, il y a en Allemagne environ 300 000 aliénés et épileptiques dans les asiles. Calculez combien coutent annuellement ces 300 000 aliénés et épileptiques. Combien de prêts aux jeunes ménages à 1000 marks pourrait-on faire si cet argent pouvait être économisé ? Corrigé de l’exercice a) graphique b) cout annuel des 300 000 aliénés et épileptiques = cout journalier × nombre de jours par année × nombre d’aliénés= 4 × 365 × 300 000 = 438 000 000 marks nombre de prêts aux jeunes ménages = cout annuel des 300 000 aliénés et épileptiques / montant du prêt = 438 000 000 / 1000 = 438 000 prêts aux jeunes ménages Analyse rhétorique Êthos Analyse Il s’agit d’un exercice de mathématiques, en particulier d’arithmétique. Cela est rendu évident : • par les nombreux chiffres dont il est fait mention ; • par le vocabulaire propre aux mathématiques : « graphique » (l. 4), « chiffre » (l.4), « calculez » (l. 6) ou « combien » (l. 8) ; • par sa structure : énoncé — consigne ; • ainsi que par les consignes contenant des lieux communs d’arithmétique, comme faire un graphique ou calculer un cout annuel, et qui sont formulées à l’aide de l’impératif : « faites » (l. 4) ou « calculez » (l. 6) ; ou d’interrogation : « combien… ? » (l. 8-9). Le statut de l’énonciateur : • il n’est pas proprement l’enseignant qui reprend simplement l’exercice en classe ; • il n’est pas le créateur du livre d’exercice auquel on ne pense pas lors de l’exercice ; • il s’agissait en somme d’une énonciation sans énonciateur. L’énonciateur modalise ses affirmations en explicitant la marge d’incertitude qui demeure autour des chiffres qu’il présente : « dans beaucoup de cas » (l. 2), « d’après des estimations prudentes » (l. 5), « environ » (l. 5). La plupart des informations sont précises. Le salaire de l’employé est même présenté au centième de mark « 3,65 marks » (l. 2). L’énonciateur n’est pas toujours objectif et neutre. Il prend position pour les travailleurs lorsqu’il affirme que chacun « ne touche que » (l. 2) un certain montant. Par ailleurs, il suggère d’accorder des « prêts aux jeunes Interprétation Cet exercice suit rigoureusement les règles du genre de l’exercice d’arithmétique et est en cela hors de tout soupçon. Il a l’apparence d’un exercice « normal ». On rentre donc dans cet exercice comme dans n’importe quel autre, de manière presque mécanique, puisque généralement on effectue les exercices les uns après les autres. On cherche ainsi ce qu’il faut faire pour répondre à ce qui est demandé sans s’interroger à ce qui est demandé. Ainsi, comme l’intérêt des exercices de mathématique n’est pas la réponse, mais la compréhension du processus qui aboutit à cette réponse, il serait tout à fait absurde de remettre en question l’énoncé. La forme de l’exercice incite le lecteur à lui vouer une confiance aveugle. Cet énonciateur absent ou abstrait, le lecteur lui accorde la vérité par principe. En effet, l’ouvrage dont est tiré l’exercice est un ouvrage officiel et en cela déjà remis en question par l’État ou l’institution, dont on postule qu’ils sont dignes de confiance, ce qui lui évite au lecteur d’avoir besoin de le faire à son tour. Le lecteur accorde donc sa confiance en l’énonciateur, précisément parce qu’il lui est inconnu. En mettant en évidence la marge d’incertitude qui demeure autour des chiffres que l’énonciateur, on pourrait imaginer que ce dernier se met en danger en laissant apparaitre des lacunes dans sa connaissance des chiffres qu’il présente. Or il n’en est rien. D’une part, ces chiffres, à peine nuancés, restent dans un ordre de grandeur significatif. Mais surtout, l’énonciateur témoigne, à travers ses précautions, de sa probité. Il ne cherche pas à induire le lecteur en erreur et fait au contraire preuve d’honnêteté intellectuellement et de bienveillance à l’égard de son lecteur, qui lui accorde ainsi volontiers sa confiance. L’énonciateur se présente comme une personne avisée, concernée par les problèmes des travailleurs allemands et des jeunes ménages allemands. Il se propose de les aider. Le lecteur accorde ainsi volontiers sa confiance en ménages » (l. 8) L’énonciateur ne fait pas preuve d’empathie pour les aliénés, invalides et criminels. Il suggère même d’« économiser » (l. 9) l’argent qui leur est destiné Pathos Analyse L’énonciateur oppose des couts (ceux des aliénés, des invalides et des criminels) et des salaires (ceux des fonctionnaires, des employés et des apprentis). À travers les verbes « couter » (l. 1) et « touche », il connote négativement la catégorie des personnes à charge et positivement la catégorie des travailleurs. L’adverbe de restriction « ne… que » (l. 2) met en évidence le salaire bas des travailleurs, opposés au cout élevé des personnes à charge. Le graphique clarifie visuellement cette opposition. Pour établir le nombre de prêts, il faut calculer le montant alloué aux aliénés et celui-ci se monte à 438 000 000 marks. L’énonciateur évoque à deux reprises les « 300 000 aliénés et épileptiques » (l. 5-6 et l. 6-7). L’énonciateur affirme qu’il s’agit « d’estimations prudentes » (l. 5). L’énonciateur suggère qu’il serait possible d’accorder des « prêts aux jeunes ménages » (l. 8) « si cet argent pouvait être économisé » (l. 8-9). Le verbe de modalité « pouvoir », cet énonciateur bienveillant et compréhensif. La froideur avec laquelle l’énonciateur considère les personnes à charge pourrait lui être défavorable. Toutefois, notons tout d’abord que les personnes à charge ne sont pas explicitement désignées négativement et que proposer d’« économiser » de l’argent ne précise pas la manière de réaliser l’économie en question. Par ailleurs, l’exercice d’arithmétique engage la rationalité du lecteur et non nos sentiments. L’absence d’empathie relève ainsi du genre et non de la volonté de l’énonciateur. Lors de la réalisation de l’exercice en effet, l’attention du lecteur est focalisée essentiellement sur sa résolution. Interprétation En opposant personnes à charge et travailleurs, mais surtout couts élevés et salaires bas, l’énonciateur fait apparaitre un sentiment d’injustice et de colère lié à la prise de conscience d’une dichotomie entre travailleurs et profiteurs, qui peut aller jusqu’au mépris, voire à la haine. Le montant mis en évidence par le calcul parait, si l’on ne connait pas le montant des caisses de l’État allemand, tout proprement scandaleux. Il s’approche du demi-milliard, et ne prend même pas en compte les invalides et les criminels. Le chiffre, sorti du contexte de la proportionnalité est effrayant. L’Allemagne comporte alors 69 000 000 habitants. Par ailleurs, les rassembler, ne serait-ce qu’en les comptant, consiste à les sortir de leur institut psychiatrique. Le lecteur les imagine regroupés et ainsi entrevoit dans cette « masse aliénée » une potentialité de nuisance qui n’est pas réelle, puisqu’ils sont éparpillés. La locution « estimations prudentes » suggère que le nombre d’aliénés en Allemagne serait vraisemblablement plus important que le nombre mentionné, ce qui exacerberait les sentiments d’injustice et de peur. L’exercice se clôt sur une note positive, puisqu’il suggère la possibilité d’un rétablissement de la justice en même temps que plus de sécurité et l’espoir d’une amélioration so- l’utilisation du conditionnel (l. 8) et ciale. Cette situation provoque un sentiment l’adverbe de condition « si » (l. 8) laissent en- de soulagement et de confiance. L’Allemagne trevoir la potentialité de l’opportunité. a le « pouvoir » (l. 8) d’améliorer cette situation L’énonciateur ne fait pas preuve d’empathie Le lecteur pourrait être dégouté et s’offusquer pour les aliénés, invalides et criminels. Il de la considération faite aux personnes à suggère même d’« économiser » (l. 9) l’argent charge, en particulier aux aliénés et aux invaqui leur est destiné lides, irresponsables pour la plupart de leur situation. Or en incluant les criminels dans la catégorie des aliénés et des invalides, on diminue le sentiment de leur irresponsabilité. De plus, en ne suggérant aucun sentiment à l’égard des personnes à charge, l’exercice focalise l’empathie du lecteur essentiellement sur les travailleurs et jeunes ménages. Logos Analyse Les exemples mentionnés, ainsi que le graphique à réaliser (aliénés, invalides, criminels, fonctionnaire, employé, apprenti) mettent en évidence une disparité du cout/salaire journalier. L’exercice propose au lecteur un raisonnement sous forme d’enthymème : P1 : [Les aliénés et épileptiques coutent cher] (Cette proposition est implicite. C’est en effet aux élèves de découvrir combien : en l’occurrence 438 000 000 marks.) Or P2 : L’argent peut servir à des « prêts aux jeunes ménages (Cette proposition est explicite, mais formulée sous forme interrogative et à l’aide du conditionnel) Donc C : [On doit économiser, c’est-à-dire faire un meilleur usage de cet argent en aidant ceux qui sont utiles] (cette proposition est implicite. C’est en effet aux élèves de calculer le nombre de prêts possibles : 438 000 prêts à 1 000 marks.) Interprétation Cet exemple invite le lecteur à induire que les personnes à charge coutent plus cher que ce que gagne quotidiennement les travailleurs. Ainsi l’Allemagne, à cause de ses personnes à charge, est déficitaire. Cette dernière proposition est un enthymème à partir duquel on peut reconstruire le syllogisme suivant : P1 : [Pour qu’un État fonctionne, il doit être bénéficiaire.] (lieu commun) Or P2 : L’Allemagne, à cause de ses personnes à charge, est déficitaire. Donc C : [L’État allemand va sombrer à court terme] (sous-entendu) À travers le raisonnement déductif de l’exercice d’arithmétique, l’énonciateur amène le lecteur à imaginer faire autre chose de l’argent, c’est-à-dire “économiser”, ce qui permet de ne pas dire “supprimer”. Notons au passage que 438 000 prêts à 1 000 marks correspondent à un prêt de 2,7 marks par jour par ménage, c’est-à-dire plus de la moitié du salaire d’un fonctionnaire et plus double du salaire d’un apprenti, ce qui est exorbitant. L’intérêt de l’exercice sous forme d’enthymème réside en ce qu’il invite lecteur à trouver lui-même la conclusion. Critique de l’exercice Tout d’abord, notons que cet exercice correspond parfaitement à la définition de la persuasion par Platon. Pour persuader, il faut s’adresser à des ignorants. C’est bien le cas ici, puisqu’il s’adresse à des enfants, encore innocents. L’exercice abuse clairement de la naïveté du public auquel il s’adresse. De plus, il y a quelque chose de malsain et d’arbitraire à vouloir tout bonnement supprimer des éléments “inutiles”, surtout sans prendre en considération pourquoi ils en sont venus là. On peut être un criminel pour avoir voulu nourrir sa famille, invalide suite à un accident de travail et aliéné en raison du traumatisme qu’ont pu être les tranchées pour un rescapé de la Première Guerre mondiale. L’exercice propose au lecteur d’utiliser l’argent pour aider, mais cet argent aide déjà. Ensuite, il s’agit clairement d’un exercice de manipulation. En effet, le graphique met en évidence des chiffres qui n’ont rien à voir. C’est l’État qui paie les institutions qui s’occupent des personnes à charge et c’est l’économie qui paie les salaires des travailleurs. La comparaison ne montre donc rien du tout. Mais surtout, les exemples utilisés pour montrer que l’Allemagne court à sa perte ne sont pas probants du tout. En effet, ils négligent deux principes importants : la contextualisation et la proportionnalité. Certes, 300 000 aliénés est un nombre impressionnant hors contexte, mais négligeable en comparaison au nombre d’habitants de l’Allemagne 69 000 000 et par conséquent au nombre de travailleurs. Enfin, la force de l’exercice réside sans doute dans le fait que le lecteur tire lui-même les conclusions. C’est le lecteur qui trouve qu’il faut “économiser” 438 000 000 pour effectuer 438 000 prêts à 1000 marks pour des jeunes ménages. Ainsi, si un jour il est confronté à l’acceptation d’une telle décision politique, celle-ci lui semblera d’autant plus acceptable qu’il l’a déjà pensé lui-même. Cet exercice manipule le lecteur en lui faisant penser quelque chose de telle manière qu’il a l’impression que l’idée vient de lui. L’exercice suspend donc le libre arbitre de la personne qui le réalise. Dies ist ein WWF-Dokument und kann nicht ausgedruckt werden! Das WWF-Format ist ein PDF, das man nicht ausdrucken kann. So einfach können unnötige Ausdrucke von Dokumenten vermieden, die Umwelt entlastet und Bäume gerettet werden. Mit Ihrer Hilfe. Bestimmen Sie selbst, was nicht ausgedruckt werden soll, und speichern Sie es im WWF-Format. saveaswwf.com This is a WWF document and cannot be printed! The WWF format is a PDF that cannot be printed. It’s a simple way to avoid unnecessary printing. So here’s your chance to save trees and help the environment. Decide for yourself which documents don’t need printing – and save them as WWF. saveaswwf.com Este documento es un WWF y no se puede imprimir. ® SAVE AS WWF, SAVE A TREE Un archivo WWF es un PDF que no se puede imprimir. De esta sencilla manera, se evita la impresión innecesaria de documentos, lo que beneficia al medio ambiente. Salvar árboles está en tus manos. Decide por ti mismo qué documentos no precisan ser impresos y guárdalos en formato WWF. saveaswwf.com Ceci est un document WWF qui ne peut pas être imprimé! Le format WWF est un PDF non imprimable. L’idée est de prévenir très simplement le gâchis de papier afin de préserver l’environnement et de sauver des arbres. Grâce à votre aide. Définissez vous-même ce qui n’a pas besoin d’être imprimé et sauvegardez ces documents au format WWF. saveaswwf.com ® WWF International – World Wide Fund For Nature, Gland/Switzerland.