GABON10.FRENCH..sculpture.pp40-43final.v1

Transcription

GABON10.FRENCH..sculpture.pp40-43final.v1
ART
Pierre de taille
D’élégantes sculptures aux formes féminines taillées dans la pierre de M’bigou
sont une spécialité des artisans gabonais dont l’art se transmet de génération
en génération. Une coopérative de Libreville leur a ouvert ses portes.
L
E CONCERT DES SCULPTEURS en plein
travail résonne dans l’atelier. Le frottement
du papier de verre contre la pierre, le
cliquetis des couteaux, des râpes, des limes,
des herminettes qui claquent sur le roc et,
qui, tour à tour, confèrent aux objets une
forme de plus en plus précise.
Assis côte à côte Jean-Noël, Joséphine, Benjamin et
les autres transforment peu à peu leur bloc de pierre
brute en bustes ou visages de femmes stylisées surmontées d’impressionnantes coiffures africaines.
La sculpture en pierre de M’bigou, c’est l’artisanat le
plus représentatif du Gabon. Dans les marchés de
Libreville qui recèlent des objets d’Afrique de l’Ouest
ou du Congo, si l’on veut un objet d’art contemporain
véritablement gabonais, c’est la pierre de M’bigou qu’il
faut se procurer.
C’est dans ce petit atelier de Libreville que naissent
quasiment tous les objets artisanaux en pierre en vente
sur les marchés de Libreville. Aux côtés de Jean-Noël,
Joséphine et Benjamin, une trentaine de sculpteurs se
relaient à la Coopam, la coopérative des produits artisanaux de M’bigou, créée en 1980.
Dans l’air de l’atelier flotte l’odeur du vernis et de la
roche taillée. Un feu de paille embrase une figurine
pour lui donner une teinte plus foncée. Une fine poussière blanche recouvre les mains, le visage, le moindre
morceau de peau des artisans.
Les sculptures de femmes – parfois entourées d’animaux taillés dans la roche – sont les plus nombreuses.
La femme est sans conteste l’égérie de ces sculpteurs.
Selon la légende, « la femme créa la pierre, se pencha
et vit le néant, alors elle accoucha de M’bigou. Puis elle
revêtit son voile, rejoignit les hommes sur les collines et
devint la concubine de M’bigou. Et la pierre grandit à
travers les chemins verts », raconte l’écrivain gabonais
Imunga Ivanga.
M’bigou, c’est aussi le nom du bourg, perché sur les
collines, à 700 km de Libreville, où la pierre fut découverte. « Je retourne chez moi régulièrement », confie
Jean-Noël, qui a été initié à la sculpture par son oncle.
« C’est là que je retrouve l’inspiration, que je me
repose, que je suis plus près des anciens. » Car c’est à
M’bigou que vivent les plus vieux sculpteurs, les
gardiens du temple, qui conservent l’héritage ancestral.
Pour trouver la pierre il faut s’enfoncer dans la
brousse. Il n’y a pas de véritables carrières formées d’un
grand bloc uni. Il s’agit d’un regroupement de nodules
de roches de tailles très variables, éparpillés et enfouis
dans la terre. L’extraction de la pierre est une opération
qui prend beaucoup de temps. Il arrive que dans une
même zone, autour d’un arbre, on trouve deux ou
trois teintes différentes, généralement à partir d’une
dominante, brune, verte ou grise. Les carrières ne se
trouvent pas en bord de route mais au cœur de la forêt
vierge. Les hommes qui rapportent la pierre sur leur dos
profitent des chantiers et des routes tracées par les
forestiers. Ils campent plusieurs semaines en brousse
pour rapporter un chargement de pierre suffisant pour
« tenir » quelques mois à Libreville. Dans la coopérative, c’est jour de fête. Un chargement vient d’arriver.
Les visages rayonnent. Le concert des outils recommence de plus belle.
Un lien avec les Inuits
La stéatite silicate de magnésium est une pierre assez
commune, particulièrement meuble, qui sert en général
à la fabrication du talc industriel. Mais les Gabonais ne
sont pas les seuls à s’en servir pour la sculpture… À
l’autre bout du monde, un autre peuple, les Inuits,
sculpte également ce type de roche, la « pierre savon ».
La première « carrière » connue est située à proximité
de M’bigou. D’autres « sites » ont été découverts à
Kango et à Lambaréné, la ville du docteur Schweitzer,
située à quatre heures de route de Libreville. « Nous
nous endettons à chaque fois pour remplir péniblement
trois à quatre petits camions par an », dit Jean-Noël.
Dans les formes et dans le style, les objets sculptés
rappellent les masques traditionnels gabonais, aux
formes naïves ou stylisées. « Mais cet art a une particularité : il n’a rien de sacré. Il n’est pas voué à un culte.
La sculpture est purement artistique, décorative ou
utilitaire », explique Imunga Ivanga.
D’après les sculpteurs, c’est un chasseur qui, en allant
dans la forêt de bon matin, fit la découverte de cette
pierre au début du XXe siècle. En frappant un coup de
machette pour se frayer un passage à travers la végétation, il tranche un bloc de pierre qui affleure au sol.
Une pierre meuble, facile à travailler, qu’il décide
d’emmener au village. La pierre de M’bigou a ainsi
progressivement remplacé l’argile utilisée jusqu’alors
pour confectionner des objets.
Les premières réalisations des artisans étaient utilitaires : des pipes, des marmites, des pilons ou des
mortiers. Progressivement, les objets décoratifs font leur
apparition : des têtes gisantes, aux formes stylisées, à
l’image des masques traditionnels africains. À l’époque,
certains sculpteurs font déjà figure de maîtres dans GABON . HIVER 2007 41
ART
«
CAR LA FEMME EST SANS
CONTESTE L’ÉGÉRIE DE CES
SCULPTEURS POUR QUI L’ART
EST PUREMENT DÉCORATIF.
La Coopam se trouve à Libreville près du Camp de Gaulle.
Pour tous renseignements, appelez le + 241 07 89 58 89.
TOUTES LES IMAGES : MARTIN VAN DER BELEN
Comme tous les sculpteurs
avec qui il travaille, JeanNoël (ci-dessus) a appris
son art de son oncle ; la
représentation de la femme
est le sujet principal pour
l’œil du sculpteur M’bigou (à
droite) ; la pierre de M’bigou
est une pierre meuble aux
couleurs brun doré ou gris
qui est fluide sous les outils
du sculpteur (à droite, cidessous).
»
les villages de la région. Leurs noms sont restés :
Baupala, Tsamba et surtout Moulaloukou, considéré
comme le premier sculpteur de pierre de M’bigou. Ces
artisans ont transmis leur don à leurs enfants et certains
travaillent encore dans la coopérative de Libreville.
Mais pour arriver dans la capitale, la pierre de
M’bigou a fait un long voyage. Elle sort de l’anonymat
en 1927, lorsqu’un colon français, le commandant
Mariani, remarque un homme fumant une pipe taillée
dans la roche et délicatement sculptée. Intrigué par la
beauté de l’objet, il s’approche de l’homme qui lui
dévoila alors le secret de M’bigou.
Au cours du XXe siècle, explique Roland Duboze, réalisateur d’un documentaire sur la pierre de M’bigou,
« les sculpteurs, sollicités par des missionnaires et des
administrateurs français, se mettent à réaliser des
figurines représentant femmes, enfants et autres
scènes de la vie quotidienne ». Mais la sculpture était
encore cantonnée aux villages du sud du pays. C’est
dans les années 60 qu’un artiste franco-gabonais, Basile
Allainmat, séduit par le travail des sculpteurs de
M’bigou, propose à certains d’entre eux de s’installer à
Libreville dans un village artisanal près de l’aéroport. Et
en 1980, la Coopam voit le jour.
La coopérative est ouverte à tous. Il faut déposer une
petite somme d’argent pour bénéficier des avantages
de l’association : l’utilisation des outils, de la salle de
travail, de l’espace de stockage ou d’exposition. Mais
les avantages de la coopérative, c’est surtout la clientèle. Dans le magasin, les sculpteurs entreposent leurs
œuvres et les clients peuvent passer des commandes. Les
fruits de la vente sont partagés : 90 % pour le sculpteur,
10 % pour la coopérative.
Joséphine est la seule femme de la coopérative. Elle est
en train de poncer un vase recouvert de représentations
de masques traditionnels. Comme tous les membres de
la coopérative, elle est originaire de la région de
M’bigou et exerce cet art, transmis par un membre de sa
famille depuis sa plus tendre enfance. La plupart des artisans sont issus de l’ethnie akélé mais peu à peu, d’autres
communautés ont commencé à sculpter à leur tour.
Depuis une dizaine d’années, un courant d’artistes
s’écarte de la tradition pour se lancer dans une véritable
création artistique. Comme Vincent Skeety dont le style
a fait des émules : des blocs de pierre laissés à l’état
brut, d’où se détachent subtilement une forme féminine, un buste ou un visage. D’autres recouvrent la
roche de dorures ou mélangent la pierre et l’ébène, un
bois précieux que l’on trouve également au Gabon. Un
art en pleine évolution, cent pour cent gabonais ! I
Marie Tarquin
42 GABON . HIVER 2007
43