Manifeste "Pauvreté et extrascolaire, quelles priorités ?"
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Manifeste "Pauvreté et extrascolaire, quelles priorités ?"
Pauvreté et extrascolaire : quelles priorités pour le politique ? Analyse Novembre 2013 La Coordination des ONG pour les droits de l’enfant a participé à la réalisation du Manifeste « Pauvreté et extrascolaire : quelles priorités ? », coordonné par l’association Badje1 (Bruxelles Accueil Développement de la Jeunesse et de l’Enfance), qui est membre de la CODE par ailleurs. Pour rappel, par accueil extrascolaire, on entend « au sens le plus large, l'accueil d’enfants en âge scolaire, en dehors des heures scolaires et du cadre familial : avant et après les heures d'école, le mercredi après-midi, le week-end et pendant les congés ou vacances scolaires. Cela englobe les activités autonomes encadrées, les animations éducatives, culturelles, sportives ou autres, qu’elles prennent place dans l’enceinte de l’école ou en dehors de celle-ci » 2. Notons que l’accueil extrascolaire est aussi appelé « accueil temps libre » en Fédération Wallonie-Bruxelles, et ce depuis l’entrée en application du décret du 3 juillet 2003 relatif à la coordination de l'accueil des enfants durant leur temps libre et au soutien de l'accueil extrascolaire3. La (non-)accessibilité de l’accueil extrascolaire On constate, ces dernières années, une véritable explosion de la demande d’accueil extrascolaire, surtout pour l’accueil d’enfants de 2,5 à 6 ans, à laquelle le secteur ne peut répondre. La quasi-totalité des structures doivent refuser des enfants par manque de place et/ou de moyens. 1 Badje (Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l’Enfance) est une fédération pluraliste bruxelloise active dans le secteur de l’accueil des enfants et des jeunes ; voyez www.badje.be 2 Manifeste « Pauvreté et extrascolaire : quelles priorités », 2013, Préambule, via www.pauvreté-etextrascolaire.be. Ci-après : Manifeste Pauvreté et extrascolaire. 3 Décret du 3 juillet 2003 relatif à la coordination de l'accueil des enfants durant leur temps libre et au soutien de l'accueil extrascolaire, M.B., 19 août 2003. 1 La question de savoir si l’accueil extrascolaire est accessible aux enfants des familles en situation de pauvreté est au cœur de la présente analyse et, en amont, du Manifeste Pauvreté et extrascolaire. L’accès à l’accueil extrascolaire est clairement insuffisant pour les plus démunis, ce qu’a notamment dénoncé le Délégué général aux droits de l’enfant4. Cette pénurie de places désavantage d’autant plus les plus pauvres, moins informés des possibilités d’accueil, moins au fait de longues procédures d’inscription, etc.5. De son côté, dans le cadre de travaux antérieurs, la CODE a maintes fois eu l’occasion de souligner l’impact plus général de la pauvreté sur tous les droits de l’enfant6. Avant de poursuivre notre analyse, il nous semble utile de rappeler les derniers chiffres disponibles en matière de pauvreté, qui indiquent que les situations de précarité sont en progression en Belgique, avec une situation particulièrement difficile à Bruxelles. Ainsi, les chiffres 2011 de l’enquête EU-SILC relèvent un taux de risque de pauvreté pour la Belgique de 18,5% pour la tranche d’âge 0-15 ans, et un pourcentage un peu plus bas chez les adolescents et jeunes adultes, soit 15,3% des 16 à 24 ans en situation de risque de pauvreté7. Les chiffres évoquent également de grandes disparités régionales : citons, pour les 0-15 ans, un taux de risque de pauvreté de 24,1% pour la Région Wallonne, 10,3% pour la Région flamande et de 41,7% pour la région de Bruxelles-Capitale8. Par ailleurs, le récent Baromètre social de l’Observatoire bruxellois de la santé et du social9 indique qu’en Région de Bruxelles-Capitale, un peu plus d’un quart des bébés bruxellois naissent dans un ménage sans revenu du travail (25,5 %), et près d’un quart des enfants de moins de 18 ans (22,7 %) grandissent dans ces conditions. Vivre dans un foyer ne disposant pas de revenus du travail accroit le risque de pauvreté. Ce concernant, les disparités régionales sont importantes : un enfant bruxellois (22,7%) a presque quatre fois plus de risque de grandir dans un foyer ne disposant pas de revenus du travail qu’un enfant flamant (6,4%). Ce risque est également élevé en Wallonie (16,6%). 4 « Comment contribuer à la réduction des inégalités sociales dans le champ socio-éducatif ? Problématisation et recommandations », Délégué général aux droits de l’enfant, juin 2011, p. 8 et sv. 5 A ce sujet, voyez notamment Mottint, J., « Les structures d'éducation et d'accueil du jeune enfant ont un rôle à jouer pour renforcer l'inclusion et lutter contre la pauvreté et les exclusions. Les obstacles », Analyse n°7/2012 du RIEPP, Bruxelles-Louvain-la-Neuve, juillet 2012, pp. 1-2, disponible sur www.riepp.be 6 Voyez notamment « Rapport alternatif 2010 des ONG relatif à l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant », www.lacode.be. 7 Chiffres disponibles sur le site du Service de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, www.luttepauvrete.be 8 Chiffres cités in Fondation Roi Baudouin, « Zoom sur la pauvreté des enfants », Bruxelles, Juin 2013. 9 Le Baromètre 2013 de l’Observatoire de la santé et du Social est disponible via http://www.observatbru.be 2 Les conséquences en terme d’accès aux droits fondamentaux sont dramatiques et se jouent à différents niveaux : accès au logement et aux soins de santé, enseignement et formation, participation, et, bien entendu, accès à l’accueil. Le Manifeste Pauvreté et extrascolaire fait suite à un travail de terrain entamé en 2010 par Badje sous le titre « L’extrascolaire sans barrière », et destiné à développer l’accessibilité des milieux extrascolaires pour les enfants et les familles en situation de pauvreté. Ce projet a été réalisé en partenariat avec plusieurs acteurs de l’accueil en Fédération WallonieBruxelles qui ont fait remonter du terrain des sujets de préoccupation de type plus institutionnel. Pour assurer un suivi à ces constats, Badje a rassemblé une série d’acteurs actifs dans les secteurs de l’accueil, de la pauvreté et des droits de l’enfant10 afin de réfléchir à un document de plaidoyer à l’attention du politique. Avec enthousiasme, la CODE en a fait partie. L’accueil extrascolaire, un droit de l’enfant L’accueil extrascolaire est un droit consacré par la Convention relative aux droits de l’enfant11 qui enjoint aux Etats de veiller à : - Protéger les enfants contre toutes formes de discrimination, l’ensemble des droits énoncés dans la Convention s’appliquant d’ailleurs à tous les enfants sans distinction aucune (art. 2, al. 1) ; - Apporter une aide appropriée aux parents et assurer la mise en place d’institutions veillant au bien-être des enfants (art. 18, al. 2) ; - Promouvoir le droit de tout enfant au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique (art. 31) ; - Assurer à l’enfant une éducation qui favorise, entre autres, l’épanouissement de sa personnalité et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de ses potentialités et le prépare à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux (art. 29, al. 1). L’accueil extrascolaire participe donc à la réalisation des droits de l’enfant, au même titre que l’enseignement. 10 Voyez la liste complète des signataires sur www.pauvreté-et-extrascolaire.be Loi du 25 novembre 1991 portant approbation de la Convention relative aux droits de l’enfant, M.B., 17 janvier 1992. 11 3 Par ailleurs, l’accueil extrascolaire comporte trois fonctions essentielles que l’on peut résumer comme suit : - Une fonction économique, puisqu’il permet aux parents d’avoir une activité professionnelle, de suivre une formation ou d’effectuer des démarches afin de trouver un emploi ; - Une fonction sociale, en ce qu’il offre un important soutien à la parentalité et crée du lien social ; et - Une fonction éducative, dès lors qu’il joue un rôle essentiel dans l’apprentissage de nouvelles compétences pour l’enfant (notamment celle d’apprendre à « vivre ensemble ») et dans l’épanouissement (loisirs, détente, plaisir,...). Être accueilli dans un milieu d’accueil de qualité, tel qu’il en existe en Fédération WallonieBruxelles, constitue un avantage considérable pour tout enfant et ses parents. Plus généralement, donner accès à un accueil extrascolaire qualitatif est un investissement à court, moyen et long terme qui permet de réduire les inégalités tel que le soulignait un rapport du Centre de Recherche Innocenti d’UNICEF : « D’un point de vue économique, à l’exception du très court terme, la société a tout intérêt à prévenir la pauvreté des enfants12 ». Freins et barrières à un accueil extrascolaire pour tous Outre la question importante de la pénurie de places évoquée ci-dessus, qui touche plus particulièrement les plus démunis, les obstacles d’un accès de tous à un accueil extrascolaire sont nombreux : financiers, culturels, organisationnels et géographiques13. Ainsi, les obstacles peuvent être financiers : coût de la garderie avant ou après l’école, des stages durant les congés scolaires, … Ils sont aussi culturels, dans le sens où le monde de l’éducation peut être « étranger » du monde des plus démunis. Pour pouvoir avoir accès aux activités extrascolaires, les parents ouvrent plus difficilement des portes qui leur donnent accès aux activités extrascolaires. Les obstacles sont encore organisationnels : inscriptions centralisées par téléphone qui privilégient les familles qui parlent le français ou le néerlandais, inscriptions par Internet, ou encore de longs mois à l'avance, etc. 12 Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, « Mesurer la pauvreté des enfants : nouveaux tableaux de classement de la pauvreté des enfants dans les pays riches », Bilan Innocenti 10, Florence, 2012. 13 MOTTINT, J., op. cit. 4 Ils sont enfin géographiques. Le RIEPP souligne à ce sujet que « dans le secteur ATL, la situation est très contrastée et peu documentée. Aucune étude récente ne prend en compte les aspects géographiques de manière globale14 ». Recommandations en vue d’un accueil extrascolaire sans barrière Afin d’améliorer cet état de fait, le Manifeste Pauvreté et extrascolaire fait la synthèse de diverses recommandations, que nous soutenons fermement : 1. Rendre effectif, pour tous les enfants et leurs familles, le droit à un accueil de qualité, à travers une accessibilité financière, voire la gratuité, une meilleure couverture en fonction des besoins locaux, une meilleure accessibilité géographique et la diversification et la multiplication de l’information à destination des familles. 2. Renforcer la fonction sociale des milieux d’accueil à travers des mesures proactives à l’attention des familles précarisées. Par exemple : penser la perméabilité des milieux d’accueil15, encourager les projets pédagogiques adaptés aux besoins des familles en situation de pauvreté, valoriser du temps pour aller à la rencontre des familles, soutenir des initiatives qui investissent l’espace public,... 3. Promouvoir les initiatives intégrées (qui mêlent accueil, accompagnement des familles et renforcement des liens sociaux) et le travail en réseau, en particulier des initiatives qui identifient la famille comme première ressource du réseau. 4. Construire la transversalité des politiques qui concernent tous les lieux de vie de l’enfant (en particulier l’école, afin de construire une alliance éducative) : notamment, « décloisonner les politiques, les cadres législatifs et administratifs pour redonner une liberté et une légitimité aux acteurs de terrain dans le choix de leur actions et l’édification de leurs partenariats » et abandonner les critères de financement qui actuellement amènent à une sélection indirecte des publics accueillis. 5. Reconnaitre, former et accompagner les acteurs de terrain. Les travailleurs du secteur extrascolaire ont le plus souvent un statut précaire qui doit être revalorisé : formations socio-politiques et au travail en réseau (de base et continue), reconnaissance du temps consacré au travail en équipe et à la supervision, etc. En conclusion, le Manifeste demande au politique de donner les moyens à la mise en œuvre pleine et effective du Code de qualité de l’accueil16 « afin que tous les enfants en âge scolaire et particulièrement les enfants issus de familles en situation de pauvreté, jouissent pleinement de leur droit de bénéficier d’un accueil et d’activités extrascolaire de qualité » et 14 MOTTINT, J., op. cit, p. 5. Par exemple, leur donner la possibilité d’accepter la fréquentation irrégulière engendrée par les conditions de vie précaires, pour garantir la place que l’enfant vienne au pas. 16 Arrêté du gouvernement de la Communauté française du 17 décembre 2003 fixant le code de qualité et de l’accueil, M.B., 19 avril 2004. 15 5 d’ainsi « invertir à long terme dans une société plus juste, plus tolérante, plus solidaire, plus égalitaire, plus démocratique17 ». Le Manifeste est proposé à la signature à l’adresse www.pauvreté-et-extrascolaire.be. N’hésitez pas à rejoindre ses signataires ! Cette analyse a été réalisée par la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) en collaboration avec Badje et représente la position de la majorité de ses membres. La CODE est un réseau d’associations ayant pour objectif de veiller à la bonne application de la Convention relative aux droits de l’enfant en Belgique. En font partie : Amnesty international, Association Françoise Dolto, ATD Quart Monde, BADJE (Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l’Enfance), le BICE (Bureau International Catholique de l’Enfance) Belgique, le Conseil de la Jeunesse, DEI (Défense des enfants international) Belgique section francophone, ECPAT (End Child Prostitution and Trafficking of Children for sexual purposes) Belgique, la Ligue des droits de l’Homme, la Ligue des familles, Plan Belgique, les Services Droit des Jeunes et UNICEF Belgique. La CODE a notamment pour objet de réaliser un rapport alternatif sur l’application de la Convention qui est destiné au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies. De plus amples informations peuvent être obtenues via notre site www.lacode.be Rue du Marché aux Poulets 30 à 1000 Bruxelles Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles 17 Manifeste, conclusion, via www.pauvreté-et-extrascolaire.be 6