Marion DUVAUCHEL, Lycée Français de Doha, Qatar

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Marion DUVAUCHEL, Lycée Français de Doha, Qatar
LA SCIENCE ET LA PHILOSOPHIE : DES RAPPORTS DIFFICILES
Par : Marion DUVAUCHEL, Lycée Français de Doha, Qatar
Mais il est décidément impossible de croire plus longtemps qu’une thèse sur Modératus de Gadès,
un livre sur l’invention mathématique doivent valoir à leurs auteurs la médaille de sauvetage et la
reconnaissance des peuples (…) Les hommes n’aiment point être dupés, ils n’ont pas tous une
naïveté assez considérable pour croire qu’un agrégé de philosophie est en vertu de sa fonction un
terre-neuve ou même une personne respectable.
Epicure n’était pas comblé, Spinoza n’était pas comblé, Rousseau n’était pas facile à satisfaire.
Mais Leibniz jugeait que le monde allait assez bien. M. Brunschvicg n’est pas mécontent non plus.
Paul Nizan, Les chiens de garde.
Introduction : Entre Science et philosophie, un divorce tragique
Si le XVIIIe siècle a été désigné comme le siècle de la philosophie, le XXe siècle a mérité le nom de siècle de la
science : elle se présente indiscutablement comme le phénomène dominateur qui « imprègne les esprits,
commande les activités et inspire les idéaux qui préparent l’avenir »1. Non seulement elle exerce le monopole sur
toutes les activités humaines mais l’idée d’une science universelle et d’un savoir total est à l’horizon de tout
l’effort scientifique2. Parce que la science positive exerce un impact puissant sur les esprits et sur les cultures,
parce que le développement technique et technologique a prouvé en dépit des critiques récentes de plus en plus
vives une incontestable efficacité, la science exerce aujourd’hui une suprématie. Parallèlement à cette conquête
de la science dans tous les domaines de la vie humaine, on a assisté à une dévaluation progressive de la
philosophie qui n’a réussi à se maintenir que dans un certain rapport à la science – dont le rationalisme n’est au
fond qu’un avatar – rapport indéniablement fondé sur la compétition et la concurrence. La science a deux
objectifs : expliquer et prédire, ce double statut prédictif et explicatif en fonde la valeur. Consommée depuis
quelques décennies, cette séparation, ce divorce même, sont cependant récents à l’aune de l’histoire de la
philosophie et de celle de la science. Trois symptômes ont marqué ce déclin et le marquent encore : la mise en
question du programme de la philosophie et celle de son utilité, l’attitude des philosophes qui abandonnent leur
tâche propre et se réfugient soit dans les sciences de l’homme soit dans les modes de pensée qui démarquent la
pensée scientifique3, et enfin le jugement que portent les savants sur elle avec l’autorité qui s’attache aujourd’hui
1
Callot (Emile), La philosophie de la Nature, éd. Ophrys, environ 1960.
Bohr (Niels), Physique atomique et connaissance humaine, Folio, Essais, Gallimard, 1991. Il pose au chapitre V le
problème de l’unité de la connaissance.
3
Le phénomène est fort bien décrit par Pierre Thuillier, Socrate fonctionnaire, pp. 37 et suivantes. « La nouvelle génération,
fatiguée du pseudo socratisme, retrouve de l’appétit en lisant Saussure, Jakobson, Martinet, Lévi-Strauss ou Lacan » p. 37.
2
à leur nom4. C’est ainsi que dans les années 60, au cœur du débat marxiste (à la veille des événements de 68) les
ouvrages au style vindicatif sur la philosophie et les philosophes pullulent. Le plus représentatif est sans doute
celui de Paul Nizan5, véritable pamphlet qui dénonce la stérilité de la philosophie et son impuissance à répondre
aux besoins des hommes. Où donc a t-on vu que la philosophie promettait un monde meilleur ? C’est la
philosophie bourgeoise qui est âprement contestée. Tout aussi virulent mais mieux présenté, celui de Pierre
Thuillier6, rappelle qu’un solide concordat unit les professeurs de philosophie au pouvoir temporel.
Le problème de la connaissance : l’épistémologie
Mais le grief le plus dur envers la philosophie et les philosophes est lié à la question de la vérité, qui est l’horizon
de la philosophie et qui pose le problème de la connaissance. Il a été formulé le plus nettement par Jean Piaget, à
la même époque où la philosophie était âprement contestée. Il distingue fort justement une connaissance tirée des
objets eux –mêmes et une connaissance tirée des actions que le sujet exerce sur les objets. L’une est une
connaissance expérimentale, l’autre relève de la connaissance logicomathématique. Il rappelle que la vérité ne
s’obtient pas que par déduction – l’outil de la philosophie - mais au moyen d’algorithmes précis, ou par
expérience mais à l’aide de contrôles précis7. Il y a une connaissance tirée des objets eux-mêmes et une
connaissance tirée de actions que le sujet exerce sur les objets. L’une est une connaissance expérimentale, l’autre
relève de la connaissance logico-mathématique8. Diderot ne disait pas autre chose.
Mais bien plus que la nature de la connaissance postulée, ce sont les méthodes et non pas la nature des problèmes
en jeu qui distinguent les sciences de la philosophie. « Rappelons que la frontière entre la philosophie et les
sciences est toujours mouvante parce qu’elle ne tient pas aux problèmes, dont aucun ne peut être jamais dit
définitivement scientifique ou métaphysique, mais seulement à leur délimitation possible et au choix de méthodes
permettant de traiter ces questions circonscrites en s’appuyant sur l’expérimentation, sur la formalisation logicomathématiques ou sur les deux ».9 C’est parce que l’objet de la science est la connaissance que la philosophie est
engagée dans un débat avec elle, dont l’épistémologie est l’un des enjeux, surtout si on l’entend comme une
critique de la connaissance scientifique. La question peut se poser sous la forme suivante : « à quelles conditions
a-t-on le droit de parler de connaissance, et comment sauvegarder celle-ci contre les dangers intérieurs et
extérieurs qui la menacent »10, (étant entendu que la philosophie et sa prétention à atteindre également une
connaissance constitue l’un de ces dangers). « Aucune science ne peut être étalée sur un plan unique, toutes
4
Ce fut le cas notamment de Schrödinger, prix Nobel de physique qui a écrit Science et Humanisme, parue sous le titre La
physique de notre temps, en 1954 Chez Desclée de Brouwer. Il pose en particulier la question de la valeur de la science. Il y
évoque non la science de la Nature, mais les sciences de la nature : l’astrophysique, la cosmologie, la sismologie. Sa réponse
est simple : c’est l’union de toutes les sciences de la nature qui fonde la valeur de chacune de ces sciences. (p. 24-25). Bien
mieux, il effectue une sorte de genèse de l’idée d’atome. Mais aujourd’hui on peut compter Huber Reeves dont la position
est autant celle d’un sage que celle d’un savant. Il faudrait ajouter un quatrième symptôme : l’insolite prétention des
scientifiques, n particulier lorsqu’ils vieillissent et sont donc dégagés des rapports de compétition propre au milieu
universitaire, à présenter un discours de sagesse. Dans le meilleur des cas on lui concède d’être une sagesse, même pas des
sagesses, et de bien se garder de sortir de là.
5
Les chiens de garde, François Maspéro, 1960,
6
Socrate fonctionnaire, Robert Laffont, 1970,
7
Piaget (Jean), Epistémologie des sciences de l’homme, Paris, Gallimard, p. 13. En ce sens, il est un héritier de Descartes
pour qui seule la démonstration avait valeur de vérité, ou de Claude Bernard, l’inventeur de la méthode expérimentale.
8
Idem, p. 87-88.
9
Idem, p. 43.
10
Piaget (Jean), Sagesse et illusions de la philosophie, Paris, P.U.F., 1965, p. 2.
comportent plusieurs niveaux hiérarchiques : son objet, ses interprétations conceptuelles, son épistémologie
interne ou analyse de ses fondements, son épistémologie dérivée ou analyse des relations entre le sujet et l’objet
en connexion avec les autres sciences »11. Science nouvelle, l’épistémologie peut se définir en première
approximation comme « l’étude de la constitution des connaissances valables »12, c’est « une science de la
science qui comprend l’histoire, l’analyse et la logique des sciences envisagée tant dans leur spécialité que dans
leurs relations réciproques au sein du système complet du savoir scientifique »13 et qui « tend à s’intégrer au
système même des sciences »14, ce qui l’isole encore davantage de la philosophie. Parce qu’elle pose le problème
des théories de la connaissance, l’épistémologie est au cœur du rapport conflictuel entre science et philosophie.
Les questions des épistémologues sont multiples : la situation des sciences de l’homme dans le système des
sciences (le programme de vérité spécifique qui est le sien), la notion de paradigme épistémologique, le passage
d’un paradigme à l’autre, les sciences nomothétiques qui découvrent des « lois » - relations qualitatives ou
relations ordinales (faits généraux) et les sciences nomothétiques, sciences historiques, science juridique et
sciences philosophique, les fondements des mathématiques, la place de la logique dans le système des sciences
etc… Comment et pourquoi poser encore la question des rapports entre la science et la philosophie ? C’est que
s’ils sont rompus, ils n’en sont pas moins réels et il n’est pas sans intérêt de tenter de retrouver les tendances en
devenir avant le divorce tragique de la science et de la réflexion philosophique et de s’interroger sur la
différenciation organisée ou organique des problèmes. Le développement des sciences, bien plus considérable
que celui de la philosophie a requis une organisation, ne serait-ce que la différenciation entre sciences exactes et
sciences humaines, entre sciences humaines ou sociales et sciences de la nature. La question est de savoir si c’est
le progrès de cette connaissance intégrale visée par la philosophie qui a entraîné celui des connaissances
particulières pouvant alors se détacher du tronc commun sous formes de sciences spécialisées ou si ce sont les
progrès de nature spécifique qui en obligeant une réflexion renouvelée sur le savoir ainsi transformé ont provoqué
le développement des systèmes. La science en particulier refuse à la philosophie toute prétention à saisir des êtres
(encore moins des essences) et à formuler des intelligibles.
Quels sont les objets ou les domaines de la philosophie qui a elle aussi, son épistémologie interne et dérivée ? La
recherche de l’absolu ou métaphysique, les disciplines normatives non cognitives comme la morale ou
l’esthétique, la logique ou théorie des normes formelles de la connaissance, la psychologie et la sociologie,
l’épistémologie ou théorie générale de la connaissance. Tout cela concerne la philosophie. Mais aussi la
signification de la vie humaine (qui est le problème central de la philosophie) et celui de la liberté, qui n’intéresse
pas la science non à cause de sa nature (phénomène ou « essence » etc…) « mais parce que l’on ne voit pas, ou
pas encore, le moyen de le poser en termes de vérification expérimentale ou algorithmique, et que du moins dans
l’état actuel des choses, les solutions qu’on nous propose dépendent de jugements de valeur, de croyances etc…,
tous respectables mais irréductibles les uns aux autres, ce qui constitue un état de fait acceptable en philosophie
11
Idem, p. 104.
Piaget (Jean), « Logique et connaissance scientifique », L’épistémologie, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,
« Logique et connaissance scientifique », p. 6.
13
Callot (Emile), op. cit., p. 19.
14
Piaget (Jean), « Les méthodes de l’épistémologie », in Logique et connaissance scientifique, op. cit., p. 62.
12
mais non pas dans les sciences »15. C’est ainsi qu’on peut admettre avec Jean Piaget que la coordination des
valeurs constitue la fonction permanente de la philosophie. La science ne veut ou ne peut s’inquiéter du vital,
tandis que la philosophie ne saurait oublier cette dimension de l’existence humaine sans s’amputer d’une partie
d’elle-même16.
Du point de vue scientifique un problème peut être sans signification cognitive mais n’en demeurer pas moins un
problème à signification humaine permanente (et par conséquent un problème philosophique (comme celui de la
liberté ou de la finalité de l’existence).
Science et philosophie dans l’histoire : les grandes épistémologies
Certes, la philosophie peut servir la cause de la science. Et ce, de deux manières : anticipatives et réflexives. En
anticipant sur certains résultats scientifiques et en les prévoyant intuitivement (l’atomisme, Nicoles de Cues) ou
en réfléchissant. Mais l’anticipation d’une connaissance n’est pas une connaissance effective acquise et
contrôlable. C’est sa démarche réflexive qui sert le mieux la cause la science selon Piaget. La philosophie et les
philosophes ont longtemps réfléchi en fonction des sciences elles-mêmes (Platon à partir des mathématiques,
Kant à partir de Newton), mais la différenciation progressive du savoir fait que les nouveautés épistémologiques
sont nées de la réflexion des esprits scientifiques sur les conditions de la connaissance en leurs propres
disciplines.
Les grandes épistémologies s’attachent à dégager la valeur de la connaissance scientifique. Les théories de la
connaissance peuvent se classer en trois : Celles qui partent d’une réflexion sur les sciences et tendent à la
prolonger en une théorie générale de la connaissance, celles qui s’appuient sur une critique des sciences et
cherchent à atteindre un mode de connaissance distinct de la connaissance scientifique et celles qui demeurent à
l’intérieur d’une réflexion sur les sciences.
De fait, la philosophie a longtemps été solidaire de la science au point que cette distinction n’existait pas chez les
premiers penseurs grecs. Mais si cette distinction n’existait pas, cela ne signifie pas pour autant que le philosophe
ne se double pas d’un savant. Les deux activités sont simplement menées par le même homme. Jean Piaget
souligne avec intelligence que lorsque Aristote découvrait que les Cétacés sont des mammifères et non des
poissons il se livrait à une activité scientifique, même si celle-ci était orientée par des réflexions générales. En
revanche, lorsqu’il construisait son système, sa métaphysique du premier mobile, sa théorie de la puissance et de
l’acte, son interprétation des formes comme immanentes au réel et non plus situées dans le monde des Idées, il
était philosophe. Or, c’est l’orientation biologique d’Aristote et l’orientation mathématique de Platon qui
rendraient compte selon Piaget des différences essentielles de leur système. Et la question qu’il se pose n’est pas
sans importance sur le rapport entre science et philosophie : si ces créateurs ont été si grands, c’est parce que
précisément ils s’appuyaient sur des résultats (logicomathématiques pour Platon ou d’observation méthodique
pour Aristote) et non pas seulement sur des idées17. En clair, la différenciation philosophique entre l’idéalisme
platonicien et le réalisme aristotélicien s’enracine dans un rapport à la science et celle-ci infléchirait la
15
Epistémologie des sciences humaines, op. cit., p. 137.
C’est sans doute ce qu’on peut reprocher au rationalisme, ce refus des aspects vitaux de certains objets de la philosophie.
17
Piaget (Jean), « Sciences et philosophie », chap. II, in Epistémologie des sciences de l’homme, op.cit., p. 66-67.
16
métaphysique. Pour la philosophie de la connaissance, tout revient par ailleurs à ce dilemme : doit-on philosopher
à priori, comme Parménide et beaucoup d’autres après lui (Descartes, Spinoza, Leibniz, Wolff et Engels,
Nietzsche) ou bien doit-on raisonner et philosopher à partir de l’expérience scientifiquement explorée, comme le
voulait Aristote ? (D’Aristote à Thomas d’Aquin, de Thomas à Bergson). C’est en partant de la science que les
problèmes métaphysiques se posent. Et la science semble détester ce fait…
Il semble incontestable que les plus grands systèmes de l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire ceux qui ont
influencé durablement, sont tous issus d’une réflexion sur les découvertes scientifiques de leur auteurs ou sur une
révolution scientifique propre à leur époque ou immédiatement antérieure. Platon avec les mathématiques,
Aristote avec la biologie, Descartes avec l’algèbre et la géométrie analytique, Leibniz avec le calcul infinitésimal
(et Pascal), l’empirisme de Locke et de Hume avec leurs anticipations de la psychologie18, Kant avec la science
newtonienne et ses généralisations, Hegel et le marxisme avec l’histoire et la sociologie, jusqu’à Husserl avec la
logique de Frege. Les systèmes sans attache avec les sciences n’ont pas non plus abouti à une épistémologie
originale et ont mis tout l’accent sur la défense et l’interprétation des valeurs, en une théologie transcendante avec
Plotin, rigoureusement immanente avec Spinoza ou en un idéalisme radical comme chez les post-kantiens
allemands. C’est sur la base de cette analyse que Jean Piaget distingue six grandes épistémologies.
La première bien sûr est l’épistémologie grecque, née d’une réflexion sur les mathématiques avec Platon et
Pythagore et sur la logique avec Aristote. C’est dans le rapport au sujet que ces épistémologies se construisent :
pour les Grecs, le sujet est un sujet contemplatif et non pas actif. Connaître revient à appréhender les Formes
toutes faites et non pas à les construire. Le réalisme platonicien consiste à projeter les structures de la
connaissance dans un monde suprasensible sans qu’elles dépendent d’un sujet humain out transcendantal.
Aristote, resté solidaire de la pensée grecque étrangère à la notion d’un sujet épistémique actif, aurait pu fournir
une théorie de la construction progressive des formes logiques à partir des formes organiques. Mais il a manqué
la connexion entre la logique et les mathématiques et n’a pas inventé une logique des relations qui ne viendra que
bien plus tard.
Il a fallu attendre Descartes, Leibniz et surtout Kant pour voir se développer des épistémologies nées de la
collaboration des mathématiques avec l’expérience physique. Descartes (mais aussi Leibniz) fonde
l’épistémologie moderne en découvrant l’existence d’un sujet connaissant qui invente et ne découvre plus. La
découverte du sujet épistémique serait la grande innovation cartésienne, liée au développement de l’algèbre qui a
mis en évidence une discipline fondée sur les opérations du sujet. Mais Descartes considère les catégories
constitutives de la raison comme des idées innées.
Cette question des idées est centrale. Les empiristes anglais constituent ainsi une autre orientation épistémique,
qui met en doute l’innéité. Comment les idées se forment-elles ? Ou bien le sujet n’est que le reflet ou le siège de
structures existant indépendamment de lui et il n’y a pas de sujet épistémique, ou bien il existe et joue un rôle
actif dans la connaissance, mais sous quelle forme ? Celle d’une structuration imposée à priori à toute expérience
(et en ce cas il faut établir des catégories qui moulent l’expérience et la constitues, comme l’espace et le temps
pour Kant) ou une structuration sous la forme d’une construction progressive conservant les caractères de
nécessité interne propres à l’a priori mais sous une forme dynamique. Les empiristes classiques (Hume et Locke),
18
Avec saint Augustin, on a déjà l’idée d’un moi sensible et une psychologie.
s’il en appellent aux faits, se contentent de s’en servir pour illustrer les idées. L’expérience comporte toujours une
structuration dont la philosophie empiriste n’a pas vu l’ampleur et n’a pas saisi toute la portée.
Enfin Kant paraît. Le premier, il se pose la question du fondement de la science, à quelles conditions une science
est-elle possible ? Avec lui apparaît la quatrième variété d’interprétation épistémique, celle qui situe dans le sujet
même la source des diverses structures qui rendent l’objectivité possible. L’intelligence structure le réel au
moyen de formes à priori de la sensibilité et de l’intelligence. La notion d’ « à priori » comporte l’idée de
nécessité, d’universalité et d’antériorité logique et chronologique et sans doute est-il allé trop loin avec son
apriorisme. La critique kantienne refuse en effet à la raison théorique le droit de franchir les bornes de la
structuration du réel. Fin de la métaphysique.
Avec la dialectique de Hegel apparaît la cinquième variété épistémologique née sous l’influence de l’esprit
historique et sociologique. Il poserait pour Piaget le problème d’une science qui en double un autre sans l’accord
des esprits. Mais avec Hegel on peut être tenté de reconnaître l’existence de la seule grande épistémologie qui
n’ait pas été inspirée par la réflexion sur les sciences. Il y a donc un lien étroit entre les grandes formes classiques
de l’épistémologie et le progrès des sciences elles-mêmes.
L’épistémologie de Husserl n’a pas eu plus de suites que celle de Bergson, mais tous deux ont fondés des
systèmes fondés sur l’intuition de l’être. Russell et Whitehead, ont généré une épistémologie mathématique.
Le sujet connaissant ou épistémique constitue le domaine de choix de la réflexion philosophique, il est au cœur
de la discipline qu’on appelle la psychologie. Que reproche t-on à la philosophie ? De s’être dressé en face de la
psychologie naissante, et au lieu de contribuer aux redressements nécessaires d’une discipline naissante en tant
que discipline, de lui opposer la philosophie. Or dés qu’il est question de fait, l’analyse expérimentale, sur le
terrain des faits la réflexion philosophique ne peut que céder le pas à l’analyse expérimentale.
L’épistémologie oubliée : l’épistémologie thomiste
Il est singulier que parmi les épistémologies que Piaget distingue, il n’est nullement fait mention d’e
l’épistémologie thomiste. Réparons l’oubli. La théorie de la connaissance est au centre de l’épistémologie
thomiste qui ne se donne pas comme telle, pour des raisons évidentes. Née récemment et du développement des
sciences, l’épistémologie était inconnu au XIVe siècle. Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’on ignorait les
questions de la connaissance.
Dans la doctrine thomiste, le monde des objets est condition d’intelligibilité. Dès lors qu’il commence à penser en
être raisonnable, tout homme atteint un objet présenté du premier coup à l’esprit humain : l’être enveloppé ou
incorporé dans la quiddité sensible, l’être investi dans les diverses natures qui tombent sous les sens. Cet être
investi dans la nature sensible, se présente sous deux points de vue différents : l’être particularisé, et l’être vague.
L’être vague est l’être comme masquant et enveloppant le concept métaphysique de l’être. Il y a ainsi deux
manières dont l’être « sensible » peut faire face
à l’esprit: l’être particularisé tel qu’il tombe sous la
considération des diverses sciences, et l’être vague considéré par le sens commun. Enfin, il y a un autre ordre de
l’être, l’être déréalisé, ou être reflété, car on le regarde reflété dans nos yeux à nous : c’est-à-dire sous l’aspect
d’être de raison19. Le philosophe de la nature porte son esprit sur l’être en tant qu’imprégné de mutabilité. Le
métaphysicien sur l’être en tant qu’être.
Dans la théorie de la connaissance thomiste, c’est une première thèse fondamentale que la réalité universelle suit
des degrés qui organisent l’univers même de la connaissance. L’homme, pour Aristote – et donc pour Thomas
d’Aquin – est une substance une, composée d’un corps et d’une âme, qui sont comme matière et forme, et donc
comme puissance et acte. Son âme est une et triple, elle est pourvue d’une âme végétative, sensitive et
intellective, et cela commande le processus de la connaissance qu’il prend de l’univers20. D’abord, l’univers des
choses sensibles, du temps et du mouvement. Au-dessus, les choses spirituelles, univers au-delà de la nature
sensible mais pas au-delà de toute nature créable. A ce même étage et au sein de ce même univers, il est un ordre
spirituel, métaphysique, d’au-delà de la nature sensible où vit non seulement le métaphysicien mais le poète, et
qui au-dessus de toute la machine et de toutes les lois de l’univers des corps. C’est le monde de la liberté, qui
suppose la nature spirituelle mais constitue un monde distinct de la nature sensible et spirituelle. Ce monde là, le
scientifique peut en parler, mais pour la science, il n’est pas un objet d’étude. L’homme participe à la fois de cet
univers des choses sensibles, univers périssable, monde de l’existence et de la contingence, du monde intelligible
tel que son esprit peut l’abstraire, et de l’univers de la liberté qui est l’univers de la morale, qui implique l’amour
et la liberté. Dans cette perspective, la cause de la classification des sciences théoriques se trouve dans l’intellect
lui-même avec les trois degrés d’abstraction. Aux trois degrés d’abstraction précédemment mis en évidence
répondent trois grands types de science : la physique, qui considère un objet abstrait de toute matière et donc
purement incorporel, la mathématique, science des grandeurs, qui considère la pure quantité qui est corporelle
mais qui se présente à l’intelligence abstraction faite de la matière sensible, c’est-à-dire de la qualité corporelle
telles que lumière chaleur, etc… et la métaphysique.
La distinction en mathématique entre quantité et qualité se fonde sur une distinction platonicienne. Platon
distingue trois sortes de formes : les divines, les mathématiques, les sensibles. Aristote la reprend en la modifiant
sous la forme de trois sortes de substances : les Idées, les Choses intermédiaires ou mathématiques, les substances
sensibles21. C’est donc à Platon que revient la distinction des trois degrés d’abstraction La physique, science de
l’être mobile, considère un objet abstrait seulement de la matière individuelle, elle n’use de l’abstraction que pour
s’élever au-dessus de la connaissance simplement sensible ou animale du singulier comme tel. Ce qui pose la
question du principe même de la connaissance. On résout l’aporie en distinguant différents termes de la
connaissance lesquels ont rapport au jugement : il est tantôt dans le sens, tantôt dans l’intuition imaginative,
tantôt dans le pur intelligible.
C’est ainsi que s’explique la place de la philosophie de la Nature… Une physique doit chercher dans les
manifestations mouvantes des choses concrètes les être particuliers qu’elles enferment, une métaphysique doit par
delà ces êtres particuliers chercher l’être en soi par quoi en définitive ils existent. En partant donc du monde
sensible…
19
Maritain (Jacques), Sept leçons sur l’Etre, Téqui, 1934, in O. C., volume V, Paris et Fribourg, éd. Saint Paul et Fribourg,
1990, pp. 572 sq.
20
Les Pythagoriciens distinguaient déjà dans l’homme l’âme animale, qui réside dans le cœur, et l’âme raisonnable qui
réside dans la tête. L’une qui tient de l’infini et de la dyade, et l’autre qui est de la nature de l’unité.
21
Libera (A. de), Albert le Grand et la philosophie, chap. V, « Les universaux », p. 185 sq. L’exposé le plus clair donné de
la théorie des trois sortes de formes est donné dans le Super Ethica de saint Albert. I, 3, 17.
La philosophie de la nature : la physique
L’histoire de la philosophie et des sciences commence par une spéculation sur la nature, dont témoigne l’histoire
des présocratiques. Et au fond, « le débat de la philosophie et des sciences se ramène à un problème central : celui
de la philosophie de la Nature »22, ce qu’Aristote appelait la physique. Définir la physique n’est guère aisé : c’est
d’abord ce par quoi on entendait autrefois toute espèce de connaissance de cette nature dont nous faisons partie
nous-mêmes, mais qui, peu à peu, devint l’étude des lois élémentaires régissant les propriétés de a matière
inanimée »23. La physique est ainsi passée par trois phases synthétiques : vitalisme (physique organiciste),
mécanisme (Newton fait passer de la première à la seconde), mathématisme (Einstein fait succéder au mécanisme
la description mathématique de l’univers, il substitue à l’espace et au temps absolus l’examen de systèmes
d’inerties variés). Pour Aristote jusque Descartes même il n’y a pas une science proprement positive, et la
physique est elle-même une philosophie naturelle qui se rattache directement à la métaphysique. Concernant
l’univers la question du physicien est de le connaître, la question de métaphysicien est de savoir si l’univers
physique existe, quel est son statut, sa réalité ontologique et s’il existe comment a-t-il pu venir, et comment peutil demeurer, c’est à partir de l’existence de la création que se pose la question de Dieu et donc une métaphysique.
« Parménide et ses successeurs nous disent que l’univers est un système éternel qui ne comporte ni genèse si
corruption ni accroissement ni décroissement, ni maturation ni usure. La cosmologie moderne nous enseigne que
l’Univers est un système qui comporte très vraisemblablement un commencement, bref elle nous enseigne le
contraire. Si ce que dit Parménide est de la philosophie, peu importe que cela soit vrai ou pas, entre la philosophie
et les sciences il n’y a pas de rapport24. Définir le domaine propre de la philosophie de la Nature offre trois
difficultés : la détermination du champ propre de la philosophie de la Nature par rapport à la science positive, à la
mathématique et à la métaphysique. Elle est prise entre deux dangers : « ou bien être absorbée par les sciences
expérimentales qui revendiquent pour elles seules la connaissance du monde sensible, de l’univers de la nature,
ou bien être éclipsée par la métaphysique. Car beaucoup de philosophes modernes – c’est une tradition qui
remonte à Wolff- voudraient faire entrer la cosmologie dans le domaine de la métaphysique »25.
Les conflits entre les sciences et certaines philosophies ne datent que du XIXe siècle, et ils datent d’une époque
« où quelques philosophes ont rêvé d’un pouvoir spéculatif permettant d’embrasser la Nature elle-même (comme
Hegel en sa naturphilosophie) et où réciproquement quelques savants prétendaient tirer de leur savoir positif des
métaphysiques scientistes (comme le matérialisme dogmatique) et provoquaient ainsi des réactions dans le sens
de systèmes destinés à protéger les valeurs morales contre ces empiètements considérés comme illégitimes »26.
La question qui se pose est cependant celle-ci : doit-il exister une philosophie de la nature distincte à la fois de la
métaphysique et des sciences particulières ? L’opinion commune concernant la philosophie de la science et de la
22
Maritain (Jacques), la Philosophie de la Nature, Paris, Téqui, 1935, in Œuvres complètes, volume V, 1982, p. 1
Bohr (Niels), Physique atomique, op. cit., p. 251.
24
Tresmontant (Claude), Sciences de l’univers et problèmes métaphysiques, Paris, 1976, p. 12-13.
25
Maritain (J.), La philosophie de la Nature, Paris, Téqui, p. 1.
26
Piaget (Jean), Epistémologie des sciences de l’homme, op. cit., p. 88.
23
Nature semble aujourd’hui à peu prés celle-ci : on admet sans se compromettre que la première est une réflexion
sur la science et la seconde une spéculation sur la Nature. En conséquence on admet deux attitudes différentes à
leur égard. Pour les uns, une réflexion sur la science n’engage à rien et on continuera à examiner l’œuvre
scientifique à en disserter et à énoncer sur son sujet quelques vérités d’évidence ou quelques hypothèses à
probabilité variable. Par contre spéculer sur la Nature est jugé définitivement dépassé (comme sur l’histoire au
demeurant). Pour les seconds, il n’y a que la science positive sans une philosophie de la nature (ou avec une telle
philosophie qu’elle se confond avec la science, ce qui revient au même) et encore moins une métaphysique. Dans
les deux cas, il n’y a pas de philosophie de la Nature comme savoir spécifique27. La seule philosophie permise (la
philosophie positive28) consiste à coordonner les sciences entre elles et à enregistrer leurs résultats les plus
généraux. On tolère une philosophie de la science qu’on distingue soigneusement de l’épistémologie (seule reine)
mais qui se réduit à une science plus générale et plus cohérente, et doit renoncer à toute ontologie29. En
particulier, il n’y a plus de fait de philosophie de la Nature, réduite à une pure phénoménologie. On n’ose même
pas rappeler que le fait que la métaphysique n’est pas l’affaire de tous ne nous autorise pas à conclure qu’elle
n’est pas une connaissance. Après tout, les mathématiques supérieures sont l’apanage restreint d’un ensemble
restreint d’individus, et cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas une connaissance.
Un exemple pourra illustrer ce débat. Celui de la causalité et du déterminisme, concept commun à la science
comme à la philosophie.
L’un des premiers principes d’interprétation de la nature est celui de la causalité et du déterminisme. La causalité
constitue une « construction déductive faisant corps avec le réel ». Face à l’assaut d’une contingence multiforme
l’humanité cherche à identifier les déterminismes sous-jacents, c’est-à-dire à donner un sens au monde. Il est
donc une exigence de l’esprit. Il peut s’agir d’enchaînements nécessaires ou de régularités statistiques : le tout est
de les déceler30. « L’histoire de la notion de cause à l’âge classique est essentiellement celle d’un passage de la
notion de causalité formelle, réelle et connaissable, (la cause comme raison) incarnée dans les principes
géométriques du mouvement (Descartes) ou dans les principes dynamiques établissant des relations
fonctionnelles entre les substances (Leibniz) à la notion d’une causalité régulière dont le mécanisme nous
échappe. Le démon de Laplace ne serait qu’un mythe ou un idéal. Le problème des philosophes français sera de
chercher « à résoudre l’alternative entre une nécessité brute ou aveugle et un indéterminisme radical »31. Le
déterminisme laplacien constituait le rêve d’une réduction intégrale tel que l’univers entier en ses manifestations
innombrables se réduirait à une équation de base d’où l’on pourrait tirer toutes les autres ».32 Déterminisme
n’équivaut donc pas à prévisibilité. On sait qu’il existe des systèmes physiques très simples définis par des
conditions déterministes strictes dont l’évolution peut devenir imprévisible. Le principe de causalité est la base
27
Callot (Emile), op. cit., p. 203.
Pour le positivisme logique contemporain – qu’Oppenheimer appelait une « philosophie sans humour » le réel se réduit
aux phénomènes physiques et à un langage. Son but avoué est de limiter le nombre des problèmes et non pas de préciser les
méthodes.
29
Aristote ouvrait son enquête à partir de la Nature sensible tandis que le philosophe de la science et de la Nature ouvre son
enquête à partir des sciences et de leurs résultats.
30
Ekeland (Ivar), Au hasard, la chance, la science et le monde, Paris, Seuil, 1991, p. 71.
31
Engel (Pascal), La philosophie de la nature est-elle morte, recension de l’ouvrage Jean Largeault, Principes classiques
d’interprétation de la nature, Vrin, Lyon et Paris, 1988.
32
Piaget (Jean), Epistémologie des sciences de l’homme, op. cit., p. 107.
28
d’un système déterministe, le principe de probabilité est à la base d’un système aléatoire. Ils ne sont pas exclusifs
l’un de l’autre. Le problème de savoir si la réalité physique relève d’un déterminisme sous-jacent ou d’une
indétermination fondamentale eût été classé unanimement comme métaphysique à la fin du siècle dernier. Il a
opposé L. de Broglie à l’école de Copenhague. Une
cause précède nécessairement tout effet, d’où le
déterminisme rigoureux de l’univers selon la théorie laplacienne. Mais à l’échelle microscopique on admet que de
petits processus se multipliant engendrent une constante ; la loi est alors non plus une liaison causale mais une
relation statistique. Il y aurait une base statistique et non pas causale à toute loi physique. Les lois physiques
nouvelles liées à la théorie des quanta sont autant d’échecs à un déterminisme homogène de l’univers. La Nature
est une sorte de résultat d’un compromis entre la logique et l’expérience.
Plus près de nous encore, le projet de Thom se présenterait pour le mathématicien Ivar Ekeland comme un projet
d’ordre plus métaphysique que scientifique, et ce sans aucune connotation négative. A partir de sept catastrophes
élémentaires, qui constitue l’alphabet à partir duquel on peut recréer l’infinie variété des formes naturelles. A
l’instar de Platon dans le Timée, où à partir de cinq solides réguliers qui ont constitué pour les Grecs le substrat
géométrique de notre perception de l’espace. Thom a écrit le Timée des temps modernes. Mais il est héraclitéen.
La théorie des catastrophes exprime le conflit en disant que toute forme résulte d’un conflit d’attracteurs. La
science n’est dépourvue ni d’humour ni de fantaisie, et nous lui en savons gré. Elle reste ainsi humaine, comme la
philosophie…
Conclusion : L’objet de la philosophie : science ou sagesse ?
C’est parce que la science ne s’affirme pas seulement comme pensée organisée ou comme un « programme de
vérité » selon l’heureuse formule de Paul Veyne, mais comme connaissance supérieure, voire comme seule
connaissance vraie possible qu’elle instaure un problème particulier dans le domaine du savoir et dans une théorie
de la connaissance. Postuler deux modes de connaissance dont l’un serait supérieur à l’autre parce qu’il
atteindrait les essences est précisément ce qui est insupportable à la pensée scientifique. Admettre qu’il existe
deux sortes de vérité, l’une philosophique et l’autre scientifique est insupportable à la pensée, car la logique exige
leur coordination. Pour certains comme Piaget, la réponse est sans ambiguïté. La philosophie, « conformément au
grand nom qu’elle a reçu, constitue une sagesse, indispensable aux êtres rationnels pour coordonner les diverses
activités de l’homme mais […] n’atteint pas un savoir proprement dit, pourvu des garanties et des modes de
contrôle caractérisant ce qu’on appelle une « connaissance »33.
On serait pourtant en droit de s’interroger sur la nature de cette tentation à laquelle bien peu de chercheurs ou de
savants savant résister et qui consiste à se prévaloir de savoirs spécialisés pour émettre des jugements sur la
validité d’un système philosophique, voire de la philosophie. C’est par exemple l’opinion de Jean Piaget
évoquant les « frontières artificielles et périmées que les traditions universitaires ont introduites entre les sciences
et la philosophie. Pour l’opinion courante, la logique et l’épistémologie font partie de la philosophie.
Classification erronée «qui pèse lourdement sur l’enseignement et même sur le progrès des disciplines » 34
33
Piaget (Jean), Sagesses et illusions de la philosophie, op. cit., p. 1.
Piaget (Jean), Epistémologie des sciences de l’homme, op. cit., p. 9. L’explication de Jean Piaget est au demeurant tout à
fait convaincante. La Logique est née de la philosophie, dés Aristote, qui a écrit une « physique » et s’est occupé avec succès
34
Laissons peut-être la parole à ceux qui ne sont ni des philosophes ni des scientifiques : « Il y a des raisons ; il y a
des procédures de rationalisation qui ne sont pas les mêmes chez les philosophes, chez les mathématiciens, chez
les médecins ou chez les astronomes. Tout effort pour comprendre un plan du réel, un secteur de la réalité,
implique la mise en jeu de techniques mentales, de procédures intellectuelles permettant de maîtriser ce champlà. Or le champ, et donc les techniques, différent quand il s’agit de l’astronomie, de la géométrie, de la
philosophie ou de la médecine »35.
Certes, tous les programmes de vérité ne se valent pas, mais il y a différents programmes de vérité, des vérités
différentes36. La philosophie est comme la science, un programme de vérité. La question de savoir lequel dans la
hiérarchie des disciplines est le plus haut : à chacun de décider. Mais si l’on devait encore plaider pour la
philosophie, il suffirait de rappeler que l’existence est une chose et la connaissance de l’existence en est une
autre. Le philosophe doit se donner une épistémologie de la connaissance de l’existence. Le scientifique ne le
peut ni ne le souhaite…
de biologie. Avec les travaux des logiciens anglais et en particulier avec la découverte de l’algèbre de Boole, on s’est aperçu
des connexions entre la logique et l’algèbre générale. La logique est devenue de plus en plus inséparable des mathématiques.
Deux conséquences en résulte : la logique s’est constituée en discipline autonome, indépendante de la métaphysique (la bête
noire aujourd’hui) et présentant tous les caractères d’une science. L’épistémologie quant à elle a suivi une autre
différenciation. Il existe de plus en plus une tendance séparatiste de l’épistémologie et de la logique à l’égard de la
philosophie, p. 9-10. « Il est aisé d’en comprendre les raisons ». Certes mais ce ne sont pas seulement celles que Jean Piaget
laisse entendre.
35
Idem.
36
Vernant (Jean-Pierre), La traversée des frontières, Paris, Seuil, 2004. p. 123-124.
Bibliographie commentée
Bohr Niels,
Physique atomique et connaissance humaine, folio, essais, Gallimard, 1991.
Callot Emile,
La philosophie de la science et de la nature, éd. Ophrys, sans date, sans lieu (1960)
L’ouvrage se présente sous deux parties distinctes : essai dialectique et essais critiques. Dans la première
partie, l’auteur analyse les rapports entre science et philosophie, puis les questions liées à la Nature et à la
philosophie de la Nature ainsi qu’à la philosophie de la science. Dans la deuxième partie, il analyse
successivement plusieurs écoles philosophiques (le mentalisme de James Jeans, les problèmes liés à
Heisenberg, le positivisme logique d’Einstein, et enfin le réalisme néo-thomiste de Maritain et
Tresmontant, avant de finir sur une analyse du temps dans une perspective de philosophie de la Nature.
Quoiqu’un peu daté, l’ouvrage est cependant tout à fait digne du détour, en particulier le chap. I sur les
rapports entre science et philosophie, fort bien posés.
Ekeland Ivar,
Le calcul, l’imprévu, les figures du temps de Képler à Thom, Seuil, 1984.
Un livre excellent pour comprendre le passage d’une causalité déterministe à une causalité probabiliste
Engel Pascal,
« La philosophie de la nature est-elle morte ? » in Epistémologie, 2, L’âge de la science,
lectures philosophiques, Paris, éd. Odile Jacob
Maritain Jacques,
Science et sagesse, Paris-Bruges, Labergerie, 1935, in Œuvres complètes, volume VI,
1982.
Science et philosophie, chap. IV,
La philosophie de la nature, de la Nature, Paris, Téqui, 1935, in Œuvres complètes,
volume V, 1982
Piaget Jean,
Sagesse et illusion de la philosophie, Paris, PUF, 1965 (en particulier le chapitre II,
Sciences et philosophie).
Un livre où l’épistémologue règle ses comptes avec la philosophie ou avec quelques philosophes. En particulier,
il éreinte l’analyse de Jacques Maritain (pourtant fort rigoureuse) sur le théorie d’Einstein.
Epistémologie des sciences de l’homme, Paris, Gallimard, Unesco, 1970.
« Nature et méthodes de l’épistémologie », p.3-131, in
Logique et connaissance
scientifique, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1967. (Jean Piaget dir.)
Schrödinger Edwin,
Physique quantique et représentation du monde, Paris, Points, Seuil, 1992.
Vernant Jean-Pierre,
La traversée des frontières, Paris, Seuil, 2004.
Tresmontant (Claude), Sciences de l’univers et problèmes métaphysiques, 1976
Les métaphysiques principales, essai de typologie, Paris, O.E.I.L, 1989
Deux ouvrages où les questions métaphysiques sont analysées avec rigueur, en particulier la notion de création.
Collectif, L’âge de la science, lectures philosophiques, 2 Epistémologue, éditions Odile Jacob, Paris, 1989.
Un ouvrage érudit et pour spécialistes seuls.