Un prêtre romain aux thermes de Cluny

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Un prêtre romain aux thermes de Cluny
Un prêtre romain
aux thermes de Cluny
F é v r i e r
2005
6, place Paul Painlevé, 75005 Paris
Service culturel. Tél. 01 53 73 78 16
w w w . m u s e e - m o y e n a g e . f r
Empire romain d’Orient, époque hadrienne vers 120-130
Marbre de Naxos ; H. 181 cm ; Anc. collection La Riboisière, achat 1859 ; Cl. 18830
I
l n’est point d’œuvre autant attachée à l’histoire du musée. En effet, les circonstances de
son acquisition reflètent l’engouement résultant du dégagement des thermes de Cluny.
En 1855, le percement des boulevards Saint-Germain et Saint-Michel, l’élargissement de la
rue des Mathurins, permettent au conducteur des travaux de la Ville, Théodore Vacquer, père de
l’archéologie parisienne, de mesurer l’ampleur du bâtiment antique jusqu’alors connu par les seuls
frigidarium et pseudo-tepidarium. L’historiographie avait voulu y reconnaître dès le XVIe siècle les
ruines du palais de l’empereur Julien l’Apostat (360-363). L’archéologie nous a révélé que cette
résidence impériale se dressait probablement sur l’Île-de-la-Cité et que nos murs antiques abritent un
complexe thermal.
Aussi, lorsque le Comte de la Riboisière, qui, ironie du sort, s’était opposé à la création du
musée, propose quelques années plus tard à Edmond Du Sommerard cette statue, le fait-il en arguant
que seul les “thermes du palais de Julien” peuvent abriter l’effigie de leur bienfaiteur. Les archives du
musée conservent une lettre qui nous apprend que la proposition du comte est conséquente du projet
du ministère des Beaux-Arts de disposer à Cluny un moulage d’un marbre similaire, lui aussi attribué
au même empereur exposé au musée du Louvre.
Ce
dernier fut acquis par Ennio Visconti en 1803 dans l’atelier parisien d’un sculpteur,
vraisemblablement J-Ph. Dumont. Il est aujourd’hui admis qu’il s’agit d’une copie moderne de la
statue des thermes. Quoiqu’il en soit, Visconti y reconnut alors l’empereur en se fondant sur ses
effigies monétaires mais également sur des bruits qui affublaient l’œuvre d’une provenance
parisienne. Ainsi, “un empereur dont l’effigie en pied, seule connue à ce jour, aurait été retrouvée à
Paris ne pouvait être que Julien qui avait parlé en termes émouvants de sa chère Lutèce”.
Pourtant, dès la fin du XIX
e
siècle, des doutes sont formulés et l’œuvre retirée des salles du
Louvre. Lors de Julien l’Apostat ou la double imposture, présentation des deux statues en 2003 au Louvre,
une observation minutieuse a révélé que ce n’est ni la couronne impériale gemmée ni la toge qui parent
cet individu. Cet anonyme est vêtu d’une tunique et du pallium alors qu’une énigmatique couronne
ceint son front. Et c’est en levant le mystère de cette coiffe que pourra l’être l’identité de notre marbre.
Ladite couronne se compose de quatre bourrelets superposés, seul le deuxième en partant du
bas s’orne d’un décor de feuillage. De chaque côté, au niveau des oreilles, des ornements arrondis se
superposent, le centre de la couronne est agrémenté d’un motif en arceaux renversés.
Le corpus des nombreux portraits romains n’offre que peu d’effigies coiffées d’une telle
couronne. On retiendra toutefois trois d’entre elles : la première, en pied, est un marbre du fonds
ancien du musée archéologique d’Istanbul, les autres sont deux têtes brisées au niveau du cou
conservées au musée gréco-romain d’Alexandrie et au musée archéologique de Thasos. Aucune de ces
statues ne porte la même couronne ; elles sont toutes des variantes de l’insigne de la prêtrise du dieu
Sarapis.
Cette divinité n’appartient point au panthéon pharaonique mais serait apparue sous le règne
de Ptolémée Ier vers 300 av. J.-C. ainsi que le rapporte l’historien Tacite. Associée à la déesse Isis et au
dieu-enfant Harpocrate, ils forment la triade alexandrine. Celle-ci sert les souverains dans l’affirmation
de leur pouvoir monarchique et notamment leur divinisation. Les premières traces à Rome de ce culte
sont décelables autour de l’an 100 avant notre ère. Mais c’est incontestablement vers Isis que se tourne
la ferveur des croyants de l’’Empire. Seuls les empereurs, à partir de la dynastie flavienne (69-96), et
les militaires, vouent un culte à Sarapis. L’apogée est atteint sous le règne de Caracalla (188-217) qui
érige la divinité alexandrine au rang de dieu d’empire. Des souverains égyptiens aux empereurs
romains, une constante peut être dégagée du culte à Sarapis ; celui-ci est lié à la célébration du pouvoir
et à la divinisation de son représentant. Aussi peut-on proposer de voir dans ce portrait un prêtre
romain, peut-être un magistrat, de l’époque hadrienne.
En effet, le visage de notre protagoniste en offre les traits les plus remarquables : mèches
arrondies accrochées au-dessus du front, paupières ciselées, pommettes saillantes et lèvres ourlées. Par
ailleurs, s’il était besoin d’infirmer une nouvelle fois la possibilité d’un portrait de l’empereur Julien,
outre que la datation stylistique n’admet pas une création au IVe siècle, Grivaud de la Vincelle rapporte
que les deux statues ne proviennent pas de Paris mais furent vendues à Paris par un antiquaire
d’origine florentine G. Miliotti après que les ou la statue(s) soi(en)t entrée(s) en France par le port de
Marseille. Enfin, les textes ne mentionnent qu’une statue de l’empereur Julien : celle qu’il envoya aux
Alexandrins, peu de temps après la mort de Constance, “une statue faite récemment et qui est d’une
grandeur colossale” (Julien l’Apostat, Lettres LIX).
Florence Saragoza, conservateur au musée
Comparaisons
Statue de prêtre en himation, Istanbul, musée archéologique.
Tête d'homme inconnu, Vienne, Kunsthistorisches Museum.
Tête de prêtre de Sarapis, Thasos, musée archéologique.
Tête de prêtre de Sarapis, Alexandrie, musée gréco-égyptien.
Copie, AGER Ma 1121, Paris, musée du Louvre.
Bibliographie
LEVEQUE (P.), “Observations sur l’iconographie de Julien l’Apostat d’après une tête inédite de Thasos”,
Monuments Piot, LI, 1960, p. 105-128.
GOETTE (H. R.), “Kaiserzeitliche Bildnisse von Sarapis-Priestern”, MDAIK, 45, 1989, p. 173-185.
FITTSCHEN (K.), “Privatportäts Hadrianischer Zeit”, Roman Portraits Artistic and Literary, Mayence, 1997, p.32-36.

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