CLAUSE DE NON-CONCURRENCE Tour d`horizon

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CLAUSE DE NON-CONCURRENCE Tour d`horizon
D R O IT / AS S U RAN C E S
M A R I A N N E FAV R E
M O R E I L LO N
CLAUSE DE NON-CONCURRENCE
Tour d’horizon
La particularité de la clause de non-concurrence (CNC) est qu’elle est conclue avant
la fin des rapports de travail mais qu’elle ne déploie ses effets qu’à leur issue. Les
parties peuvent convenir d’une telle clause lors de la conclusion du contrat de travail ou ultérieurement, soit notamment en cas de promotion du collaborateur.
1. INTRODUCTION
La CNC a pour but d’interdire à l’employé, après la fin des
­rapports contractuels, de faire concurrence à son ancien em­
ployeur de quelque manière que ce soit. Il en va ainsi de l’ex­
ploitation pour son propre compte d’une entreprise concur­
rente ou du fait d’entrer au service d’une telle entreprise.
Il faut qu’il s’agisse d’entreprises qui offrent au même
cercle de consommateurs le même genre de prestations pour
la satisfaction de besoins identiques ou semblables. Un ven­
deur de photocopieurs qui a connaissance des clients de son
ancien employeur et qui passe au service d’une société con­
currente pour y vendre des appareils de traitement de texte
violera sa CNC [1].
2. CONDITIONS DE VALIDITÉ
2.1 Forme de la CNC. La CNC doit impérativement être ré­
digée par écrit (art. 340 al. 1 du Code des obligations, CO). Le
collaborateur peut ainsi réaliser l’ampleur de son engage­
ment et de la limitation de sa liberté économique [2]. Lors de
sa conclusion, l’employeur attirera l’attention du collabora­
teur sur cette clause et lui demandera d’apposer la mention
«lu et approuvé» au bas de celle-ci, à côté de sa signature. Un
renvoi à un règlement d’entreprise ou à un ancien contrat est
insuffisant [3].
2.2 Conditions d’application. L’article 340 al. 2 CO prévoit
que la CNC n’est valable que si le travailleur est en mesure de
faire effectivement concurrence à l’employeur après la fin
des rapports de travail. Il en sera ainsi lorsque le travailleur
a connaissance des secrets de fabrication ou d’affaires de
l’employeur ou encore de sa clientèle.
MARIANNE FAVRE
MOREILLON,
FONDATRICE ET DIRECTRICE
L’utilisation de ces renseignements doit être de nature à cau­
ser un préjudice sensible à l’employeur, soit être important
par rapport à son chiffre d’affaires. Le risque de perdre un
seul client pourra ainsi suffire si ce dernier est important [4].
Si l’une de ces conditions fait défaut, la CNC sera entièrement
nulle.
a) Connaissance de la clientèle
Une relation d’affaires entre la clientèle et l’employé doit
­exister. Le travailleur doit ainsi avoir connaissance des parti­
cularités, désirs et besoins de la clientèle. Un vendeur ou la
gérante d’une succursale d’une entreprise de travail tempo­
raire pourra se voir imposer une CNC [5]. Le simple accès à la
liste nominative des clients est toutefois insuffisant [6]. Une
CNC ne pourra ainsi pas être valablement insérée dans le con­
trat de travail d’un employé subalterne [7] ou d’une secrétaire.
Selon le Tribunal fédéral, lorsque les rapports entre la
clientèle et le collaborateur sont essentiellement fondés sur
la compétence et les qualités personnelles de ce dernier, l’em­
ployeur ne peut pas lui imposer une CNC. Un client ira chez
un dentiste pour ses compétences professionnelles et pour le
rapport de confiance particulier qui qualifie leur relation [8].
Il en va de même pour les médecins, avocats, architectes, es­
théticiennes et professeurs de violon.
Quant à l’aspect personnel des rapports de l’expert-comp­
table avec la clientèle, il n’a pas été jugé suffisamment
éminent. Selon le Tribunal fédéral, bien que cet aspect joue
également un rôle, cette profession n’est pas de «celles où les
rapports avec la clientèle reposent avant tout sur la compétence par­
ticulière de ceux qui l’exercent, sur leur jugement personnel ou leur
­appréciation technique, sur leur talent pédagogique, leur savoir-faire
ou l’art qu’ils ont de traiter un cas donné [9]». De plus, l’expert­
comptable sera en mesure, lorsqu’il aura quitté son poste, de
mettre sa connaissance à profit pour détourner la clientèle
de son ancien employeur. Cet aspect étant aussi important
que l’aspect personnel de la relation, une CNC sera admise.
DU CABINET JURIDIQUE
DROITACTIF,
LAUSANNE/VD,
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b) Connaissance des secrets de fabrication ou d’affaires
Pour être qualifiées de secrets d’affaires ou de fabrication, les
connaissances acquises par le travailleur doivent toucher à
des questions techniques, organisationnelles ou financières,
qui sont spécifiques et que l’employeur veut garder secrètes.
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C lause de non-concurrence
Sont notamment considérés comme des secrets de fabrica­
tion les plans de construction de machines, les formules
chimiques ou les programmes informatiques. La connais­
« L’article 340 al. 2 CO prévoit que
la CNC n’est valable que si le travailleur
est en mesure de faire effectivement
concurrence à l’employeur après la fin
des rapports de travail.»
sance des délais de livraison ou des temps de montage cons­
titue des secrets d’affaires [10].
En revanche, les connaissances qui peuvent être acquises
dans toutes les entreprises de la même branche constituent
l’expérience professionnelle. Ce ne sont pas des secrets d’af­
faires ou de fabrication. Ainsi, les connaissances, même très
pointues, des horlogers de haut de gamme appartiennent à
l’expérience professionnelle du travailleur si elles peuvent
être acquises de la même manière dans toutes les entreprises
de la même branche [11]. Il a été jugé que, dans le cadre d’une
école de snowboard, il n’y a pas de secret d’affaires justifiant
une CNC: l’organisation, la formation interne et l’instruc­
tion dispensée aux clients sont identiques à la pratique de la
branche [12].
3. LIMITES D’APPLICATION
La CNC touche directement l’avenir économique du collabo­
rateur. Elle doit ainsi être limitée convenablement quant au
lieu, au temps et au genre d’affaires (art. 340 a al. 1 CO). Sa
­formulation doit être claire. À défaut, elle sera interprétée
en faveur de l’employé.
3.1 Quant au lieu. L’interdiction de concurrence ne peut dé­
ployer ses effets que dans le rayon géographique où le sala­
rié risque de porter préjudice à l’employeur. Il s’agit au maxi­
mum du territoire où ce dernier exerce son activité et a
connaissance de la clientèle. L’étendue géographique doit
être fixée précisément, en indiquant les quartiers, villes,
cantons ou pays concernés. Plus l’activité prohibée est rare
et/ou inédite, plus l’étendue géographique pourra être vaste.
Un vendeur avec un rayon d’activité limité à la Suisse ro­
mande ne peut se voir imposer une CNC portant sur tout le
territoire suisse [13].
Dans certains domaines, telles l’industrie pharmaceu­
tique ou l’horlogerie, les principales sociétés se concentrent
dans un périmètre déterminé. Il est alors difficile de fixer
des limites géographiques qui ne compromettent pas exces­
sivement l’avenir économique du travailleur. Cependant,
selon les circonstances, une telle CNC pourra être valable si
elle est accompagnée d’une indemnité convenable [14].
3.2 Quant au temps. En principe, la prohibition de faire
concurrence ne doit pas excéder 3 ans. Elle pourra être pro­
longée au-delà de cette limite uniquement en cas de circons­
tances particulières [15]. Ce sera le cas lorsque des employés
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hautement qualifiés, comme des ingénieurs, ont accès à des
secrets de fabrication importants dont l’exploitation, après
une durée de 3 ans, pourrait encore porter préjudice à l’em­
ployeur. L’importance de l’activité concurrentielle doit être
mise en balance avec l’intérêt de l’employé à continuer ou à
reprendre l’exercice de son activité professionnelle dans les
plus brefs délais. Dans les secteurs où la technique évolue ra­
pidement, la durée de la prohibition de concurrence ne de­
vrait pas dépasser 12 à 18 mois car les connaissances du colla­
borateur deviennent vite obsolètes [16].
3.3 Quant au genre d’affaires. La CNC doit se limiter au
secteur d’activités de l’employeur. À cet égard, elle doit con­
tenir une description détaillée de l’activité prohibée et/ou la
liste précise des concurrents au service desquels le collabora­
teur n’a pas le droit de travailler. L’interdiction de concur­
rence ne saurait viser toute une branche ou un marché, elle
ne doit pas empêcher l’employé d’exercer une activité con­
forme à sa formation.
4. CNC EXCESSIVE
Pour déterminer si une CNC est excessive, il faut considérer
son étendue dans son ensemble. Le point déterminant est
celui de savoir si l’interdiction de faire concurrence prétérite
l’avenir économique de l’employé de manière qui ne se justi­
fie pas par les intérêts légitimes de l’employeur [17].
Conformément à l’article 340 a al. 2 CO, une clause exces­
sive n’est pas nulle mais sera réduite par le juge qui tiendra
compte de toutes les circonstances, notamment d’une éven­
tuelle contre-prestation versée par l’employeur. La CNC
sera valable jusqu’«à la limite de l’admissible [18]» et le juge mo­
difiera la partie litigieuse de la clause.
Le versement au collaborateur d’une indemnité en contre­
partie de l’interdiction excessive de faire concurrence a pour
objectif de compenser l’atteinte à son avenir économique.
« Selon le Tribunal fédéral,
lorsque les rapports entre
la clientèle et le collaborateur sont
essentiellement fondés sur la
compétence et les qualités personnelles
de ce dernier, l’employeur ne peut
pas lui imposer une CNC.»
L’indemnité prendra la forme de mensualités versées pen­
dant tout ou partie de la durée de la prohibition de faire con­
currence.
5. SANCTIONS EN CAS DE VIOLATION
Selon l’article 340 b al. 1 CO, en cas de violation de l’interdic­
tion de concurrence, l’employeur peut demander, par la voie
judiciaire, la réparation du dommage subi sous la forme de
dommages-intérêts. À cette fin, il devra amener la preuve de
son dommage effectif [19].
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Aussi, conformément à l’article 340 b al. 2 CO, l’employeur
prendra soin de fixer dans le contrat de travail une peine
conventionnelle dont le montant maximum ne saurait excé­
der un salaire annuel [20]. Le collaborateur devra s’acquitter
de ce montant dès qu’il viole la CNC, même si l’employeur
n’a pas effectivement subi un dommage. Sauf accord contraire,
le paiement de ce montant libère l’employé de l’interdiction
de faire concurrence [21].
Notons qu’une peine conventionnelle peut être jugée ex­
cessive et être réduite par le juge. Elle a été réduite à 4 ou
6 mois de salaire en pratique [22], notamment lorsque les rap­
ports de travail sont très brefs.
En outre, s’il s’en est réservé le droit par écrit, l’employeur
pourra ouvrir action en cessation de l’activité concurrente
(art. 340 b al. 3 CO). Cela équivaut pour le collaborateur à
­l ’interdiction d’exercer l’activité en cause. Cette action n’est
admise que restrictivement par le juge [23].
Notes: 1) BJM 1981 313. 2) ATF 92 II 22. 3) Favre
Moreillon, Droit du travail, Bâle 2006, pp. 213–214.
4) TF 4C.360/2004 du 19 janvier 2005. 5) BJM 1996
17. 6) JAR 2006 500. 7) Tercier/Favre, Les contrats
spéciaux, Genève 2009, N 3840 p. 573 et les réfé­
rences citées. 8) 4C.100/2006 du 13 juillet 2007.
9) ATF 78 II 39. 10) Wyler, Droit du travail, Berne
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6. FIN DE L’INTERDICTION DE CONCURRENCE
Lorsque l’employeur n’a plus intérêt au maintien de la CNC,
cette dernière tombe avant son échéance (art. 340 c al. 1 CO).
Lorsque le contrat est résilié par l’employeur sans motif
­justifié imputable au collaborateur ou par l’employé pour
un motif justifié imputable à l’employeur, la CNC cesse
(art. 340 c al. 2 CO). Il en va ainsi du congé donné par le colla­
borateur en raison d’une surcharge permanente de travail
sans que l’employeur ne prenne des mesures pour la faire ces­
ser ou en cas d’insolvabilité de l’employeur [24]. Les congés
basés sur l’appartenance de l’employé à un syndicat ou sur
une baisse de la qualité de son travail de courte durée ne sont
pas reconnus comme des motifs justifiés imputables au col­
laborateur [25]. Par contre, le travailleur licencié en raison
du fait qu’il harcelait sexuellement une collègue est une si­
tuation où l’employeur bénéficie d’un motif justifié [26]. n
2008, pp. 599–600. 11) TF 4A_417/2008 du 3 dé­
cembre 2008. 12) Favre/Munoz/Tobler, Le contrat
de travail, Code annoté, Lausanne 2010, p. 388.
13) ATF 91 II 372. 14) TF 4C.44/2002 du 9 juillet
2002. 15) JAR 1980 304. 16) Favre Moreillon, p. 221.
17) ATF 91 II 372. 18) ATF 96 II 139. 19) Favre/
Munoz/Tobler, p. 393. 20) Wyler, p. 612; JAR 1996
284. 21) Moesch, Panorama en droit du travail I,
Berne 2009, p. 345. 22) ATF 130 III 353; TF 4C.44/
2002 du 9 juillet 2002. 23) ATF 131 III 473. 24) ATF
130 III 353; JAR 2005 403. 25) Duc/Subilia, Droit du
travail, Lausanne 2010, N. 11 ad art. 340 c CO, p. 733.
26) JAR 2005 403.
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