Grotticella Blanc-Cardini aux Balzi Rossi (Vintimille, Italie)
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Grotticella Blanc-Cardini aux Balzi Rossi (Vintimille, Italie)
CLOTTES J. (dir.) 2012. — L’art pléistocène dans le monde / Pleistocene art of the world / Arte pleistoceno en el mundo Actes du Congrès IFRAO, Tarascon-sur-Ariège, septembre 2010 – Symposium « Art pléistocène en Europe » Grotticella Blanc-Cardini aux Balzi Rossi (Vintimille, Italie) Giuseppe VICINOa et Margherita MUSSIb L’art pariétal des grottes des Balzi Rossi, connu depuis une quarantaine d’années (Vicino 1972, 1976-1978 ; Vicino & Simone 1972, 1976), comporte des groupes de gravures linéaires, quelques gravures figuratives, et des traces de couleur rouge (ces dernières à Grotta del Caviglione uniquement). D’ouest en est, les cavités et zones de la falaise intéressées sont les suivantes (fig. 1) : grotte des Enfants, grotte de Florestan, niche de la paroi près de Riparo Mochi, Grotticella Blanc-Cardini, Grotta del Caviglione, Barma Grande. Nous présentons ici la Grotticella Blanc-Cardini, où les gravures sont les plus nombreuses et le plus denses. Elle se trouve dans le secteur ouest des grottes, entre la grotte de Florestan et Grotta del Caviglione, et plus précisément entre celle-ci, toute proche, et le Riparo Mochi. Fig. 1. Plan des Balzi Rossi, d’après Villeneuve et al. (1906-1919), avec indication des points où se trouvent gravures et autres traces d’art pariétal découvertes à partir de 1971 : 1. Grotte des Enfants ; 2. Grotte de Florestan ; 3. Niche ; 4. Grotticella Blanc-Cardini ; 5. Grotta del Caviglione ; 6. Barma Grande. a Museo Archeologico del Finale, Finale Ligure, Italia – [email protected] b Dipartimento di Scienze dell’Antichità, Università di Roma La Sapienza, Italia – [email protected] Symposium Europe Après les bouleversements liés au tracé de la Via Aurelia, aux fours à chaux, aux carrières, au tracé du chemin de fer, aux fouilles archéologiques, aux constructions modernes, il est difficile de rapporter avec certitude le niveau de base de cette petite grotte aux dépôts anciens. Aujourd’hui, il faut se hisser d’environ 2 m à partir du sentier qui côtoie les pieds de la falaise, ce qui explique en partie la découverte tardive des gravures. Mais cette petite cavité était déjà visible sur des document anciens, à partir d’un tableau de vers 1830 où l’on remarque la Grotticella bien audessus du niveau du terrain d’alors (fig. 2). La fameuse photo de Davanne, publiée dans le Tome I de la monographie des grottes de Grimaldi (Villeneuve et al. 19061919, p. 76, fig. 3), qui date d’avant 1870, montre les grottes et les talus en grande partie encore intacts (fig. 3). Il s’agit d’un moment qui précède de peu le début des déblaiements pour le chemin de fer, au vu des bornes quadrangulaires qui déjà délimitent le futur tracé. Remarquons que les dépôts archéologiques de la Grotta del Caviglione ont alors déjà été « exploités » par F. Forel en 1858, sur 4 m d’épaisseur selon l’évaluation de Rivière (1887, p. 145), sur 5 m d’après celle de l’équipe du prince Albert I (Villeneuve et al. 1906-1919, t. I, pl. XI). On reconnaît l’ouverture de la Grotticella nettement plus haut que le talus. Dans une estampe colorée à l’aquarelle des archives du Musée de Préhistoire régionale de Menton, le dessinateur illustre la toute proche Grotta del Caviglione lors de la découverte de la sépulture, en 1872 (Mussi et al. 2008b, fig. 2). Un groupe de personnages sur la gauche de la grotte couvre l’endroit où s’ouvrirait notre petite cavité, mais il est bien évident, d’après la position des présents, que le sol de cette dernière devait être nettement plus haut. La Grotticella Blanc-Cardini est ensuite bien encadrée dans la Planche X du Tome I de la monographie de Villeneuve et al. (1906-1919) (fig. 4) : en prenant comme échelle sa hauteur, bien connue, l’entrée se trouvait alors à quelques 3 m au-dessus du niveau du talus, à peu près comme aujourd’hui. Au XIXe siècle, elle se trouvait donc tout comme maintenant en position surélevée par rapport au pied de la falaise. Fig. 2. Les grottes des Balzi Rossi en 1830, d’après Fleming (Graziosi 1956). La Grotticella Blanc-Cardini est indiquée par un astérisque. Fig. 3. Les grottes des Balzi Rossi photographiées par Davanne avant la construction de la ligne du chemin de fer, avec les talus encore intacts (Villeneuve et al. 1906-1919). La Grotticella Blanc-Cardini est indiquée par un astérisque. Remarquer les bornes quadrangulaires qui délimitent à deux à deux le futur tracé du chemin de fer, donc déjà proche à être réalisé. Les gravures des Balzi Rossi sont toutes à une hauteur assez constante (fig. 23). À la grotte des Enfants, elles ont été découvertes vers 27 m snm. La niche de la paroi près du Riparo Mochi en comporte sur un replat à une hauteur dépassant de peu celle du sommet de la Grotticella Blanc-Cardini. Dans cette dernière, qui s’ouvre CD-488 VICINO G. & MUSSI M., Grotticella Blanc-Cardini aux Balzi Rossi (Vintimille, Italie) entre 26 et 28 m snm, elles couvrent les parois internes, et débordent vers l’extérieur, où elles sont mal conservées. À Grotta del Caviglione (fig. 4), un cheval et des gravures linéaires se trouvent à 28 m snm. À la Barma Grande, séparée des autres grottes par un éperon rocheux détruit par les carrières (avec Baousso da Torre qui s’y trouvait), gravures et fines incisions ont été localisées entre 20 et 21 m snm. La Grotticella Blanc-Cardini, quant à elle, a d’abord été indiquée comme « Piccolo riparo ad Est dello scavo Mochi » (Vicino 1972), puis comme « Fissure E abri Mochi » (Vicino & Simone 1972), et enfin comme « Abri Blanc-Cardini » (Vicino & Simone 1976). Nous unifions désormais la terminologie en l’appelant « Grotticella Blanc-Cardini » qui, en italien, signifie « petite grotte Blanc-Cardini ». En effet, la forme n’est nullement celle d’un abri, mais bien celle d’une grotte en miniature. Il s’agit d’une étroite fissure karstique, dont le fond rocheux remonte nettement vers l’intérieur, modelé par l’action de la mer en période interglaciaire. Elle est haute de 2,80 m, large de 0,55 m, et profonde de 2,60 m. Un adulte s’y glisse avec une certaine difficulté, puis peut rester debout. Une deuxième personne peut alors pénétrer, puis une troisième, mais il est bien évident que cette toute petite cavité ne se prête aucunement à des présences nombreuses ou à une quelque forme d’habitat domestique. À l’intérieur, il n’y a aucune de trace de sédiment pouvant indiquer, à l’origine, un niveau archéologique. Fig. 4. Grotta del Caviglione à l’époque des fouilles du Prince Albert I de Monaco. Remarquons, sur la gauche de l’ouverture, la Grotticella Blanc-Cardini (astérisque), à une hauteur de 3 m minimum (Villeneuve et al. 1906-1919). Description des gravures Paroi est : les gravures sont concentrées à hauteur d’homme, près de l’entrée, sur approximativement 1 x 1,50 m, là où la paroi est la plus lisse. Il s’agit de quelques 300 signes linéaires, de très fins à profondément repassés et marqués, de verticaux à inclinés, longs jusqu’à plus de 20 cm, mais généralement plus courts. Pour la plus grande part, ils se regroupent autour d’une dizaine de petites niches, trous, fissures, ou autres irrégularités de la paroi, qui se trouvent ainsi bordées, sur un côté seulement (généralement le côté inférieur), par une série de traits rayonnants ou plus ou moins parallèles entre eux (fig. 5-6). CD-489 Symposium Europe Fig. 5. Grotticella Blanc-Cardini, paroi est : exemple de trou et de fissure bordés d’incisions. (Cliché A. Todero.) Fig. 6. Grotticella Blanc-Cardini, paroi est : exemple de gravures profondes et de gravures bordant un angle de la paroi. (Cliché G. Vicino.) De ces motifs généraux se distingue, à l’entrée même de la Grotticella, un motif figuratif allongé, vertical, qui avec ses 23 cm de longueur, est également la plus grande de ces gravures (fig. 7). Il est formé de deux lignes, d’abord sub-parallèles, puis convergentes vers le haut, qui se raccordent par un arc de cercle continu. À l’intérieur de cette figure allongée, ouverte à la base, se place une ligne légèrement CD-490 VICINO G. & MUSSI M., Grotticella Blanc-Cardini aux Balzi Rossi (Vintimille, Italie) ondulée qui en marque l’axe, et qui continue plus bas que les deux lignes d’encadrement latéral. Ces trois lignes sont profondément gravées. Sur la gauche et à 3 cm de la partie supérieure de cet ensemble, une petite figure oblongue est composée de deux lignes en arc de cercle, elles aussi profondément gravées, qui se raccordent en pointe aux deux extrémités et encadrent un petit trou central. La pointe inférieure se continue vers le bas par une ligne plus légère, le tout sur un peu plus de 10 cm. Plus à gauche encore, ainsi qu’en dessous de ces motifs, on remarque quelques autres gravures linéaires très marquées. Nous voyons dans ces deux figures un probable phallus et une possible vulve. Fig. 7. Grotticella Blanc-Cardini, paroi est : probables phallus et vulve. (Cliché A. Todero.) Paroi ouest : les gravures, à hauteur d’homme, se trouvent près de l’entrée, pour la plupart groupées dans une zone de 0,80 x 0,50 m. On compte moitié moins de signes que sur l’autre paroi, mais ils sont plus rassemblés, plus longs – jusqu’à 35 cm -, et généralement plus profonds (fig. 8). On retrouve une petite dépression bordée de brefs signes rayonnants, ainsi qu’un bourrelet naturel de la roche avec deux courtes lignes verticales, mais pour le reste il s’agit de gravures verticales assez bien alignées. Peu nombreuses sont celles qui sont obliques, bien que certaines forment quelques croisillons, inconnus sur la paroi est. Tout à fait vers le fond par rapport à cet ensemble gravé, en dessous du bourrelet avec deux lignes, on remarque l’unique élément figuratif, d’une dizaine de cm de hauteur, profondément marqué (fig. 9). On peut le décrire de manière identique à celui de l’autre paroi : deux lignes qui convergent vers le haut et se raccordent par un arc de cercle continu. Tout à côté, à gauche, un second motif figuratif possible, de même taille et apparence : CD-491 Symposium Europe une forme oblongue, ouverte aux deux extrémités, délimitée par deux lignes qui tendent à former chacune, mais en particulier celle de droite, un arc de cercle allongé, faisant face l’une à l’autre. Au centre, dans l’axe, une troisième ligne divise la figure en deux. Nous voyons ici un deuxième phallus, éventuellement flanqué d’une seconde vulve. Fig. 8. (ci-contre) Grotticella Blanc-Cardini, paroi ouest : les profondes incisions verticales à l’entrée. (Cliché A. Todero.) Fig. 9. (ci-dessous) Grotticella Blanc-Cardini, paroi ouest : profondes incisions, dont un phallus (tout à droite) flanqué à gauche d’une possible vulve. (Cliché A. Todero.) Comparaisons et éléments pour une datation Il convient de considérer les gravures de la Grotticella Blanc-Cardini dans le contexte général de l’art pariétal des Balzi Rossi. Les bordures de niches et fissures soulignées par une série d’incisions radiales se retrouvent dans la grotte des Enfants (inédit), la grotte de Florestan (Vicino & Simone 1972), Grotta del Caviglione (Vicino 1972), Barma Grande (Vicino 1976-1978). Des gravures linéaires ont été reconnues dans ces mêmes grottes, ainsi que dans la niche de la paroi près de Riparo Mochi. L’âge de ces incisions ne peut être déterminée que par approximation, car les fouilles ont eu lieu bien avant que l’on ne les reconnaisse, et le plus souvent avec des méthodes très approximatives. D’une façon générale, dans le secteur ouest des grottes, donc en excluant la Barma Grande qui s’ouvre au-delà d’un éperon rocheux, les gravures se trouvent à 26-28 m snm. Tant à la grotte des Enfants qu’à Grotta del Caviglione, désormais vidées de tout dépôt archéologique, des échelles ou échafaudages importants sont maintenant nécessaires pour accéder à la zone où elles sont présentes. Durant le Pléistocène supérieur, par contre, le remplissage qui alors existait en rendait l’accès aisé, du moins à partir de certains niveaux. CD-492 VICINO G. & MUSSI M., Grotticella Blanc-Cardini aux Balzi Rossi (Vintimille, Italie) À la grotte des Enfants, la position des incisions par rapport aux couches indiquées dans la coupe de Villeneuve et al. (1906-1919) suggère qu’il aurait été difficile de les produire avant le « foyer » D, donc avant l’Épigravettien final selon les auteurs italiens, ou le Bouvérien selon les auteurs français (Mussi 2001 ; Onoratini & Da Silva 1978 ; Palma di Cesnola 1983). Ce niveau se trouve au-dessous du « foyer » C, avec la sépulture éponyme des « Enfants », dont la datation directe a donné 11 130 ± 100 BP non calibré (Henry-Gambier 2001). Le « foyer C », est à son tour surmonté par le « foyer B », pour lequel il existe une date 14C de 12 200 ± 400 (Thomeret & Thommeret 1973) – mais cette dernière est sujette à caution, car elle a été faite sur des coquillages marins, ce qui pourrait en vieillir l’âge réel et expliquer cette inversion des résultats 14C. Une industrie de l’Épigravettien final ou du Bouvérien se retrouve également dans le niveau A du Riparo Mochi, tout proche de la Grotticella, alors que le niveau B, sous-jacent, est pratiquement stérile, et qu’il est séparé par une importante phase d’érosion du niveau C, à industrie gravettienne (Blanc 1938). C’est justement à partir du niveau A qu’il serait le plus facile de grimper dans la petite grotte, À Grotta del Caviglione, les gravures, qui comportent entre autres une figure de cheval et un triangle pubien, se trouvent à 3 m au-dessus du début des fouilles de Rivière, qui reprit la grotte après les 4 à 5 m de déblayages effectués par Forel (Vicino 1972). On ne sait rien du résultat des recherches de Forel, mais Rivière (1887) souligne que la sépulture, que nous savons aujourd’hui être gravettienne, était à 2,50 m de profondeur par rapport à la surface qu’il avait lui-même trouvée au départ. Donc les gravures sont de 5 à 6 m au-dessus d’un niveau certainement gravettien. De ce qui se trouvait au-dessus de cette sépulture nous ne savons que très peu, mais, parmi ce que Rivière illustre, il y à une pointe à cran bien typique (1887, fig. 40, p. 162) qui indique, pour le moins, de l’Épigravettien ancien. On ne peut que soupçonner la présence d’Épigravettien final dans la partie supérieure de cette stratigraphie, aujourd’hui perdue. Enfin, nous avons l’information provenant de la Barma Grande qui, dans une position un peu différente, celle du secteur est des grottes, comporte des gravures à 20-21 m snm. Ces dernières se trouvent au niveau d’un témoin conservé en paroi qui, lors d’un nettoyage, a fourni un peu d’industrie lithique, dont des microgravettes (Vicino 1981). L’art pariétal précède donc la déposition de niveaux pouvant appartenir au Gravettien tout comme à l’Épigravettien. À la Barma Grande, le niveau des sépultures gravettiennes est connu, à partir d’un point de repère constitué par des clous en paroi, implantés par S. Bonfils au XIXe siècle. La fameuse Triple Sépulture, découverte en 1892 par le carrier Abbo, à 2-3 m de distance de la verticale du témoin en paroi, se trouvait à –8 m sous ce niveau-repère (Mussi 1986 ; Mussi et al. 2008b), et à –3 ou –4 m sous les gravures. Les niveaux du Gravettien, dont nous ignorons malheureusement l’épaisseur, ne semblent donc pas se rapporter à celles-ci de façon satisfaisante, et seraient trop anciens comme élément datant. Au vu de la typologie lithique, la partie la plus haute de la stratigraphie comportait de l’Épigravettien ancien et de l’Épigravettien final (Bolduc et al. 1996). Remarquons ici que nous n’acceptons pas la classification tripartite de l’Épigravettien italien faisant état d’un Épigravettien évolué entre l’Épigravettien ancien et l’Épigravettien final (pour une discussion de l’Épigravettien évolué, jamais défini de façon satisfaisante, voir Gioia et al. 2003). Hors des Balzi Rossi, on trouve des bords de fissures et de trous, ou des angles de paroi, soulignés de files de gravures linéaires, à Caverna delle Arene Candide, CD-493 Symposium Europe toujours en Ligurie (Mussi et al. 2008a) ; à Grotta Paglicci dans les Pouilles (Palma di Cesnola 2003) (fig. 10) ; à la Grotta Armetta en Sicile (Graziosi 1973) (fig. 11A). À Caverna delle Arene Candide et en Sicile, il s’agit d’éléments que l’on peut rapporter à l’Épigravettien final et aux deux-trois derniers millénaires du Tardiglaciaire. À Grotta Paglicci, un gros bloc a été trouvé dans les niveaux 8-9, datés de 15 270 ± 220 et 15 460 ± 220 BP non calibré. Il comporte des gravures linéaires qui, de par leur position, doivent être d’un âge précédant l’effondrement du bloc. Là où il s’est détaché de la paroi, on trouve les gravures mentionnées plus haut (fig. 10), celles qui soulignent les angles, et qui doivent donc être plus anciennes que les niveaux datés au sol. Fig. 10. Incisions verticales, et incisions soulignant l’angle du bord de la paroi, à Grotta Paglicci. (D’après Graziosi 2003, sans échelle.) D’autres gravures verticales, parfois en groupes profondément marqués, qui rappellent la Grotticella et que Graziosi (1973) date de la fin du Paléolithique, se trouvent dans le nord de la Sicile : Grotta della Za Minica, Montagnola di S. Rosalia, Grotta delle Giumente, Grotta Giglio (fig. 11B), Grotta di San Teodoro (fig. 11C) – cette dernière également avec un important remplissage de l’Épigravettien final. En Calabre, à Grotta del Romito, Graziosi en illustre d’autres encore, couvertes par un dépôt archéologique à industrie de l’Épigravettien final. Les représentations de phallus, par contre, manquent complètement du reste du répertoire italien. Quant aux vulves, il n’y à que celles gravées sur les parois de Grotta Romanelli dans les Pouilles (Blanc 1930), et celles de Grotta di Pozzo (Mussi 2010 et ce CD), réalisées par des techniques et dans un style tout à fait différent de celui de la Grotticella. Dans les deux cas il s’agit d’éléments que l’on peut dater, respectivement, vers 10-12 000 BP et vers 12-13 000 BP, en dates 14C non calibrées. Le triangle pubien de Grotta del Caviglione, mentionné plus haut et d’âge probablement tardiglaciaire, est également à rappeler. CD-494 VICINO G. & MUSSI M., Grotticella Blanc-Cardini aux Balzi Rossi (Vintimille, Italie) Fig. 11. Incisions rayonnantes (A) et verticales (B, C) de sites siciliens : A. Riparo Armetta ; B. Grotta Giglio ; C. Grotta di San Teodoro. (D’après Graziosi 1973, sans échelle.) Discussion et conclusion Avec un peu d’habileté, on pouvait certes escalader les parois à partir de niveaux du Gravettien et de l’Épigravettien ancien, sur les quelques mètres nécessaires pour atteindre la partie de la roche où nous trouvons aujourd’hui les gravures. Les données disponibles, toutefois, indiquent bien que l’accès aux parois décorées, et en particulier à celles de la Grotticella Blanc-Cardini, n’est devenu aisé qu’à la fin du Tardiglaciaire, au moment de la formation des niveaux de l’Épigravettien final. Tout au plus, une phase avancée de l’Épigravettien ancien peut aussi entrer en ligne de compte. Ce même encadrement chronologique ressort des comparaisons effectuées avec d’autres grottes ornées italiennes. Ces données, dans leur ensemble, suggèrent pour les gravures de la Grotticella Blanc-Cardini un âge compris dans la fourchette 10-16 000 BP non calibré, donc 12-19 000 BP cal. en âge réel. Cette petite grotte a toujours été d’accès un peu compliqué, mais, surtout, elle a bien peu à offrir : étroite, avec un plancher qui remonte vers le fond, elle ne permet pas à qui s’y trouve de se mettre dans une position confortable (comme le sait fort bien qui y a effectué des relevés ou des photos !). S’y allonger est possible, mais la sensation de glisser au dehors persiste, étant donné l’inclinaison du sol. Les dimensions exiguës permettent à un grand maximum de trois adultes de s’y tenir debout au même moment, à condition de rester collés l’un à l’autre. Il n’est pas surprenant de n’y trouver aucune trace d’un éventuel dépôt archéologique, même pas dans les fissures qui pourraient en avoir conservé. La fonction de la Grotticella n’est donc ni de type domestique, ni liée à des activités pratiques. Elle est à encadrer dans le système tout entier des Balzi Rossi, pris dans son ensemble. À la fin du Pléistocène, la falaise qui faisait face à la plaine côtière comportait une série de grottes et abris utilisés et habités : sur 250 m de long, ils étaient six au minimum, de la grotte des Enfants, à la grotte de Florestan, à Riparo Mochi, à Grotta del Caviglione, à Barma Grande et à Baousso da Torre. Les traces d’activités domestiques sont bien documentées, et il ne fait aucun doute que c’était un lieu privilégié, occupé à de très nombreuses reprises. La découpe en « sites » faite aujourd’hui est probablement artificielle : ils pouvaient fort bien correspondre, au CD-495 Symposium Europe fil des changements du milieu naturel et des industries lithiques, à un unique habitat, occupé partiellement ou totalement en des moments divers, avec des zones d’activités spécialisées. La Grotticella Blanc-Cardini s’en détache par son accès peu aisé, ses dimensions très restreintes, l’absence d’évidence autre que celle liée à la gravure des parois. C’est en quelque sorte le camarin des Balzi Rossi. Force est d’y voir les traces d’une activité spécialisée, relevant du registre symbolique et rituel. Les quelques éléments figuratifs – phallus, vulves – sont répétés côte à côte sur les deux parois, qui renvoient le même message, une fois depuis l’entrée, une autre depuis l’intérieur. Ce symbolisme sexuel très net est renforcé par la forme même de la Grotticella, dont l’ouverture évoque celle d’une vulve béante sur la falaise (fig. 4). Dans bon nombre de cas, sur la paroi ouest mais aussi sur la paroi est, l’importance de l’incision indique une activité prolongée dans le temps, et/ou de nombreux retours pour rafraîchir et marquer à nouveau, plus profondément, des traits pré-existants. Bien entendu, le but pour lequel ces symboles ont été gravés se situe au-delà des limites de notre compréhension, mais il est évident que tout rite qui pouvait y avoir lieu était le fait d’une ou, tout au plus, de deux personnes ayant l’espace suffisant pour étendre le bras et tracer les gravures. BIBLIOGRAPHIE BLANC A.C. 1938. — Nuovo giacimento paleolitico e mesolitico ai Balzi Rossi (Baùssi Rùssi) di Grimaldi. Rendiconti della R. Accademia Nazionale dei Lincei (Cl. Sc. Fis. Mat. Nat.), ser. VI, 28, p. 1-7. BLANC G.A. 1930. — Grotta Romanelli. II. Dati ecologici e paletnologici. In : Atti della I° Riunione dell'Istituto Italiano di Paleontologia Umana, p. 365-518. BOLDUC P., CINQ-MARS J., MUSSI M. 1996. — Les figurines des Balzi Rossi (Italie) : Une collection perdue et retrouvée. Préhistoire Ariégeoise, Bulletin de la Société Préhistorique de l’Ariège, LI, p. 15-53. GIOIA P., MUSSI M., ZAMPETTI D. 2003. — L'Épigravettien italien et la chronologie au Carbone 14. 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