La Part d`ombre et la Presse
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La Part d`ombre et la Presse
La Part d’ombre et la Presse ELLE A LU : LA PART D’OMBRE Des dessins de fou ! pensent les enfants des peintures qu’esquisse et peaufine inlassablement leur mère. Des dessins qui contiennent tous ses silences et cette part d’ombre qui échappe à ses enfants. Eux retrouvent en Nora la mère seulement, « une voix, des gestes, une odeur trop longtemps confondus avec le plaisir des repas, la chaleur du lit, le sommeil, la maison, comme elle un lieu où s’abriter pour grandir ». Quelle femme est-elle ? Qui était-elle avant la naissance des enfants ? Quelle adolescente, quelle amoureuse ? Quels étaient ses désirs, quels ont été ses fêlures, ses révoltes, ses renoncements ? Elle peint, mais personne n’a jamais prêté attention à ses grandes feuilles blanches, si ce n’est les enfants pour y gribouiller, dès qu’ils ont pu tenir debout sur leurs jambes. Dans l’espace dilaté par le silence de sa maison encoconnée par la neige qui tombe inlassablement, Nora dialogue avec une morte, rassemble sa vie autour d’elle, se réconcilie avec ses sentiments, cherche un sommeil libérateur. Ce chemin intime à travers angoisses, déceptions, silences, bonheurs, désirs refoulés, le compte de cette –1– mise à nu, nous est conté par la Neuchâteloise Sylviane Chatelain dans son premier roman La Part d’ombre, en demi-teinte et en accords mineurs, feutrés par la neige qui tombe sur le village de Nora pendant les longs hivers jurassiens. Petit à petit, le puzzle de cette vie intérieure nous est révélé, par touches énigmatiques, dont la cohérence s’ordonne peu à peu et implose. Nora part dans la neige qui recouvre ses pas, sur les traces de cette jeune femme morte d’avoir glissé ou de s’être jetée au bas de la carrière, personne ne le saura jamais. N ICOLE M ÉTRAL 24 Heures, 1988 LA PART D’OMBRE « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver », et c’est de nouveau la neige qui fait le lit d’un roman jurassien, La Part d’ombre, de Sylviane Chatelain, écrivain de Saint-Imier, auteur déjà en 1986 d’un recueil de nouvelles. La neige, elle ouvre et clôt ce bref bouquin, pas deux cents pages, si l’on peut appeler « clôture » une fin de récit qui pénètre l’infini. Elle coule aussi dans la mémoire et les jours de Nora, veuve, solitaire, obsédée par la mort de Maud, apparemment un suicide, mais peut-être bien un meurtre ou un accident. Fait-elle d’ailleurs vilaine besogne ou œuvre de justice en essayant de percer ce mystère ? Et ce fils, cet enfant surgi du néant, appellet-il à l’aide ou offre-t-il du secours ? S’agit-il d’ailleurs bien du fils de Maud, ou de cet autre garçon, ce Michel, dont l’image est restée prisonnière du laurier, après que son corps a roulé sous le camion ? Nora n’est même plus sûre du nom de Maud, –2– qu’une vieille femme impotente et tyrannique qui l’a connue appelle « Ève ». Mais Ève, n’est-ce pas son nom à elle ? Nora, dans l’effort pour sortir du doute, se souvient, et mène en fait le deuil de ses amours. La mère, la tante, Andreas, Germain qu’elle a vu partir sans même prendre sa main ; Florence et Pauline, filles dissemblables et également problématiques, et même Maud, avec son Jean qui ne l’aurait donc pas aimée, une autre femme, Adrienne. Nora se cherche dans l’étouffement blanc des choses de la vie. La Part d’ombre serait donc un livre sur les saisons et les jours dans le fleuve des lentes méditationsconfidences qui font les histoires de vie ; un livre de plus de mère de famille relatant le labyrinthe des peines et des joies cachées derrière la fleur d’oranger – Sylviane Chatelain a bien quatre enfants. Mais il y a la planche à dessin. Elle est là tout de suite, derrière la neige de la première page, et, après un exil inquiet, elle constitue encore le dernier chemin traversant la dernière page. La planche et son papier dont le blanc vibre doucement sous l’archet de la mine de plomb. Car Sylviane Chatelain a bien quatre enfants, mais aussi un apprentissage des arcanes visuelles et littéraires : elle monte son roman selon une architecture de correspondance entre flou et clair, connu et intuitif, doute et décision qui mène son héroïne par la fièvre des questions moites et embarrassées au choix limpide d’une autre vie. L’œuvre développe là une belle dimension d’accomplissement, qui la porte au-delà des morceaux du genre. Quelques trouvailles d’écriture, mais surtout le ton, virtuose en désarroi retenu, aident à franchir les premières parties du bouquin dont le découpage temporel pourrait de prime abord déconcerter. Mais c’est –3– bien d’un chaos que Nora finit par sortir : il fallait donc le manifester. C HRISTIANE G IVORD L’Express, 1988 SOUS LES NEIGES Sylviane Chatelain, de Saint-Imier, vient de publier son premier roman, La Part d’ombre, chez l’éditeur Bernard Campiche. On lui devait un premier recueil de nouvelles très remarqué par la critique, Les Routes blanches, paru aux Éditions de l’Aire. Elle vient aujourd’hui de publier, chez Bernard Campiche, un premier roman. Sylviane Chatelain, de Saint-Imier, dépeint, avec une délicatesse extrême, le monde intérieur de Nora, une femme âgée. La Part d’ombre, tel est le titre de ce beau roman du silence, de l’hiver et de la solitude de l’âge. Native de Saint-Imier, Sylviane Chatelain, après des études à l’École des arts décoratifs de Genève, au Gymnase du soir de Lausanne et à la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel, a aujourd’hui retrouvé son pays. Un pays qui, malgré des années de vie du côté du Léman, marque singulièrement la forme et le fond de ses écrits. Silence et solitude de la neige La Part d’ombre, le premier roman de l’auteur, mais pas son premier livre, débute « derrière la fenêtre », à l’intérieur d’une maison où vit une femme seule à la recherche d’elle-même, d’un autre temps, passé ou futur. Dehors il neige. Avec les flocons laineux, c’est un rideau de silence qui se tisse. Derrière cette fenêtre, ce rideau, –4– Nora, face à une feuille, tente de retracer les lignes maîtresses de sa vie. Nora est seule, mais elle reste habitée. Habitée par des voix, des visages, des images. Au travers d’eux, une autre Nora tente de retrouver son chemin, celui qu’elle a manqué peut-être, un jour. Rêve et réalité peu à peu se confondent sur la toile du silence. Et c’est sans doute cet enchevêtrement d’événements mis bout à bout qui permettra à Nora, l’heure venue et acceptée, de retrouver sa propre respiration, pour ébaucher ses derniers pas. Le non-dit Par le biais de son héroïne, Nora, Sylviane Chatelain dit la difficulté de ne pas s’échapper, dans un pays où le temps, celui de la neige et de son silence, ont trop tôt fait de tout étouffer. Elle dit une femme surprise par l’âge, loin des siens, absente d’elle-même. Nora se découvre de l’intérieur, comme le paysage se devine sous la neige. Le lecteur, au fil des pages, entre en Nora, épouse sa solitude : « Et le silence posait ses mains lourdes sur les épaules de Nora, sur ses cheveux. » C’est que l’auteur travaille d’une plume précise, extrêmement délicate. Mais Sylviane Chatelain n’affirme rien, ne referme aucune porte, ne prétend à aucune vérité toute faite. Son récit avance imperceptiblement, sourdement, au rythme de Nora. C’est à un voyage sans véritable destination qu’elle nous convie. Avec infiniment de pudeur, de respect et de sensibilité. « Et il faudra tomber, partir seule, être happée par cette obscurité blême, sentir les choses s’éloigner, les gens l’un après l’autre, les corps se détacher du sien, et, aveugle, se raidir, mourir. » Plus loin : « Le ciel est blanc comme les champs. Elle ne sait pas si elle monte ou descend, si elle avance encore. » C ÉCILE D IEZI Le Démocrate, 1988 –5– LA PART D’OMBRE D’où lui vient cette plume charmeuse à l’Imérienne Sylviane Chatelain ? Nos clochers et nos gens, nos sapins et notre Jura en deviennent troublants. La Part d’ombre à lire sans l’ombre d’une hésitation : « Mais qui est-elle ? Qui était-elle avant la naissance de ses enfants ? Jeune, avec Germain, avant lui ? Pauline n’en sait rien. Chaque fois qu’elle s’approche de Nora, c’est sa mère seulement qu’elle retrouve, une voix, des gestes, une odeur trop longtemps confondus avec le plaisir des repas, la chaleur du lit, le sommeil, la maison, comme elle un lieu où s’abriter pour grandir. » Premier roman. La peur d’écrire, la peur de rater, Sylviane Chatelain connaît. « Il a fallu que je sois clouée à la maison par mes enfants pour que je me décide à me lancer », déclare cette Imérienne, démangée par le besoin d’écrire depuis son enfance. À 16 ans, Sylviane Linder quitte Saint-Imier pour Genève et les Arts décoratifs. Le dessin, l’écriture, même combat. Aujourd’hui, par manque de temps, elle a abandonné le dessin. Mais son écriture reste très visuelle, picturale et son héroïne, Nora, n’en finit pas de s’interroger sur la finalité de la création artistique. Retour à Saint-Imier Après les Arts déco à Genève, Sylviane Chatelain se lance dans des études au Gymnase du soir de Lausanne, puis à la Faculté des lettres de Neuchâtel. Études qu’elle interrompt, bébés obligent. Ensuite, retour à Saint-Imier, rue du Soleil, avec son mari et sa tribu (quatre enfants, âgés de 7 à 12 ans, le chien et les chats). –6– Parfaitement organisée, Sylviane Chatelain trouve le temps d’écrire pendant que les enfants sont à l’école, soit cinq à six heures par jour. Dès leur retour, elle pose sa plume. Et tant pis si ses héros sont en plein batifolage. Un mari compréhensif, une mère proche et dévouée font le reste. Les débuts En 1984, une de ses nouvelles obtient le premier prix du Concours littéraire de l’Atelier du Soleil à Saignelégier. Deux ans plus tard paraissent Les Routes blanches (aux Éditions de l’Aire), recueil de nouvelles. Suit, fin 1988, La Part d’ombre, son premier roman édité chez Bernard Campiche. Entre-temps, plusieurs de ses nouvelles sont publiées dans des revues littéraires. Contrairement aux apparences, Sylviane Chatelain se défend d’écrire rapidement : « Je recommence sans cesse une ligne, une page. J’ai mis deux ans à écrire le recueil de nouvelles et trois ans La Part d’ombre. » La Part d’ombre Trois ans pendant lesquels Sylviane Chatelain a vécu avec son héroïne, Nora. Sexagénaire marquée par la perte d’un mari et d’un fils, Nora s’enfonce dans les méandres de la dépression nerveuse. Sans que le mot soit jamais prononcé, le lecteur, mieux qu’un médecin, suit ce lent et douloureux cheminement. Au bord du gouffre, elle s’accroche à son carton à dessins, abandonné depuis sa jeunesse. Et s’invente un monde onirique : « L’espace intérieur de la maison, dilaté par le silence, appartenait à Nora. Elle avait le droit d’y accueillir les morts, les vivants perdus, les enfants éphémères et de tous les retenir à l’intérieur de ses dessins. –7– Ces dessins que Florence a tendus en silence à Pauline, c’était au début de son séjour en clinique, que Pauline, très calme, a regardés l’un après l’autre. Le dernier vu, elle est revenue au premier, troublée. Elle ne se décidait pas à en détacher ses yeux pour faire face à sa sœur. Elles la croyaient endormie. “ Des dessins de fou ” a murmuré Florence “ tu te rends compte ? ” et Pauline a dit qu’elle les trouvait beaux, “ beaux peut-être ” a répliqué Florence “ mais des dessins de fou ”. » C ATHERINE F AVRE Journal du Jura, 1988 LA PART D’OMBRE Jusqu’ici auteur de nouvelles, Sylviane Chatelain publie son premier roman, La Part d’ombre, aux Éditions Bernard Campiche. Titre et dessin de couverture (de l’artiste Silvia Bächli) sont parfaitement explicites, tant sur le thème que sur la tonalité de l’œuvre. Nora, veuve, mère de deux filles adultes et d’un garçon mort dans un accident, se sent « dépouillée de ce qu’elle a aimé ». Dans sa lutte contre le vertige de l’âme et de l’esprit qui la saisissent lorsqu’elle se penche sur ses défaites et ses renoncements, Nora frôle la folie. La voilà dans une clinique, à repasser le film de sa vie. On la voit découvrir un jour le corps d’une jeune femme que l’on soupçonne de s’être suicidée, puis s’intéresser au petit garçon de cette femme. Sur ces événements se greffe la salvatrice redécouverte du dessin, que Nora pratiqua passionnément dans sa jeunesse : sur le papier surgit parfois « un monde plus vivant que l’autre ». Pour ses filles, Nora est devenue une mère bien difficile à comprendre. Voilà pour le thème. Quant à la tonalité, elle reste comme dans les nouvelles de Sylviane –8– Chatelain, résolument sombre. La neige, décor obsédant, la neige qui serait pour Nora la « parfaite étreinte », c’est aussi la couleur blanche symbole de la mort, comme dans les romans japonais. L’ellipse, le croisement continuel des temps du récit, le glissement imperceptible du réel à l’imaginaire exigent parfois une relecture ; mais cette difficulté passagère n’empêche pas que le lecteur entende avec un serrement de cœur la voix angoissée, hypersensible et pudique de Nora. R OSE -M ARIE P AGNARD Coopération, 1988 LA PART D’OMBRE Derrière le visage que nous présentons aux autres, nos gestes quotidiens, l’activité que nous exerçons, s’écoule notre vie intime : sentiments refoulés, souvenirs vivaces, espoirs et deuils secrets. À la limite du vécu et de l’imaginaire palpite La Part d’ombre qu’évoque Sylviane Chatelain. Nora, son héroïne, a mené l’existence rangée d’une mère au foyer. Endeuillée par la mort d’un fils, devenue veuve à l’approche de la soixantaine et ses deux filles s’étant établies, elle se retrouve dans la maison familiale déserte. Où il lui faut affronter le silence et la solitude. Et, bientôt, la présence qui devient obsédante de cette jeune mère qu’elle voit, de sa fenêtre, partir en promenade avec son petit garçon. Et dont elle découvrira le cadavre, au pied de la falaise. Elle va établir avec la morte et avec l’enfant un dialogue qui sera son unique centre d’intérêt. Comme la jeune femme qui s’est jetée dans le vide, Nora est saisie par le vertige et par l’attrait du temps qui –9– s’ouvre désormais à elle. Seule, elle peut reprendre les crayons et les pinceaux qu’elle avait rangés pour s’occuper de ses enfants et de son ménage. Et se livrer enfin à la passion du dessin à laquelle elle avait renoncé. À la pointe du crayon, elle tend les fils qui retiendront les visages de Maud et de Serge : peu à peu, elle trouve le langage qui lui permet d’atteindre la part d’elle-même qu’elle avait voulu ignorer jusqu’ici. Des dessins que ses filles regardent en silence, dans la clinique où elles font soigner leur mère. « Beaux, peut-être… mais des dessins de fou. » F RANÇOISE DE P REUX Choisir, 1989 LE LIVRE DONT ON PARLE Il y a des livres dont on parle et des livres dont on devrait parler vraiment. La Part d’ombre, le premier roman de Sylviane Chatelain, n’a pas le privilège des premiers, mais mérite largement sa place dans les seconds. Dans une œuvre intimiste, on reste sur le seuil ou bien l’on entre avec délice. Il est alors délicat, presque impudique, de révéler pourquoi l’on a aimé Nora, la femme, qui, sa tâche de mère et d’épouse accomplie, se retrouve seule et cherche à renouer avec une vie qui lui a échappé. Jeune fille douée pour le dessin, mais dont le talent dérange une famille trop conventionnelle et réductrice, elle abandonne plumes et pinceaux pour se consacrer à ses enfants, ces si chers vampires. Paradoxalement, c’est une morte qui la ramène à la vie, alors qu’elle est veuve et solitaire dans son chalet de montagne. Maud a glissé dans un ravin, accident ou suicide ? À travers Serge, le petit garçon que Maud laisse derrière elle, Nora veut comprendre le destin tragique de – 10 – celle qui n’a pas eu son courage, sa patience. Grâce au dialogue qu’elle entretient avec Maud, Nora redécouvre ses propres conflits intérieurs, l’incommunicabilité avec l’homme, cette éternelle attente de l’amour « total » qui ne vient pas. Libérée de ses chimères, Nora acquiert enfin l’indépendance et la plénitude, au mépris des règles que lui dictent ses enfants. Peu à peu, maladroite, elle reprend le dessin. « Nora s’acharne et se perd. La feuille est couverte de traits. C’est un labyrinthe, il faut avancer sans lever la tête, tourner en rond et repartir. Et peut-être n’y a-t-il rien à dire et elle ferait mieux d’aller se promener, elle vieillit, ou d’ôter la poussière qui recouvre les meubles, elle continue, elle doit décider seule si elle a trouvé ou si elle s’est trompée, seule et encore plus si elle refuse de l’être. » Doux paysage de neige, secret comme la vie intérieure, Sylviane Chatelain qui vit à Saint-Imier sait rendre chaud et vivant ce symbole du froid et de la mort. B ERNADETTE P IDOUX La Vie protestante, 1989 LA PART D’OMBRE Erreur fatale ou décision sage ? Devoir fondamental ? Destinée inévitable ? Libre choix ? Incontestable obligation ? Loi tacite et incontournable de la société ? Inconsciente solution de facilité ? Sacrifice admirable et gratuit ? Acquiescement à un désir intime et instinctif ? Peut-être est-elle un oui partiel à toutes ces suggestions. Et un oui à bien d’autres questions encore, informulées. Peut-être… Toujours est-il que le fait, lui, est clair et net. Indéniable : quand une femme devient épouse, et puis maman, s’impose ou se propose le moment de mettre une part d’elle-même au grenier, dans – 11 – une malle, une armoire, n’importe où, quelque part, en attente, en veilleuse. Elle pose des scellés secrets. On croit qu’elle oublie. La poussière estompe ses dernières empreintes digitales. Mais elle n’oublie jamais. Jamais. Un jour, une fois, elle aura de nouveau le temps, l’envie. C’est une certitude, une appréhension ou un espoir, un « plus tard » en réserve, où se réfugier, à l’insu de tous, quand passé ou présent lui broyent les épaules. Un jour elle recouvrera sa disponibilité à elle-même, à ses appels intérieurs, son égoïsme créatif, ses défoulements insoucieux. Alors elle ressortira ses pinceaux, sa plume, sa passion intacte pour… son goût inaltérable de… sa folie intouchée des… fourmis dans les jambes… etc. Cependant, entre le moment où elle a mis de côté cette part d’elle-même et celui où elle décide de la ressortir de l’ombre, il y a toute une existence, un mari, des enfants, des fulgurances de bonheur, des zébrures dramatiques dans le ciel, des quiétudes ouatées, des luttes ravageuses ou enivrantes. Du temps. Tant de temps. La serrure a rouillé. Les gonds grincent. Les araignées ont tissé. Il faut dégripper. Elle s’y blesse, les doigts, les yeux, le cœur. L’âge, qui est maintenant bien là, n’arrange rien. Mais l’obstination sourde, la détermination, en aura raison. Et la renaissance a lieu. Fantastique. Quand bien même elle coûte au préalable une plongée dans les abysses d’une forme de démence, de l’incompréhension des proches, dans l’antre fangeuse des souffrances inexplicables, les zones effrayantes d’un tréfonds jamais sondé. Quand bien même elle sera soudain jugée comme irrévérencieuse à l’égard de tout et tous… Qu’importe. La victoire est au bout, décernant à la femme ce qu’on peut appeler une revanche, une récompense, sa part de cadeau indispensable à l’équilibre de son existence. Nora a vécu tout ça. Nora, comme presque toutes les femmes. Qui – 12 – aurait cru, pourtant ? Surtout pas ses enfants. Seule Pauline a peut-être deviné. Dans La Part d’ombre, son premier roman, Sylviane Chatelain raconte remarquablement bien ce cheminement, cette épopée de l’être féminin. Son style s’avère d’une limpidité irisée d’originalité. Si la neige est omniprésente dans son livre, fraîche, apaisante, nivelante, voluptueuse, les mots, eux, s’y découpent d’autant plus nets, comme ces traces animales à l’aube, sur la blancheur, fascinantes, attirantes. La structure narrative est très personnelle, ose se jouer des règles de la chronologie, tout en obéissant malgré tout à une logique aussi solide que particulière, ce qui permet au lecteur de s’orienter sans peine aux croisements du rêve et du réel, de l’imparfait et du futur antérieur. Sylviane Chatelain, par cet ouvrage, a abordé le thème extrêmement délicat des deux pôles de la femme, de la difficulté merveilleuse de son épanouissement, partagée qu’elle est entre les appels impérieux d’un instinct de maternité, et ceux tout aussi impératifs de ses aspirations personnelles, qu’elles soient artistiques, professionnelles, sportives ou autres. Elle a su l’aborder avec une finesse appréciable, sans juger, sans militer dans un sens ou dans l’autre, sans perdre son temps et ses pas dans les labyrinthes de la psychanalyse. Elle a su décrire de l’intérieur ce qui se vit à l’intérieur, ce qui ne doit s’affubler ni d’étiquetage, ni de recettes, ni d’ambitions dissectrices. C ATHERINE B ALLESTRAZ Journal du Haut-Lac, 1989 LA PART D’OMBRE Deux étapes importantes dans la vie de Sylviane Chatelain : des études à l’École des arts décoratifs de – 13 – Genève et celles faites à la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel. Entre la main qui dessine et reproduit le monde vu et ressenti, et la main qui tient la plume et transcrit ce monde par les mots, il y a dans le roman convergence, parfois presque fusion : le dessin est trait, ligne, épure rapide, brisure, reprise, lente construction de formes, d’ombres qu’il faut deviner, interroger et dont le sens n’est pas immédiat. L’écriture, le style de la romancière, la construction du récit, les interruptions, le jeu entre l’imaginaire et le réel (mais encore quel réel ?) tissent une ordonnance de signes dont le sens n’est jamais donné. Dessin et écriture jouent avec cette ombre qui fait que le réel de l’existence du monde ne nous est jamais révélé à l’état brut, dans une transparence immédiate. Le roman a pour titre La Part d’ombre que nous aurions lu comme un roman psychologique. L’auteur, comme un bienveillant deus ex machina, aurait peu à peu gommé les ombres, redessiné les contours des surfaces et empli celles-ci de couleurs bien choisies, sous l’œil intéressé du lecteur. Ce qui donne valeur à ce roman, c’est cette persistance de l’ombre comme dimension indépassable de l’existence ; non point une ombre que la connaissance des ressorts psychologiques peut éclairer et défaire, mais une ombre constitutive de l’existence et dont le roman ne dévoile pas la racine, l’enracinement : ombre comme symbole de péché ? Ombre comme absence de Dieu dans le ciel vide de Bergman ? Ombre de la folie et de la désespérance ? Ou ombre de l’indépassable solitude de l’homme ? Le mérite du roman est de ne pas être thèse, démonstration. Il demeure épure de significations possibles et le récit ne mène pas à la vérité ou à une vérité. – 14 – L’ensemble des thèmes est traité de même façon : le dévoilement lent du réel qui nous échappe souvent, la dialectique de la proximité et de la distance affective aux autres, la difficulté de saisir les motifs qui conduisent nos actions, l’usure du temps, la maladie, la mort, l’enfance et les nostalgies qu’elle fait naître en nous parce que la nôtre a perdu de sa force dans nos souvenirs, et surtout cette volonté farouche de tenter de reconstruire le sens évident et transparent de la vie à partir des signes, le décryptage des carnets en étant une illustration. Les moments de joie sont rares, plus encore les temps où la conscience se laisse submerger par le plaisir : souvenir pudique d’un amour ancien, complicité difficile avec l’enfant, immersion dans une nature qui enserre et dont les traits s’effacent, dévorée qu’elle est par le brouillard et la neige. On ne résume point le roman de Sylviane Chatelain : l’abondance des personnages, l’absence de linéarité du récit rendent une telle entreprise illusoire. Le roman se découvre lentement et il révèle alors une tonalité particulière : entre vie et mort, dans une large thématique et dans une sensibilité qu’illustre un grand nombre d’œuvres d’auteurs de nos régions. C LAUDE M ERRAZI Journal du Jura, 1989 LA PART D’OMBRE Ce roman, paru en 1988, a été couronné par deux prix littéraires. Il nous fait entrer dans le monde de Nora, la soixantaine, vivant seule dans une maison retirée. Mais entre la maison et le chemin qui mène au village, il y a un vieux mur marqué par les générations, qui abrite du – 15 – vent, des regards ; limite entre le dedans et le dehors, entre Nora et les autres. Ce vieux mur fut aussi pour Serge, 6 ans, une invitation à grimper et marcher dessus, puis sauter de l’autre côté, chez elle, et faire sa connaissance. De là se déroule et se tisse le récit. Nora essaie de comprendre la disparition de la mère du petit garçon. Elle fouille dans sa mémoire, s’interroge, qui était cette femme ? Et elle, à cet âge, qui était-elle ? Heureusement, elle a ses crayons, ses couleurs. Elle dessine, esquisse des portraits, des paysages et tout remonte : sa jeunesse, Germain qu’elle ne voulait pas épouser, ses trois enfants, leur départ, la maison vide, l’attente… Sylviane Chatelain fait glisser sa plume comme Nora son crayon. Elle esquisse l’essentiel, la vie, la maladie, la mort, la solitude. Les gestes d’une femme, ceux d’hier et d’aujourd’hui. Les images prennent forme, elles sont juste suggérées, puis la romancière passe à un autre croquis, un autre événement. Le lecteur est entraîné dans les traits, les courbes, les ombres d’une vie, celle d’une femme, de sa famille, de son monde. Roman d’une grande sensibilité, équilibre entre la nature et les êtres, les mots et le silence, la vie et la mort. Et si vous avez été séduits par l’écriture et la poésie de cette écrivaine, si vous avez franchi le mur, laissezvous glisser dans son dernier roman, Le Manuscrit, paru en 1994 chez le même éditeur. L’Éducateur, 1994 – 16 – DU MÊME AUTEUR LES ROUTES BLANCHES Nouvelles Lausanne : Éditions de L’Aire, 1986 L A P A RT D’OMBRE Roman Yvonand : Bernard Campiche Éditeur, 1988 Prix Hermann-Ganz 1989 de la Société suisse des écrivaines et écrivains Prix 1989 de la Commission de littérature française du Canton de Berne Traduction : S C H AT T E N T E I L Traduit par Barbara Traber Berne : Éditions Hans Erpf, 1991 Publié en feuilleton dans la Neue Zürcher Zeitung D E L’ A U T R E CÔTÉ Nouvelles Yvonand : Bernard Campiche Éditeur, 1990 Prix Schiller 1991 LE MANUSCRIT Roman Yvonand : Bernard Campiche Éditeur, 1993 – 17 – Traduction : DAS MANUSKRIPT Traduit par Yla M. von Dach Berne : eFeF Verlag, 1998 L’ É T R A N G È R E Nouvelles Orbe : Bernard Campiche Éditeur, 1999 LE LIVRE D’AIMÉE Roman Orbe : Bernard Campiche Éditeur, 2002 Prix Bibliothèque Pour Tous 2003 Prix 2004 de la Commission de littérature française du Canton de Berne – 18 –