Le cœur et la broncho-pneumopathie chronique

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Le cœur et la broncho-pneumopathie chronique
J Fran Viet Pneu 2012; 03(06): 1-50
 2012 JFVP. All rights reserved. www.afvp.info
JOURNAL FRANCO-VIETNAMIEN DE PNEUMOLOGIE
Journal of French-Vietnamese Association of Pulmonology
REVUE GENERALE
Le cœur et les bronchopathies chroniques obstructives BPCO
The heart and chronique obstructive pulmonary diseases - COPD
P. Cuvillier1, C. Duong-Ngo2, S. Duong-Quy3
1:
Centre Hospitalier Denain, Polyclinique Vauban Valenciennes et Cabinet Médical Casanova Denain
2:
Faculté de Médecine Paris Descartes - France
Service de Physiologie-Explorations Fonctionnelles. Hôpital Cochin - Paris
3:
SUMMARY
The cardiologist is often asked to find out a cardiac involvement in case of increased dyspnea in respiratory failure.
The appreciation of the right cardiac repercussions ("chronic pulmonary heart disease" for the classical concept, and
"pulmonary hypertension" for the modern concept) is difficult. However, its estimate is crucial because it marks a
milestone in the development of respiratory disease and as a condition to establish the specific treatments.
Pulmonary hypertension (PH) is a complex disease with poor prognosis. In current recommendation, PH is classed in five
groups and one subgroup. In group 3, PH associated with chronic obstructive pulmonary disease (COPD) is a common
form. It is associated with a high mortality due to right ventricular dysfunction. The specific pharmacology treatment is
proposed principally to patients in group 1. In the treatment of PH, realization of registry, early diagnosis, and improved
functional class are the main objectives.
KEYWORDS: COPD, pulmonary hypertension, right heart, right heart catheterism, vascular remodelling
RESUME
Le cardiologue est souvent sollicité pour rechercher une participation cardiaque en cas de majoration de la dyspnée d'un
insuffisant respiratoire.
L'appréciation du retentissement cardiaque droit (« cœur pulmonaire chronique » des classiques et « hypertension pulmonaire » des modernes) est difficile, son estimation est pourtant primordiale puisqu'elle marque un tournant dans l'évolution de la maladie respiratoire et qu'elle conditionne l'instauration de thérapeutiques spécifiques.
L’hypertension pulmonaire (HTP) est une pathologie complexe de pronostic sombre. Selon la recommandation actuelle,
l’HTP est classée en cinq groupes et un sous groupe. Dans le groupe 3, l’HTP associée à la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) est une forme fréquente. Elle est associée à un taux élevé de mortalité dû au dysfonctionnement
ventriculaire droit.
Le traitement pharmacologique spécifique est principalement proposé aux patients du groupe 1. Dans la prise en charge de
l’HTP, la réalisation d’un registre national, le diagnostic précoce et l’amélioration de la classe fonctionnelle sont les principaux objectifs.
MOTS CLES: BPCO, hypertension pulmonaire, cœur droit, cathétérisme cardiaque droit, remodelage vasculaire
Auteur correspondant: Dr Patrice CUVILLIER. Centre Hospitalier Denain. 59220 Denain Cedex, France
E-mail: [email protected]
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LE COEUR ET LES BPCO
INTRODUCTION
l’inflammation systémique est maintenant évoqué.
Le cardiologue est souvent sollicité pour rechercher
une participation cardiaque en cas de majoration de
la dyspnée d'un insuffisant respiratoire. L'appréciation du retentissement cardiaque droit (« cœur pulmonaire chronique » des classiques et « hypertension
pulmonaire » des modernes) est difficile, son estimation est pourtant primordiale puisqu'elle marque un
tournant dans l'évolution de la maladie respiratoire
et qu'elle conditionne l'instauration de thérapeutiques spécifiques.
Caractéristiques de l'HTP des BPCO
Sa caractéristique principale est d'être modérée (20 à
35 mm Hg de PAP moyenne au repos). Ceci rend le
diagnostic clinique difficile et l'apparition des signes
droits est tardive, le diagnostic non invasif est aussi
délicat.
Le cardiologue est aussi mis à contribution pour
estimer l'état cardiaque d'un patient soumis à un
certain nombre de facteurs de risque au premier
rang desquels on retiendra le tabagisme et l'obésité.
Les patients atteints de BPCO présentent en effet un
risque élevé de maladies cardiovasculaires et notamment de pathologie coronarienne, d'hypertension
artérielle et de troubles du rythme. Les mécanismes
en cause sont multiples, les symptômes de la
pathologie cardiaque sont parfois masqués par la
maladie respiratoire et les effets des traitements
respectifs des deux pathologies sont parfois
contradictoires.
Le pneumologue devrait être plus souvent interpelé
par le cardiologue puisque la BPCO est un facteur
aggravant des maladies cardiovasculaires et devrait
être systématiquement recherchée lors de tout bilan
cardiovasculaire chez les sujets à partir de 40 ans et
ayant fumé plus de 10 paquets-années.
LE RETENTISSEMENT CARDIAQUE DROIT DE
LA BPCO - L'HYPERTENSION PULMONAIRE
Définition
L'hypertension pulmonaire (HTP) est habituellement
définie par une élévation de la pression artérielle
pulmonaire (PAP) moyenne au-delà de 25 mm Hg.
Une valeur seuil plus basse à 20 mm Hg est communément retenue en cas de pathologie respiratoire
chronique puisque toujours anormale dans ce
contexte et correspond à 35 mm Hg de pression
systolique.
La prévalence de l'HTP comme complication d'une
BPCO est mal connue mais pourrait atteindre 30%
selon les séries et les méthodes d'évaluation.
Certains patients présentent néanmoins une HTP
disproportionnée où l'essoufflement est majeur et la
PAP moyenne dépasse 35 mm Hg alors que les
perturbations ventilatoires sont modérées. Le
pronostic est rapidement défavorable.
Le diagnostic clinique est souvent tardif et les
signes peu spécifiques
 La majoration de la dyspnée d'effort et la fatigue
caractérisent bien plus la BPCO que l'HTP.
 Les œdèmes des membres inférieurs ne sont pas
spécifiques (ils peuvent témoigner d'une insuffisance
ventriculaire droite mais sont souvent le reflet d'une
rétention hydro-sodée d'origine hormonale et/ou
rénale) et surviennent tardivement après l'apparition
de l'HTP.
 Même si ces signes sont souvent absents ou tardifs,
il faut rechercher de principe en bon clinicien un
reflux hépato-jugulaire,
un signe de Harzer
(perception d'un choc de pointe au creux épigastrique par hypertrophie du ventricule droit), un éclat
de B2 au foyer pulmonaire, un murmure diastolique
pulmonaire au foyer parasternal gauche et un souffle
d'insuffisance tricuspidienne majoré en apnée postinspiratoire (signe de Rivero-Carvalho), une ascite.
 Il faudra aussi garder à l'esprit et en période de dé
compensation de la maladie respiratoire, l'éventualité d'une embolie pulmonaire (tachycardie, état de
choc, une turgescence des jugulaires) et ne pas hésiter à demander les examens urgents spécifiques
(scintigraphie pulmonaire de ventilation et de perfusion et/ou angio-scanner).
Les examens complémentaires
L'ECG est peu sensible
 Hypertrophie ventriculaire droite avec R/S>1 en
V1 et R/S< 1 en V6 (Figure 1).
 Déviation axiale droite de QRS ; inversion de T en
V1, V2 et V3 ; ondes P pulmonaires.
Mécanismes
Cette HTP précapillaire s'explique par l'élévation des
résistances vasculaires pulmonaires liée à la
vasoconstriction hypoxique des petites artères et des
artérioles pulmonaires et à des modifications
structurales du lit vasculaire pulmonaire, le rôle de
Figure 1. ECG d’hypertrophie ventriculaire droite.
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Onde P > 0,25 Mv en D2, D3 et aVF, axe de P > 75°,
P bifide en V1 avec déflection positive > déflection
négative (Figure 2).

- Dilatation de l'AP et de l'OD.
- Dilatation et hypertrophie du VD.
- Mouvement septal paradoxal.
- Dilatation de la veine cave inférieure cinétique
anormale de la valve pulmonaire.
Echo doppler:
Elle permet la quantification de la PAP par deux
techniques non exclusives:
* Echo doppler continu sur régurgitation tricuspidienne et mesure de la vitesse maximal du jet:
- Elle permet la mesure du gradient maximal de
pression entre le VD et l'OD au cours de la systole en
appliquant la loi de Bernoulli simplifiée à la vitesse
maximale:
PVD – POD = 4 x Vmax2

Figure 2. Ondes P pulmonaires.
Radiographie pulmonaire
Augmentation du diamètre des artères pulmonaires.
 Saillie de l'arc moyen gauche par HAD (Figure 3).
- En l'absence de sténose pulmonaire, la pression
systolique du VD est égale à la PAP systolique.
- La POD est estimée au mieux par l'examen de la
veine cave inférieure. En pratique, elle est souvent
fixée à 5 mm Hg (10 mm Hg en cas d’insuffisance
cardiaque droite).
- La corrélation entre la PAP systolique mesurée en
échographie et la PAP mesurée par cathétérisme est
bonne surtout si ses valeurs sont élevées.
Figure 3. Radiothoracique dans l’HTAP
L'échographie cardiaque
De réalisation technique parfois difficile du fait de la
distension pulmonaire, elle représente l'examen de
choix (Figure 4).
 En mode TM et bidimensionnel:
A
- Elle est inutilisable en l'absence de fuite tricuspide
(20 à 30% des cas) et les valeurs sont majorées de
l'ordre de 5 à 10 mm Hg, ce qui pose bien sûr problème pour les valeurs limites.
Echo doppler pulsé et mesure de la vélocité du flux
systolique à travers l'artère pulmonaire et mesure du
temps d'accélération dans le tronc de l'AP (Figure 5).

B
C
Figure 4.
A: Echo TM - dilatation du VD.
B: Echo 2D – dilatation du VD.
C: Echo TM – dilatation de la veine cave inférieure.
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Figure 5. Echo-doppler pulsé sur artère
pulmonaire et doppler-continu sur régur-gitation tricuspidienne.
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L’échocardiographie permettra aussi l’appréciation
de la fonction ventriculaire gauche, la recherche de
valvulopathies et la détection d'une réouverture de
foramen ovale perméable en cas d'hypoxémie réfractaire (Figure 6).
LE COEUR ET LES BPCO
Evolution et pronostic
L'évolution de l'HTP des BPCO est lente et corrélée
aux valeurs de PaO2, d'où le rôle favorable d'une
oxygénothérapie de longue durée dans l'amélioration ou du moins la stabilisation des valeurs de PAP.
La survenue d'une insuffisance cardiaque droite
marque un tournant dans l'histoire naturelle de la
BPCO et avait un pronostic péjoratif qui est remis en
cause actuellement depuis la prescription à large
échelle d'une oxygénothérapie pour des PaO2 < 55 60 mm Hg.
Le pronostic reste néanmoins sombre en cas d'HTP
sévère, éventualité rare dans les BPCO. La PAP est
un bon indicateur pronostique dans les BPCO sous
O2.
Figure 6. Réouverture de FOP en écho-doppler couleur.
Autres éléments du diagnostic
 Le dosage du peptide natriurétique de type B
(BNP) est très utile pour suspecter une participation
cardiaque en cas de majoration de dyspnée chez un
patient porteur d'une BPCO. Précisons que l'élévation est liée à l'augmentation des contraintes pariétales ventriculaires, qu'elle n'est pas spécifique d'une
participation ventriculaire gauche et qu'elle peut se
rencontrer en cas d'embolie pulmonaire. Il faut aussi
éviter de poser le diagnostic sur une seule valeur
élevée, l'obtention d'un taux de référence est
important.
Traitement
Le traitement optimal de l'affection causale est bien
sûr primordial:
- Sevrage tabagique.
- Perte de poids.
- Activités physiques adaptées et réduites.
- Bronchodilatateurs.
- Anti-inflammatoires inhalés.
Le traitement de l'HTP repose sur l'oxygénothérapie
de longue durée (prolongée et au moins 16 h/24) qui
permet de lever la vasoconstriction pulmonaire
hypoxique et agit sur les altérations morphologiques
de la circulation pulmonaire distale.

La scintigraphie pulmonaire est indiquée en cas de
suspicion d'embolie pulmonaire de même que l'
angioscan pulmonaire.
L'insuffisance ventriculaire droite est du ressort d'un
régime hyposodé et des diurétiques (de l'anse et/ou
épargneurs potassiques).

Les enregistrements polysomnographiques sont
utiles à la recherche d'une hypoventilation nocturne
ou d'une apnée du sommeil en cas d'HTP avec un
bilan de base peu perturbé.
Les digitaliques n'ont leurs places qu'en cas de fibrillation auriculaire à réponse ventriculaire rapide et
doivent être utilisés avec précaution en cas d'hypoxie
sévère, ce qui est souvent le cas dans ce contexte.
Le cathétérisme cardiaque droit était la technique
de référence avant l'avènement de l'échocardiographie pour la détection et la quantification des hypertensions pulmonaires dans les BPCO ; il reste indiqué:
- Pour conforter le diagnostic de CPC postembolique.
Les anticoagulants sont indiqués en cas d'embolie
pulmonaire associée ou de fibrillation auriculaire.

- Pour évaluer le retentissement cardiaque droit
d'une pathologie du cœur gauche.
Les vasodilatateurs utilisés habituellement dans le
traitement de l'insuffisance ventriculaire gauche
n'ont pas d'indication dans le traitement de l'HTP
des BPCO et peuvent même aggraver les conditions
hémodynamiques par désamorçage du cœur gauche
sur un barrage pulmonaire.
- En cas de discordance des symptômes entre une
clinique très altérée et des PAP peu élevées en échocardiographie ou à l'inverse en cas d'HTP disproportionnée avant pneumonectomie s'il y a indication.
Les nouveaux agents vasodilatateurs et antiproliférants du traitement de l'HTP primitive pourraient
avoir un effet bénéfique dans l'HTP des BPCO
surtout dans les formes sévères mais peu d'études
randomisées sont disponibles.
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LE COEUR ET LES BPCO
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PATHOLOGIES DU CŒUR GAUCHE ET BPCO
Les patients atteints de BPCO présentent un risque
élevé de maladies cardiovasculaires. Certaines sont
directement en rapport avec la maladie respiratoire
(en raison de la surcharge de pression dans les cavités cardiaques droites) et d'autres en rapport indirect
(modifications de besoins et des apports en O2, facteurs de risque communs, terrain débilitant, effets
néfastes des thérapeutiques).
Le retentissement sur le ventricule gauche de l'
élévation des pressions droites
L'HTP induit des altérations géométriques dans le
VD et empiète sur la géométrie et le remplissage du
VG. C'est ainsi que le remplissage du VG est altéré
précocement dans la diastole par les anomalies de la
cinétique septale qui peut devenir paradoxale.
Le remodelage ventriculaire gauche est aussi directement altéré par les modifications des pressions
endothoraciques en particulier pleurales, d'où
dysfonction de remplissage et dysfonction systolique
induite.
La conséquence en est que le maniement des vasodilatateurs devra être particulièrement méticuleux.
La maladie coronarienne
La BPCO constitue un facteur de risque important
d'athérosclérose (multiplication par 2 ou 3), le rôle
d'une inflammation systémique est suggéré avec
l'effet nocif de la fumée de cigarettes et le rôle bénéfique des statines. La fréquence des syndromes
métaboliques accroît aussi le risque de pathologie
coronarienne associée.
Les mécanismes sont multiples
Augmentation des besoins en O2: tachycardie liée à
l'hypoxémie et/ou secondaire aux β- stimulants.
 Réduction
des apports en O2 du fait de
l'hypoxémie.
 Le terrain à risque commun.

Le diagnostic est difficile et la clinique souvent pauvre noyée dans la symptomatologie respiratoire.
C'est ainsi que l'angor est rare et se traduit souvent
par de la dyspnée ou par une blockpnée d'effort.
L'arsenal diagnostique complet devra être déployé
Modifications de la repolarisation sur l'ECG de
repos.
 Les tests d'effort seront de réalisation difficile
compte-tenu de la dyspnée.
 L'échographie cardiaque de repos pourra orienter
en cas d'altérations de la cinétique régionale.

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La scintigraphie myocardique est limitée par les
capacités à l'effort du patient et sa sensibilisation
médicamenteuse (dipyridamole) est en principe
contre-indiquée en cas d'asthme associé.
 L'échocardiographie de stress sous dobutamine est
l'examen non invasif de référence.
 La coronarographie devra être couplée à un test
fonctionnel pour une bonne interprétation et affirmer le caractère ischémiant d'une sténose coronaire.

S'il est commun de rechercher une pathologique
cardiaque (coronaire en particulier) chez les bronchopathes fumeurs actifs ou abstinents, la recherche
d'un BPCO, reconnu comme facteur de risque à part
entière, devrait être systématique chez les patients
de plus de 40 ans et dont le tabagisme cumulé
dépasse les 10 paquets-années.
Le traitement de la pathologie coronaire est classique
(β-bloquant, antiagrégants plaquettaires, statine,
inhibiteurs de l'enzyme de conversion, correction des
facteurs de risque, oméga 3) +/- revascularisation
coronaire par endoprothèse ou chirurgicale par
pontage.
Un consensus entre cardiologues et pneumologues
s'est dégagé pour l'utilisation des β-bloquants
(traitement instauré en période respiratoire stable, βbloquant cardiosélectif initié à faibles doses et à
posologie progressivement croissante).
L'insuffisance cardiaque gauche parfois constatée
est plurifactorielle
 Altérations de la géométrie du VG notifiées plus
haut.
 Participation ischémique pouvant aller jusqu'à la
nécrose myocardique.
 Effet délétère de l'alcool.
 Eclosion de pathologies valvulaires en particulier
aortiques chez des patients âgés (dont le traitement
sera très délicat sur ces terrains de BPCO – le TAVI
(valve aortique percutanée) est une alternative
séduisante).
Les troubles du rythme
S'il est admis que la fréquence des arythmies chez les
patients porteurs d'une BPCO est grande, la prévalence exacte varie d'une étude à l'autre selon les critères sélectionnés et les méthodes utilisées.
Les arythmies supraventriculaires sont fréquentes en
période de déstabilisation de la maladie respiratoire
et sont sources de poussée d'insuffisance cardiaque
sur un cœur déjà fragilisé. On peut retrouver une
tachycardie sinusale, une fibrillation auriculaire, une
tachycardie atriale multifocale...
Il semblerait que les troubles du rythme ventriculaire
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soient plus fréquemment rencontrés chez les patients
stables.
Plusieurs facteurs sont à l'origine des arythmies
 L'hypoxémie en particulier nocturne avec bonne
corrélation avec les épisodes de désaturation.
 Les déséquilibres acido-basiques et ioniques.
 Le rôle controversé des médications à visée respiratoire: β2 agonistes, xanthiques.
 La présence d'une maladie coronaire et/ou d'un
CPC.
Le traitement fait appel aux antiarythmiques classiques (β-bloquant avec les mêmes réserves qu'émises
plus haut, amiodarone, flécaïnide) ou aux techniques
de radiofréquence. La prudence est toujours de mise
sur ces terrains très sensibles.
ACTUALITE DANS LA PRISE EN CHARGE DE
L’HTP CHEZ LES PATIENTS ATTEINTS DE
BPCO
L’atteinte vasculaire plus sévère que l’atteinte
bronchique
Classée dans le groupe 3 de la recommandation,
l’hypertension pulmonaire (HTP) associée à la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) est
une des formes les plus fréquentes. Elle est associée à
un taux élevé de mortalité et une survie moyenne
diminuée.
La prévalence de l’HTP chez les patients atteints de
BPCO est très variée, estimée entre 30% et 70% selon
les études. Il s’agit d’HTP légère et modérée chez la
plupart des patients BPCO mais aussi d’HTP très
sévère et disproportionnée par rapport à l’obstruction des voies aériennes chez les autres patients.
Cependant, en raison de l’absence d’étude réalisée à
large échelle, la prévalence exacte de l’HTP chez les
patients atteints de BPCO reste à être déterminée
dans l’avenir.
Chez les BPCO post-tabagiques, la pathogénèse et la
physiopathologie de l’HTP est très complexe. Elles
impliquent plusieurs voies de signalisation intra- et
extracellulaires médiées à la fois par l’effet direct de
la fumée de cigarettes et par l’hypoxie alvéolaire. En
conséquence, l’atteinte vasculaire pulmonaire dans
la BPCO est marquée par le dysfonctionnement
endothélial au stade précoce et la vasoconstriction
hypoxique associée au remodelage vasculaire
excessif au stade avancé.
LE COEUR ET LES BPCO
Il est bien démontré que les patients BPCO avec HTP
ont une limitation de la capacité fonctionnelle au
repos et à l’effort plus importante que ceux sans HTP
associée. Ainsi, la détection précoce de l’HTP est indispensable dans la prise en charge des patients
BPCO. En effet, chez ces patients, l’HTP est suspectée devant une détérioration inexpliquée de la capacité fonctionnelle et de la dyspnée malgré une stabilité de la sévérité de l’obstruction bronchique. En cas
de suspicion clinique d’une HTP chez les patients
BPCO, le recours à des examens complémentaires est
nécessaire.
Dans le bilan des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR), en dehors du trouble ventilatoire
obstructif confirmé par la spirométrie, une diminution importante de la capacité de la diffusion du
monoxyde carbone (DLCO) associée à une hypoxémie au repos est un argument en faveur de l’HTP. Le
scanner thoracique apporte aussi des signes indirects
d’HTP, en dehors des lésions typiques de la BPCO,
grâce à la mesure du diamètre du tronc artériel
pulmonaire. Malgré sa faible sensibilité et spécificité
dans la détection de l’HTP, en particulier de l’HTP
associée à la BPCO, l’échocardiographie reste un
examen nécessaire à faire avant la réalisation du
cathétérisme cardiaque droit (CCD), un examen
invasif qui permettra de confirmer l’HTP. Cependant, il doit être réalisé à distance des épisodes
d’exacerbation.
Une fois l’HTP confirmée chez les BPCO, une stratégie thérapeutique optimale doit être élaborée, associant le traitement spécifique de l’HTP à celui de la
BPCO. Elle comprend le sevrage du tabac, la réhabilitation respiratoire, les bronchodilatateurs, l’oxygénothérapie à longue durée (OLD), et le traitement
vasodilatateur spécifique de l’HTP. Il est démontré
que l’OLD est le seul traitement efficace dans la
limitation de la progression de l’HTP chez les BPCO.
Elle est recommandée préférentiellement chez les
patients ayant une désaturation nocturne et à l’effort.
Le traitement pharmacologique spécifique de l’HTP
est réservé aux patients BPCO avec une HTP sévère
et disproportionnée (pression artérielle pulmonaire
moyenne: PAPm > 40 – 45 mmHg). L’utilisation des
vasodilatateurs classiques tels que les calciums
bloquants, l’hydralazine et les nitrates est déconseillée à cause de leurs effets indésirables sur l’hémodynamique.
Le remodelage vasculaire pulmonaire est caractérisé
par l’hypertrophie de la paroi vasculaire avec
obstruction de la lumière et l’hyper-muscularisation
des artérioles (Figure 7A-B).
Des études récentes ont montré des résultats en
faveur de l’effet bénéfique à court terme des agents
vasodilatateurs spécifiques utilisés dans le traitement de l’HTP tels que les antagonistes des récepteurs de l’endothéline-1 (ET-1), les inhibiteurs de la
phosphodiestérase 5 (PDE-5) ainsi que les analogues
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LE COEUR ET LES BPCO
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de la prostaglandine sur la capacité fonctionnelle.
Cependant, l’effet bénéfique de ces molécules sur la
survie moyenne des patients BPCO avec l’HTP reste
à prouver.
Etant donné le nombre de patients atteints de BPCO
ne cessant d’augmenter et la haute prévalence de
l’HTP retrouvée dans cette population, le dépistage
précoce de l’HTP chez les BPCO est nécessaire dans
la prise en charge de cette
maladie. Elle permettrait de mettre en œuvre un programme thérapeutique adapté ciblant à la fois les atteintes des voies
aériennes, les lésions vasculaires et systémiques de la
BPCO.
A)
précédentes ont montré que la statine pouvait diminuer la fréquence des exacerbations, le déclin du
VEMS (volume expiratoire maximal dans une
seconde) et la mortalité ainsi que la prévalence du
cancer chez les patients BPCO. L’efficacité de la
statine dans le traitement de l’HTP a été confirmée
récemment dans le modèle expérimental. Cependant, son rôle dans le traitement de l’HTP associée à
la BPCO n’est pas encore confirmé.
En dehors de son indication thérapeutique dans l’
hypercholestérolémie, la statine a aussi des effets
bénéfiques dans la prévention des maladies cardiovasculaires. Ces effets sont liés à son rôle dans la
modulation du fonctionnement endothélial, dans
l’inflammation vasculaire, la prolifération des
cellules musculaires lisses, et l’activité des cellules
souches endothéliales. Cependant, le mécanisme
exact de cet effet pléïotropique de la statine n’a pas
encore été clarifié. Il est suggéré qu’il pourrait être lié
au rôle de la statine dans la régulation négative de
l’activité de la voie de signalisation GTP-RhoA/Rhokinase.
L’effet bénéfique de la statine chez les patients
atteints d’HTP a été démontré pour la première fois
par Kao. Dans cette étude, 16 patients (classe fonctionnelle de l’OMS : I : n = 2 ; II : n = 4 ; III : n = 3 ;
IV : n = 7) recevaient la simvastatine à dose de 20 - 80
mg/jour pour une durée de 4 – 41 mois. Le résultat
final montrait que la simvastatine améliorait la
distance de marche, le débit cardiaque et la pression
systolique du ventricule droit par rapport à la valeur
de base. L’auteur concluait que la simvastatine
pouvait ralentir la progression de l’HTP et améliorer
la survie des patients au stade IV. Cependant, cette
étude était une étude d’observation des cas, non
randomisée et comportait des biais liés à la faible
puissance et l’absence de groupe contrôle.
Figure 7A-B. Remodelage vasculaire dans l’HTP sévère
associée à la BPCO.
Il est caractérisé par l’hypertrophie et l’obstruction de la lumière
des artères pulmonaires. SMA (smooth muscle actin): actine
musculaire lisse [7].
Traitement de l’HTP associée à la BPCO: quelle est
la place de la statine ?
Des études récentes ont montré que la statine, l’inhibiteur de l’HMG-CoA reductase, a des effets bénéfiques chez les patients atteints de BPCO. Les études
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L’effet de la statine dans le traitement de l’HTP chez
les patients atteints de BPCO a aussi été étudié. Dans
une étude en double-aveugle et randomisée chez 53
patients BPCO avec HTP, Lee et al. ont montré que le
traitement par la pravastatine (40 mg/jour) pendant
6 mois améliorait la capacité fonctionnelle, la
dyspnée à l’effort et la PAP. Selon les auteurs, l’effet
bénéfique de la pravastatine chez ces patients était
lié à l’inhibition du système de l’endothéline-1 (ET1). Cependant, dans cette étude, la PAP était évaluée
par l’échocardiographie et non par le cathétérisme
cardiaque droit.
D’un point de vue physiopathologique, il est démontré que l’interleukine-6 (IL-6), le médiateur de l’
inflammation et du remodelage impliqué dans la
BPCO, intervient dans la pathogenèse de l’HTP
associée à la BPCO. Chez les patients BPCO traités
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P. CUVILLIER
LE COEUR ET LES BPCO
par la statine, il y avait une amélioration significative
de la tolérance à l’effort. Ce phénomène était expliqué par l’effet de la statine dans la diminution de la
concentration de l’IL-6. L’IL-6 est connu pour son
rôle dans l’altération de la fonction et de la contraction des muscles squelettiques.
-traient aux cliniciens de réaliser des essais cliniques
sur la statine dans le traitement de l’HTP associée à
la BPCO.
Récemment, Chaouat et al. ont montré que la
concentration de l’IL-6 a été augmentée chez les
BPCO avec HTP (148 patients) par rapport aux sujets
contrôles (180 sujets). En effet, il y avait une corrélation significative entre la concentration plasmatique
de l’IL-6 et la PAPm (r = 0,39 ; p < 0,001).
On retiendra la fréquence des comorbidités cardiovasculaires chez les patients porteurs d'une BPCO,
les difficultés du diagnostic et des traitements, la
nécessité d'une prise en charge précoce et donc d'une
collaboration étroite entre pneumologues et cardiologues comme en témoigne modestement la participation de votre serviteur aux activités de l'Association
Franco-Vietnamienne de Pneumologie (AFVP).
Les résultats préliminaires de ces études permet-
CONCLUSIONS
CONFLIT D’INTERETS
Aucun.
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