Le Canada et le monde vus de l`Ouest : la politique

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Le Canada et le monde vus de l`Ouest : la politique
Le Canada et le monde vus de l’Ouest :
la politique étrangère de David Bercuson
et Barry Cooper
MANUEL DORION-SOULIÉ
Université du Québec à Montréal
Introduction
En politique étrangère, les décisions du gouvernement Harper laissent
bien des Canadiens perplexes. Importante augmentation du budget de la
défense, fort soutien à Israël, implication en Libye, cérémonies à la gloire
de nos soldats, saga des F-35 : le militarisme et les prises de positions
tranchées des conservateurs étonnent ceux qui croyaient vivre dans un
pays dont le rôle international se limitait au maintien de la paix.
Certains observateurs cherchent à expliquer la politique étrangère
conservatrice par l’influence des membres de l’école de Calgary. Dans
une analyse des écrits journalistiques de David Bercuson et Barry Cooper,
Anne Boerger affirme que la politique étrangère de l’école de Calgary
consiste en un désir de « remettre le Canada sur la carte du monde »
~2007 : 121!. Il s’agirait, d’une part, de rendre aux forces armées canadiennes leur puissance d’antan et, d’autre part, de renforcer la relation
du Canada avec les États-Unis. Pour Boerger cela signifie que Bercuson, Cooper et Stephen Harper, « partagent la conviction que le Canada
doit choisir son camp dans un monde en blanc et noir @...# Leur choix
@entre le libéralisme et les terroristes# est fait et leur réflexion s’arrête
là » ~2007 : 145!. Il est vrai que les prescriptions de politique étrangère
de Bercuson et Cooper peuvent se résumer en une phrase : le Canada
doit être un allié fiable des États-Unis. Mais cette simplification extrême
ne dit rien sur les fondements de leur position. Pourquoi Cooper et Bercuson veulent-ils que le Canada soit un bon allié des Etats-Unis ? Cet
article cherchera à répondre à cette question en l’abordant sous l’angle
de la pensée politique canadienne. Il s’agira de démontrer que la politique étrangère prônée par Bercuson et Cooper, dont la relation avec les
Manuel Dorion-Soulié est doctorant en science politique à l’UQAM. Il tient à remercier Gilles Labelle pour ses précieux conseils, sans lesquels cet article n’aurait pas
vu le jour, ainsi que les évaluateurs anonymes, pour leurs judicieuses suggestions.
Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique
46:3 (September/septembre 2013) 645–664
doi:10.10170S0008423913000863
© 2013 Canadian Political Science Association ~l’Association canadienne de science politique!
and0et la Société québécoise de science politique
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États-Unis n’est qu’un exemple, trouve sa source dans leurs conceptions particulières du Canada et du politique. Pour ce faire, leurs articles et ouvrages d’histoire ~dans le cas de Bercuson! et de théorie
politique ~dans le cas de Cooper!, ainsi que les livres qu’ils ont écrits
ensemble sur la politique canadienne, seront décortiqués.
Barry Cooper nie l’existence d’une « école » de Calgary au sens d’un
groupe organisé professant un ensemble d’idées homogènes. Les personnes
associées à « l’école de Calgary » feraient plutôt partie d’un « réseau social
informel » ~2009b : 247!. Mais Boerger a bien montré que Bercuson et
Cooper partagent une position quant à la politique étrangère canadienne,
et que cette position correspond assez bien à celles adoptées par le gouvernement Harper ~Boerger, 2007 : 143–45!. Dans le même ouvrage,
Frédéric Boily affirme que si l’influence d’une idéologie sur un politicien
est toujours une chose difficile à prouver, il existe suffisamment de
recoupements sociologiques et intellectuels pour parler de l’influence de
l’école de Calgary sur Stephen Harper ~Boily, 2007 : 34–39!. Dans Warrior Nation, Ian McKay et Jamie Swift affirment que Bercuson et Cooper
feraient partie d’une mouvance dont Stephen Harper serait le plus puissant héraut, celle des « new warriors », qui chercherait à militariser la
société canadienne et à imposer au pays un régime autoritaire ~McKay et
Swift, 2012!. Si l’ensemble de l’ouvrage est fort intéressant, la lecture que
les auteurs font des ouvrages de Bercuson est à tout le moins peu généreuse
~Bercuson et les autres « new warriors » y sont constamment présentés
comme des adeptes du « césarisme »!, et ils sombrent carrément dans la
caricature quand ils décrivent It’s the Regime, Stupid ! ~Cooper, 2009b!
comme un « manifeste pour un Canada militarisé et autoritariste » ~McKay
et Swift, 2012 : 12! alors qu’il s’agit en fait d’un plaidoyer contre l’Étatprovidence au nom de la liberté et de la fierté des individus.
Christian Nadeau, dans Contre Harper, présente une analyse beaucoup plus nuancée ~quoi que tout aussi militante!. Il y affirme que
l’influence de la philosophie de Cooper serait à chercher du côté de
l’accent mis sur le rôle du dirigeant dans la promotion des bonnes mœurs
et de la critique conservatrice de l’État-providence, qui aurait livré le
libéralisme canadien à la merci des groupes de pression ~Nadeau, 2010 :
29–30!. Notons que les propos de Nadeau s’appuient ouvertement sur
une analyse de Cooper proposée par Frédéric Boily. Dans un texte bref
mais perspicace, Boily souligne la place d’un certain régionalisme de
l’Ouest dans la pensée de Cooper ~Boily, 2010!.
Suivant surtout Boerger et Boily, le présent article expliquera que,
du fait de leur conception commune du Canada et du politique, Bercuson et Cooper peuvent bel et bien être regroupés au sein d’une même
mouvance de la pensée politique canadienne, et que leur posture est fortement marquée par ce que Cooper appelle la « conscience politique de
l’Ouest ». C’est justement à ce niveau que l’on peut observer le plus fort
Résumé. Cet article a pour objectif de présenter les racines intellectuelles de la politique
étrangère canadienne promue par David Bercuson et Barry Cooper, deux membres de ce que
d’aucunes appellent « l’école de Calgary », et à qui on attribue une certaine influence sur la
pensée du gouvernement Harper. L’article montre que bien que leurs prescriptions puissent
se résumer à première vue à un désir de rapprochement avec les États-Unis, leur politique
étrangère repose sur des fondements plus complexes, qui combinent leur propre lecture de
l’histoire canadienne et des intentions ayant présidé à la Confédération, une certaine conception des relations internationales, ainsi qu’une réflexion philosophique et anthropologique sur
la violence, le tout ayant été fortement influencé par la conscience politique particulière de
l’Ouest canadien.
Abstract. This article explores the intellectual roots of Canada’s foreign policy as conceived
and promoted by David Bercuson and Barry Cooper, two prominent members of the “Calgary
School” and public intellectuals credited with influencing the Harper government’s view of the
world. While their notion of Canada’s foreign policy can be simply boiled down to their belief
that Canada should align with the foreign policy of the United States, it is, in fact, more complex. Bercuson and Cooper’s vision of Canada’s foreign policy blends in a distinct way their
own understanding of Canadian history and the original intent behind Canadian Confederation;
their particular conception of international relations; philosophical and anthropological reflections on violence; and their typically Western Canadian political consciousness.
rapprochement entre Bercuson, Cooper et Stephen Harper 1, et c’est en
analysant en profondeur la pensée politique des deux premiers que l’on
parviendra à une meilleure compréhension des choix de ce dernier.
Le présent article expose dans un premier temps la conception du
Canada de Bercuson et Cooper, car c’est là que naissent leurs prescriptions en matière de politique étrangère. Les grandes lignes de l’histoire
canadienne telle qu’ils la décrivent y sont présentées, en commençant
par ce que le Canada devrait être, pour ensuite voir ce que le Canada est
devenu. La démarche procède ensuite par une analyse des ouvrages
d’histoire de Bercuson à la lumière des travaux de Boerger, pour qui la
politique étrangère préconisée par nos auteurs est une espèce de réalisme. L’on pourra constater que les ouvrages de Bercuson justifient le
recours à une politique étrangère réaliste en arguant que c’est la politique étrangère « naturelle » du Canada, et que c’est celle qui a permis à
la nation de remporter ses plus grands succès internationaux. Il est important de noter que ce « réalisme » est davantage une revendication politique et rhétorique qu’une prise de position théorique dans le champ des
relations internationales. Il faudra comprendre cette position comme
découlant de la pensée politique de Bercuson.
La dernière partie de l’article propose une tentative de synthèse de
l’œuvre de Barry Cooper. De son propre aveu, Cooper est avant tout un
produit de l’Ouest canadien. Sa conscience politique est celle de l’Ouest,
et c’est là qu’il faut chercher les fondements de ses prescriptions de politique étrangère. De l’expérience politique de l’Ouest canadien, conçue
comme une aliénation politique subie aux mains d’un centre bureaucratique, homogénéisateur et moralisateur, Cooper a tiré une certaine méfi-
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ance de la modernité politique. Ses nombreux ouvrages de théorie
politique consacrés à Merleau-Ponty, Foucault, Hegel et Voegelin pointent
tous dans la même direction : la modernité, en particulier la modernité
hégélienne, porte en elle une violence inhérente, dont les manifestations
vont de l’homogénéisation bureaucratique à la terreur révolutionnaire.
Au bout du compte, cette analyse montrera que la critique de la modernité de Cooper débouche sur une distinction entre violence justifiable
~car visant des objectifs politiques pragmatiques! et violence injustifiable ~car visant des objectifs idéologiques irréalisables!. Ainsi, comme
chez Bercuson, c’est dans la pensée politique que Cooper puise ses recommandations de politique étrangère.
Définition du Canada
Dans Derailed. The Betrayal of the National Dream, Bercuson et Cooper
~1994! mènent une charge à fond de train contre les « dérapages » de l’État
canadien, qui constituent une trahison de l’intention des fondateurs de la
Confédération. Pour Madonald et Cartier, la Confédération était d’abord
et avant tout, voire uniquement, vouée à assurer la prospérité des habitants du Canada. Contrairement à la fondation des États-Unis, celle du Canada n’est pas le fruit de grandes réflexions philosophiques sur les principes
qui devaient guider les relations entre les citoyens et leur gouvernement,
mais bien une solution pragmatique aux problèmes qui menaçaient le
mode de vie « britannico-américain », c’est-à-dire l’existence d’une entité
politique fondée sur les institutions ~monarchie et parlementarisme! et les
mœurs ~respect de l’autorité, conception plus organique qu’individualiste
de la société! britanniques. Il s’agissait donc d’assurer la sécurité face aux
Américains, de renforcer les finances des colonies et d’agrandir le marché
auquel elles avaient accès ~Bercuson et Cooper, 1994 : 42–44!. Mais l’unité
qu’appelait ce projet serait difficile à atteindre pour une nation qui n’en
était pas une : contrairement aux nations européennes, il manquait au Canada une histoire ou des origines communes. Le Canada n’avait donc pas
d’autre choix que de se constituer comme ce que Cartier appela une
« nation politique », par opposition aux nations ethniques, culturelles, linguistiques ou religieuses ~Bercuson et Cooper, 1994 : 45–47!. Ni américaine ni européenne, la Confédération emprunterait cependant aux deux
mondes qu’elle côtoyait : « It would maintain the British connection, to
be sure, but would also resemble the U.S. Federation in being based on the
low but solid foundations of economic self-interest » ~Bercuson et Cooper,
1994 : 49!. Pour Bercuson et Cooper, l’existence du Canada repose donc
sur ce qu’ils nomment le « fondamentalisme économique », « the belief
that good government and the Canadian nation must rest on a solid economic foundation and that a chief, if not the chief purpose of government
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is to secure the conditions for prosperity » ~44!. De là découle une notion
absolument capitale dans la pensée de Bercuson et Cooper : le Canada est
« culturellement neutre », et le gouvernement central doit respecter la diversité de la nation canadienne en s’abstenant à jamais d’imposer une « identité » canadienne à l’ensemble du pays.
There would be no national myths to tie the disparate peoples of Canada
together, other than the myths and ties of commerce. The role of the new
national state that had been created to foster the new nationality was to promote economic growth and national development. The Fathers of Confederation well knew that the state could never have any other role. That is one reason
why the federal government was given no powers over what we now call cultural matters @...#. ~Bercuson et Cooper, 1994 : 53!
D’après Bercuson et Cooper, cette façon de concevoir le rôle du gouvernement a prévalu jusqu’aux années cinquante, époque à laquelle a commencé le dérapage de l’État évoqué plus tôt. La « trahison du rêve
canadien » est d’abord visible dans l’expansion incontrôlable des dépenses
publiques occasionnée par la consolidation de l’État-providence ~1994 :
9, 17–18, 40–41!. Le passage au pouvoir de Diefenbaker est ainsi présenté comme un tournant vers une « culture des droits » ~« entitlement
culture »! qui prétendrait à instaurer une égalité parfaite entre les citoyens, les privant de ce fait de leur indépendance et de leur fierté, en
plus d’engendrer des coûts énormes ~Bercuson et Cooper, 1994 : 82–90! 2.
Mais pour Bercuson et Cooper, Diefenbaker est surtout celui qui a abandonné la « neutralité culturelle » typique de ses prédécesseurs pour se
lancer à corps perdu dans une entreprise de refondation du caractère canadien ~1994 : 93!. Dès lors, les gouvernements successifs ont dépensé sans
compter pour promouvoir leurs visions du Canada, leurs nationalismes
canadiens : le « One Canada » de Diefenbaker, le bilinguisme de Pearson, la justice sociale de Trudeau ~1994 : 94–95, 108, 112–20!. Pour
Bercuson et Cooper, il ne fait pas de doute que le Canada d’aujourd’hui
a été refaçonné pour le pire par ces politiciens et leurs projets ~7–9!.
D’une société de droits, le Canada aurait été transformé en une société
« d’ayants droits », où les individus se battent entre eux pour préserver
leurs « acquis» respectifs au mépris du sens civique ~Cooper, 2009b :
53!. Le régime instauré par Diefenbaker aurait été perpétué par des
libéraux qui ne croient plus au libéralisme : le parti de Pearson, Trudeau
et Chrétien ne croit désormais qu’à la bureaucratie et à sa capacité à
contrôler les citoyens ~Bercuson et Cooper, 1994 : 32!. Plus précisément, le dérapage canadien correspond à l’abandon des principes du gouvernement limité au nom de l’intérêt des « sujets » ~et non pas des
citoyens!. Pour servir cet intérêt, l’État entreprendra de gérer, d’organiser
la société par la bureaucratisation, créant ainsi une « société de dépendants » ~Bercuson et Cooper, 1994 : 131!.
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Ce nouveau régime serait sous-tendu par le « mythe loyaliste », que
les institutions de l’État canadien cherchent à imposer à l’ensemble du
pays. Ce mythe, originaire du Sud de l’Ontario, veut que le Canada se
soit construit en réaction à la révolution américaine 3. Ce thème sera traité
de manière approfondie dans la suite de l’article. Pour l’instant, il suffira
de noter que ce mythe est fondamentalement antiaméricain ~Bercuson et
Cooper, 1994 : 229!.
Bercuson et Cooper ne s’opposent pas à ces projets uniquement parce
qu’ils vont à l’encontre des intentions des Pères de la Confédération, mais
aussi parce qu’ils ne tiennent pas compte de ce qu’est une identité.
S’appuyant sur le critique littéraire Northrop Frye, nos auteurs distinguent
l’identité de l’unité : l’identité serait culturelle, et donc régionale ou locale,
et l’unité serait politique, et donc susceptible d’être nationale ~Cooper,
2001 ; Cooper, 1984b!. Ainsi, le politique ne doit jamais tenter de se
mêler du culturel : au Canada, le but du gouvernement fédéral ne peut
être que de promouvoir l’unité nationale, et non pas une identité canadienne. Au risque de se répéter, la prospérité est la raison d’être originelle de la Confédération. La prospérité, dans l’esprit de Cooper en
particulier, est loin de n’être qu’une question matérielle, du moins en ce
qui concerne le Canada. En effet, le Canada n’a pas d’identité, mais il
est possible de faire partager un sentiment d’unité à l’ensemble de la
population canadienne ~Bercuson et Cooper, 1994 : 190–93!. La clé de
ce sentiment est la prospérité : l’unité ~et donc l’existence! du Canada en
dépend ~197!. Comme toute communauté politique, le Canada s’est
construit autour de symboles qui ont pour fonction de donner un sens à
l’existence humaine, et la prospérité est logée au cœur du dispositif symbolique canadien ~Bercuson et Cooper, 1991 : 140–41!.
Dans le cadre de cet article, il faut souligner que toutes les tentatives d’imposer une « vertu publique », une identité canadienne, se sont
accompagnées de politiques que les auteurs qualifient « d’antiaméricaines » ~Bercuson et Cooper, 1994 : 101 ; 107 ; 138! : le canadianisme
qu’on a tenté de définir serait avant tout caractérisé par un refus d’être
américain. Pour Bercuson et Cooper, qui affirment constamment que la
prospérité canadienne dépend de sa bonne relation avec son voisin du
Sud ~Boerger, 2007 : 131!, cela pose évidemment problème.
Voyons maintenant comment cette vision du Canada, tel qu’il est et
tel qu’il devrait être, contribue à expliquer les prescriptions de politique
étrangère de Bercuson et Cooper.
Le réalisme de David Bercuson
L’objectif de cette section est de présenter l’historiographie de David Bercuson et de montrer comment elle explique sa politique étrangère. Dans
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un premier temps, il faudra définir le réalisme de Bercuson. Ensuite, il
s’agira de synthétiser l’histoire de la politique étrangère canadienne telle
que présentée par l’historien de Calgary, dans une trame composée de
trois grandes périodes : un premier stade « immature » ~1867–1945!, au
cours duquel le Canada n’était pas véritablement souverain en matière
de politique étrangère ; la période de la maturité ~1945–1957!, durant
laquelle le Canada a connu ses plus grands succès, profitant du statut le
plus enviable sur la scène internationale, tout cela grâce à une politique
étrangère guidée par le réalisme ; la décadence ~1957–2006?!, entamée
sous le gouvernement de Diefenbaker, période à partir de laquelle le Canada mène une politique étrangère moralisatrice, qui l’éloigne de ses alliés,
et donc de ses intérêts, et où le pays n’a plus l’influence internationale
dont il a joui à l’époque de la maturité.
Le réalisme de David Bercuson possède deux facettes : l’une, que
l’on pourrait qualifier « d’explicite », est un réalisme théorique, qui pourrait s’appliquer à n’importe quel État ; l’autre, implicite, s’applique plus
particulièrement au Canada tel que le conçoivent Bercuson et Cooper.
Le réalisme théorique de Bercuson est somme toute assez classique. Tout
part de l’anarchie fondamentale du système international ou, dans ses
propres mots, de « la fragilité de l’ordre » ~Bercuson et Granatstein, 1991 :
243!. La « dure réalité », écrit-il, est que toutes les relations internationales, y compris les relations commerciales, « reposent sur le fondement
de la puissance militaire » ~Bercuson, 1996 : 97!. Conséquemment, les
nations qui aspirent à conserver leur indépendance et préserver leur mode
de vie doivent se doter d’armées prêtes à mener des guerres ~1996 : 239!.
Pour Bercuson, le Canada serait vite rejeté des alliances qui garantissent
sa sécurité ~OTAN, NORAD! s’il cessait de « payer ses dus », c’est-àdire s’il ne possédait plus la puissance nécessaire à sa pleine participation ~1996 : 20!. Tout aussi grave, un Canada impuissant ne serait plus
consulté lorsque les autres États se réunissent pour édicter les « règles »
du système international : dans le réalisme de Bercuson, le droit international ~il cite la convention de Genève! n’est en fait que le reflet des
intérêts et de la puissance des signataires ~1996 : 20–22!.
Mais le réalisme que prône Bercuson n’est pas que théorique ; le
réalisme est aussi la politique étrangère naturelle du Canada. Il a été mentionné plus tôt que le Canada de Cooper et Bercuson n’a pas d’identité
et que la politique fédérale doit être « neutre », ne pas favoriser ou promouvoir une « culture nationale ». La politique étrangère du Canada
devrait donc être naturellement a-identitaire, a-culturelle et a-morale, c’està-dire réaliste, ce qui n’est évidemment pas le cas depuis les années
soixante.
Dans ses travaux d’historien, Bercuson cherche à revaloriser l’histoire
militaire et l’histoire de la politique étrangère canadiennes. Pour ce faire,
il met l’accent sur la période de cette histoire qu’il juge la plus glorieuse,
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l’âge d’or du Canada ~1945–1957!, où des politiques réalistes ont permis
au pays de remporter ses plus grands succès internationaux ~Bercuson et
Cooper, 1994 : 5!. Ainsi, la période qui s’étend de la Confédération à la
Deuxième Guerre mondiale est traitée comme une ère d’immaturité ~Bercuson et Granatstein, 1991!. C’est surtout l’époque où le Canada était
encore dépendant de la Grande-Bretagne pour sa politique étrangère. La
participation à la guerre des Boers, loin d’être un acte de « maturité nationale », fut une « réponse émotive à l’esprit impérial britannique » ; les
désastres de Dieppe et Hong-Kong, eux aussi, furent causés par un « patriotisme impérial déplacé » ~1!.
Puis vint la Seconde Guerre mondiale, où le sacrifice des militaires
canadiens permit « l’intronisation du Canada dans la famille des nations
libres et indépendantes » ~Bercuson, 1995 : 2!, ce qui signifiait non seulement la séparation d’avec la Grande-Bretagne, mais le rapprochement
avec les États-Unis, avec qui le Canada avait de plus en plus d’intérêts
communs, tant au niveau commercial que sécuritaire ~Bercuson et Granatstein, 1991 : 91!. Pour Bercuson, ce tournant, et tout ce qu’il implique
en termes de nouvelles responsabilités continentales et internationales,
s’incarne en la personne de Brooke Claxton, ministre de la défense nationale de 1946 à 1954 ~Bercuson, 1993 : xi!. Dans une biographie de Claxton intitulée True Patriot, Bercuson ~1993! explique d’abord que Claxton
et les hommes de sa génération croyaient tous que le Canada était voué à
un avenir glorieux ~1!. Forgé dans les tranchées de la Première Guerre
mondiale, où il a découvert de vastes différences entre le caractère canadien et le caractère britannique, le patriotisme de Claxton était avant tout
un désir d’indépendance face à la Grande-Bretagne ~8 ; 40!. De cette
guerre, Claxton retiendra aussi la leçon de la nécessité « humaniste » de
limiter la guerre par des objectifs politiques. Dégoûté par les horreurs de
la guerre, il n’en est pas pour autant devenu pacifiste : il n’est pas prêt à
tout pour éviter une nouvelle explosion de violence ~40!. Dans l’entredeux guerres, Claxton est séduit par les objectifs de sécurité collective
de la Société de Nations @SDN#, qui dénotent un « pacifisme pragmatique » semblable au sien ~45!. Pour lui, la sécurité collective était un
moyen pour le Canada d’accroître son indépendance en favorisant la paix
mondiale sans participer à l’Empire britannique. Claxton était un nationaliste canadien avant l’heure, et la Pax Britannica ne lui semblait pas
offrir des garanties de paix aussi prometteuses que la SDN ~45 ; 63 ; 67!.
Cependant, les événements des années trente impliquant l’Allemagne et
l’Italie lui firent prendre conscience que la sécurité collective était inutile
sans l’appui de la puissance militaire ~77–78!. Selon Claxton, le commerce est une nécessité absolue pour le Canada. Toute menace au commerce est une menace à la paix, et vice-versa. Il conçoit donc la paix
comme « indivisible » ~77 ; 86!, d’où le besoin de voir le Canada participer à la préservation de la paix dans le monde, par l’usage de la puis-
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sance si nécessaire. Ce sont toutes ces leçons qui informent le réalisme
que Brooke Claxton a appliqué comme ministre de la Défense, et c’est
ce réalisme qui définira toute la politique étrangère canadienne au cours
de son âge d’or. Son « style », comme le dit Bercuson, était d’être « réaliste quant à la nature de la puissance » ~290! et de la nouvelle donne
internationale. Dans les faits, cela se traduisit par un désir de coopérer
au maximum avec les États-Unis pour garantir à la fois la sécurité et la
souveraineté du Canada ~cette dernière aurait été malmenée si les ÉtatsUnis avaient pris en charge la sécurité canadienne! ~164 ; 290!. Réaliste,
Claxton l’était aussi quant aux besoins du Canada en tant que puissance
moyenne : les ressources défensives du Canada ont toujours été limitées,
de telle sorte que le pays a toujours dû regarder vers l’extérieur pour
trouver les moyens de défendre ses intérêts ~165!. C’est là le sens du
désir de Bercuson de voir le Canada s’affirmer pleinement comme un
allié des États-Unis. D’après lui, la posture réaliste de Claxton, qui évitait les grands gestes lourds de symbolisme ou de moralisme et se concentrait sur les compromis nécessaires pour atteindre ses objectifs, a permis
au Canada de préserver sa souveraineté sur l’Arctique tout en assurant la
sécurité du continent nord-américain ~Bercuson, 1989 ; Bercuson, 1990!.
C’est également cette conception réaliste de la puissance qui a mené à la
croissance du budget militaire canadien durant cette période, ce qui a
rendu possible la participation canadienne à la guerre de Corée et à
diverses opérations onusiennes de maintien de la paix dans les années
suivantes ~Bercuson et Granatstein, 1991 : 170 ; 188–90! ; autrement dit,
sans cette posture réaliste, le Canada n’aurait pas pu apporter le muscle
dont les institutions de la sécurité collective ont besoin.
Cet âge d’or réaliste est de courte durée. Bien vite Diefenbaker arrivera au pouvoir et inaugurera une ère où nationalisme canadien rime avec
antiaméricanisme. On assistera ensuite à la « conversion » du Canada
aux opérations de maintien de la paix : à force de se définir par ce genre
de missions, les Canadiens ont oublié ce qu’est la nature de la puissance
~Bercuson, 2010 ; Bercuson, 1996 : 57–58 ; 60!.
Ce tournant canadien, vers le multilatéralisme et la « neutralité »,
s’est effectué aux dépens du réalisme et de la relation avec les ÉtatsUnis. Pour Bercuson, cela signifie qu’il s’est fait contre l’histoire canadienne. Mais ce tournant antiaméricain est aussi contraire aux désirs
et aux valeurs de l’Ouest canadien. Dans un court texte consacré à
« l’aliénation de l’Ouest », Bercuson rappelle que la position du gouvernement Chrétien à propos de la guerre en Irak et du financement
des forces armées n’est pas celle de l’Ouest, loin de là :
The West is closely tied to the United States by trade, by family links, by immigration, and by geography and history. Most Westerners feel friendship and
respect for Americans most of the time @...# and the West has long had close
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ties to the Canadian military. @...# Take both those factors together and Ottawa’s
recent flirting with open anti-Americanism, its starvation of the Canadian
Forces, its apparently “neutralist” foreign policy is not representative of how
Western Canadians see Canada’s place in the world or its role on the international stage. The view from here is that current foreign and defence policy,
just to give two dramatic examples, is being shoved down the throats of Western Canadians. ~2003!
Le Canada doit donc être un meilleur allié des États-Unis parce que
l’antiaméricanisme qu’il affiche depuis une cinquantaine d’années ne correspond ni à son histoire, ni à son intérêt, ni à ce que Barry Cooper nomme
la conscience politique de l’Ouest, dont il faudra maintenant définir les
tenants et les aboutissants.
Barry Cooper : conscience politique de l’Ouest et critique
de la modernité
Selon Barry Cooper, une identité commune ne peut être que locale ou
régionale. Les identités trouvent à s’exprimer dans la littérature
d’imagination, où elles prennent la forme de mythes, qui sont le contexte
interprétatif de l’histoire : suivant la distinction de Northrop Frye, « History is a story of what happens ; myth is a story of what happens all the
time » ~Cooper, 2001 : 380!. En ce sens, Cooper place l’étude des mythes
au cœur de sa science politique, car les symboles véhiculés par les mythes
permettent aux hommes de donner sens à leur existence politique. Le
Canada que Cooper a décrit avec Bercuson peut ainsi être conçu comme
opposant ~au moins! deux mythes ~et donc deux identités, deux ensembles de symboles! : celui de l’Ouest, « régionaliste », et celui du
Canada central, le mythe loyaliste.
Le mythe loyaliste aurait été fondé par deux événements : la révolution américaine et la guerre de 1812. Expulsés de leurs foyers par la révolte
des 13 colonies en raison de leur fidélité à la Couronne britannique, les
loyalistes se seraient retranchés au Canada pour faire survivre leur mode
de vie britannico-américain. Puis, en 1812, « the covenant made with the
royal authority was confirmed and Canada survived, a genuine garrison
facing a genuine enemy ... » ~Cooper, 1984b : 218!. De par ces deux
expériences, l’identité loyaliste a développé une « mentalité d’assiégé »
qui se traduit dans le symbole central du mythe loyaliste, la survivance
~ici, c’est sur Margaret Atwood, élève de Northrop Frye, que Cooper
s’appuie!. Cooper tire de l’analyse du mythe loyaliste une conclusion de
grande importance pour la suite de cet exposé : « The point of garrison
life, evidently, is to survive. Garrisons are also sites of military and administrative rule » ~1984b : 214!. Les mythes et les symboles de l’identité
loyaliste, sous la plume de Frye et Atwood, en sont cependant venus à
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caractériser l’ensemble du Canada, à tel point que l’identité loyaliste est
désormais conçue comme l’identité de l’ensemble du Canada ~1984b :
214!. Pour Cooper, le Canada dont George Grant pleurait la mort, par
exemple, est ce Canada produit par l’imaginaire loyaliste, un Canada qui
aurait été étendu d’un océan à l’autre par les « mandarins d’Ottawa » dans
une tentative d’oblitérer la diversité des identités régionales ~Cooper,
1992 : 163–64!.
Cooper, lui, est avant tout un produit de l’Ouest canadien ~comme
tout homme est un produit de sa « région » d’origine! ~2001 : 374!. La
conscience politique dont il se réclame est d’abord « régionaliste » : l’unité
politique significative, pour un homme de l’Ouest, est la région ou la province ; le Canada n’est qu’une structure légale et administrative ~Cooper,
1984b : 213!. L’identité de l’Ouest a été forgée par son environnement et
ses mythes découleraient en bonne partie de l’immensité des Prairies ~219!.
Plus précisément, l’identité de l’Ouest est en partie fonction des nécessités du sol : les techniques agricoles européennes ne pouvant s’y appliquer, il fallut faire appel aux nouvelles techniques américaines et, avec
elles, les idées américaines pénétrèrent la conscience de l’Ouest ~226!. Qui
plus est, bien avant la Confédération, l’économie de l’Ouest s’était intégrée
à celle de la capitale régionale, Saint Paul, Minnesota. Dans la conscience
politique de l’Ouest, les États-Unis sont un partenaire et non une menace
~226!. Enfin, l’identité de l’Ouest est définie par l’expérience de la subordination politique de la région à la volonté du Canada central ~Cooper,
2009b : 83!. Au moment de la Confédération, l’Ouest aurait ainsi été perçu
~et se serait perçu lui-même! comme une « colonie de l’Est » à laquelle
ne serait pas accordé le self-government ~2009b : 111!. S’appuyant sur
l’historien W. L. Morton, Cooper va même jusqu’à parler d’exploitation
commerciale et de « méthodes impérialistes de domination » ~Cooper,
1984b : 228!. En résumé, la conscience politique de Cooper est celle de
l’Ouest, qu’il définit comme suit : « Western political consciousness, then,
may be caracterized as one of pragmatic flexibility in defending local and
regional interests in a comparatively hostile environment that historically
has encompassed frost, grasshoppers, uncertain markets, and the predatory political and economic institutions of the central garrison » ~2009b :
232!.
C’est ici qu’il faut se pencher sur la théorie politique de Cooper.
Dans un texte autobiographique, il explique comment certains grands
penseurs du politique lui ont permis de mieux comprendre la situation
de l’Ouest dans le Canada : « The Voegelinian analysis brought into
focus the symbolism by which Canadians have expressed their variegated experiences ; the Foucauldean analysis examined the study of
western politics from a base in central Canada as the deployment of
“power-knowledge” » ~Cooper, 2001 : 379–80!. La conception des symboles et de l’identité de Cooper a été exposée plus haut, et Voegelin
656
MANUEL DORION-SOULIÉ
sera traité plus en profondeur dans la suite du texte. Mais, à ce moment-ci
de l’analyse, c’est son analyse foucaldienne du complexe pouvoir-savoir
qui est intéressante. Prenant la forme d’une idéologie progressiste émanant
du Canada central, ce complexe est au service de l’extension ad mari
usque ad mare du mythe loyaliste. Il s’exprime, dès les premières années
de la Confédération, par le recensement de 1869 et la construction du
Canadian Pacific Railway, tous deux visant à imposer sur l’espace de
l’Ouest un modèle élaboré à l’Est ~Cooper, 2009b : 188 ; Cooper, 1984b :
220!. Au XX e siècle, Cooper identifie certains travaux universitaires influents comme participant du complexe pouvoir-savoir loyaliste. Il cite en
particulier les travaux de C. B. Macpherson sur « l’aliénation de l’Ouest »
~Cooper, 2009b : 114!. Si aliénation il y a, dit Cooper, c’est que le discours concernant l’Ouest appartient à un « autre » qui cherche à imposer
son agenda progressiste, son identité, sur une communauté d’identité différente ~1984b : 230!. Enfin, le complexe pouvoir-savoir trouve son plus
puissant porte-voix dans les réseaux de télévision nationaux, en particulier la CBC. Analysant le journal télévisé, Cooper affirme que la CBC
ne défend que le point de vue du Canada central, aux dépens de celui de
l’Ouest, auquel elle serait hostile ~1994 : xi!. Cette fois, le progressisme
véhiculé par le mythe loyaliste triomphant s’accompagne d’universalisme.
La défense de la « doctrine du progrès », devenue le but de la CBC,
passe par la promotion d’une « démocratisation » ~que Cooper entend
dans un sens apparenté au « sentiment du semblable » tocquevillien!
étendue à l’ensemble de l’humanité, ce qui implique, toujours selon
Cooper, la suppression des « préjugés » locaux et régionaux. Pour Cooper,
l’antiaméricanisme est la conséquence la plus criante de ce biais progressiste de la CBC ~220–22!. Et cet antiaméricanisme est un produit
du projet progressiste loyaliste, qui est en fait un projet homogénéisateur de suppression des identités régionales par une bureaucratie centralisatrice : « In this way, TV draws attention to itself as a “national”
institution and invites government regulation. By seeking to destroy local
prejudice ~and prejudice cannot help but be local!, TV opens the door
to government control because that same act destroys or undermines the
basis for resisting central bureaucratic authority » ~224!.
De l’archéologie de Foucault, Cooper retient que la recherche de
l’homogénéité serait une caractéristique des sociétés libérales modernes.
Une « technologie sociale » y serait mise au point pour imposer une certaine « hygiène publique » ~Cooper, 1981: 20–24!, tout cela au service
d’une « utopie despotique » qui viserait la « pureté sociale » ~34–37!.
La violence de l’État serait ainsi justifiée au nom de cette pureté, que
Cooper décrit comme menant inévitablement à la répression sociale et
au totalitarisme ~37 ; 100!.
Le lien que Cooper établit entre impérialisme et bureaucratie n’est
pas sans rappeler certaines idées d’Hannah Arendt. Cooper fait sienne
Le Canada et le monde vus de l’Ouest
657
l’analyse arendtienne de l’impérialisme bureaucratique comme précurseur du totalitarisme ~2009b : 227!. Plus encore, il se sert d’Arendt pour
exposer le type particulier de violence dont se sert l’impérialisme moderne dans son désir d’imposer un ordre de l’extérieur. Au service de
l’idéal bourgeois moderne, les nations impérialistes ont créé une « nouvelle classe de bureaucrates armés et non-armés » dont l’objectif était
l’expansion par l’acquisition d’une forme de puissance illimitée. Ainsi,
la modernité telle que la décrit Cooper mènerait-elle presque inévitablement à l’usage d’une violence que l’on pourra dire, à la suite d’Arendt,
« apolitique » : « @...# the essential feature of police or military rule is
that it governs by administrative fiat directly backed by violence rather
than by law and the visible responsibility of speech, argument, and political assembly » ~Cooper, 1984a : 16!.
Ici, il importe de s’arrêter un instant pour préciser un élément de
la pensée de Cooper. Rien ne laisse croire qu’il conçoit le Canada, où
l’Ouest serait subjugué par le centre, comme un État totalitaire. Sa critique de la modernité consiste à montrer que le progressisme à la canadienne et le totalitarisme trouvent leurs racines dans le même projet
moderne dont Hobbes et Hegel sont les hérauts, tout en affirmant que
la version non-totalitaire du « règne bureaucratique », qui s’exerce « sans
terreur, par des fonctionnaires, des mandarins, des multinationales et
numéros d’assurance sociale », est plus bénigne que la version totalitaire, cruelle et enthousiaste ~Cooper, 1984a : 330!. Pour Cooper, la
modernité est hégélienne : « Contemporary modern relations of family,
society and state are as Hegel’s argument requires » ~Cooper, 1984a :
285!. La « conscience de soi moderne » est hégélienne ~Cooper, 1984a :
4!, tout comme, au Canada, la « doctrine du progrès » est la conception
que la société moderne-technologique entretient d’elle-même ~Cooper,
1994 : 221!. Ce qui devra retenir l’attention dans la critique que Cooper
fait de la modernité, ce sont les conclusions qu’il en tire quant à la
violence et à son usage légitime, car c’est de là que découlent ses prescriptions de politique étrangère.
Violence terroriste et violence acceptable
Chez Merleau-Ponty, Cooper semble être à la recherche d’une critique
satisfaisante du marxisme et, plus précisément, de la terreur révolutionnaire, ce qui participe de sa critique de la modernité hégélienne. D’après
Cooper, Merleau-Ponty serait passé, au cours de sa vie, d’une acceptation de la terreur, telle que justifiée par Kojève, c’est-à-dire comme un
passage obligé vers l’État universel et homogène, à un rejet de la terreur
comme une violence intolérable d’un point de vue humaniste ~1979 :
voir la préface!. La violence révolutionnaire se justifiait par une référence
658
MANUEL DORION-SOULIÉ
à l’histoire, au progrès : de ce fait, elle se voulait une forme d’action
politique pure ~71!. Mais la violence ne peut jamais être pure, car il
n’existe que des êtres humains réels, et non pas des abstractions : la violence est toujours brutale, elle est toujours en tension avec l’humanisme
~129!. Ainsi, dans l’esprit de Cooper, la violence ne peut pas être justifiée si elle est menée au nom d’une abstraction, en l’occurrence l’Histoire,
menant inexorablement à l’État universel homogène, dont l’avènement
nécessiterait et justifierait l’emploi de la terreur.
Cooper est cependant convaincu que la violence est inévitable : « War
and violence are pragmatic elements of human culture, not inexplicable
aberrations or breakdowns. Indeed @...# war is a part of primate life »
~Cooper, 2004 : 26!. ~Notons au passage que cette position ressemble à
une version anthropologique du réalisme de Bercuson.! Il lui faut donc
développer plus avant une distinction entre violence justifiable et injustifiable, ce qu’il fera avec Eric Voegelin.
Pour Voegelin, la modernité est porteuse de nouvelles religions politiques ~des « gnoses »! qui pervertissent le sens de l’existence humaine.
Les totalitarismes en sont bien sûr l’exemple le plus frappant, eux qui
réduisent mécaniquement les êtres humains à des éléments constituants
de l’État ~Cooper, 1999 : 1–5!. Cette « perversion du sens de l’existence
humaine » est la même qui permet à un révolutionnaire de tuer au nom
de l’Histoire ~et à un terroriste islamiste de tuer au nom d’Allah, ce dont
il sera question sous peu!. Cooper, suivant Voegelin, écrit que les violences
terroristes ou révolutionnaires sont révélatrices de maladies spirituelles,
de « pneumopathologies » :
Otherwise sane and ordinary people have been led to claim divine inspiration
or inspiration from other sources, some of them occult, and all of them hidden
to the world of common sense, but accessible to something like a sixth sense
awakened by indoctrination. It is for this reason that one can compare the spiritually disordered suicide bombers of Al Qaeda to the adherents of modern
ideologies in the SS or the KGB. ~Cooper, 2004 : 25!
Forts de leurs certitudes religieuses ~ou quasi-religieuses!, et convaincus
que le monde n’est pas tel qu’il devrait être, les pneumopathes ont pour
caractéristique commune de chercher à provoquer des transformations
révolutionnaires de l’existence humaine ~Cooper, 1999 : 7!. Ainsi, pour
ces hommes, la violence n’est pas un « mode pragmatique de l’activité
humaine », c’est un « instrument magique capable de transfigurer la réalité ». Le sens commun ne croit pas à la magie : il sait que des actes de
violence ont des conséquences dans le monde réel, sur des êtres humains
réels. Les pneumopathes, eux, vivent dans un monde imaginaire ou leur
violence a des effets magiques sur la réalité ~Cooper, 2004 : 25!, mais ils
ne parviennent qu’à faire du mal à d’autres êtres humains ~21!, ce qu’ils
réaliseraient s’ils n’étaient pas malades : « Normal people, living in a
Le Canada et le monde vus de l’Ouest
659
shared, commonsensical world, do not believe in magic » ~25!. Leur violence est donc injustifiable car elle est opposée à l’expérience normale
du sens de l’existence humaine.
Au contraire, la violence justifiable est celle qui correspond à la
recherche de sens, naturelle chez l’homme. D’après Voegelin, l’homme
est un animal politique, car il cherche un sens à son existence, celui-ci
ne pouvant exister que dans une communauté. Précaires, ces communautés doivent être protégées par l’usage d’une violence qui n’est qu’un
instrument de l’ordre ~Cooper, 1999 : 39!. Si le sens que la communauté
donne à l’existence humaine est « intérieur » à cette communauté, elle
possède aussi un côté « extérieur » : le lieu où elle assure la défense et la
justice. Ici, Cooper accepte parfaitement la leçon du chapitre 12 du
Prince : pas de bonnes lois sans bonnes armes ~1986 : 161!. La capacité
d’exercer une certaine violence est essentielle au sens que donne la communauté de l’intérieur : sans violence, le motif anthropologique de la
communauté ne peut être accompli. Cette violence-là ne transfigure pas
la réalité et elle ne se veut pas pure ; elle n’a de sens que vue de l’intérieur
de la communauté politique dont elle est l’extérieur ; elle n’a de sens
que pour ceux qui y participent, car la participation à la communauté
politique est la création et le maintien du sens ~162–63!.
La violence acceptable des démocraties libérales
Les prescriptions de politique étrangère de Cooper découlent du cheminement intellectuel qui vient d’être exposé, mais aussi de certains autres
facteurs plus pragmatiques.
Cooper ne saurait imaginer une menace plus grave pour la démocratie
libérale et la prospérité de l’Amérique du Nord que des attentats en sol
américain ~Cooper et coll., 2004 : 21!. Il en conclut que le Canada doit
avant tout être un bon allié des Américains. Concrètement, cela implique
bien sûr d’assurer « l’interopérabilité » des forces canadiennes avec les
forces américaines, c’est-à-dire ne pas laisser se creuser un trop grand
écart technologique ~Cooper et coll., 2004 : 4!. Mais le Canada doit surtout
faire le choix politique d’être un bon allié des États-Unis. Si, au cours de
la guerre froide, la situation géographique du pays garantissait que le
Canada serait pris en compte dans les questions de défense américaines,
les avancées technologiques ~en particulier la militarisation de l’espace,
qui diminuerait l’importance de la géographie dans les questions stratégiques! ont modifié la donne ~Cooper et coll., 2004 : 24!. Désormais,
si le Canada veut avoir voix au chapitre, il devra montrer aux États-Unis
sa détermination à être un bon allié par des choix de politique étrangère
qui soutiendront ceux des Américains ~participation aux interventions
américaines à l’étranger, en particulier les guerres préventives, partage
660
MANUEL DORION-SOULIÉ
des renseignements militaires, etc.! ~Cooper, 2002 : 42–43!. Outre sa prospérité, c’est sa souveraineté que le Canada défendrait ainsi : la doctrine
stratégique canadienne doit consister en une « défense contre l’aide »,
c’est-à-dire que le Canada doit demeurer suffisamment puissant, et être
un allié suffisamment fiable, pour que les Américains ne décident pas
« d’aider » le Canada à se défendre en empiétant sur sa souveraineté
~Cooper, 2002 : 21–23 ; Cooper et Moens, 2005 ; Cooper, 2007!.
Pour Cooper, ces choix politiques impliquent que les Canadiens se
débarrassent du « sentiment exagéré et narcissique de leur différence »
~Cooper, 2002 : 30!, autrement dit de leur antiaméricanisme. Les Canadiens refuseraient souvent de s’aligner sur la politique étrangère américaine à cause de la « mentalité d’assiégé » issue de l’imaginaire loyaliste
~Cooper et Miljan, 2004 : 3–4!. Cet antiaméricanisme, qui dessert tant
les intérêts canadiens, trouve à s’exprimer, depuis le 11 septembre 2001,
par l’établissement d’une équivalence morale entre Américains et terroristes ~Cooper et Miljan, 2004 : 13–15!. Mais pour Cooper, la différence
entre les deux camps ne saurait être plus marquée.
Il tente d’abord de dresser le portrait spirituel du terroriste islamiste contemporain. Il est issu de ces « villes musulmanes du tiersmonde moderne », de ces sociétés disloquées par la modernité, mais
qui ne profitent pas encore de la prospérité qui en est attendue. Plongé
dans un monde dépourvu de sens ~Cooper parle d’un monde hobbesien
où seules les vertus de la guerre comptent @Cooper, 2002 : 6# !, il trouve
dans l’islamisme radical un « petit monde » où la vie a de nouveau un
sens. Les réseaux islamistes, qui sont en eux-mêmes des armées vouées
au jihad, sont ainsi décrits comme des communautés politiques comme
toutes les autres : elles sont chargées de donner un sens à l’existence
humaine ~Cooper, 2002 : 6!. Mais la théologie civile qui sous-tend
l’existence de cette communauté est l’expression d’une pneumopathologie, d’une maladie de l’esprit, au même titre que l’étaient les idéologies meurtrières du XX e siècle ~Cooper, 2002 : 39!. L’esprit du terroriste,
conçu comme un pneumopathe, est caractérisé par la présence de deux
« réalités », l’une dans laquelle se déroulent ses actes ~et où vivent ses
victimes!, l’autre dans laquelle réside sa justification. Cette seconde réalité, imaginaire ou pseudo-divine, permet au terroriste de commettre des
actes de violence qui apparaissent comme injustifiables pour le sens
commun. Sa violence n’est pas un « mode pragmatique de l’activité
humaine », mais plutôt un « instrument magique capable de transfigurer la réalité » ~Cooper, 2002 : 9–10!. Le terroriste est un « pur »,
qui hait l’Occident parce qu’il représente l’impureté ; les deux réalités
de son esprit lui permettent de « purifier » sa violence. Sa violence est
pure car elle sert un « impératif théologique ». De ce fait, elle est déconnectée de tout objectif pragmatique reconnaissable par le sens commun.
Tentant de faire « pénétrer Dieu dans l’histoire » par leurs actes de vio-
Le Canada et le monde vus de l’Ouest
661
lence, les terroristes abandonnent tout objectif politique : dès lors, leur
violence ne peut plus être limitée ~Cooper, 2002 : 22–23!.
Face à cette violence apolitique, donc illimitée, le contraste avec
les démocraties libérales telles que les décrit Cooper est saisissant. Dans
un texte consacré aux difficultés que rencontrent les démocraties qui
mènent des « guerres asymétriques » ~Cooper parlent de « small wars »!,
il explique que ces difficultés naissent en bonne partie de « l’asymétrie
dans la brutalité » : les démocraties sont incapables de recourir au niveau
de violence qui leur permettrait de remporter ces guerres en annihilant
l’adversaire ~Cooper, 2009a : 21!. Leur violence est limitée par des
contraintes qui découlent de la nature même des régimes démocratiques
~débats ouverts, manque de goût pour le sacrifice, etc.!. Surtout, Cooper
ne recommande pas un recours à la brutalité illimitée. Au contraire, une
telle tactique serait contre-productive : d’une part car les objectifs des
démocraties dans ces guerres sont hautement politiques ~il faut gagner
les cœurs et les esprits si l’on espère procéder à un changement de
régime! ; d’autre part parce que la brutalité n’est pas une « technique
neutre », c’est-à-dire qu’elle corrompt la fibre morale d’une société et
rend son gouvernement par les calculs de la raison presque impossible.
Cooper cite en exemple le dialogue mélien de Thucydide, dont le désastre de Sicile serait la conséquence inévitable ~Cooper, 2009a : 22–23!.
Les guerres asymétriques qui poussent Cooper à écrire ce dernier
texte sont celles que les États-Unis, avec leurs alliés, mènent dans le but
de combattre le terrorisme. Cooper conçoit ces guerres comme opposant
deux types de communautés politiques, l’une pour qui la violence est un
« instrument magique » visant à transfigurer la réalité, l’autre pour qui
la violence est un outil au service du politique 4. Violence illimitée contre
violence limitée : c’est selon ces termes que Cooper « choisit son camp »
et appelle le Canada à soutenir les États-Unis. Ce choix n’est pas le simple fait d’un patriotisme non-examiné : en partant d’une critique de la
modernité inspirée par son expérience de Westerner, Cooper a abouti à
une définition de ce qui constitue le « bon » usage de la violence.
Conclusion
Anne Boerger, citée en introduction, écrit, à propos des prescriptions de
politique étrangère de Bercuson et Cooper : « Leur choix @entre le libéralisme et les terroristes# est fait et leur réflexion s’arrête là ». Cela n’est
pas totalement injuste, mais ça l’est tout de même un peu. Cet article a
amplement démontré que si leur réflexion s’arrête là, elle a commencé
beaucoup plus tôt. Dans l’histoire du Canada, dans la conscience politique de l’Ouest, dans une réflexion anthropologique et philosophique
sur la violence, Bercuson et Cooper fondent une politique étrangère très
662
MANUEL DORION-SOULIÉ
différente du multilatéralisme et de la neutralité qui ont longtemps caractérisé l’action internationale canadienne et qui font encore aujourd’hui
consensus dans de larges pans du pays. Pro-américaine à l’extrême, cette
politique étrangère mérite tout de même d’être comprise selon ses propres
termes. Ce qui ne signifie certainement pas qu’une fois comprise elle
sera acceptée par tous les Canadiens. Et cela n’est peut-être même pas
l’objectif visé par Bercuson et Cooper : issue d’une lecture « régionaliste » de l’histoire canadienne et d’une conscience politique très particulière, leur politique étrangère peut-elle espérer gagner l’appui de ceux
qui croient encore au mythe loyaliste ou des autres Canadiens ~et Québécois! qui se sentent peu d’affinités avec les Américains, et encore moins
de sympathie pour leur Empire ? Il semblerait bien que la politique
étrangère de Bercuson et Cooper, qu’elle constitue ou non la politique
étrangère de Stephen Harper, est condamnée à être mal reçue par une
large part de l’opinion canadienne.
Notes
1
2
3
4
Sur le rôle de l’Ouest et la place de la « conscience politique de l’Ouest » dans la
pensée de Harper, voir entre autres Flanagan ~2009 : 55!, Martin ~2010 : 5! et Vastel
~2006!.
On reconnaîtra ici l’influence de Friedrich Hayek sur l’école de Calgary. Voir à ce
sujet Boily, 2009.
Le mythe loyaliste aurait longtemps été utilisé pour promouvoir des politiques « conservatrices ». Voir par exemple l’usage que les impérialistes canadiens en ont fait au
tournant du XX e siècle ~Berger, 1970!. Quant à Cooper et Bercuson, ils considèrent
qu’il est désormais au service d’un projet « progressiste » ~cf. p. 11!.
Les thèmes clauswitziens sont très présents dans l’œuvre de Cooper, mais une analyse approfondie de leur signification ne fait pas partie du cadre de cet article.
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