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OCTOBRE 2006
Actualités – Litige
La Cour suprême du Canada précise la
définition du privilège relatif au litige
Ministre de la Justice c. Blank, 2003 CFPI 462, révisé en 2004 CAF
287, appel rejeté en 2006 CSC 39
CONTENU
La Cour suprême du Canada
précise la définition du privilège
relatif au litige
Dépôt du tout premier recours
collectif aux termes du projet de
loi 198
Équilibre fragile en matière de
responsabilité du fait des produits :
les tribunaux ontariens toujours
hésitants quant à l’application de la
doctrine de « waiver of tort »
Faits nouveaux survenus au sein du
groupe, notamment l’annonce du
séminaire sur la réglementation à
venir
Le bulletin de litige est un bulletin
régulier rédigé par des membres du
groupe de litige de Stikeman Elliott
S.E.N.C.R.L., s.r.l.
STIKEMAN ELLIOTT LLP ¦
Dans le cadre de sa récente décision prise relativement à l’affaire du ministre de la Justice c.
Blank, la Cour suprême du Canada a limité la portée du privilège lié aux documents rédigés
en vue d’un litige. Deux conceptions du privilège relatif au litige étaient en cause, et la Cour
suprême a favorisé un point de vue plus restreint du privilège en considérant qu’il s’éteint à
l’issue du litige qui lui a donné naissance.
La question au coeur du problème était de savoir si le fondement du privilège relatif au
litige est différent ou non de celui du secret professionnel de l’avocat. Le secret
professionnel de l’avocat préserve la confidentialité des communications échangées
entre un avocat et un client dans le but d’obtenir un avis juridique, ce qui permet aux
clients de parler en toute franchise avec leurs conseillers juridiques, et sa durée est
indéterminée. En revanche, le privilège relatif au litige protège les documents rédigés
en vue d’un litige réel ou envisagé. Jusqu’à présent, on ne savait pas très bien si la
protection découlant du privilège relatif au litige se limitait à la durée de la procédure
dans le cadre de laquelle les documents étaient utilisés ou si, comme le secret
professionnel de l’avocat, sa durée était indéterminée.
L’affaire Blank a commencé lorsque Gateway Industries, une société dont Blank était
administrateur, a été accusée d’infractions aux termes de lois fédérales sur
l’environnement. En bout de ligne, les accusations ont été annulées. Blank a intenté une
action au civil contre le gouvernement fédéral aux termes d’allégations de fraude, de
complot, de parjure et d’exercice abusif des pouvoirs de la poursuite et a également
présenté bon nombre de demandes d’accès à l’information quant à des dossiers qui
concernent la poursuite. Le gouvernement a rendu publics certains documents, mais on
compte d’importantes omissions. Blank s’en est plaint au Commissaire à l’information, et
d’autres documents ont été rendus publics. Par la suite, Blank a présenté une demande de
révision judiciaire à la Cour fédérale contestant l’usage continuel du gouvernement des
exemptions afférentes à la divulgation en ce qui a trait à certains documents.
Par suite de cette demande, le juge a ordonné de rendre publics bon nombre de
documents en raison du fait qu’ils avaient déjà été rendus publics pour les fins des
procédures criminelle et civile ou que Blank les avait déjà en sa possession. L’une des
questions soulevées, qui est devenue la question centrale en Cour suprême, consiste
à savoir si, dans les faits, le privilège relatif au litige qui protège ces documents s’est
éteint à l’issue de la procédure particulière à laquelle les documents se rattachaient.
La majorité des juges de la Cour d’appel fédérale (à l’exception du juge Létourneau)
furent d’avis que la protection liée au privilège relatif au litige avait pris fin, à moins qu’il
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soit possible de définir le litige d’une manière plus large de façon à ce qu’il ne soit pas limité à la procédure particulière ayant
donné lieu à la réclamation. Essentiellement, le fondement de ce point de vue est que l’objectif du privilège relatif au litige est de
protéger le caractère contradictoire du processus litigieux : une fois le litige terminé, on peut soutenir que l’application du privilège
devient superflue.
Il s’agit d’une question importante, notamment lorsque les parties sont concernés par une procédure récurrente ou connexe qui exige les
mêmes considérations juridiques, de principe et stratégiques. Si le privilège relatif au litige s’éteint au même moment qu’un segment
individuel de ce qui peut constituer une plus longue série de procédures connexes, il est possible qu’un litigant (et plus particulièrement
un défendeur) soit désavantagé de façon importante sur le plan stratégique s’il n’est plus en mesure de faire valoir la protection
accordée par le privilège à l’égard de documents rédigés dans le cadre des procédures antérieures, mais qui sont pertinents
relativement à un cas ultérieur de nature semblable.
Le point de vue opposé, appuyé par le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale, veut que le privilège relatif au litige ne soit
pas limité dans le temps. Dans ce contexte, le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat sont fondés sur le
même principe, soit le besoin de confidentialité et de franchise entre un avocat et son client aux fins d’obtention d’un avis
juridique. C’est leur portée respective qui fait la différence entre les deux composantes du privilège. Le privilège relatif au litige a
une portée plus vaste, puisque la protection qu’il offre s’étend jusqu’au contenu du dossier de l’avocat, ce qui peut comprendre
des communications échangées entre le conseiller juridique et des tierces parties dont la collaboration s’est avérée nécessaire,
alors que le secret professionnel de l’avocat ne couvrirait généralement pas ces éléments. Toutefois, dans le contexte de cette
théorie, les deux composantes du privilège ont le même fondement, et il n’est aucunement nécessaire de mettre fin au privilège
relatif au litige de façon prématurée. Selon cette interprétation, le privilège relatif au litige devrait jouir du même caractère
permanent que le secret professionnel de l’avocat, puisqu’ils se fondent sur le même principe.
La Cour suprême du Canada a rejeté l’appel au moyen de deux motifs concordants. Le juge Fish (avec l’accord du juge McLachlin
du CCM et des juges Binnie, Deschamps et Abella) a affirmé que les deux composantes du privilège sont théoriquement distinctes,
« qu’elles ne sont pas deux composantes d’un même concept ». Le secret professionnel de l’avocat trouve sa source dans la
nécessité fondamentale d’une communication complète et franche entre un avocat et un client, ce qui est essentiel à l’administration
de la justice. L’objectif du privilège relatif au litige est « d’assurer l’efficacité du processus contradictoire » et non pas de protéger la
relation avocat-client en soi.
Le juge Fish a relevé d’importantes différences entre les deux composantes du privilège :
> le privilège relatif au litige, contrairement au secret professionnel de l’avocat, peut comprendre des communications non
confidentielles échangées entre l’avocat ou le litigant et des tierces parties;
> le privilège relatif au litige n’existe que dans le contexte d’un litige en cours, et non pas dès qu’un client consulte un
avocat, et il peut définitivement exister en l’absence d’une relation avocat-client (par exemple, lorsque le litigant n’est pas
représenté par un conseiller juridique); et
> plus particulièrement, le privilège relatif au litige a un fondement sous-jacent différent, puisqu’il a pour objectif de mettre
l’accent sur le processus contradictoire et non pas, comme en ce qui a trait au secret professionnel de l’avocat, de
protéger une relation confidentielle entre un avocat et un client.
Les deux privilèges sont complémentaires, mais distincts. Par conséquent, la « zone de confidentialité » créée par le litige
prend fin à l’issue du litige en soi.
Toutefois, le juge Fish a reconnu que le privilège relatif au litige ne prendra pas fin lorsqu’un litige qui y est « étroitement » lié
existe ou peut raisonnablement être appréhendé, et les parties peuvent être considérées « engagées dans ce qui constitue
essentiellement le même combat ». Parmi les procédures connexes, on pourrait compter celles qui opposent les mêmes
parties, celles dont la cause d’action est identique ou reliée, celles qui soulèvent des questions communes avec l’action initiale
ou celles qui partagent son « objet fondamental ». (Cette liste offre certaines lignes directrices aux parties et à leurs
conseillers juridiques, mais il y aura assurément des zones grises qui feront en sorte qu’il sera difficile d’établir si la procédure
est suffisamment liée de façon étroite au privilège ou si elle ne l’est pas.)
Le juge Fish a également souscrit au principe qui veut que le privilège relatif au litige n’existe que lorsque les documents sont
rédigés pour l’« objet principal » d’un litige, rejetant le critère plus souple de l’« objet important ».
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En dernier lieu, le juge Fish fait également référence au problème controversé de l’assujettissement des copies de documents
au privilège relatif au litige. Sans décider de la question, il a néanmoins suggéré qu’il s’agit d’une possibilité laquelle serait en
harmonie avec les fondements du privilège.
Les juges Bastarache et Charron ont fait part de leur accord à cet égard, mais ont favorisé une approche différente, fondée en
partie sur leur interprétation de la Loi sur l’accès à l’information, pour en arriver au même résultat. Selon eux, la dispense de la
législation qui permet au gouvernement de refuser de rendre publics des documents lorsqu’un secret professionnel de l’avocat
existe s’étendant également le privilège relatif au litige. En conséquence, les juges Bastarache et Charron avaient une opinion
différente de celle de leurs collègues puisqu’ils ont adopté la théorie voulant que les deux types de privilèges soient des
composantes d’un même principe, mais, à l’instar de leurs collègues, ils sont arrivés à la conclusion que, dans ce cas, le
privilège relatif au litige s’était éteint à l’issue de la procédure qui lui avait donné lieu.
Dépôt du tout premier recours collectif aux termes du
projet de loi 198
Silver c. Imax Corp., dossier 06-CV-318004CP; Cohen c. Imax Corp., dossier 51579CP
Fait nouveau mémorable : deux déclarations distinctes ont récemment été déposées par MM. Marvin Neil Silver et Cliff
Cohen, deux demandeurs éventuels d’un recours collectif envisagé contre Imax Corporation et certains administrateurs et
dirigeants de la société. M. Silver a été le premier à déposer sa réclamation (il a précédé M. Cohen d’à peine une journée), se
prévalant des dispositions sur la responsabilité envers le marché secondaire récemment ajoutées à la Loi sur les valeurs
mobilières (Ontario) aux termes du projet de loi 198. Ces modifications contraignent un demandeur à obtenir la permission du
tribunal pour faire une réclamation pour cause d’information trompeuse dans des dépôts et déclarations publics qui touchent
les achats faits sur le marché secondaire, c’est-à-dire après un placement initial d’actions.
Les deux réclamations allèguent qu’Imax a fait une déclaration trompeuse à l’égard de ses revenus pour la période allant de mars
à août 2006, en divulguant des revenus supérieurs aux revenus réels dans son rapport trimestriel du quatrième trimestre et dans
son rapport annuel. Les deux demandeurs soutiennent qu’Imax et les défendeurs individuels ont sciemment divulgué de fausses
informations financières, selon M. Silver, dans le but d’exagérer le cours de l’action de la société ainsi que la valeur des actions
détenues par les administrateurs. En août 2006, Imax a émis un communiqué de presse qui stipulait que la US Securities and
Exchange Commission avait mené une enquête non officielle sur le moment auquel la société enregistre les recettes pour son
réseau de salles de cinéma, ce qui a occasionné une forte baisse du cours de l’action d’Imax. Les deux demandeurs soutiennent
qu’eux-mêmes et les membres de la classe présumée n’auraient pas acheté d’actions d’Imax pendant la période allant de mars
2006, soit le moment où les chiffres censément exagérés ont été divulgués, à la date figurant sur le communiqué de presse s’ils
avaient été au courant de l’état véritable des revenus de la société.
La décision qui sera rendue à l’égard de ces réclamations sera surveillée de près, puisqu’elle établira probablement les règles de
base pour l’octroi d’une permission relativement à un recours aux termes des modifications du projet de loi 198 et qu’il est
possible qu’elle offre des lignes directrices quant au bien-fondé d’une telle réclamation.
Équilibre fragile en matière de responsabilité du fait des
produits : les tribunaux ontariens toujours hésitants quant
à l’application de la doctrine de « waiver of tort »
Serhan c. Johnson & Johnson, [2006] O.J. No. 2421 (C. Div.)
Au cours de l’été 2004, le juge Cullity de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a autorisé un recours collectif pour le compte
d’utilisateurs d’un certain type de glucomètre qui était, selon les allégations du demandeur, « dangereusement défectueux », mais
qui ne causait apparemment aucun préjudice : Serhan c. Johnson & Johnson (2004), 72 O.R. (3d) 296 (J.C.S.).
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Malgré la controverse, l’autorisation du recours collectif a été accordée au motif que les demandeurs pouvaient présenter des
réclamations basées sur les concepts de « fiducie constructive » (c’est-à-dire, une fiducie créée par l’opération de la loi comme
remède contre l’enrichissement sans cause) et sur la « restitution des prestations » (c’est-à-dire le principe par lequel les tribunaux
tentent de remettre un individu dans la position où il aurait dû être n’eût été l’acte fautif reproché) et ainsi obtenir une reddition de
comptes du produit réalisé suite aux ventes du défendeur. De cette façon, le demandeur se trouve exempté d’établir une perte
individuelle, soit la règle générale en matière de responsabilité. Le principe théorique derrière cette autorisation semble être la
doctrine en équité de « waiver of tort » aux termes de laquelle le demandeur renonce au droit d’intenter une action en responsabilité
délictuelle contre son défendeur et présente plutôt une demande de restitution afin de récupérer les profits que le défendeur a tiré de
son comportement fautif. Cette doctrine, qui s’applique dans le cadre de poursuites visant le paiement d’une somme équivalente aux
profits « illégalement » réalisés, et non pour le préjudice subi suite aux actes fautifs de l’auteur du délit, n’est pas traditionnellement
perçue comme une cause d’action, mais simplement comme une option de recours lorsqu’une transgression susceptible de
poursuite judiciaire a été identifiée. Ainsi, l’application particulière qu’en a fait le juge Cullity est tout à fait étonnante et constitue une
extension importante de cette doctrine.
En Cour divisionnaire, la juge Epstein (le juge Jennings partageant cet avis) a examiné la question très controversée à savoir
si la doctrine de « waiver of tort » constitue ou non une cause d’action indépendante. Elle s’est ralliée à la conclusion du juge
Cullity selon laquelle les décisions rendues jusqu'alors ne réglaient pas ce débat, lequel devrait d’ailleurs être résolu « dans le
contexte de l’historique factuel d’un dossier plus élaboré », autrement dit, au cours d’un procès. La juge Chapnick, siégeant
sur le même banc, a exprimé son désaccord complet avec cette position, car selon elle, les éléments de base d’une
réclamation en équité (soit un enrichissement sans cause, une relation de type fiduciaire, un préjudice quantifiable ou un
appauvrissement) n’avaient pas été établis par le demandeur. Ainsi, le fait d’autoriser un tel recours collectif aurait pour effet
d’imposer aux fabricants un régime de responsabilité stricte pour le défaut de leurs produits.
Le défendeur, Johnson & Johnson, a demandé la permission d’en appeler de la décision de la Cour divisionnaire devant la Cour d’appel
de l’Ontario. Le résultat de cet appel revêtira une importance particulière, tant pour les consommateurs que pour les fabricants.
Faits nouveaux survenus au sein du groupe
Me Kathryn Chalmers, associée du bureau de Toronto et membre du groupe de recours collectifs du cabinet, a été nommée
rédactrice en chef de la récente publication de LexisNexis intitulée Class Action Defence Quarterly. Me Adrian Lang,
également associée du bureau de Toronto et membre du groupe de recours collectifs du cabinet, est auteur collaborateur et
membre du conseil consultatif de cette nouvelle publication. Pour de plus amples renseignements et pour commander cette
publication, visitez le site Web www.lexisnexis.ca/bookstore. ¦
Séminaire sur la réglementation à venir
Le groupe de litige sera l’hôte d’un séminaire matinal intitulé
« Regulators at the Gate » qui aura lieu le jeudi 19 octobre
2006 à Toronto, en Ontario. Les membres du groupe feront
des présentations sur des sujets touchant les nouveaux
pouvoirs conférés aux autorités de réglementation et sur les
risques et les obstacles en matière de réglementation de
plus en plus importants auxquels sont confrontés les
sociétés et leurs administrateurs et dirigeants. Pour de plus
amples renseignements, veuillez visiter la page
Conférences et séminaires à l’adresse www.stikeman.com
ou envoyer un courriel à [email protected].
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