L`Antiquité dans les collections du Musée des Beaux-

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L`Antiquité dans les collections du Musée des Beaux-
Une œuvre et sa critique.
J. Leman est un peintre d’Histoire typique de cet
Jacques Leman (L’Aigle1829 – Paris 1889) :
Art Pompier en vogue au XIXe siècle.
Les loisirs de Virgile.
Cette œuvre est une œuvre de jeunesse, présentée au
Connu aussi comme Virgile au cabaret ou encore La danse de
la cabaretière syrienne.
Salon de 1852 avec deux portraits et acquise par l’Etat.
Huile sur toile
(163 x 130 cm) 1851
Le marquis de Chennevières l’a alors fait donner au
musée d’Alençon du fait de la naissance de Léman à
l’Aigle.
Virgile, né en Cisalpine en 70 av. J.-C., est célèbre pour les Bucoliques (42 à 37 av. J.-C.) centré sur la vie
pastorale, les Géorgiques (37 à 30 av. J.-C.) valorisant le travail puis pour l’Enéide (29 à sa mort en 19 av. J.-C.)
présentant les origines de Rome et faisant d’Auguste un descendant d’Énée. Le passage évoqué dans le tableau est
le suivant :
Virgile, la Cabaretière, « C’est aujourd’hui que notre hôtesse syrienne, celle à qui le petit diadème va si bien,
celle dont les mouvements sont si vifs et si provocants, quand le crotale sonore et les baguettes claquantes
accompagnent ses pas, doit danser dans la taverne fumeuse. A quoi bon chercher loin d’elle la fatigue et la
poudreuse chaleur au lieu de s’étendre sur le lit des buveurs ? Voici des coupes, des calices, des roses, des flûtes et
un frais berceau que tapissent d’ombreuses oseraies. Sous cette grotte arcadienne doucement la rustique flûte qui
redit des airs de pasteurs… »
Cette œuvre est représentative de la peinture académique d’histoire, anecdotique, de cet art pompier par
le sujet ancré dans la littérature antique comme par sa forme qui comme toujours chez Léman se veut d’une rigueur
historique quasi scientifique et, comme toute peinture académique, bien faite (perspective, qualité de la facture,
conformisme). Il refuse toute influence des courants modernistes qui triomphent à son époque. Peinture décalée par
rapport à la peinture d’histoire de type néo-classique qui méprise l’anecdote mais aussi par rapport à l’avant-garde
qui va s’affirmer à partir de 1863 et du Salon des Refusés autour de l’affirmation de l’originalité de l’artiste.
On noter un classique trait de l’Académisme avec les connotations grivoises dans un XIX e siècle où la
fréquentation des maisons closes fait partie de la sociabilité masculine mais où les bonnes mœurs doivent rester
préservées par un prétexte historique et littéraire.
La critique d’art à travers les commentaires de cette œuvre.
Adolphe Breulier dans l’Art et l’archéologie. Salon de 1852, Paris. 1852, p. 7-8 en parle ainsi : « Les loisirs de
Virgile par M. Léman, constituent un heureux petit sujet qu’on aime à voir et revoir malgré ses défauts. Le
mouvement de la danseuse est harmonieux. On peut contempler à l’aise les gracieux contours de la Syrienne à
travers son écharpe légère de laine d’or, voile fort peu discret, ventus textilis, linea nebula… vitrea, vent tissu,
verre et nuage, comme disaient Pétrone et Varron. Malgré son air rêveur et un peu trop innocent, le chantre des
amours d’Énée, qui paya par la composition de sa tragédie perdue de Thyeste, les faveurs de la femme de Varus,
paraît, ainsi que ses amis, prendre grand plaisir au spectacle des pas et des charmes de l’hôtesses, au bruit de ces
cymbales moins larges, plus creuses, par conséquent plus grêles de ton que les nôtres, et que le maestro Berlioz a
remises habilement en usage dans sa symphonie de Roméo et Juliette. »
Adolphe Grün, Salon de 1852, Paris, 1852, p.75 « M. Léman aussi a voulu voyager dans un climat chaud et il
s’est transporté dans l’antique ; comme vos portraits, son intérieur de cou, où des danseurs et des musiciens
amusent les loisirs de quelques hommes de divers âges, a laissé voir son inexpérience de la composition, aggravé
par d’étranges rapprochements de couleurs et par des ardeurs de tons incandescents ; mais sans ces défauts, on
trouve de l’étude sérieuse, du goût, du travail ; cela fait bien inaugurer de l’avenir ! ! »
Philarète Chasles, Etudes sur l’Antiquité, Salon 1852, p136-137 « C’est aujourd’hui que notre petite hôtesse
syrienne, celle à qui le diadème grec va si bien, celle dont les mouvements sont si vifs et lascifs, quand le crotale
sonore accompagne ses pas, doit danser dans la taverne, où son vin et sa beauté attirent.
Venez ! Qu’auriez vous de mieux à faire pendant l’ardente chaleur du jour ? Venez reposer chez notre hôtesse et
savourer son nectar. »
Louis Enault, Salon de 1852, 1852, p.83 « Quand voilà qu’un jeune homme encore inconnu E. Leman vous
conduit sans façon Virgile au cabaret entre deux églogues mais pas entre deux vins. Il y a des plaisirs plus délicats !
Il vient voir danser la cachucha romaine par la Cerito à la mode, la belle syrienne celle à qui le diadème va si bien,
dont les mouvements sont si vifs et la pose si languissante quand le crotale sonore accompagne ses pas. Ainsi
dans-t-elle toute belle et toute charmante, sous les frais ombrages du jardin, à l’abri du vélarium tendu. Les esclaves
apportent des coupes et des amphores.
Sunt pocula et scyathi.
Corvinus et Pollion vont boire : Virgile n’est venu que pour regarder ; il regarde. Son âme est dans ses yeux, il
suit le geste des bras arrondis dont chaque mouvement est une grâce : il se suspend à la danse légère. Ce tableau où
l’on notera peut être quelques inexpériences de pinceau, est composé avec intelligence, c’est un début que nous
devons signaler. »
Philippe de Chennevière dans la revue Normande et Percheronne, 1892, p.71 « …il prépara avec beaucoup de
soin ses études dessinées, peignit de son mieux la composition arrangée avec clarté avec plus de grâce, cela va sans
dire à cet âge, que de caractère, et envoya cette jolie œuvre de début au Salon de 1852. »
Eugène Delacroix voulait faire donner une troisième médaille à Leman. « Fortune étrange ! Si Leman n’avait
envoyé au Salon de 1852 que ce seul portrait, il enlevait haut la main cette médaille qu’il attendit toue sa vie […]
Le malheur voulut que Delacroix, par pur acquit de conscience, désira voir l’autre tableau, le grand, celui sur lequel
l’artiste avait compté ; et dès qu’il fut devant cette toile trop juvénile, où il ne retrouvait plus les qualités solides et
simples du portrait, le maître peintre retira sa proposition, et nul autre juré ne s’avisa de le reprendre. Delacroix
était d’ailleurs assez coutumier de ces sortes d’enthousiasmes sur une œuvre isolée… »
Peintures du Musée d’Alençon, Catalogue didactique, 1938, p.51 « Cette toile représente bien le bon tableau
d’école, fait consciencieusement selon des règles apprises, et qui reflète peu l’émotion personnelle. »
Gérald Schurrr : 1820-1920. Les petits maîtres de la peinture valeur de demain. 1976. Tome 3. p.102 « Il traite
l’Histoire par l’anecdote, et la première toile qu’il envoie au Salon, en 1852, s’intitule Les Loisirs de Virgile
(maintenant au Musée d’Alençon). Fort habile dans l’art d’indiquer les architectures, il laisse des compositions
aimables et bien écrites… »
Aude Pessey-Lux, Catalogue de l’exposition Un peintre oublié, Jacques Leman, 1829-1889, Alençon, 1995,
p.34 « La palette de Jacques Leman semble pourtant bien sage et l’on sent que le souci d’évoquer une scène de
genre replacée dans un contexte historique domine le traitement du tableau. Sa palette s’adapte à la composition
avec une matière lisse et une primauté du dessin, nous rappelant que Jacques Leman est élève de Picot. Ce travail
quelque peu scolaire… »

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