Réflexion sur le milieu festif et clandestin des « raves

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Réflexion sur le milieu festif et clandestin des « raves
Emmanuelle MOLLET
Réflexion sur le milieu festif et clandestin
des « raves-parties », au travers de deux
populations caractéristiques en France et
à Détroit, aux États-Unis
Emmanuelle MOLLET
Travail dans le cadre du mémoire de Maîtrise de Psychologie, 2002,
Université Paris VIII, Émail : [email protected]
Résumé – Cette étude explore le rapport de l’individu toxicomane avec la
notion de mort, dans un cadre particulier et défini par le mouvement techno,
celui des rave-parties clandestines. Reliant le phénomène français avec le
phénomène américain, cette étude est une réflexion comparative entre les
deux mouvements, qui se recoupent au travers de divers aspects et de comportements toxicomaniaques similaires.
La problématique s’est construite petit à petit, au travers de l’expérience
acquise lors de sorties avec l’équipe de la Mission Rave de Médecins du
Monde en France, et lors de raves à Détroit aux États-Unis. Une
polyconsommation abusive et répétée tout au long de la nuit peut être
constatée chez certains ravers dans des conditions parfois extrêmes et peu
sanitaires.
Les substances les plus consommées dans le cadre de ces soirées, après
l’alcool, le cannabis et le tabac, sont des drogues de synthèse puissantes.
Aussi, quelles sont les conditions de prévention ou de réduction des risques
appliquées sur le terrain, notamment aux États-Unis ? Qu’est-ce qui amène
ces jeunes à faire parti de ce mouvement techno clandestin et agitateur ?
Cette recherche clinique tentera d’évaluer l’évidence ou l’absence de
modalités subjectives à la relation de mort et au risque, dans un protocole
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Réflexion sur le milieu festif et clandestin des « raves-parties », au travers de deux
populations caractéristiques en France et à Détroit, aux États-Unis
de sujets présentant une addiction1 aux substances psychoactives : seront
ainsi observées les possibles interactions entre le vécu et les conduites
addictives de ces jeunes dans deux groupes comparatifs de sujets, en France
et à Détroit.
Abstract – The goal of this research is to understand the relation between
the addict individual and its relations to death, in a particular setting being
the « rave-parties », part of the techno music movement. Linking the French
phenomena to the American one, this is a comparative study between the
two populations relating the many common aspects of the movements. We
will compare the addiction behaviours in the « rave-culture », the American
ones being more extremes and out breaking. We will explore why this new
underground movement has become so popular amongst the youth in the
entire world, especially in Detroit and France.
Our problematic began during the action held by « Médecins du Monde »
and the « mission Rave ». We began to questioned these behaviours relating
to risky situations. Some ravers abuse psychoactive drugs and don’t seem
to wonder the risks of it. Would these excessive attitudes show a desire to
arouse a conflict situation towards the higher authorities or to themselves ?
This clinical research will try to show the relations to Death and to Risk
through two groups of addicted individuals : we will consider the relations between the addictive behaviours and the events of life.
Mots clés – Pulsion de mort – Ordalie – Drogues de synthèses – Ecstasy –
Rave – Musique – Polyconsommation – Comparaison – France – ÉtatsUnis.
Présentation de l’étude
Cette étude est une comparaison interculturelle des comportements
toxicomaniaques et ordaliques au sein de mouvements parallèles tels qu’ils
s’observent aux États-Unis et en France dans les « raves-parties ». Vivant à
Détroit aux États-Unis pendant trois ans, nous avons découvert l’existence d’un
mouvement rave underground similaire à celui présent en France. Observant
un mouvement semblable de l’autre côté de l’Atlantique, nous avons étudié et
observé le déroulement de ces soirées, les populations présentes et les comportements des ravers qui s’y rendaient. Ont été pris en considération les systèmes
1 Les sujets ont rempli préalablement un pré-questionnaire faisant ressortir les critères essentiels du DSM-IV, concernant la définition de « dépendance » ou « addiction ».
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d’influence, les attentes sociales des individus, l’accessibilité des produits et le
degré de tolérance qui régulent les deux sociétés. De retour en France, nous
avons intégré l’équipe de la Mission Rave de Médecins du Monde. Celle-ci se
rend régulièrement dans les raves avec des missions essentielles, notamment
en ce qui concerne la réduction des risques, la prévention, ou encore l’accompagnement des personnes victimes de bad-trip ou de troubles psychologiques ;
enfin, un pôle médical est par ailleurs présent pour la gestion des urgences
médicales, ainsi qu’un pôle testing qui permet d’établir un contact avec les
ravers. Cette mission assure une présence sanitaire durant les soirées raves
clandestines, où la sécurité physique et psychique des sujets peut être mise en
péril, par une consommation souvent excessive de substances psychoactives.
La mission essentielle est de promouvoir entre autre la politique de la réduction des risques, et de développer la prévention. Enfin, la distribution de préservatifs et plus rarement de seringues, permet de prévenir le SIDA et les
hépatites C, et de sensibiliser les jeunes par un discours de prévention.
Aussi c’est un nouveau phénomène de dépendance sous la forme de
polytoxicomanie, qui tend à se développer aujourd’hui.
L’intérêt de cette recherche a donc été d’étudier une population particulière et peu connue d’un point de vue psychologique, sauf sous un côté médiatisé et abstrait, suivant des catégories comme l’âge, l’éducation et les expériences
de vie : cette population ne se rend en effet jamais dans les institutions spécialisées et rarement dans les hôpitaux, d’où une méconnaissance de leurs comportements et leurs histoires.
Conditions de passation
La passation s’est donc déroulée en plusieurs temps et dans les deux pays :
notre instrument, qui comporte de nombreux items et investigue plusieurs domaines significatifs pour l’évaluation de l’adolescent ou du jeune adulte consommateur de substances et dépendant de l’une ou de plusieurs d’entre elles,
sera administré sous la forme d’un entretien individuel. Aussi, nous avons pris
en compte les systèmes de valeurs différents, une culture et un mode de pensée
distincts. Dans les deux situations, l’appartenance au groupe est respectée et
prise en considération. Les sujets ont été interviewés dans le cadre du mouvement techno, dans le milieu des « rave-parties clandestines » en France, et lors
d’un festival de musique techno à Détroit. La passation s’est faite selon une
grille de questions rigoureusement identiques, en Anglais pour les interviews
aux États-Unis et en Français pour les autres sujets.
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populations caractéristiques en France et à Détroit, aux États-Unis
Tout d’abord, une sélection plutôt aléatoire des sujets s’est faite au sein de
ces soirées, et un premier contact a été ainsi établi avec les personnes intéressées. Les sujets ayant accepté de participer à cette recherche ont rempli un préquestionnaire, pour voir la dépendance ou non à une substance. Seulement un
sujet n’a pas pu participer à notre recherche, ne remplissant pas au moins trois
des caractéristiques du DSM IV sur la dépendance. Lors d’un entretien individuel, des données ont été recueillies et analysées ultérieurement, à l’aide d’une
grille d’entretien. Lors de la passation, le cadre de référence du sujet a été
respecté, et seules quelques relances l’ont encouragé à s’exprimer sur ses émotions ou ses sentiments : la compréhension et l’empathie seront primordiales.
Nous avons aussi fait passer le test du Rorschach, qui a fait ressortir plusieurs
données intéressantes comme des représentations non unifiées du corps propre, un vécu d’insatisfaction et de manque, une non-conformité et une
désocialisation ou des absences relationnelles douloureusement ressenties. Nous
avons observé beaucoup de mécanismes de défenses, comme des retraits narcissiques et dépressifs. Les réponses données avaient le plus souvent une qualité formelle inhabituelle, ce qui semblait faire ressortir des personnalités avec
une organisation de type état limite.
Présentation du mouvement techno underground
Le mouvement rave est né avec l’émergence de la musique techno à Détroit
dans les années 1980, sur les ruines de l’industrie automobile démobilisée au
Mexique. L’esprit techno investit le plus souvent des lieux vidés de leurs histoires et ce mouvement contre-culturel très fort se retrouve dans de nombreux
pays. C’est dans les années 1990, qu’apparaît discrètement en France un courant musical underground, la techno hardcore, acidcore ou trance. Ce mouvement culturel et social se veut l’antithèse du mouvement rave des clubs, où les
DJs sont des stars et où la musique est composée de sons souvent plus mélodieux. Le mouvement rave soulève l’expression d’une révolte contre le matérialisme et l’individualisme. La techno semble créer un espace où le temps n’a
plus d’importance, et où il n’y a plus aucune contrainte. Au début de ces soirées, un climat d’euphorie et de bonheur se développe dans une extase groupale :
c’est le rituel de la prise des substances. Après le cannabis, l’alcool et le tabac,
la drogue de prédilection de ce mouvement est la MDMA (Methylène-dioxyméthamphétamine), molécule de l’ecstasy, qui a des effets psychotropes de
stimulation et d’empathie. La prise d’ecstasy semble accompagner une sorte
d’initiation au sein de ces regroupements et permettre une ritualisation de la
fête techno. Ces rassemblements confortent l’idée des participants dans l’affirmation d’un lien communautaire et dans le refus de tout élitisme. L’affect de la
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sociabilité est en effet une caractéristique importante de ce type de consommation. La musique techno est investie comme une sorte de contre-investissement défensif, avec l’émergence d’un plaisir autoérotique orgasmique : les
jeunes s’extasient dans le son, en criant et en dansant, quittes à atteindre pour
certains des états extrêmes, proches de la transe.
Substances psychoactives et diffusion de l’Ecstasy
au sein du mouvement techno
En France, la diffusion de l’ecstasy s’est accentuée au début des années 1990
après être restée au sein d’un « cercle d’initiés ». D’après l’OFDT2, il y a quatre phases dans la vie sociale d’une substance : son émergence, sa diffusion, sa
marginalisation et enfin sa disparition ; c’est l’identification d’une substance
« comme drogue dans un groupe, à un moment socioculturel donné et dans un
lieu bien particulier », qui détermine le démarrage d’un cycle de consommation.
En France ou aux États-Unis, la phase de lancement de l’ecstasy est liée
au mouvement techno, assise culturelle et vecteur de diffusion originel, d’où le
développement d’une image positive attachée à cette substance et son acceptation dans le sein d’une sous-culture. Actuellement, l’ecstasy est en phase de
« débordement » dans son processus de diffusion : ainsi les liens étroits avec le
mouvement techno ont tendance à s’étendre aux boîtes de nuit et aux soirées
privées, et les occurrences de consommation débordent donc du seul cadre
festif techno : un important travail de prévention et de réduction des risques y
serait nécessaire.
Aussi, une banalisation de l’ecstasy et de certaines autres substances peut
être observée dans le cadre festif techno, ce qui entraîne une évolution des
modes de consommation. Dès 1993, le LSD et d’autres amphétamines sont
parfois associés à l’ecstasy. En 1996, d’autres produits intègrent le mouvement
techno, comme le GHB et la kétamine et de nouvelles substances arrivent des
États-Unis. Ainsi, le mouvement Techno américain est déjà le lieu de consommation d’autres substances comme le PCP (phencyclidine), l’Ice (dextrométamphétamine) ou la Crystal Meth (forme fumable de méthamphétamine).
En France, ces substances encore mal identifiées sont au niveau du « cercle
restreint » de consommation, et ce ne sont pour l’instant que les balbutiements
de leur diffusion. Par exemple en 1996, le GHB et la kétamine étaient déjà
fréquemment trouvés sur le marché américain, alors que totalement absents du
marché français. Aussi, il est courant de voir des substances comme la cocaïne
2 Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies.
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Réflexion sur le milieu festif et clandestin des « raves-parties », au travers de deux
populations caractéristiques en France et à Détroit, aux États-Unis
et l’héroïne dans les raves à détroit. Il serait ainsi utile de faire des recherches
plus poussées sur les drogues américaines consommées en amont, pour peutêtre mieux les appréhender lorsqu’elles arrivèrent dans les milieux de consommation français.
Ainsi, la consommation d’ecstasy et de drogues de synthèse est en constante augmentation chez les jeunes et cela bouleverse l’approche des toxicomanies, d’autant plus qu’un détournement d’usage de produits issus de la
recherche pharmacologique s’opère, ainsi qu’une nouvelle utilisation de produits anciens. Ainsi, la polyconsommation des substances psychoactives est
un phénomène massif et nouveau constaté dans les espaces de consommation.
Dans l’espace festif techno en France, ce sont les stimulants, ecstasy, cocaïne et speed, et les hallucinogènes qui sont les plus consommés, mais il y a
une diffusion de substances en tout genre. Le speed est en phase de diffusion
dans le milieu festif et l’ecstasy est en phase de débordement, tandis que le
GHB n’est qu’en phase d’initiation.
Les sujets toxicomanes du mouvement rave sont parfois dépendants de
plusieurs substances et sont les témoins d’un phénomène de polytoxicomanie
en plein développement, qui peut être constaté en France et aux États-Unis.
Méthodologie, problématique et cadre théorique
de la recherche
Lieu d’investigation
La problématique de cette étude s’est construite progressivement, par l’expérience acquise sur le terrain à Détroit et en France, afin d’évaluer deux populations de ravers selon diverses caractéristiques comme l’appréciation de la mort,
le jeu ordalique, ou les événements de vie.
Les sujets intéressés ont été rencontrés dans les soirées en France et sélectionnés selon un questionnaire. Nous nous sommes aussi rendus dans des squattes parisiens, afin d’observer et de comprendre le mode de vie de certains ravers.
Cette étude concerne uniquement des usagers toxicomanes, et en France la
majorité des ravers consomment de manière récréative et ponctuelle.
Aux États-Unis, c’est à Détroit à l’occasion d’une grande rave organisée
tous les ans au mois de Mai, rassemblant des milliers de jeunes « ravers » américains que les sujets ont été sélectionnés : le « Detroit Electronic Music Festival ». Détroit est la ville où est née la musique techno et donc peut être le
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berceau du mouvement rave, qui rassemble chaque année les plus grands DJs.
Afin de mieux cerner les paramètres de cette étude, une piste bibliographique
a été suivie, celle de Claude Olievenstein qui établit en 1970 un lien entre les
drogues et la culture, soit de la « rencontre d’un moment socioculturel, d’un
produit et d’une personnalité ». Le regard porté par la société sur la toxicomanie est identique selon les époques, jugées comme une manie dangereuse et
destructrice. Depuis toujours la consommation de substances a été associée à
des mouvements contre-cultures, agitateurs ou révolutionnaires. Dans le monde
Occidental, deux grands modèles idéologiques semblent servir de repérage à
des générations de toxicomanes, le mouvement « Beatnik » et le mouvement
« Hippie » des années 1960. C’est aux États-Unis que naît en 1950 la contreculture de la « beat génération » : ce mouvement de contestation politique revendique un mode de vie libéral, avec une liberté de consommation de
substances et le besoin de voyage. Il se veut contestataire du capitalisme et de
l’impérialisme américain, que ses adeptes comparent au Dieu Moloch, Dieu
du mal et de la terreur. En 1960, les « Baby-boomers » américains développent
des valeurs centrées sur la non-violence et l’égalité sociale et raciale. Divers
sous-groupes se développent comme le « Student Power » ou encore les « Black
Panthers », prônant la non-violence. Les Hippies veulent de « la drogue pour
tous » : leurs drogues de prédilection sont la morphine, la marijuana et le LSD.
Des soirées clandestines appelées « acid-test » se développent, organisées secrètement dans des lieux cachés, avec comme musique de prédilection le Rock
n’Roll. Timothy Leary (Politique de l’extase, 1973) avance alors à cette époque l’idée que deux types symboliques de culture existent : l’Overground et
l’Underground, soit « ceux qui ont laissé tomber, et les autres », soit une culture dominante et son mouvement contestataire. Cette idéologie est en effet
vérifiable dans la majorité des mouvements marginaux. L’underground est une
culture souterraine et clandestine. Les élaborations du mouvement techno sont
similaires aux bases de ces mouvements, avec la force des liens communautaire, le refus de tout élitisme et de violence, et où l’apparence se veut unisexe.
Ainsi, les raves-parties illégales et clandestines représentent le mouvement
underground contestataire de notre époque.
Les « Free-party » dans leur souci d’anonymat, cherchent à être une zone
d’autonomie et de liberté, une fête échappant aux lois de la société, aux mirages de la réussite et de l’individualisme. Ces populations se composent de
sujets adolescents ou de jeunes adultes. Un pré-questionnaire a permis de cibler notre recherche et d’éviter les biais, en sélectionnant une population d’usagers toxicomanes.
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populations caractéristiques en France et à Détroit, aux États-Unis
Populations étudiées
Cette recherche observe deux populations culturellement différentes : des sujets américains et des sujets français. Aussi, le monde techno lui-même inclut
différents types de population, souvent marginaux et parfois en rupture avec le
dispositif médico-social.
En France, plusieurs groupes se distinguent au sein de ces soirées techno
les « Travellers » (ou voyageurs en anglais), qui ont un mode de vie nomade,
marginal, vivant dans des bus, des squattes et parfois gros consommateurs de
substances, et les « Teufeurs » (Fêtard en verlan), qui viennent pour la musique et les drogues, et qui s’impliquent et s’identifient totalement au groupe
pour le choix d’une idéologie centrée autour de la fête, de la musique et de
l’hédonisme. Les participants sont pour beaucoup des personnes en pleine construction, qui n’ont pas encore ou plus d’identité socioprofessionnelle. D’autres
exercent une profession et sont intégrés socialement. Enfin, une population
minoritaire composée de quelques jeunes adultes ou adolescents vient par curiosité et consomme de façon « récréative ». Enfin, ces individus constituent
une communauté soudée avec une idéologie et des rôles accordés à chacun :
DJ, organisateur, traveller, teufeur, soit une véritable scène sociale. En France,
cette population est pour une grande majorité de sexe masculin (70 %) et est
constituée de 69 % de sujets inactifs (étudiants, chômeurs). L’âge moyen se
situe dans la fourchette des 17-35 ans, avec une majorité de sujets ayant entre
20 et 25 ans.
Aux États-Unis, la population est sensiblement différente. Il s’agit souvent de sujets en marge de la société, avec beaucoup plus de très jeunes adolescents. Ce phénomène s’explique par l’interdiction de la consommation d’alcool
avant l’âge de 21 ans, soit l’interdiction de rentrer dans un bar ou une boîte de
nuit avant cette majorité tardive. Ces jeunes se rassemblent alors au sein du
mouvement techno, par ennui ou en réaction à ce rejet de la société américaine : il s’agit de 18-21 ans et de très jeunes adultes souvent bien intégrés et
de milieux aisés, avec beaucoup plus de jeunes filles que dans le mouvement
français. Beaucoup de jeunes ayant entre 15 ans et 20 ans consomment beaucoup de substances, avec entre autres la marijuana et énormément d’alcool.
Les substances les plus consommées ensuite sont la kétamine, l’Ice, l’ecstasy
et le speed. Aux États-Unis, les problèmes liés à la consommation de substances sont très importants mais le cadre sanitaire et de prévention, peu adapté
aux besoins réels.
Aux États-Unis, il y a une grande avidité pour la cocaïne : cela peut s’expliquer par cette culture de la productivité et du pouvoir, engendrée par l’individualisme. Elle est la drogue américaine par excellence, consommée dans
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tous les milieux et surtout le milieu du travail et les raves. Dès les années 1960,
les routiers américains et les gangs de motards consomment de la « Crystal
Meth », un speed leur permettant de tenir pendant les longs trajets. Mais, il se
développe surtout dès 1926, une surconsommation de « dance-drugs » : le PCP,
puissant anesthésique très consommé à Detroit sous le nom « d’Angel Dust »
(poudre d’ange), le CAT (methcathinone) et la kétamine (anesthésique vétérinaire puissant) sont de plus en plus utilisés parallèlement au développement du
mouvement gay. Le très célèbre club New-Yorkais « studio 54 » voit l’expansion du Quaalude, mélange de lude3 et de cocaïne, consommé avec de l’alcool,
pour ses vertus dansantes et la réduction des inhibitions qu’elle entraîne. En
Europe, elle arrivera quelques années plus tard sous le nom de Mandrax. Les
poppers et le GHB sont aussi très populaires et intègrent les clubs Gay. Un
courant de panique se développe alors, renforcé par la corruption des médias
surtout dans les milieux puritains où le sexe, le plaisir, l’homosexualité et le
SIDA sont des tabous incommensurables. Le GHB est en effet considéré comme
une drogue pouvant augmenter les viols : elle peut être en effet utilisée par des
gens peu scrupuleux lors de rendez-vous amoureux, glissée dans les verres,
entraînant une grande confusion et l’annulation de la conscience de celui qui la
consomme. Mais, cette attention hypocrite sur les viols détourne l’attention
des autres substances : le GHB est utilisé avant tout pour ses vertus dansantes.
Cette situation d’extrême paranoïa augmentera aussi l’anxiété européenne pour
les produits synthétiques, arrivant le plus souvent des États-Unis. Ainsi, dans
les années quatre-vingt-dix, la contre-culture des raves-parties a engendré une
peur collective, du fait de l’ampleur qu’a pris alors le mouvement. Pourtant
dans ces soirées, l’intimité est réelle. Mais la police considère que le mouvement devient incontrôlable et une « Rave Review Task Force » est mise en
place afin de les interdire. Ainsi, le problème est majeur aux États-Unis et il
semble que la prohibition trop stricte ne fait qu’aggraver les problèmes liés à
l’abus de drogues, empêchant toute tentative de prévention ou d’accompagnement des ravers, qui pourrait et devrait être mise en place. Ainsi un manque
évident d’organisations sanitaires a pu être constaté aux États-Unis : aucune
prévention, pas de distribution d’eau, et bien sûr pas de testing, alors que le
travail des associations est nécessaire et primordiale sur le terrain.
Instruments et méthode de recueil
Nous avons sélectionné dans un premier temps les sujets pour les entretiens
suivant les critères du DSM-IV sur la dépendance, soit « le mode d’utilisation
inapproprié d’une substance, entraînant une détresse ou un dysfonctionnement
3 La lude est une substance psychoactive très puissante, ayant de nombreux effets stimulants.
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Réflexion sur le milieu festif et clandestin des « raves-parties », au travers de deux
populations caractéristiques en France et à Détroit, aux États-Unis
cliniquement significatif ». Les critères d’inclusion de la recherche ont donc
été la tolérance à la drogue, le sevrage, le temps passé à se procurer les drogues, la poursuite de la consommation malgré un problème physique et psychique et enfin, le taux d’activités abandonnées ou réduites. Nous avons ensuite
établi une grille d’entretien afin de cibler notre recherche. Le recueil des données s’est effectué au cours d’entretiens, qui avaient lieu dans un cadre extérieur aux soirées, après l’établissement d’un contact avec les personnes
intéressées. Les sujets du protocole étaient très différents culturellement. Il est
aussi intéressant de constater qu’aux États-Unis il y a autant de filles que de
garçons dans ces soirées, ce qui n’est pas le cas en France. Aussi, l’âge moyen
des ravers américains est moins élevé : pour notre échantillon, il est d’une
moyenne de dix-huit ans, tandis qu’il est de vingt-quatre ans pour le groupe
français. À Détroit, il semble qu’il y ait majoritairement des étudiants lycéens,
tandis qu’en France, beaucoup travaillent en CDD, sont intermittents du spectacle, intérimaires ou sans emploi.
Aussi, il serait intéressant d’étendre cette étude à une population plus large,
car cette étude s’est voulue dans un premier temps qualitative, du fait de difficultés par un temps de recherche limité à six mois pour sa réalisation.
Observation de terrain et spécificité du groupe techno
Interrogation sur la pulsion de mort
Dans le cadre des rave-parties, ce qui nous avait tout d’abord interpellé aux
États-Unis, était la pulsion de destruction des jeunes ravers, observable dans
leurs comportements et dans leurs mots. En France aussi, certains jeunes disent « se déchirer la tête, se défoncer, faire des concours de défonce ». Le plaisir des drogues serait-il ainsi le plaisir de se faire mal, soit une sorte de
masochisme ? Cette tendance se retrouve aussi dans les marquages corporels
comme les piercings, les tatouages ou les scarifications. L’autodestruction est
parfois visible : certains ravers ont les joues creusées, des cernes profondes et
souvent des corps très amaigris. Mais cette esthétique de la « dépravation »
fait aussi partie du phénomène des rave-parties : ce serait en quelque sorte un
signe d’appartenance à un groupe qui permettrait l’affirmation de soi.
Aussi, les comportements d’autodestruction des ravers provoquent des
réactions démesurées du public et des pouvoirs publics : mais cette grande
peur de la drogue et des toxicomanes provient peut-être d’un autre domaine.
Les toxicomanes pourraient être perçus comme « des victimes sacrificielles » :
seraient-ils ainsi en quelque sorte les boucs émissaires de la société ? Cela
expliquerait leur exclusion des structures de cette société qu’ils condamnent
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d’ailleurs. La transgression et la recherche du danger font partie de la démarche toxicomaniaque. Aussi, la pulsion de mort peut s’exprimer autrement, dans
la recherche des sensations et la prise de risque, le danger et l’aventure ayant
un sens particulier : les comportements observés chez les ravers impliquent
parfois un risque vital mais il s’agit peut-être tout simplement d’une recherche
d’eux-mêmes. Les ravers sont conscients des dangers qui peuvent être présents lors des soirées. Mais la quête de sensations fortes et la recherche de
stimulations sont les premiers déterminants des conduites à risques. Souvent,
la perception du danger intervient comme un élément stimulant qui confère
toute son intensité à l’expérience : plus les risques seront élevés, et plus le
sujet en tirera des bénéfices psychiques. Le risque et les sensations fortes sont
ainsi activement recherchés. Le caractère illégal de la fête techno est ainsi une
source d’excitation importante. Nous retrouvons ici une des problématiques
de l’adolescence, l’attrait venant du caractère de l’interdit et du dangereux.
Ces jeunes sont dans une confrontation volontaire au risque et à la Loi. C’est
pour cela que les discours prohibitionnistes et de répression ne font que renforcer l’attrait pour ces soirées : ils entraînent paradoxalement une envie encore
plus soutenue de provocation par rapport à la société et à ses règles.
Société et toxicomanie
Dans cette société de consommation qui est la nôtre, tout est basé sur la satisfaction immédiate sur le plan économique ou social. Le besoin d’obtenir tout,
et ce le plus vite possible, semble permettre de combler un vide identitaire.
C’est donc la rencontre avec cette structure socio-politique, économique et
culturelle qui a entraîné sans précédent le développement des addictions. Fernando Geberovich écrit en 1984 que le développement de la science a pu entraîner le recul des limites de l’impossible : cela aurait augmenté alors le désir
fantasmatique de toute-puissance de l’homme moderne, et donc repoussé les
limites de l’interdit. Cet écart des toxicomanes réveille en nous nos dissonances et notre insécurité par rapport à notre propre mortalité. Mais, la science a
aussi entraîné la valorisation de substances comme les alcaloïdes par son discours et ses expériences : ces substances étaient utilisées dans des cultures
traditionnelles au sein de rites. Pourtant, le consommateur de ces substances
est devenu dans notre monde moderne un malade, un « toxicomane ». Mais ce
sont surtout les lois restrictives contre les drogues qui ont consolidé l’existence de cette « déviance » : ainsi, Palma écrit en 1998 que « c’est cet interdit
qui a promu progressivement la drogue au statut symbolique et imaginaire du
nouvel objet sacré ». Aussi, les lois restrictives ont entraîné l’aggravation des
toxicomanies dans la société américaine, avec par exemple le « Porter Act » ou
encore le « Zéro tolérance ». Aujourd’hui, de nombreux groupes de recherches
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et notamment la ligue des Droits de l’Homme, pensent qu’il faudrait légaliser
certaines substances afin de les promouvoir au rang d’un usage culturel, pour
développer une consommation conviviale et rituelle en opposition à une consommation basée sur le repli de soi, l’excès, la compulsion, et toutes les formes d’autodestruction qu’elle engendre par le développement de la culpabilité
et de la honte. Aussi, notre système social n’est-il d’ailleurs pas basé sur la
recherche du plaisir ? Le groupe de travail dirigé par Palma (1998) dans le
cadre du CATD (Centre d’Analyse Transdisciplinaire de la Drogue) propose
une thèse issue de l’anthropologie culturelle basée sur les rapports entre l’interdit, le désir et la transgression. Pour cet auteur, toute société aurait un espace
de transgression autorisé à côté de ses espaces sacrés : les casinos seraient
ainsi à titre d’exemple, le lieu de la transgression par le jeu. Aussi, la free-party
serait en quelque sorte un lieu de transgression par la consommation de drogues, non autorisé. Ainsi, les toxicomanes seront toujours exclus de ces espaces « tolérés » car ils font peut-être ressurgir une tentation transgressive présente
en chacun de nous, d’où un rejet quasi-automatique.
Spécificité du groupe Techno :
Le tatouage et les piercings sont utilisés pour afficher cette volonté d’être différents de ceux qui font partie de l’ordre établi, des conventions et des normes.
Les jeunes du mouvement techno opèrent une sorte de rejet et une résistance
aux institutions aux États-Unis et en France. Ainsi, dans un monde où chacun
cherche son identité au travers des signes extérieurs les plus accessibles, l’identité des ravers semble, elle, liée à leur anonymat.
Aussi, nous nous sommes demandés qui étaient vraiment ces jeunes. En
effet, nous savons qu’il n’y a pas de personnalité type des toxicomanes, mais
nous avons repéré quelques désordres de la personnalité assez récurrents au
sein de cette population, notamment aux États-Unis. Il semble qu’il y ait quelques personnalités antisociales dans de ce groupe marginal et underground. Ce
désordre de la personnalité se caractérise par des dépressions fréquentes et
profondes : les jeunes semblent alors dans l’incapacité d’expérimenter la culpabilité, de mettre en valeur et de développer des relations sociales solides.
Leur conduite antisociale se traduit par de l’agressivité, avec pour certains la
destruction de propriétés ou de champs lors des fêtes, et une grande violence.
Lorsque nous les avons rencontrés, ils se sont montrés agressifs et insultants,
rejetant violemment notre étude et nous considérant comme des « flics ». Ce
type de personnes justifie souvent leurs comportements par les injustices qu’ils
ont subies dans le passé. Ils semblent avoir manqué d’un modèle parental consistant et le plus souvent vivent d’une façon marginale, parfois au sein
de squattes insalubres et dangereux. Un autre désordre de la personnalité peut
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être observé, celui de la personnalité narcissique. Ce sont quelques ravers qui
recherchent les autres pour être admirés et éprouvés. Ils ont souvent de grandes difficultés dans les relations avec les autres, un fonctionnement limitrophe
avec une force d’ego très faible. Ce sont souvent de grands narcissiques « phalliques » qui sont souvent au sein du groupe techno, les dealers ou les usagers
de cocaïne et de speed. De nombreux jeunes ont des personnalités borderline,
avec des comportements impulsifs, turbulents et infantiles. Ils se distinguent
par des relations interpersonnelles précaires et intenses, avec des colères
inappropriées et une instabilité affective, accompagnées parfois d’actes physiques violents surtout envers eux-mêmes et les autres. Ce sont des jeunes très
émotionnels, d’humeur changeante, irritables, manipulateurs, vulnérables et
fragiles. Ces jeunes sont en grand danger car la prise de substance pourrait les
faire basculer dans des épisodes psychotiques, des dépressions majeures, ou
même des idées suicidaires, souvent sous la forme d’overdose. Enfin, nous
avons remarqué au cours de ces soirées un autre type de personnalité, la personnalité passive-agressive. Il s’agit d’un style de défense, avec des comportements passifs, un désir de perfection et beaucoup d’irritabilité. Ce type de sujets
veut établir un contrôle passif puissant sur les autres : au sein du groupe techno,
ce sont parfois des filles, même si elles sont peu nombreuses.
Que ce soit aux États-Unis ou en France, les populations étudiées sont
composées de jeunes que nos sociétés définissent comme étant à la dérive,
violents et parfois dangereux : pourtant la grande majorité des ravers ne le sont
pas, bien au contraire. Les soirées ont lieu dans des endroits parfois inattendus,
mais le but essentiel semble être la reconnaissance d’un mouvement, certes
marginal, mais dont les idéologies et les pensées sont basées sur l’hédonisme,
la passion d’une musique, la non-violence, et le retour aux sources. Pour ces
jeunes, la liberté totale, la rupture avec le monde réel, leur permet une élévation, une sorte de spiritualité, dans un monde qui ne l’est presque plus. Car
c’est bien de cela qu’il s’agit : une transe collective sur une musique aux sons
bruts et archaïques qui rappelle étrangement les battements du cœur du fœtus.
Le rythme de la techno lie tous les jeunes autour d’une fusion où ils ne font
plus qu’un. Ce partage et cette fusion sont forts et touchants : l’autre en tant
que tel ne semble plus exister : il devient au travers d’un regard ou d’un sourire, la simple projection de soi.
Mais l’expérience toxicomaniaque est aussi une expérience intérieure qui
recèle et révèle parfois beaucoup de blessures, de failles et de manques : d’où
des besoins énormes d’aide et d’écoute pour ces populations. L’équipe de la
Mission Rave de Médecins du Monde s’attache à leur donner les moyens de
consommer dans de meilleures conditions et de leur accorder de l’attention. La
mission Rave est l’une des seules organisations à maintenir ce contact, petit
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Réflexion sur le milieu festif et clandestin des « raves-parties », au travers de deux
populations caractéristiques en France et à Détroit, aux États-Unis
lien fragile mais indispensable avec les jeunes de ce milieu des rave-parties
illégales. Cette association a décidé de ne pas traiter les toxicomanes comme
des délinquants au contraire des médias. En effet, en les marginalisant comme
le font la société et l’État, les jeunes se cachent de plus en plus et ainsi adoptent
des pratiques de consommation dangereuses. En France, les lois ont souvent
privilégié la répression au détriment de la prévention, et c’est pour cela que
Médecins du Monde centre son action sur la réduction des risques, afin de
maintenir un contact et des soins dans les soirées techno. S’il existe effectivement des produits dangereux, c’est surtout le comportement du consommateur
qui est important et déterminant.
Faut-il s’alarmer à ce point face à ce mouvement ? La techno n’est-elle
pas seulement un moyen pour les jeunes de prouver qu’ils existent, tout comme
leurs parents s’opposaient aux leurs avec le rock ? Les « raves » ne sont pas
que des fêtes locales et ont lieu aux extrémités du monde et de l’Europe : la
culture rave se développe en effet dans d’autres pays comme l’Inde, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande ou la Suède. En France, du fait de lois restrictives, le
mouvement s’expatrie dans d’autres pays comme l’Italie, l’Espagne ou encore
les pays de l’Europe de l’Est. Les travellers ou nomades partent jusqu’en Roumanie pour retrouver leur espace de liberté. Les pouvoirs publics privilégient
l’exclusion et ne font que repousser le mouvement plus loin. Pourtant, si ce
mouvement fait beaucoup de bruit et de débats, il permet aussi d’ouvrir les
yeux sur une société trop rigide avec sa culture de l’excès et de la démesure qui
a perdu de nombreuses valeurs essentielles à sa survie. Les free-parties sont
régies sur le mode de l’initiation : il faut chercher le lieu de rendez-vous, trouver cet espace mystérieux : elles ne sont pas domestiquées et représentent un
espace de liberté. Le mouvement techno apparaît comme symptomatique d’une
sorte de rupture civilisationnelle : c’est la reconnaissance par la jeune génération de la part d’ombre que chaque société porte en elle. Les raves sont une
fusion de masse, un grand rassemblement. Chaque individu en constitue un
élément fondamental, tout comme au sein d’une tribu. La génération qui la
constitue a compris qu’il était impossible de lutter contre l’aliénation avec des
moyens aliénés : ainsi elle refuse cette logique du pouvoir et de la violence. Ce
mouvement est basé sur la fête, la musique et la non-violence : sa persistance
est le témoin d’un message que ni les médias, ni les forces publiques ne saisissent. Ces jeunes sont chaleureux entre eux et ils partagent ensemble des moments ponctuels, à la force d’un instant éternel. Ils donnent une leçon au monde
moderne, en montrant que l’individualisme n’est pas la solution. Leur mouvement est une sorte d’ordre social, où les créations artistiques et les valeurs les
plus simples sont privilégiées. Pourtant des éléments perturbateurs se sont greffés, et de là ont commencé les désordres : les dealers des cités parisiennes et
les forces de l’ordre n’ont pas du tout compris la philosophie initiale de cette
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« tribu » et ont tout fait pour la disséminer. Aux États-Unis, des comportements plus poussés sont observés, peut-être parce que dans ce pays les limites
à ne pas dépasser sont plus extrêmes, strictes et rigides : de nombreuses lois de
prohibition et d’interdiction doivent être respectées sous peine de pénalisations sévères.
Conclusion
Ce travail a cherché à considérer un mouvement mystérieusement semblable
aux deux extrémités du monde, ce qui montre son importance et sa force. Que
ce soit en France ou à Détroit, les ravers souhaitent être écoutés et ne plus être
rejetés. Le but de cette recherche a été de faire connaître un peu plus cette
population, sous un autre angle que celui divulgué par les médias, et surtout
d’encourager le développement d’autres travaux dans ce domaine, explorant
des données plus qualitatives que quantitatives, basées sur ce que les consommateurs de drogues ressentent et vivent véritablement. Ne pas prendre en compte
leurs expériences, leurs pensées, leurs sentiments, leurs peurs et espoirs, c’est
se détourner de la réalité. Il faut sortir des « Tours d’ivoire » et aller dans la
rue : si nous avons la volonté d’apprendre de leurs expériences, alors peut-être
qu’à leur tour ils souhaiteront apprendre de la nôtre. En Europe, beaucoup de
programmes sont basés sur la réduction des risques dans les milieux de la toxicomanie. Aux États-Unis, lorsqu’il s’agit de la toxicomanie, les seules réponses avancées restent minimalistes et à court terme. Il y a très peu de prévention
faite et peu d’éducation à la santé. Le phénomène de la toxicomanie y est en
perpétuel développement et il est incroyable de constater qu’un problème aussi
important ne recueille que si peu d’attention : le déni est là-bas encore trop
grand. En effet, il serait impensable de voir au sein des raves américaines des
associations officielles qui parleraient librement des substances, informeraient
les personnes sur les risques et feraient de la prévention. Beaucoup de problèmes ont lieu aux États-Unis mais personne ne semble s’en préoccuper : il serait intéressant de comprendre pourquoi il y a un tel barrage dans ce pays et ce
qu’il pourrait y être réalisé. Nous souhaitons dans le futur, développer un programme de réduction des risques et d’accompagnement de ces jeunes américains, peut-être dans un premier temps au sein du « Detroit Electronic Music
Festival » aux États-Unis. Quant au testing, il serait certainement impossible
de le réaliser, considéré par les autorités comme une incitation à l’usage, dans
un pays où le paradigme du « Just say no » est la seule approche publicisée
dans l’éducation des jeunes, avec l’efficacité douteuse qui lui est connue. Dans
ce pays, une véritable « guerre de la drogue » a lieu, inefficace et en totale
opposition avec notre philosophie de la réduction des risques. Il faudrait
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Réflexion sur le milieu festif et clandestin des « raves-parties », au travers de deux
populations caractéristiques en France et à Détroit, aux États-Unis
élargir les confrontations d’expériences aux niveaux européen et international,
améliorer la qualité de l’information scientifique sur les drogues de synthèses,
encourager les études concernant le développement de lieux d’informations et
de soins pour ces populations, et enfin, développer la recherche clinique afin
de mieux évaluer les modes de consommation et leurs conséquences, dans le
cadre de la psychologie de l’Être Humain.
Reçu en novembre 2002
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