Conseil d`État N° 385659 ECLI:FR:CESSR:2016

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Conseil d`État N° 385659 ECLI:FR:CESSR:2016
Conseil d'État
N° 385659
ECLI:FR:CESSR:2016:385659.20160413
Publié au recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
Mme Florence Marguerite, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats
Lecture du mercredi 13 avril 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 novembre
2014, 10 février 2015 et 3 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union régionale
interprofessionnelle CFDT Alsace, l'Union départementale CGT du Haut-Rhin, l'Union départementale CGT du
Bas-Rhin et l'Union régionale Alsace de l'Union nationale des syndicats autonomes demandent au Conseil d'Etat
:
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-1025 du 8 septembre 2014 relatif aux garanties
d'assurance complémentaire santé des salariés mises en place en application de l'article L. 911-7 du code de la
sécurité sociale en tant qu'il ne comporte aucune disposition fixant les conditions d'adaptation dont doit faire
l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements
du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir le décret attaqué dans son entier ;
3°) d'enjoindre au Premier ministre de compléter le décret litigieux en prenant les dispositions d'adaptation dont
doit faire l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des
départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et de prendre les dispositions transitoires de nature à
différer dans le temps l'entrée en vigueur du décret jusqu'à l'édiction des dispositions d'adaptation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray,
avocat de l'Union régionale interprofessionnelle CFDT Alsace, de l'Union départementale CGT du Haut-Rhin, de
l'Union départementale CGT du Bas-Rhin et de l'Union régionale Alsace de l'Union nationale des syndicats
autonomes ;
1. Considérant que l'Union régionale CFTC d'Alsace et l'Union régionale d'Alsace CFE-CGC justifient d'un intérêt
suffisant à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi, leur intervention est recevable ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, issu de la loi du 14 juin 2013
relative à la sécurisation de l'emploi, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " I. ' Les
entreprises dont les salariés ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de
remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident
déterminée selon l'une des modalités mentionnées à l'article L. 911-1 dont chacune des catégories de garanties
et la part du financement assurée par l'employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées au II du
présent article sont tenues de faire bénéficier leurs salariés de cette couverture minimale par décision unilatérale
de l'employeur, dans le respect de l'article 11 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties
offertes aux personnes assurées contre certains risques. Les salariés concernés sont informés de cette décision.
/ II. ' La couverture minimale mentionnée au I comprend la prise en charge totale ou partielle des dépenses
suivantes : / 1° La participation de l'assuré aux tarifs servant de base au calcul des prestations des organismes
de sécurité sociale, prévue au I de l'article L. 322-2 pour les prestations couvertes par les régimes obligatoires ; /
2° Le forfait journalier prévu à l'article L. 174-4 ; / 3° Les frais exposés, en sus des tarifs de responsabilité, pour
les soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dentofaciale et pour certains dispositifs médicaux à usage
individuel admis au remboursement. / Un décret détermine le niveau de prise en charge de ces dépenses ainsi
que la liste des dispositifs médicaux mentionnés au 3° entrant dans le champ de cette couverture. (...) Il précise
les adaptations dont fait l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie
complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle défini à l'article L. 325-1, en raison
de la couverture garantie par ce régime. (...) / L'employeur assure au minimum la moitié du financement de cette
couverture. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 14 juin
2013, que le législateur a entendu permettre au Gouvernement d'adapter la couverture collective complémentaire
obligatoire des dépenses de santé devant être instituée au profit des salariés des départements du Haut-Rhin, du
Bas-Rhin et de la Moselle pour tenir compte de l'existence, dans ces départements, du régime local d'assurance
maladie complémentaire obligatoire défini à l'article L. 325-1 du code de la sécurité sociale couvrant déjà une
partie des garanties devant être mises en place ; que, si le décret attaqué fixe le niveau de prise en charge des
dépenses de santé concernées par la couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé, il
n'édicte expressément aucune disposition d'adaptation de cette couverture pour les salariés relevant du régime
local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; que
l'union requérante en conteste la légalité dans cette mesure ;
3. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale renvoie à un décret simple
l'adoption des mesures réglementaires qu'il prévoit ; qu'aucune autre disposition n'impose l'adoption de ces
mesures par décret en Conseil d'Etat ; que, dès lors, les organisations syndicales requérantes ne sont pas
fondées à soutenir que le Conseil d'Etat aurait dû être consulté préalablement à l'édiction du décret attaqué ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article D. 325-4 du code de la sécurité sociale, le conseil
d'administration du régime local d'assurance maladie du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, notamment, "
4° Détermine la liste des prestations prises en charge par le régime ainsi que leurs taux de remboursement
conformément aux dispositions prévues aux articles D. 325-6 et D. 325-7 ; / 5° Fixe les taux des cotisations
mentionnées aux premier et second alinéas de l'article L. 242-13 dans la limite d'une fourchette de 0,75 p. 100 à
2,5 p. 100 ; / (...) 10° Prend les mesures nécessaires pour assurer l'équilibre financier du régime dans les
conditions fixées à l'article D. 325-12 " et se prononce, en vertu du 11° du même article, " sur les projets de loi et
de règlement intéressant les matières de sa compétence " ; que le décret attaqué, ainsi qu'il est dit ci-dessus, est
relatif à la seule couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé ; que ses dispositions
n'ont ni pour objet ni pour effet d'apporter une quelconque modification aux prestations ou aux cotisations du
régime local et ne sont, ainsi, pas susceptible d'avoir une incidence sur l'équilibre financier de ce régime ; que,
par suite, le moyen tiré de ce que le Premier ministre aurait dû consulter le conseil d'administration du régime
local en application de l'article D. 325-4 du même code doit être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, que si le pouvoir réglementaire a fait le choix, comme il le pouvait, de ne pas
prendre de dispositions expresses d'adaptation de la couverture collective complémentaire obligatoire des
dépenses de santé à la situation des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des
départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, il découle néanmoins de la combinaison des
dispositions des article L. 911-7 et L. 325-1 du code de la sécurité sociale que la prise en charge par l'assurance
collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé des salariés de ces trois départements, du fait du
caractère différentiel de cette couverture, ne concerne que le seul reliquat des prestations qui ne sont pas déjà
couvertes par les régimes obligatoires légaux, dont le régime légal complémentaire applicable localement ; qu'il
en résulte que le niveau des prestations minimales que doit garantir l'assurance collective complémentaire
obligatoire des dépenses de santé est implicitement mais nécessairement adapté à la situation spécifique des
salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire, par la prise en charge du seul reliquat des
prestations non couvertes par les régimes légaux dont ce régime local ; qu'il suit de là que les organisations
syndicales requérantes ne sont fondées à soutenir ni que le Premier ministre aurait méconnu l'étendue de sa
compétence en s'abstenant de prévoir d'autres modalités d'adaptation de la couverture collective complémentaire
obligatoire des dépenses de santé pour ce qui concerne les salariés des départements du Haut-Rhin, du BasRhin et la Moselle, ni que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 relative à la
sécurisation de l'emploi, ni qu'il serait entaché d'erreur de droit faute de comporter des dispositions transitoires
retardant l'entrée en vigueur du dispositif jusqu'à l'édiction de ces dispositions d'adaptation ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la
Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les
dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires
particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu'à
défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne
peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas
accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ; que le décret attaqué, qui vise, en application de l'article
L. 911-7 du code de la sécurité sociale, à garantir une couverture complémentaire obligatoire des dépenses de
santé de niveau globalement identique pour l'ensemble des salariés français, n'a pas, par lui-même, accru les
différences de traitement existant entre les salariés des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle
et ceux des autres départements, ni élargi le champ d'application des dispositions spécifiques applicables aux
salariés de ces trois départements ; que si les requérants soutiennent, en outre, que méconnaîtrait le principe
rappelé ci-dessus le maintien, dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, d'un
financement intégral du régime local par les assurés sociaux, alors que la couverture collective obligatoire prévue
par l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, qui se borne à le compléter dans ces mêmes départements
tandis qu'elle constitue la totalité de la couverture complémentaire obligatoire des dépenses de santé dans les
autres départements, est financée pour au moins 50 % par l'employeur, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès
lors que l'ajout au régime local d'une couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé
partiellement financée par les employeurs conduit dorénavant à ce que ces derniers contribuent au financement
de la couverture complémentaire, prise globalement, ce qui a, à l'inverse de ce qui est soutenu, pour effet de
réduire le caractère spécifique du traitement réservé à ces salariés ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions d'annulation des organisations syndicales
requérantes dirigées contre le décret du 8 septembre 2014 relatif aux garanties d'assurance complémentaire
santé des salariés mises en place en application de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale doivent être
rejetées ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction et tendant à l'application des
dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être également rejetées ;
DECIDE:
-------------Article 1er : L'intervention de l'Union régionale CFTC d'Alsace et de l'Union régionale d'Alsace CFE-CGC est
admise.
Article 2 : La requête de l'Union régionale interprofessionnelle CFDT Alsace, de l'Union départementale CGT du
Haut-Rhin, de l'Union départementale CGT du Bas-Rhin et de l'Union régionale Alsace de l'UNSA est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union régionale interprofessionnelle CFDT Alsace, premier
requérant dénommé, à l'Union régionale CFTC d'Alsace, à l'Union régionale d'Alsace CFE-CGC, au Premier
ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.
Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray,
avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.