02- Acte II scène 4.cwk

Transcription

02- Acte II scène 4.cwk
Dom Juan : Acte II, scène 4
Extrait : du début jusqu’à “je viens vous retrouver dans un quart d’heure”
Introduction
1. Situation du passage
• Comédie des paysans qui constitue l’acte II.
• Coupure par rapport à la fin de l’acte I : on attendait vengeance d’Elvire
+ nouvelle intrigue amoureuse de DJ. Or il y a une ellipse : cette
nouvelle intrigue a échoué et on l’entend raconter par Pierrot, mais on
ne l’a pas jouée. On n’entend plus parler d’Elvire, sauf dans la scène 5,
qui précipite le changement d’acte !
• Double rupture, temporelle et spatiale (changement de décor).
• Situation de l’intrigue au début de la scène (ce que le spectateur sait
déjà) : DJ a séduit Charlotte et lui a promis le mariage. Il s’est
débarrassé de son fiancé. Mathurine, qu’il a également séduite chez les
paysans qui l’ont recueilli, arrive -> DJ pris au piège.
2. L’extrait
• Échange extrêmement rythmé : répliques courtes.
• Types de personnages // farce : mari trompé et de situation sociale
modeste (paysan), femme infidèle, femmes en colère qui se “crèpent le
chignone, séducteur...
• Convention théâtrale poussée jusqu’à l’extrême : les modes d’adresse
de la parole, où il est possible de se faire entendre d’un personnage
mais pas de l’autre, tout se rendant audible pour le spectateur (double
énonciation).
• Étapes principales // modes d’adresse de la parole :
- C et M se parlent par l’intermédiaire de DJ qui les interrompt,
- C et M se parlent directement, DJ s’adressant tjrs alternativement
à l’une et l’autre pour les induire en erreur,
- puis elles acculent DJ, sommé de parlé, qui se met à tenir un
double langage avant de prétexter un ordre à donner pour
s’enfuir.
3. Axes de lecture
• Comment exploite-t-on au maximum la convention théâtrale, comment
parvient-on à prolonger le dialogue impossible ? = mécanique
farcesque.
• Quel est le sens du rire provoqué par cette mécanique ? Farce au 1er
degré, où l’on rit des ridicules stéréotypés des personnages, ou bien
critique du séducteur ?
• Quelle mise en scène ?
==> 3 étapes pour l’analyse :
1. Voir en quoi on a affaire à une scène de comédie
2. Mécanique verbale et gestuelle --> farce
3. critique du séducteur
I. Une scène de comédie
A. Comique de situation
• Mariage proposé aux deux femmes, et confrontation = situation gênante
(soulignée par le “ah ah” de Sg au début de la scène = amusement,
crainte ? double jeu de Sg possible ici), proche de celle de “l’arroseur
arrosé”.
• DJ pris au piège met en place une situation de communication comique
en elle-même : là aussi comique de situation : le séducteur parvient
malgré à “embrouiller” les deux paysannes.
• Comique encore dans le fait qu’il leur coupe la parole (de façon
répétitive), puis qu’il les induit en erreur, puis qu’il s’en sorte : il parvient
à ne jamais fournir l’explication attendue, par les femmes mais aussi par
les spectateurs = prouesse qui amuse. Situation qui évolue sans jamais
se résoudre, et dont le protagoniste sort indemne. Rire qui naît du
retardement continuel qu’on prolonge à l’extrême.
B. Comique de caractère
• Sang-froid de DJ en pareille situation, et sens de la manipulation. Sa
maîtrise du langage et son invention étonnent, suprennent.
• Sincérité des deux femmes = contraste. Le décalage entre l’attitude de
DJ et la leur provoque le rire.
• Opposition des deux femmes = 2 caractères “forts” face à face.
• Franc-parler, agressivité qui contraste avec l’attitude des personnages
“nobles”. Là aussi, décalage comique.
• On peut aussi s’interroger sur le double jeu de Sg, comique en luimême.
C. Comique de moeurs
• Rêves d’émancipation des deux JF... VS le cynisme du libertin.
• Une certaine méchanceté vis-à-vis de Pierrot, ridicule petit paysan...
==> On a bien affaire à une scène de comédie, qui joue des décalages entre
situation et parole, entre caractères, pour créer des contrastes susceptibles de
créer le rire chez le spectateur.
II. Une mécanique de farce
Ce que cherche la farce : l’efficacité. Le rire immédiat. D’où le recours à des
procédés directs, simples, répétitifs = une certaine mécanique.
A. Mécanique verbale
1. Effets de parallélisme et de symétrie
• Convention : Dj peut parler à l’une des deux paysannes sans se
faire entendre de l’autre. Or elles ont toutes deux la même
revendication : celle d’être une promise du beau monsieur
qu’est DJ.
• Dj parle pour empêcher de parler / pour discréditer chaque
femme aux yeux de l’autre (“souffler sur le feu”). Reprise des
mêmes idées en termes différents --> rire typique de la farce.
• Ne lui dites rien, c’est une folle / Laissez-la là, c’est une
extravagante.
• Laissez la faire / laissez la dire
• = parallélisme syntaxique (présentatifs en 1), lexical (folle /
extravante).
2. Vivacité du rythme
• Répliques de plus en plus courtes notamment l’accélération
finale avant la tirade = tension dramatique.
• Tirade de DJ = contraste, rupture du rythme = surprise = rire.
• Tirade elle-même construite sur la mécanique de l’échange,
avec des répliques brèves adressées “bas” à chacune des deux
paysannes à l’intérieur même du discours (changements
brusques et rapides de situation d’énonciation au sein même de
la tirade = là aussi surprise, décalages et rire).
B. Mécanique scénique
S’adresser à voix basse à chacune = mouvement de DJ indispensable.
Quelles solutions scéniques ?
1. Première partie
• Nécessaire prise en compte des déplacements de M et C dans leur
tentative de se parler.
• DJ au milieu. Leurs mouvements de tête (elles tournent autour) à elles
/ ses mouvements à lui ? Interprétation totalement ≠ suivant qu’il bouge
ou pas. Si on veut faire ressortir le manipulateur, il bouge peu, et elles
bougent. Si on veut insister sur le fait que l’action risque de lui
échapper, c’est lui qui bouge.
2. Deuxième partie
• Progression nécessaire : M et C cherchent à se parler et y parviennent.
Donc rapprochement nécessaire.
• Position de DJ qui doit à ce moment là évoluer. Centre, mais mise en
valeur de la confrontation des deux f, et retrait de DJ.
• Là aussi, plusieurs choix : mettre en valeur sa distance, ou au contraire
son habileté. Peut-il par exemple se mettre du côté de l’une d’elle ou
de l’autre ?
3. Troisième partie
• DJ pris au piège. C’est donc aussi un piège physique qui doit être mis
en place, et pas seulement verbal. --> Où et comment, sur scène, le
personnage va-t-il se retrouver “coincé” ?
• Piège dont il échappe. Où/comment se trouve-t-il pour pouvoir
s’esquiver ? Quelle issue lui ménage-t-on ? Passe-t-il entre les deux
femmes ? Reste-t-il derrière ?
==> chacune des solutions scéniques choisie influe directement la façon dont
on va percevoir le personnage. Justement, on peut s’intéresser au décalage
qui s’opère avec sa propre tirade de l’acte I.
III. Les ridicules du séducteur
A. L’inconstance n’est pas si glorieuse que DJ veut bien le faire croire
• Certes, on pourrait croire à l’habileté du personnage, qui parvient à
échapper à ses responsabilités, en s’appuyant sur l’hostilité réciproque
des deux femmes.
• Mais cette parade est farcesque, grossière, tire le personnage,
précisément, vers la farce. L’efficacité de son procédé est d’ailleurs
précaire : elles finissent par se parler, puis par l’obliger à parler.
• Il n’est pas “maître” de la situation, il s’en échappe sans avoir rien
résolu.
• Le passage d’une femme à l’autre, décrit par lui-même dans sa tirade
comme une conquête, apparaît ici sous son angle un peu grotesque : le
libertinage amoureux est avant tout une mécanique.
• Parallèle intéressant : la sc. 3 de l’acte I, où Elvire, qui n’est pas dupe,
lui rappelle : “Ah ! que vous savez mal vous défendre”. Tragique pour
Elvire, farcesque pour les paysannes, mais répétition de la même
lacheté, mise en parallèle.
B. Ambiguïté du personnage de DJ
• Devient-il un personnage de farce, impliqué, ou reste-t-il à distance ?
L’action lui échappe-t-elle totalement ou s’en amuse-t-il ? Pas de
réponse définitive donnée par le texte... seul le lecteur et/ou le metteur
en scène peuvent donner leur réponse.
• Conquérant ou capitan ? Exploits imaginaires ? Il n’a finalement conquis
personne !
• Personnage cruel ? Il a conquis le coeur de jeunes beautés qu’il
abandonne à leur sort (il les a montées l’une contre l’autre), une fois
qu’il est assuré d’en être aimé ? C’est alors le DJ tel que le définit Sg,
“grand seigneur méchant homme”, qui profite de sa qualité de noble et
de son rang dans la société pour éblouir de naïves paysannes. Plaisir
autocentré... Part de jeu ?
Conclusion
• Scène qui marque apogée du comique dans l’acte II. Pas seulement un
comique de divertissement.
• Contribue à rendre difficile la catégorisation de la pièce. Comédie, tragédie,
farce ?
• Enrichit l’ambiguïté du personnage.
• Ambiguïté qui renvoie le lecteur / spectateur à lui-même quant à l’attitude
attendue vis-à-vis du personnage : nous fait-il rire des deux paysannes, ou riton des ridicules du séducteur ? = rejoint la “grande” comédie, celle qui pousse
à la réflexion. Qu’est-ce que les dévots y condamnent : leurs propre peurs de
se voir, dans le fond, comme DJ ?