In Memoriam pour mon ami Jean-Claude
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In Memoriam pour mon ami Jean-Claude
In Memoriam pour mon ami Jean-Claude Yanick LAHENS M a rencontre avec Jean-Claude Bajeux il y a un peu plus d’une dizaine d’années s’est placée d’emblée sous le signe de l’essentiel : un pays à bâtir, celui qu’inlassablement il dessinait dans ses rêves. Jean-Claude s’était délesté de l’accessoire c’est à dire de toutes les petites guerres sans grandeur, querelles de clans, des querelles d’égos qui n’en finissent pas de nous plomber, de nous faire rester en rade, ménageant sa générosité, son engagement, son courage, sa culture et son élégance pour la haute mer, les combats de fond. Bien des choses à première vue, auraient pu nous séparer : une génération, notre histoire familiale. Mais Jean-Claude savait traverser les contingences. Il fait partie de ces êtres, trop rares hélas, qui acceptent sans masques, sans détours, d’affronter l’ombre avec des interrogations à tâtons, avec un courage opiniâtre et des longs silences de retenue parce qu’ils savent que la lumière se mérite, se gagne et que les apparences peuvent être des éblouissements qui aveuglent. J’ai eu la chance de le côtoyer dans ces dialogues collectifs, nos fameuses réunions du lundi après-midi où aux côtés d’hommes et de femmes, jeunes, moins jeunes, de tous horizons et de toutes origines, nous tentions de donner forme à ce vouloir ensemble, cette « adhésion » consensuelle « à une constellation de valeurs » qui ne peut venir ni d’en haut ni d’ailleurs. Je ne saurais oublier sa longue silhouette debout dans une rencontre à Jacmel avec des représentants d’associations venues de tout le Sud-est. Debout à la barre, debout à la boussole, debout sous les étoiles. J’ai eu la chance d’être à ses côtés pour fouler l’asphalte chaud ou affronter ailleurs les jets de pierre et les tirs. Même 98 quand la peur gagnait certains d’entre nous, je ne l’ai jamais vu flancher la nuque ou plier le genou. L’impunité a distordu notre passé récent et plus lointain et continue de contaminer notre présent Notre temps politique accuse un monumental retard par rapport au temps de la soif des jeunes au temps du courage des femmes, au temps de la patience des hommes de bonne volonté. Et le temps politique a aussi malheureusement rogné des pans entiers de notre âme de peuple. Que de fois avons-nous évoqué ce gâchis énorme. Pourtant l’amer constat ne l’empêchait jamais d’essayer à nouveau de se mouiller avec la même conviction, avec, jusqu’au bout la même « force de regarder devant et demain ». En prenant parti et en le faisant publiquement. Parce que chez lui l’impatience et l’indignation, la colère parfois, refusaient de céder la place à la désespérance. Et comment ne pas évoquer son inlassable combat pour la justice au sein du Centre Œcuménique des Droits Humains et de la Comité Citoyen pour l’Application de la justice qu’il avait crées. La justice, valeur cardinale et fondement de la vie sociale qu’il appelait « la clé de la porte, le seuil et la lumière ». L’impunité a distordu notre passé récent et plus lointain et continue de contaminer notre présent. Nous poserons la première vraie pierre du renouveau quand des hommes et des femmes accepteront avec courage, fermeté et hauteur de vue, d’initier une catharsis collective sans fard, sans marronnage, qui seule nous permettra de redresser la colonne vertébrale du corps social et d’assainir sa mémoire. Le combat de Jean-Claude mérite que l’on s’y atèle de manière urgente. Relisons les textes de JeanClaude pour mieux comprendre Mais Jean-Claude je ne trouve pas de plus belle manière de te faire des adieux qu’en te parlant de littérature. La littérature fait davantage qu’expliquer ou informer, elle donne la saveur du monde, toutes les saveurs. C’est avec la même jeunesse de cœur et d’esprit que tu tentais toujours et jusqu’aux dernières heures, de goûter et de faire goûter aux autres cette diversité inépuisable. Et ce matin je ferai appel à Aimé Césaire dont tu as méticuleusement analysé l’œuvre dans « Antilla retrouvée ». Césaire qui a su si bien allier l’absolu préservé de la littérature au relatif précaire et périlleux d’une charge politique. Césaire l’un des plus grands poètes du XXème siècle est en effet le députémaire qui a transformé de manière la plus profonde la ville de Fort-de-France et la vie de ses habitants, en leur donnant accès à l’eau, au logement, aux services de base et aux loisirs. Quand on lui demandait son secret d’homme politique, il répondait avec cet humour teinté de provocation : « Lisez ma poésie et vous comprendrez ». Relisons les textes de JeanClaude pour mieux comprendre. Et puisque tu incarnais cet homme de culture et cet homme de combat, je te dirai adieu avec les premiers vers de ce poème testament de Césaire qui te conviennent si bien : « J’habite une blessure sacrée j’habite des ancêtres imaginaires j’habite un vouloir obscur J’habite un long silence j’habite une soif irrémédiable j’habite un voyage de mille ans » Jean-Claude vas enfin en paix vers la lumière. Rencontre n° 24 – 25 / Février 2012