Review disque

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Review disque
Le jeudi 30 août 2001
Adulte contemporain
Nathalie Petrowski
La Presse
Sur le marché du disque, Lara Fabian domine le créneau de l'adulte contemporain. Dans ce marché
qui, comme son nom l'indique, est un marché et non un monde, c'est le créneau le plus payant. Et
Lara peut se vanter d'en être la reine incontestée (surtout lorsque Céline est enceinte ou en congé de
maternité).
Pour comprendre ce que signifie au juste adulte contemporain, il fallait être au méga-lancement de Nue, le
nouveau CD de Lara, mardi soir au Rialto. Une foule record d'adultes contemporains s'était déplacée pour
l'occasion.
Il y avait Pierre Karl Péladeau nageant comme un poisson dans l'eau parmi les gros bonnets de Polydor et
d'Archambault. Il y avait Ginette Reno rayonnante dans sa tunique blanche et Daniel Lavoie toujours aussi
beau. Il y avait les 150 gagnants du concours Cité-Rock Matante (celle-là n'est pas de moi, excusez-la)
relégués en haut dans le pit et tenus d'y rester. Il y avait aussi les gagnants de CKOI, CKMF et de Rythme
FM, moins nombreux mais admis sur le plancher des vaches avec les VIACP (les very important adult
contempory people). Bref tout le monde était là, même moi, c'est vous dire.
Tout le monde était là pour boire à volonté, grignoter des sushis exquis et pour assister non pas au
strip-tease de Lara, mais à sa mutation.
Vous ne le saviez peut-être pas, mais Lara Fabian était jadis une jeune et jolie chenille à poil et à voix. La
chenille est devenue chrysalide puis papillon avant de se muer avant-hier soir en jeune femme adulte,
mature et contemporaine.
En principe, Lara et moi, on appartient désormais au même créneau. Lorsqu'elle chante ou parle c'est à moi
et à mes semblables, adultes contemporains, consentants, majeurs et vaccinés, qu'elle s'adresse. En
pratique, c'est un peu plus compliqué.
En entrevue à la radio ou à la télé, pas de problème. Je comprends tout ce que dit Lara et d'autant plus
qu'elle le dit dans un français impeccable.
En entrevue, Lara Fabian est loin d'être conne ou superficielle. C'est un bonheur de l'entendre répondre
posément et intelligemment aux questions. Quand je glisse son CD dans mon lecteur pourtant, le charme
s'estompe. D'abord je suis allergique aux ballades larmoyantes, même celles superbement orchestrées. Et
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puis je ne comprends rien à ce que Lara Fabian écrit. Sa prose maison manque désespérément d'images
évocatrices. Au lieu de nous parler des souliers verts de la jalousie, du sang d'encre qu'on se fait pour un
ami ou de nous demander où as-tu mis ton coeur? dans un étui, à l'abri du soleil ou de l'ennui? Lara Fabian
écrit des trucs lourds et incompréhensibles comme: Il fallait une moitié de vie pour arrêter de retenir la
force qui pousse l'autre demie, à tout changer, à te redevenir. Pardon?
Comme peu de chanteuses à voix, Lara Fabian insiste pour écrire ses textes. En ce qui me concerne, ce
n'est pas la meilleure des idées. Ca pourrait peut-être le devenir si Lara prenait des cours du soir chez
Richard Desjardins. En attendant, comme on dit en France, ça craint.
Quant au contenu musical signé Rick Allison, c'est du pur adulte contemporain, c'est-à-dire une sorte
d'enflure romantico-sentimentale qui sous le couvert de l'émotion tend à renforcer la neurasthénie du
public adulte contemporain.
Ces choses confondues n'expliquent pas pourquoi Lara Fabian a si mauvaise presse au Québec. Après tout
Céline, Ginette et Isabelle Boulay distillent la même soupe et passent malgré cela pour des filles
formidables. Quant à Lara, peu importe ce qu'elle fait, elle s'attire invariablement les sarcasmes de la
coterie médiatique. Pourquoi Lara et pas les autres? C'est la question d'un million dont la réponse est
peut-être dans le titre de son CD, Nue.
Un tel titre annonce forcément une mise à nu. On se dit que ce coup-ci, ça y est: Lara Fabian va passer à
table et nous dévoiler le fond de sa pensée. Elle va nous dire qu'elle veut être la plus grande chanteuse au
monde et qu'elle est prête à tout pour y arriver. Que l'amour, dans le fond, elle s'en fout. Que les
journalistes (surtout québécois) la font suer royalement, mais qu'elle se console le soir en regardant ses
rapports de vente. Qu'elle doute souvent d'elle-même ou pas du tout, peu importe. Ce qui compte c'est que
ça soit vrai, sincère et senti.
Mais Lara Fabian commet toujours la même erreur: elle annonce ce qu'elle est incapable de livrer ou ne
veut pas livrer. Elle a beau découvrir un bout de peau, dénuder une épaule ou la courbe d'un sein sur ses
photos, son CD est celui d'une fille habillée jusqu'au cou, une fille qui promet la lune et qui accouche d'une
ampoule.
On écoute ses chansons et on ne sait toujours pas qui est cette fille qui prétend se livrer avec impudeur et
qui ne montre rien sinon les multiples couleurs de ses magnifiques cordes vocales.
Remarquez que ce n'est pas ça qui va l'empêcher de vendre des milliers de disques et d'accumuler les tubes
cet automne. Au contraire. Lara Fabian marche aussi fort parce qu'elle offre au marché des adultes
contemporains, l'apparence de l'émotion, de l'intensité et de la mise à nu. Malheureusement, ce marché,
qui est d'abord un marché avant d'être un monde, ne lui en demande pas plus. Et ça, ce n'est pas la faute à
Lara. C'est la faute au monde à la con dans lequel on vit.
L'ART DE NE PAS PENSER
Les journalistes pensent trop. À deux, trois, six reprises à la conférence de presse du commandant d'Air
Transat Robert Piché, mes collègues lui ont demandé avec insistance à quoi il pensait à 33000 pieds dans
les airs, avec une fuite massive de carburant, deux moteurs morts, un Airbus en goguette et 291 passagers
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au bord de la crise de nerfs.
Que pensaient-ils que le commandant allait leur répondre? Qu'entre deux manoeuvres désespérées, il avait
eu le temps de revoir le film de sa vie et d'en choisir les meilleurs extraits?
Étant donné les circonstances, il n'y avait qu'une chose à faire: agir tout de suite et penser après. C'est
d'ailleurs ce qui explique pourquoi Robert Piché est (dieu merci) pilote et non journaliste.
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