Donner à la femme paysanne la place qui lui revient
Transcription
Donner à la femme paysanne la place qui lui revient
Agriculture • Économie • Entreprenariat • Société Donner à la femme paysanne la place qui lui revient Mots clés : femme, femme paysanne, gendre, parité, leadership Longtemps, le rôle de la femme paysanne a été négligé, et les handicaps auxquels elle doit faire face sont nombreux. Les choses commencent à changer, avant tout grâce à la détermination des femmes elles-mêmes. Auteur(s) : Frans Van Hoof Date de publication : 2011 Catégorie(s) : S avoir-faire paysans • Politique agricole, planification, décentralisation, recherche scientifique • Dynamique paysanne • Organisation des producteurs agricoles, CONAPAC paysans, FEC Province(s) : K inshasa • Bandundu • Équateur • Province orientale • Nord-Kivu • Sud-Kivu • Maniema • Katanga • Kasaï-Oriental • Kasaï-Occidental • Bas-Congo Partenaire(s) : Alliance AGRICONGO Nombre de pages : 3 Identification : F-EPCJ-A6-E2-P1-S1-1 Les femmes paysannes congolaises assurent la production agricole vivrière et la transforment pour la donner une valeur ajoutée. Toutes les enquêtes le confirment. Ce sont elles qui font vivre la société congolaise. Quand bien même le père occupe une fonction salariée si souvent mal payée, c’est encore la femme qui l’aide et qui assure la survie du ménage. Pendant longtemps ce rôle clé de la femme paysanne a été négligé, y compris dans les prises de décision au niveau des Organisations Paysannes. Les handicaps auxquels la femme paysanne congolaise doit faire face sont nombreux : relations inégales dans les ménages, manque d’accès à la terre, à l’éducation, à l’information, au crédit ; viols des femmes dans les conflits armés et impunité des violeurs… Heureusement, les choses commencent à changer, avant tout grâce à la détermination des femmes elles-mêmes. Le parcours d’une fille « de bananes » devenue présidente du FOPAKO Lorsqu’Espérance Nzuzi interrompt ses études suite à sa première grossesse, abandonnée par le père de son enfant, la vente des bananes lui permet de survivre. Elle accompagne aussi sa mère aux champs, et en ramène bois, manioc, légumes, fruits. Cette vie dure et ces épreuves ont forgé chez Espérance son souci de trouver des solutions durables aux problèmes des paysans. Nzuzi s’est décidée de désormais se prendre en charge au lieu de compter sur les hommes. À trois reprises, elle a fait le même rêve : « un jour, sa production agricole lui permettra d’acheter des maisons, machines et autres biens ». Depuis, elle s’est définitivement orientée vers l’agriculture. Certes la réalisation de son rêve n’a pas été sans peine. Sans champ, sans matériel, sans argent, incomprise par la plupart des hommes à qui elle s’adressait, sa vision semblait impossible. Pour obtenir une parcelle elle a même accepté de faire un enfant avec une personne polygame ; malheureusement après sa mort elle n’a pas hérité du champ espéré. Après ces moments très difficiles, elle a commencé à encadrer d’autres femmes célibataires ; ensemble, elles ont créé une association pour l’auto-prise en charge des femmes, devenue l’APROFEL (Association pour © Nele Claeys Ecocongo • 1 Agriculture • Économie • Entreprenariat • Société UWAKI – LOFEPACO : comment une détermination porte ses fruits Mme Julienne Malikidogo, la première présidente de la Ligue LOFEPANOKI, rapporte : « Nous étions plusieurs associations de femmes paysannes évoluant comme des enfants qui galopent dans la boue, séparées les unes des autres, sans trop d’impact, nous nous sommes alors décidées à réunir nos efforts ». Déjà en 1985 les femmes créèrent UWAKI (l’Union des femmes paysannes du Kivu), une union qui se scinde en trois, lors de la scission de la province : Nord-Kivu, SudKivu et Maniema. Les trois organisations poursuivent leur mission d’émanciper la femme paysanne, de la sensibiliser quant à ses droits de citoyenne, de la former dans une agriculture moderne et rémunératrice, dans la transformation de sa récolte et dans d’autres activités génératrices de revenus, pour lui donner confiance et ses capacités économiques. En 1999, UWAKI Nord-Kivu participe avec d’autres associations de paysannes dans la création de la Ligue des Organisations de Femmes Paysannes du Nord-Kivu (LOFEPANOKI), qui devient « LOFEPACO » (Congo). 2 • Ecocongo La formation clé de succès pour les femmes leaders paysannes Une certaine stagnation des associations de femmes paysannes membres a poussé la Ligue à concevoir une formation des leaders. Depuis 2005, LOFEPACO organise chaque année un cycle de formation des « leaders paysannes » : 1280 femmes ont ainsi été formées. « Apprendre en faisant » : une méthodologie adaptée © Nele Claeys la Promotion de la Femme à Lukula). Motivée, elle construit un véritable cadre « multi partenaires » : telle structure donne des formations agricoles, telle autre des boutures de manioc et autres intrants, telle autre une sensibilisation sur les violences sexuelles. Elle stimule les femmes à ne pas se limiter à des champs communautaires mais d’acquérir chacune un hectare pour gagner leur vie. Puis, elle étend l’action d’APROFEL dans d’autres territoires de la province (de Moanda à Mbanza Ngungu). Sa participation en 2007 à l’atelier de Goma sur la structuration paysanne, la met en contact avec d’autres leaders paysan(ne)s et leurs expériences ; elle y puise une conviction renouvelée pour la réalisation de son rêve. Madame Nzuzi est désormais le visage du mouvement paysan dans cette province qu’elle sillonne sans fatigue. Présidente de la FOPAKO, vice-présidente du comité de pilotage de la structuration du mouvement paysan au niveau national, elle anime aussi la structuration des producteurs de palmiers à huile dans son district. « Chaque personne a quelque chose d’unique et d’intéressant à communiquer ». Les animateurs partent de ce que les participantes connaissent déjà ; ils proposent des exercices, des jeux de rôles ou scénettes de théâtre, et suscitent des réactions, observations et commentaires des participantes. Une dynamique de groupe permet d’apprendre, d’échanger continuellement et ainsi d’encourager tous les membres du groupe à participer activement. Rien ne sert de mettre des idées toutes faites dans la tête des gens ; au contraire, il faut encourager les femmes à exprimer leurs propres idées. Une formation comporte 7 modules 1. Introduction au programme de formation. 2. Profil idéal d’une femme leader et d’une organisation apprenante. 3. Gestion d’une organisation au niveau local. 4. L’entrepreneuriat féminin. 5. La dynamique de groupe. 6. Le lobbying, négociation et plaidoyer. 7. Négociation et gestion de conflits. Les freins au leadership féminin sont multiples : • L’analphabétisme : 70 % des femmes paysannes sont analphabètes et sous-informées. • Les coutumes rétrogrades accordent un statut moindre à la femme par rapport à l’homme. • La femme se sous-estime, a peur, et cette peur lui empêche de parler en public, de réagir face à certaines injustices qui lui sont faites. • Le pouvoir économique faible de la femme maintient sa situation d’infériorité. • Les naissances nombreuses et rapprochées qui nuisent à la santé de la femme. • Les mariages précoces (16 à 18 ans) pour les filles abandonnant ainsi tôt les études. • La surcharge de travail : agriculture, préparer la nourriture (bois, eau, achat, cuisine), petit commerce, éducation des enfants, entretien maison… Les CERA – Une nouvelle dynamique à la base Dès la sortie de la première promotion des femmes leaders, la Ligue a initié des cercles de réflexion et d’action, CERA en sigle. Ces cercles constituent des cadres d’échanges, de réflexion, d’action et de renforcement mutuel des femmes leaders formées. Ils regroupent des femmes leaders de différentes associations membres de la Ligue dans une même zone géographique. Les CERA constituent un instrument de suivi de la formation, permettent d’assurer un encadrement permanent et ainsi amènent les femmes rurales à contribuer à l’émergence du mouvement paysan. Si tout début est difficile, aujourd’hui il y a 30 cercles qui sont fonctionnels et qui comptent entre 15 et 50 membres chacun, et le nombre de cercles et de ses membres augmentent au fur et à mesure que les nouvelles promotions de leaders sortent. • Les associations membres de la Ligue sont aujourd’hui mieux structurées et gérées grâce aux efforts des femmes leaders. La tenue et la qualité des réunions se sont améliorées ; •L es femmes formées participent dans la gestion des conflits qui surgissent dans leurs associations, elles y prodiguent des conseils et sont écoutées ; Agriculture • Économie • Entreprenariat • Société • Les femmes ont pris l’habitude d’analyser le contexte de leur milieu ou de toute situation qui peut influencer leurs activités ; • Elles sont capables de mobiliser les autres pour entreprendre des actions d’intérêts communautaires (elles ont créé des cercles d’alphabétisation ; •L ’esprit d’attentisme s’est atténué et les femmes formées entreprennent des activités économiques leur permettant de renforcer leur pouvoir économique ; •Q uelques femmes leaders sont désormais propriétaires de leur terre ce qui était jadis l’apanage des hommes. © Nele Claeys Une source d’inspiration Bernadette Sinahali est une des femmes leaders locales de la LOFEPACO, formées, leader clé au sein de son CERA de Musienene, et Auxiliaire Villageoise d’Élevage (AVE). Elle a Cette expérience de la LOFEPACO dans la formation des « leaders femmes paysannes » constitue aujourd’hui une référence et source d’inspiration pour les organisations paysannes d’autres provinces. Ainsi en 2007 l’organisation féminine SARCAF du Sud-Kivu a démarré la même formation en faisant appel au formateur de la Ligue et en 2008 des organisations féminines de l’Ituri ont envoyé leurs formatrices à la Ligue pour être formées dans la méthodologie « apprendre en faisant » qui constitue la base de la formation des leaders. Actuellement la Ligue est désireuse d’étendre aux autres provinces de la RDC, son expérience et son savoir-faire dans la formation des leaders. commencé son élevage en 2005 grâce à un crédit rotatif de deux lapines, un lapin et une chèvre. En développant progressivement son élevage, elle s’achète en 2010 une grande parcelle, construit une maison en dur, une étable avec 21 chèvres et un clapier avec 42 lapins ; elle aménage un poulailler, divisé en deux parties (une pour les pondeuses et une autre pour l’engraissement des poulets de chair). Selon l’évaluation(1), sa réussite repose sur quatre points : • Son esprit entrepreneurial et sa conviction qu’avec son élevage elle peut construire un bel avenir pour elle et ses enfants (ses trois fils étudient à l’université). • L’intégration du travail familial avec son mari et ses enfants : par exemple, en rentrant de l’école, les enfants apportent des herbes pour l’alimentation des animaux. • L’accès à un crédit rotatif, ce qui lui a apporté un revenu plus important que des crédits séparés ; • En plus, elle a réinvesti son petit revenu d’auxiliaire, de 25$ par mois, dans son exploitation. L’impact de la formation des femmes leaders et des CERA est très significatif : 427 femmes leaders sont membres d’un comité de gestion au niveau du village ou d’une structure religieuse. (1) Entre autres une évaluation d’un projet du Fonds Belge de Survie. Grâce à la sensibilisation faite par les femmes leaders, les femmes paysannes ont compris la nécessité d’être propriétaire de terre et du bétail (chèvres, lapins, poules). Grâce aux échanges dans les CERA et leurs élevages individuels, les femmes leaders progressent et renforcent leur pouvoir économique. Ce dernier permet aux femmes d’améliorer leur place et statut social dans leur communauté. Dans les autres provinces, il existe également des structures de femmes paysannes, telle que FEDAMA à Kisangani, AFRIKI à Kinshasa, ainsi qu’APROFEL du Kongo Central. Chaque organisation a ses expériences – parfois des échecs, parfois des réussites – qui peuvent inspirer les autres dirigeantes. Des expériences en matière économique, pour la sensibilisation, le plaidoyer et la formation, de même qu’en structuration et gestion des associations, mais aussi pour faire entendre la voix de la femme au sein des mouvements paysans qui sont encore trop dominés par les hommes. Des rencontres d’échanges entre actrices des différentes provinces permettront de progresser sur ce chemin de l’émancipation, commencé il y a 30 ans. Ecocongo • 3