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Identité nationale luxembourgeoise:
un concept pour faire peur
Courrier
La campagne référendaire, et
surtout celle autour de la question
sur le droit de vote des résidents
étrangers, a fait ressurgir la question de l'identité luxembourgeoise,
l'identité du Luxembourgeois,
donc le concept d'identité nationale. Certains vont très loin dans
la définition de cette «identité nationale» à la luxembourgeoise, et
souhaitent même réduire celle-ci à
un seul critère: celui de la maîtrise
ou non de la langue luxembourgeoise.
En réponse à la question, «et
quid des Luxembourgeois qui ne
parlent pas le luxembourgeois?»
on reçoit comme réponse: «Comment se fait-il qu'il existe des
Luxembourgeois qui ne parlent
pas notre langue?»
On remarquera que le Luxembourg a depuis toujours été un
pays bilingue, allemand et français,
et que le dialecte francique mosellan appelé Lëtzebuergesch ne fut reconnu par le Parlement luxembourgeois comme une véritable
langue qu'en 1984 et que depuis, le
Luxembourg est officiellement un
pays trilingue.
On risquera la réponse suivante:
«Oui, mais de toute façon, on ne
peut pas considérer quelqu'un qui
ne parle pas le luxembourgeois
comme un vrai Luxembourgeois,
peut importe qu'il le soit, administrativement, sur le papier.»
La condition linguistique n'est
dans la loi relative à la naturalisation que depuis 2008 et, même aujourd'hui beaucoup de gens ne
tombent pas sous cette condition
(recouvrement de la nationalité,
ceux qui ont résidé au Luxembourg avant le 31 décembre
1984…). Rien n'y fait, pour les
champions de la langue, c'est clair:
il y a les authentiques et les faux
Luxembourgeois. Nous voilà donc
au cœur du discours identitaire archaïque, le discours de l'exclusion
du non-semblable, le discours de
discrimination, discrimination par
rapport à l'origine, discours antidroits de l'Homme, discours d'extrême droite.
Arrière-plan migratoire
Au Luxembourg ce discours
sonne encore plus faux que par
exemple en France. Le Luxembourg est, de par sa petite taille et
sa situation géographique, une
terre de passage et d'immigration
par excellence. Aussi terre d'occupation, terre au confluent des cultures romanes et germaniques,
avec des apports extérieurs récents
dus à l'immigration italienne, portugaise, française, belge, allemande,
etc. Il serait difficile, voire impossible, de vouloir définir une identité
nationale uniforme dans ce petit
pays multiculturel et multilingue.
Elle ne pourrait être que multinationale, interculturelle, si tant est
qu'elle existait réellement. 65% des
Luxembourgeois d'aujourd'hui, de
ceux qui ont donc la nationalité
luxembourgeoise, ont un arrièreplan migratoire.
Chaque être humain façonne
son identité à sa manière. Même
dans une famille purement luxembourgeoise, les enfants peuvent
grandir avec des influences diverses, par exemple si les parents sont
de grands adeptes de la culture
française, allemande, italienne, chinoise, indienne, ou autre, et exposent leurs enfants à partir du plus
jeune âge à la musique, les traditions culinaires, la littérature, les
paysages, les œuvres d'art… de ces
pays. Tout réductionnisme, surtout dans ce domaine, est par nature suspect, dangereux même, et
conduira forcément à des thèses de
ségrégation, d'exclusion, de discrimination.
Comment doit-on réagir, lorsque le leader de l'initiative Internet
«Nee2015», Fred Keup, déclare
au magazine anglais Delano
(06/2015), traduit en français: «Si
vous voulez vraiment faire partie
de cette société, demandez la double-nationalité et montrez-nous
votre engagement en apprenant le
Luxembourgeois.» Est-ce que cela
signifie que tous ceux qui sont déjà
Luxembourgeois et qui ne maîtrisent pas la langue luxembourgeoise
ne font pas «partie de cette société», sont donc exclus du club
des nationaux?
La même chose vaut évidemment pour les 46% de la population luxembourgeoise qui ont une
autre nationalité et qui créent tous
les jours de la plus-value dans notre pays. Eux aussi seraient donc
exclus de la société. Est-il aberrant
de dire qu'il s'agit là d'idées d'extrême droite? Le même Fred Keup
déclare dans les colonnes du Quotidien le 26 mai 2015: «Mais mon
épouse est elle-même étrangère.
Elle est italienne et elle a reçu la
double nationalité l'année dernière.» Ainsi donc, même après
avoir obtenu la double nationalité,
elle reste une étrangère.
Ce genre de pensée de la différence et de l'exclusion nous rappelle les pires moments de l'histoire européenne et notamment
cette expression d'un éminent antisémite français du XIXe siècle:
«Un Juif converti fait peut-être
un catholique de plus, mais pas un
Juif de moins.« (Cité par de Fontette, dans Histoire de l'antisémitisme, Presses universitaires de
France, 1988).
De «pays» à «Nation»
Une telle mentalité contraste
avec celle de Paul-Henri Meyers, le
constitutionnaliste du plus grand
parti politique luxembourgeois, le
CSV. En 2013, il était le président
de la commission parlementaire
des Institutions et de la révision de
la Constitution. Lors de sa réunion du 13 mars 2013, il fut décidé de modifier dans la constitution l'article-clé concernant la
Chambre des députés (actuellement art. 50) de: «La Chambre
des députés représente le pays»
vers: «La Chambre des députés représente la Nation.» Dans le procès-verbal de cette réunion on peut
lire: «M. le Président réplique que
la Nation ne vise pas seulement
ceux qui ont la nationalité luxembourgeoise. Au contraire, elle reflète la volonté de tous ceux qui
habitent le territoire de vivre en
commun et d'avoir un destin commun.» Et il cite Joseph Ernest Renan et Pierre Wigny.
Les populistes de droite luxembourgeois, les représentants de
l'ADR et de Nee2015, racontent à
qui veut l'entendre: actuellement
la Chambre des députés est peutêtre censée représenter encore
toute la population, mais dans le
cadre de la réforme, cette question
sera réglée une fois pour toutes
étant donné qu'il est prévu de rem-
placer le mot «pays» par «Nation». Et alors le parlement ne représentera plus que les nationaux.
C'est avec ce genre de propos mensongers qu'ils essaient de convaincre les Luxembourgeois, qu'ils ont
réussi à mettre dans un état de
peur existentielle, de hantise de
l'étranger, de voter contre le droit
de vote des résidents étrangers.
Les résidents étrangers sont soumis aux mêmes lois et règlements
que les Luxembourgeois, au Code
pénal, au Code du travail, au Code
de la route, aux législations relatives à l'impôt, à la sécurité sociale,
etc. Ils sont soumis aux mêmes
obligations et devraient donc avoir
les mêmes droits, y compris les
droits politiques. Ce sont des citoyens au même titre que les nationaux. Eux aussi sont des nationaux, mais des nationaux d'un autre Etat. Mais c'est ici, au Luxembourg, qu'ils ont décidé de contribuer par leur travail, leurs compétences, leurs risques financiers
aussi, à l'avancement de ce qui est
désormais notre «patrie commune», le Grand-Duché de
Luxembourg.
Si le non l'emportait, le Luxembourg sera la première démocratie
structurellement minoritaire, un
genre de «dictature des nationaux». Cela ne peut être dans l'intérêt de personne, surtout pas dans
l'intérêt de l'image internationale
de notre pays. Ne laissons pas les
populistes de droite nous faire
croire que nous entrons dans l'avenir en reculant. Avançons vers un
avenir commun lumineux et plein
de succès. Votons oui de plein
cœur!
M IL L ORANG
(Double) nationalité:
vraiment une solution?
Courrier
Avec l'exclusion de 45,9 % (tendance haussière) des citoyens du
plan politique national, personne
ne peut nier le déficit de la démocratie représentative luxembourgeoise. Ceux qui le font se voilent
la face devant la réalité.
En analysant le corps électoral
actuel, on se rend vite compte que
le déficit de la représentativité est
plus profond.
L'âge moyen de l'électorat est de
52 ans, alors que l'âge moyen de la
population est de 39 ans. La moitié des électeurs sont des non-actifs
et parmi la population active, environ la moitié est employée dans le
secteur public. Un élargissement
du corps électoral est indispensable et inévitable à long terme pour
garantir une prise de décision législative plus équilibrée. L'exclusion
de presque la moitié des résidents
va sérieusement mettre en danger
la cohésion sociale de la société
luxembourgeoise.
La question suivante se pose:
qui, des résidents non-luxembourgeois ou des résidents luxembourgeois, a le plus besoin du droit de
vote des étrangers? N'est-ce pas les
résidents luxembourgeois qui en
ont le plus besoin pour garantir
l'équilibre du corps électoral?
Le plus grand parti d'opposition
voit la solution à ce problème dans
la loi sur la nationalité: une loi qui
a été bloquée pendant dix ans par
ce même parti. L'argument «Si
kënnen dach déi duebel Nationalitéit huelen, wann se wiele wëllen!» («Ils doivent prendre la
double nationalité s'ils veulent voter!»), très souvent utilisé par les
adversaires de l'ouverture de droit
de vote aux non-Luxembourgeois,
est pour eux synonyme de manque
de volonté d'intégration des nonLuxembourgeois. Cette argumentation est-elle justifiée ?
Lorsqu'on parle d'ouverture du
droit de vote aux résidents non-
luxembourgeois par l'obtention de
la (double) nationalité luxembourgeoise, on parle alors de luxembourgeois et non plus de résidents
étrangers. Le plus grand parti d'opposition est-il passé d'une politique d'intégration vers une politique d'assimilation?
Emotions et convictions
Avec un flux migratoire de plus
de 11.000 personnes par un, le déficit démocratique ne peut jamais
être résolu par la loi sur la nationalité. Face à l'absence de solutions,
le problème continuera dès lors de
se présenter.
D'un autre côté, des dispositions
législatives font barrière à l'adoption de la double nationalité par
nos concitoyens non luxembourgeois.
Plusieurs pays de l'Union européenne et d'autres pays à travers le
monde ne connaissent pas le principe de la double nationalité. Dans
l'hypothèse du choix de l'adoption
de la nationalité luxembourgeois,
les citoyens de l'un de ces pays
d'origine seraient contraints de renoncer à leur nationalité et à d'autres bénéfices que leur apportait
leur nationalité. Pour illustrer
cette situation prenons l'hypothèse
du droit de propriété dans son
pays d'origine par un résident non
luxembourgeois. Alors que pour
certains la perte de nationalité
d'origine est parfaitement envisageable, pour d'autres la perte de
leur nationalité entraînerait notamment des difficultés administratives en cas de détention d'une
propriété mobilière/immobilière
dans leur pays d'origine.
Peut-on s'imaginer de demander
à quelqu'un de, en sus de toutes les
démarches administratives nécessaires à l'obtention de la nationalité, renoncer aussi à sa propriété à
l'étranger seulement pour pouvoir
obtenir le droit de vote au Luxem-
bourg? Personnellement, je suis
persuadé que le droit de vote et la
nationalité ne doivent pas aller de
pair.
En effet, l'obtention de la nationalité d'un pays doit être liée aux
émotions et aux convictions de
chaque individu et en aucun cas
être motivée par un intérêt politique quel qu'il soit.
Assimiler une partie des citoyens
en les contraignant à adopter la nationalité luxembourgeoise afin de
bénéficier de droits politiques est
une solution dangereuse de laquelle une nation ne peut jamais
véritablement tirer profit.
L'ouverture du droit de vote à
tous les résidents du Luxembourg
à partir de 16 ans est le meilleur
moyen de pallier aux déséquilibres
démocratiques de la constitution
luxembourgeoise.
A nous de dire oui le 7 juin
2015!
J IMMY S KENDEROVIC
Persönlich erstellt für: asbl asti
LE CLUB Opinion
du 4.6 au 10.6.2015