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Date : 11/17 MAI 16 Page de l'article : p.80-82 Journaliste : Sandra Benedetti Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 405431 Page 1/4 expo II a peint les indolences vénitiennes, les envoûtements du ciel et les salves d'écume des mers en furie. Quelque 120 chefs-d'œuvre du maître de la lumière sont réunis à Aix-en-Provence. Eblouissants, évidemment. PAR SANDRA BENEDETTI Turner était un voleur de grand chemin Voleur de vent et de brume, ravisseur des lumieres du monde et des poussières du temps Baluchon croche a la canne-parapluie, godillot alerte, carnet de notes et croquis a portée de songes, il chevauchait monts et mers d'Europe entre deux guerres napoléoniennes L'été en odyssée, l'hiver en son atelier II en surgissait des soleils vermeils tisonnes par le soir, des prieres de pierre élevées dans l'haleine blonde du matin Des palais vénitiens fantômes hantaient des lagunes d'ambre fondu Des bateaux ivres de tempête se perdaient, parfois, dans le ventre obscur de sargasses oubliées C'était l'illusionniste du diaphane, le maître des forges du ciel, a l'affût du chant des drisses et des soupirs de la terre Quelque 120 de ces chefs-d'œuvre sont reunis a l'hôtel de Gaumont centre d'art, a Aix-en-Provence Esquisses, aquarelles, huiles Turner et la couleur est un parcours chronologique, semé Tous droits réservés à l'éditeur de thèmes tels que « ses premieres tentatives de naturalisme, son intérêt pour les théories contemporaines sur la couleur, son utilisation de nouveaux materiaux, son implication dans la traduction en noir et blanc de ses images en couleurs et sa soif insatiable de nouvelles expériences de voyage », drxit Ian Warrell, le commissaire de l'exposition Joseph Mallard William Turner naît a Covent Garden, quartier populeux de Londres, le 23 avril 1775 Ou peut-être quelque part en mai Allez savoir L'artiste façonne sa legende dans la nébuleuse de son existence et de ses toiles Enfant, il contemple les exhalaisons grises de la Tamise, escalade les collines entre chien et loup De son intimité, on ne sait quasi rien On lui prête deux filles A moins qu'elles ne soient de son pere Elles seraient de Sarah Danby, veuve d'un musicien, ou de sa nièce Hannah Danby, gouvernante des Turner Le peintre David Roberts « Sa vie ressemblait a ses tableaux elle était mystérieuse et rien ne le divertissait plus que de vous tester et de vous dérouter » Le paternel, barbierperruquier, a la joue rose et le verbe fleuri La mere a les yeux vitreux, glaces par la folie Elle finira a l'asile A10 ans, sans doute pour le préserver de la démence maternelle, on envoie le fiston chez son oncle de Brentford, a l'ouest de la capitale II y contemple les exhalaisons grises de la Tamise, observe les champs d'orge qui secouent leur crinière rousse sous la brise, escalade les collines entre chien et loup quand roulent les houles d'herbes bleues II s'envisage poète, ses vers se muent en aquarelle Son destin de pelerin magicien est trace A 14 ans, il étudie les beaux-arts a la Royal Academy, a Londres, et y expose ses oeuvres A17 ans, il officie comme topographe pour des architectes et des editeurs Maîs, aux relevés de terrain méticuleux et aux debats des académiciens sur le romantisme et le néoclassicisme, il prefere cueillir la lune et moissonner le brouillard Dans la section I de l'hôtel de Caumont, « L'apprentissage de la couleur et l'art des grands maîtres », voici Le Château de Dolbadern, pays de Galles du Nord, exhibe en 1800 William Turner est-il parti dans le crissement des etoiles pour surprendre la tour au saut du ht, dans ses draps d'azur froisses' Ou a-t-il attendu que le couchant trousse ses nuages jusqu'à dévoiler leurs dessous d'or pâle' Son Château est une bouffée de solitude expirée par des hordes sauvages de rochers millénaires, piquée d'un chicot du xiii6 siecle ou l'on prétend qu'un pair du royaume fut emprisonne pendant vingt ans Par son frere Le jeune artiste a saisi I émotion du lieu, le reel n'est pour lui que HOTELCAUMONT 8811887400508 Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 405431 Date : 11/17 MAI 16 Page de l'article : p.80-82 Journaliste : Sandra Benedetti Page 2/4 Tous droits réservés à l'éditeur HOTELCAUMONT 8811887400508 Date : 11/17 MAI 16 Page de l'article : p.80-82 Journaliste : Sandra Benedetti Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 405431 Page 3/4 e piédestal de son imaginaire. A l'époque, devant un tableau de Claude Le Lorrain, Port avec l'embarquement de la reine de Saba, l'un des trésors du richissime John Julius Angerstein, il fond en larmes. Son hôte : « Pourquoi pleurez-vous, mon garçon? » Turner : « Parce que je ne serai jamais capable de réaliser ça! » II a 25 ans, le génie à bout de palette, l'éternité à ses pieds. Il n'en a pas encore conscience. Un unique autoportrait, daté autour de 1799, le montre de face, tête triangulaire de chat festonnée de mèches fauve, regard saphir sous une herse de sourcils. Son ami Walter Fawkes le caricature de profil, nez d'aigle, tignasse en raphia, mains étonnamment petites et carcasse courtaude. Lequel est le vrai? «Il semble peindre avec de la vapeur teintée, si évanescente, si aérienne» John Constable En attendant, les collectionneurs se bousculent. La prospérité lui donne des ailes de verre. John Constable, son rival soigné comme un oeuf de Pâques, avoue : « II semble peindre avec de la vapeur teintée, si évanescente, si aérienne. » Accent cockney des gens de peu et redingote douteuse, William Turner dispense cours de perspective et discours à la Royal Academy, dont il est désormais membre. Etudiants et confrères sont unanimes : « II est confus, ennuyeux, obscur et extrêmement difficile à suivre. » On le prend pour un péquenaud, il lit Goethe, Ovide, Homère et Milton, illustre les livres de Walter Scott et de lord Byron. Le sculpteur Francis Chantrey, un proche : « II avait de hautes pensées, si seulement il avait pu les exprimer. » II trébuche sur les mots, s'envole sur ses pinceaux. Tout son être est sur ses toiles. Comme ce Gaiane, une manière noire de 1825, Tous droits réservés à l'éditeur En haut, Gaiane, 1825. Ci-dessus, Le Soleil écarlate (souvenir dè Mayence sur le Rhin), vers 1835-1840. présente salle 4, où sont évoquées les estampes du maître diffusées à travers les océans. Gaiane, en Sicile. Une colère de suie lacérée par les éclairs, lames de mercure étrillées par les bourrasques el basilique opalescente sous le déluge : c'esl un lumulte de velours en mille nuances de nuil. Sorlilège de l'un, supplice des aulres : l'arlisle chipole sur loul, les graveurs deviennenl fous. Soudain, il disparaîl. Ses commandilaires se rongenl les sangs. Où esl-il? Il pêche la mille d'argent el le brochel à la mâchoire de Lévialhan dans les rivières du Sussex. Il arpenie Rome, Marseille, Amsierdam, couleurs aux doigts, et admire Raphaël, le Tilien, Rembrandl. Il croque un orage sur un paquebot, dans les eaux du Devon. Les aulres passagers vomissenl par-dessus le bastin- HOTELCAUMONT 8811887400508 Date : 11/17 MAI 16 Page de l'article : p.80-82 Journaliste : Sandra Benedetti Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 405431 Page 4/4 des grands spectacles de la terre », écrit le critique d'art John Ruskin en 1843. On ne saurait mieux dire. La presse et ses collègues ne l'épargnent pourtant pas. Il peint « comme on tire au tromblon », trempe ses pinceaux « dans un pot de moutarde ». Le journaliste Jacques Chaudes-Aiguës : « Turner est devenu fou. » Non, il invente seulement l'impressionnisme avant l'heure. Qu'importé. r En haut, Mer agitée avec naufrage, vers 1840. Ci-dessus, Départ pour le bal (San Martine), vers 1846. gage. Il crayonne les Alpes suisses dans les cahots d'une diligence. Ses traits dérapent dans le giron de sa voisine. Au fil de ses pérégrinations, ses pigments explosent. Voyez Le Soleil écarlate (souvenir de Mayence sur le Rhin), accroché salle 7. Aquarelle et gouache, aux alentours de 1835-1840, indique le cartel. Un soleil jaune carillonne ses vêpres sur un pont translucide. Des nuées jade, safran et Tous droits réservés à l'éditeur carmin aux légèretés de mousseline. Un beffroi et une église lilas estompés dans le crépuscule annoncé, un rocher et une charrette à peine suggérés. Et le Rhin, comme une chimère entre vermillon et turquoise où l'astre se reflète en des arabesques désinvoltes. « II a remplacé les espaces limites aux contours précis que l'on trouve dans les paysages des peintres d'autrefois par l'immensité et le mystère « Le soleil est Dieu » Après la mort de son père, avec lequel il vivait depuis trente ans comme un vieux garçon, il s'est trouvé un havre. Dans une auberge de Margate, une petite station balnéaire du Kent. Il y scrute la danse macabre des navires pris dans la tourmente, les cavaliers de l'aube, les miroitements du sable, l'hiver dans ses nacelles de brume. Sophia Booth, sa logeuse, lui apporte la chaleur de son amour, ses repas et ses tubes de peinture. Mer agitée avec naufrage, effectué vers 1840, est un tohu-bohu de déferlantes et d'écume dans les spasmes d'un ciel de tourbe. Une voile blanche penche au loin, comme une aile cassée. Son esquif en perdition est un goéland brisé. On le trouve dans la section «Les voyages, à la découverte de nouvelles couleurs ». A côté, salle 8, un émerveillement : Départ pour le bal (San Martino), une huile dévoilée en 1846 à la Royal Academy. Une buée d'or pur. Quèlques gondoles en route pour un bal masque dans les dernières lueurs du jour, un canal de cristal filé d'où jaillissent des royaumes engloutis, Atlantide vaporeuses dissoutes dans des pastels arachnéens. Le dernier tableau consacré à Venise par Turner, qui raccroche les croquenots et se retire à Chelsea avec Mme Booth. Il souffle : « Le soleil est Dieu. » Et meurt le 19 décembre 1851. Ce matin-là, les lumières du monde se sont éteintes. fl TURNER ET LA COULEUR. Hôtel de Gaumont centre d'art, a Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Jusqu'au 18 septembre. HOTELCAUMONT 8811887400508