Voir l`article paru dans l`Humanité (9 mars 2009)

Transcription

Voir l`article paru dans l`Humanité (9 mars 2009)
La chronique théâtrale
de Jean-Pierre Léonardini
Dostoïevski chez Poutine
i
ncent Macaigne, s'inspirant librement
du roman de Dostoïevski, présente Idiot! II
en signe l'écriture et la mise
en scène, ainsi que la conception visuelle
et scénographique (1). En plus, il joue dans
le spectacle. Une telle faim d'expression,
qui pourrait passer pour de la boulimie, traduit
d'emblée une personnalité en relief, à cela près
que le résultat pourrait s'avérer vain.
On le redoute au début, quand les comédiens,
présentant leur personnage, effectuent un tour
de piste tonitruant, avec de grandes eaux
musicales lâchées au beau milieu du fatras
d'objets qui jonchent le plateau (décor
et accessoires de Julien Peissell).Peu à peu,
la fable déroulant ses péripéties en guise
d'exposé des motifs à partir de l'anniversaire
de Nastassia
Philippovna,
« Des interprètes
on est pris bel
qui se précipitent
et bien par
tête la première,
la furia du jeu,
qui non
toute honte bue,
seulement
dans un dynamisme ne redoute
sans frein. »
ni l'excès
ni le grotesque,
mais au contraire les cultive avec art. Ce n'est
donc pas pour rien que, dans le défilé d'images
projetées qui ouvre les hostilités, apparaissent
subrepticement des portraits d'Artaud. L'acteur
qui tient le rôle d'Hippolyte, malade sans cesse
menaçant et suicidaire avéré, va l'évoquer
sans relâche, ne serait-ce qu'en procédant
par « jets de sang », suivant la si forte image
panique de l'auteur du Pèse-nerfs. Pour dire
vite, Idiot!, ce serait Dostoïevski chez Poutine,
avec le clinquant de rigueur et l'ambiance
de boîte de nuit qui va avec, quand bien même
est préservée l'historicité du roman,
dont les dates-clés s'inscrivent ironiquement
sur un tableau horaire d'aéroport. La béatitude
bouche ouverte du prince Mychkine, souffrant
d'épilepsie et du haut mal d'amour pour
Nastassia, qui se donne à Rogojine, baigne dans
un climat d'intrigue noire où tous les coups de
théâtre sont permis, à partir d'un investissement
physique dont l'intensité ne se dément pas.
Cette dramaturgie fiévreuse, au service d'un
texte dru, épouse l'état d'esprit du roman
pour le mettre en dialogue avec force,
en soulignant les diatribes d'ordre moral
contre l'argent, l'égoïsme et le défaut d'amour
généralisé. La condamnation à mort soudain
L'HUMANITE
.
LUNDI
suspendue de Dostoïevski est donnée à voir,
tout comme est superbement articulée
sa philippique contre « les Parisiens ». On peut
voir là un essai de théâtre total, poussé à bout
par des interprètes (Christian Bouillette,
Servane Ducorps, Antoine Herniotte, Thibault
Lacroix, Pauline Lorillard, Vincent Macaigne,
Emmanuel Matte, Thomas Rathier et Pascal
Reneric), qui se précipitent tête la première,
toute honte bue, dans un dynamisme sans frein,
peuplant ainsi la scène de créatures
passionnelles déchaînées dont les attitudes
et les voix s'impriment durablement dans
la mémoire du spectateur subjugué,
qui peut-être n'en demandait pas tant, mais qui,
à la fin, en redemande. À preuve, en clôture,
cette salve d'applaudissements qui s'éternise.
Avec la création de l'œuvre intitulée le Sang
des amis, que l'écrivain wallon Jean-Marie
Piemme a conçue d'après Plutarque et deux
tragédies romaines de Shakespeare
(Jules César, Antoine et Cléopâtre),
le metteur en scène Jean Boillot se rappelle
à notre bon souvenir en qualité d'opérateur
d'intensité (2). Nous l'avions perdu de vue
depuis le Balcon, de Genet, en 2001
à Saint-Denis. C'est plaisir que de le retrouver
avec ce texte robuste, verveux, qui n'hésite pas
à faire parler les morts illustres à l'usage
d'aujourd'hui. César, Brutus, Antoine, Octave
qui deviendra l'empereur Auguste, Cléopâtre,
Calpurnia, Cicéron, etc., ils sont huit (Adama
Diop, Rola.nd Gervet, Philippe Lardaud, Julie
Pouillon, Isabelle Royanette, Medhi Bourayou
et Laurent Conoir) pour les réincarner
avec feu, à la façon des mimes funéraires
de la Rome antique, la scène étant dans
un cimetière, lequel pour Genet signifiait
le théâtre idéal. Guerres civiles, luttes
au couteau pour le pouvoir (lequel est pour
chacun affaire d'idyosincrasie), meurtres
en cascade et séduction des masses, tout y est,
avec musique SVP, le détour par l'Antiquité
n'ayant d'autre but que de magistralement
suggérer aujourd'hui, par le truchement
de la communication radiophonique à vue,
Boillot « in person » jouant le reporter.
(l) Salle Gémierdu Théâtre national de
Chaillot,jusqu'au 21 mars, puis en tournée.
(2) C'était du 4 au 7 mars, au Centre des bords
de Marne, au Perreux, avant Poitiers (11, 12 et
13 mars), Corbeil-Essonnes (20 et 21 mars) et
Chelles (3 avril).
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