Rencontre avec les Kayapo
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Rencontre avec les Kayapo
T hh ee m T m aa Amérindiens du Brésil Rencontre avec les Kayapo Maïkoumé! Bienvenue... Après deux heures de survol d'un territoire amazonien totalement défiguré par la déforestation, le petit bimoteur en provenance de Belem, capitale du Para, entreprend sa manœuvre d'atterrissage sur la courte piste en terre battue du village de Gorotiré. C'est là que vit l'une des plus importantes communautés d'Indiens Kayapo, au cœur du Brésil e bruit de l'avion a attiré hommes et enfants. Un comité d'accueil débonnaire, souriant, surgit des sous-bois. Tous ont le corps couvert de peintures rituelles aux mystérieuses combinaisons géométriques. Shorts et tongs jurent un peu avec la beauté naturelle de leurs parures corporelles. C'est, d'emblée, le signal visible de l'inévitable interaction entre les sociétés premières et le monde “moderne” qui les entoure, les encercle. Les menaces aussi depuis des décennies dans leur intégrité. L'allure incongrue de leur tenue nous rappelle qu'il ne faut pas idéaliser les Indiens. Ils ne sont pas plus des bêtes curieuses qu'ils n'habitent le jardin d'Eden. Même s'il suffit ici de tendre le bras pour cueillir des fruits qui ne sont pas interdits dans des arbres où nichent comme de somptueux bouquets bariolés des perroquets ara. Un urubu, vautour apprivoisé, vient également saluer avec curiosité les visiteurs, entouré de gosses rieurs dont l'un porte, effet flagrant de la mondialisation, un tee-shirt “Bob l'Eponge”! Pour autant, dès que l'on pénètre dans le village, on entre dans un autre monde. Bien sûr, la déception est grande en découvrant, à la place des huttes traditionnelles, un alignement de baraques préfabriquées aux murs grisâtres, témoins de la mutation de la société des Kayapo de Gorotiré. Cela remonte aux années 60 lorsqu'un accord fut passé avec les chercheurs d'or, provoquant un enrichissement aussi momentané que destructeur pour la communauté dont les cours d'eau ont été pollués au mercure, provoquant une catastrophe sanitaire. IKEWAN n°59 • janvier - février - mars 2006 14 Une organisation rituelle intacte Tout cela semble, heureusement, du passé. Avec l'aide de la Funai, l’Agence nationale de protection des Indiens, qui a construit un poste sanitaire et de télécommunication dans le village, les Gorotiré protègent leur espace vital des envahisseurs. Au besoin par la force, car les Kayapo sont réputés avoir été l'un des peuples d'Amazonie parmi les plus belliqueux. Ce qui leur a permis ©Francis Kochert L Danse traditionnelle kayapo de survivre jusqu'à nos jours, soit dit en passant. Mais derrière sa façade de baraquements à l'hygiène toute relative, l'organisation rituelle et sociale du village est demeurée intacte. L'espace reste profondément organisé autour du ngobé, la maison des hommes. C'est le lieu central. A la fois couvert et largement ouvert, il débouche sur une vaste place où se pratiquent les danses célébrant au quotidien la chasse, la pêche, la récolte du manioc, mais aussi les changements de lunes, de saisons, ou les fastueuses cérémonies d'initiation auxquelles participe toute la communauté. Rien de folklorique dans tout cela ! Le ngobé est à la fois un lieu de palabre, de rencontre, d'activité manuelle - la vannerie, seul artisanat véritable chez les Kayapo, est une activité masculine. C'est là aussi que les futurs chas T hh ee m T m aa Amérindiens du Brésil mais aussi de combativité, car ils sont garants de la sécurité intérieure et extérieure de leur communauté. Un rôle rendu particulièrement difficile au contact d'un monde extérieur envahissant, prédateur mais dont il faut assimiler les enjeux et échanges pour ne pas disparaître. ©Francis Kochert Corps sublimés seurs et guerriers de la communauté sont initiés par les “chefs de moitié” aux chants et danses, fabrique de diadèmes de plumes bigarrés qui sont autant de liens entre l'homme et la nature. Un environnement où règnent les esprits incarnés dans les animaux, les plantes. Des chefs comme Tapiê-t et Kube-i doivent réunir à la fois des qualités d'éloquence - car on explique et commente beaucoup dans le ngobé les faits et choix du quotidien -, de générosité leur altruisme doit être un modèle pour tous -, Aux femmes revient chez les Kayapo la maîtrise de l'espace domestique et familial, mais aussi cet incroyable champ d'expression graphique et symbolique qu'est la peinture sur leur corps et celui de leurs enfants. Une activité quotidienne tout à fait fascinante dont elles possèdent une maîtrise époustouflante, traçant avec la tranche de la main de grandes lignes verticales noires, mélange végétal mâché de genipapo et de charbon de bois, ou la géométrie fascinante inscrite sur les visages à l'aide de fines tiges en bois. Les Indiens s'appliquent également aux pieds et sur la figure une teinture rouge naturelle du plus bel effet, tirée de l'urucu. Les mères parent leurs filles de tous leurs trésors de colliers de perles, plumes chamarrées, lorsque tous se retrouvent en cercle au centre du village, à l'occasion des grandes cérémonies initiatiques à travers le chant, la danse pour ne plus faire qu'un seul corps social et cosmique. Fascinante par la complexité de son organisation étroitement liée à la nature, aux éléments, la société des Kayapo demeure, comme toutes les tribus et les peuples premiers de l'Amazonie, plus que jamais confrontée à son avenir. Pour survivre, il lui faut à la fois s'ouvrir et se protéger, maîtriser la protection de son environnement si fragile et menacé, celle de sa culture unique. Mais elle doit aussi accéder à une légitime autonomie économique, autant qu'une reconnaissance identitaire. Celle-ci passe désormais par son engagement dans les grandes tribunes nationales et internationales pour faire entendre sa voix, sa différence, son originalité qui sont autant de richesses pour toute l'humanité. ©Francis Kochert Un reportage de Francis Kochert paru dans le magazine 7hebdo du Républicain Lorrain (22/5/05) 15 IKEWAN n°59 • janvier - février - mars 2006