interdependance des contrats de leasing

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interdependance des contrats de leasing
« INTERDEPENDANCE DES CONTRATS DE LEASING »
En Belgique, on connaît l’arrêt Zuckermann prononcé par la Cour de Cassation le 17 juin 1993 :
« N’est pas incompatible avec le contrat de location-financement (leasing) la clause prévoyant qu’en
cas de perte de jouissance totale ou partielle du matériel loué, le locataire ne peut invoquer aucune
suspension ou résiliation du bail ».
En France, la Cour de Cassation a pris une autre position. En matière de location financière, les
contrats doivent être interdépendants. Deux arrêts prononcés en 2013 vont dans le même sens.
Dans la première affaire, il s’agissait d’un ensemble de contrats permettant à des commerçants de
bénéficier d’un réseau global de communications interactives. On leur avait installé un ensemble
informatique et vidéo à destination de leurs clients. Les videos diffusées contenaient des spots
publicitaires dont la commercialisation assurait l’équilibre financier de l’ensemble des contrats.
Deux conventions étaient signées par le commerçant :

Un contrat de leasing de matériel informatique et vidéo moyennant paiement d’un loyer
mensuel payé par le commerçant locataire,

Un contrat de service conclu avec un fournisseur qui mettait en place les vidéos et les spots
publicitaires et qui payait un loyer mensuel presque équivalent au montant du loyer du
leasing. Le commerçant s’obligeait de son côté à garantir le fournisseur de l’exclusivité
d’exploitation du partenariat publicitaire.
Dans cette espèce, le système ne fonctionne jamais de façon satisfaisante. Le matériel vidéo et
informatique ne fonctionne pas. Le fournisseur ne verse pas les redevances promises. Le
commerçant qui comptait sur ces redevances ne paie pas ses loyers au lessor. Le lessor résilie le
leasing et l’assigne en paiement. Le commerçant locataire appelle en garantie le fournisseur de
services et le fournisseur de matériel. Les deux fournisseurs sont mis en liquidation judiciaire.
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La question qui va se poser dans le cadre de la procédure judiciaire est de savoir si le contrat de
leasing est bien indivisible du contrat de partenariat ou de service, lorsqu’on est en présence d’une
clause stipulant que le contrat de leasing est indépendant du contrat de partenariat.
Par arrêt du 17 mai 2013, la Cour de cassation siégeant en chambre mixte dit deux choses :
- les contrats concommittant ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location
financière sont interdépendants,
- les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance sont réputées non écrites.
Cette position a été réaffirmée dans un second arrêt de la cour de cassation siégeant en chambre
commerciale le 9 juillet 2013.
Dans cette affaire, on était également en présence d’un contrat de location financement et d’un
autre contrat à savoir un contrat de maintenance et/ou de prestation qui connu des
dysfonctionnements.
Dans le contrat de leasing, on trouvait plusieurs clauses montrant que la commune intention des
parties avait été de rendre divisibles les deux conventions.
Le contrat de leasing prévoyait que « le locataire reconnaît l’indépendance juridique entre le contrat
de location et le contrat de maintenance et/ou de prestations. Il s’interdit expressément, en
conséquence, de suspendre ou refuser le paiement des loyers dus au titre du présent contrat pour une
raison relative à l’exécution, l’inexécution, la fourniture de la maintenance et/ou des prestations susmentionnées ».
La Cour de cassation écarta l’argument de la divisibilité des contrats et reprit l’attendu principal de
l’arrêt prononcé par elle le 17 mai 2013 :
« les contrats concommittants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location
financière sont interdépendants. Sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec
cette interdépendance ».
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La Cour de cassation en déduisit que, faute d’exécution des prestations permettant au matériel de
fonctionner, la résiliation des contrats de prestations entraînait celle du contrat indivisible de
location.
Que penser de ces deux arrêts rendus par la Cour Suprême française ? Trois observations me
viennent à l’esprit :
1.
Sur le plan des principes, l’interdépendance est donc explicitement imposée. Ceci restreint à
l’évidence les possibilités d’aménagement contractuel.
Alors que jusqu’en 2013 , l’on admettait que les parties pouvaient librement prévoir les
conséquences de la résiliation des contrats, dorénavant on rentre dans un système d’interdiction.
Sont interdits, sans effet ou réputées non écrites les clauses qui ont pour effet de limiter les
conséquences de l’interdépendance.
Les clauses de divisibilité sont fondamentalement incompatibles avec un groupe de contrats
interdépendants. Cette position nous paraît contraire à l’article 1134 du code civil et nie le principe
de la liberté contractuelle.
Affirmer que les contrats participent à une même opération économique ne suffit pas à créer
l’interdépendance et l’indivisibilité. Il faudrait en plus que les parties qui les ont conclus aient voulu
les rendre interdépendants ou indivisibles.
Le fondement juridique du principe d’interdépendance des contrats de prestation de services et de
location posé par la Cour de cassation française me paraît obscur.
2.
Sur le plan des sanctions, l’interdépendance conduit à l’anéantissement en cascade des
conventions compris dans l’ensemble contractuel. La sanction peut différer selon que celle-ci
s’appuie sur l’absence de cause ou sur l’irrespect de l’économie générale des contrats. Tantôt, il
pourra s’agir d’une nullité, si c’est une atteinte à la condition de la validité du contrat. Tantôt si cela
apparaît en cours d’exécution du contrat, on pourra évoquer l’exécution d’inexécution, la résiliation
ou la caducité du contrat mais ces distinctions n’apparaissent pas clairement dans la jurisprudence
de fond qui s’est inspirée des arrêts de la Cour de cassation.
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3.
Sur le plan économique, affirmer l’interdépendance des contrats de prestations de services
et de leasing revient à transférer les risques de l’opération du locataire qui a choisi son fournisseur
en fonction de ses besoins et de ses attentes, vers le partenaire financier.
En cas de caducité du contrat de location, le lessor devra faire son affaire du matériel qu’il a acquis
afin de le mettre en location.
Cela signifie que le lessor qui met en place une opération de location financement doit, pour analyser
ces risques, tenir compte à la fois de la solvabilité du locataire et de celle du prestataire de services.
La faillite du prestataire ou l’inexécution ou la mauvaise exécution de ses obligations pourra en effet
lui porter gravement préjudice.
En conclusion, on sera attentif à l’évolution de la jurisprudence de fond en France et à l’incidence
que cette nouvelle jurisprudence pourrait avoir à l’égard de la position des cours et tribunaux en
Belgique. La jurisprudence des cours suprêmes belge et française se rapprochera-t-elle ou au
contraire restera-t-elle divergence ? L’avenir nous le dira.
Jean-Pierre BUYLE
Buyle legal
Avril 2014
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