La précarité difficile à assumer
Transcription
La précarité difficile à assumer
La précarité difficile à assumer Père Grégoire Cieutat - Homélie du Mercredi des cendres 2012 - année B Jésus nous parle de la prière dans l’Évangile. Alors qu'est-ce que la prière ? Nous pouvons y répondre en cette entrée du Carême en rappelant la phrase prononcée lors de l'imposition des cendres: "Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière (Gn 3,19). La liturgie nous ordonne, d'entrée de jeu, un momento, un rappel de notre précarité. Le rappel de la poussière d'où nous provenons et à laquelle nous devons retourner est une parole dure. Elle semble affirmer le triomphe du néant. Elle déclare en vérité la victoire de la grâce. L'une d'ailleurs ne va pas sans l'autre. On l'oublie trop souvent: il n'y a de grâce que pour un condamné, de même qu'il n'y a de résurrection que pour un mort. Le mot emprunté à la Genèse et que nous traduisons par "poussière", "afar" en hébreu, désigne la terre sèche et friable; donc la poussière, mais aussi l'argile modelable, donc la glaise. Ce mot est employé, bien entendu, au moment de la malédiction d'Adam, après la chute. Mais il surgit pour la première fois au chapitre précédent, lors de sa création: "et le Seigneur Dieu modela l'Adam avec de la poussière venant de l'adamah, c'est-à-dire de la terre (Gen 2,7). Par conséquent, retourner à la poussière signifie aussi se remettre dans les mains de Dieu, redevenir cette matière modelable, pour qu'il la façonne à son gré, nous débarrasse de tout ce qui nous alourdit, et tire de nous la créature nouvelle. La précarité, qui est la menace à tout instant de retourner à la poussière, est aussi l'invitation à tout instant de revenir à Dieu. La conscience du précaire nous ramène ainsi à l'unique nécessaire. Je ne résiste pas à l'envie de vous citer un texte d'Ernest Hello, un grand écrivain catholique du XIXème siècle. " Quand il est à terre, le matelot blasphème et s'enivre. Mais un jour il s'embarque, et, au moment de l'adieu, une femme ou une soeur lui passe au cou la médaille de la Sainte-Vierge, et quand le vent s'élève, il se souvient. La tempête lui dit de sa voix terrible à quel point ne suffit point l'habilité du capitaine, et les fronts se découvrent, au milieu de la manoeuvre. Parmi les occupations les plus matérielles, le plus matériel de tous les dangers lui a rappelé la plus spirituelle, la plus mystique de toutes les nécessités, la nécessité de la prière. Le matelot, qui tout à l'heure buvait en jurant, se trouve d'accord avec une carmélite qui est en oraison à mille lieues de là." Nous pourrions penser qu'Ernest Hello a écrit ce texte sur les quais de la Chaume. D'après Ernest Hello, la révélation de notre précarité nous rappelle à la première des nécessités. La brutale mise à nu de notre précarité nous ouvre la bouche pour autre chose, enfin, que du bavardage. Je voudrais toutefois dissiper un malentendu. On pourrait penser que c'est un peu facile, cette manière d'appeler Dieu à l'instant où le sol se dérobe, que c'est moins une manière de s'en remettre à Dieu que de s'accrocher désespérément à la vie. Sans doute. Nous avons la tête si dure qu'il faut la menace du marteau qui nous brise pour que certaines pensées y entrent à nouveau. La peur vient fissurer la lourde armure de notre orgueil. Il y a cependant encore autre chose. La prière n'est pas essentiellement une négociation. Le matelot qui blasphémait à terre se met à crier vers le Ciel au milieu de la tempête. Or ce cri est déjà un exaucement. Car l'unique nécessaire se trouve dans la prière. Une bête vit sans s'interroger. Mais ce qui fait l'homme, c'est non seulement de s'interroger, mais d'interroger le principe de son existence, d'être en contact avec la source de sa vie, même si ce contact est sensible comme une plaie à vif. La prière peut être demande ou action de grâce, mais elle est d'abord le fait de s'en remettre au mystère de notre origine, et de passer de la précarité, qui nous fait reconnaître que notre vie ne nous appartient pas, à la foi, qui nous fait reconnaître que notre vie est communion avec un autre. Ainsi, quelle plus belle manière de prier qu'en adorant et contemplant justement ce qui est appelé "la communion", ce qui est la communion par excellence, c'est-à-dire l'hostie consacré, le Très Saint Sacrement. Nous y sommes invités à chaque messe en recevant la communion en nous et cet instant se prolonge par l'adoration eucharistique. Pour nous y aider nous exposerons le Très Saint Sacrement sur l'autel en prolongement de la messe jusqu'à 19h30 comme tous les mercredi soir.