Elixir d`amour ? Sérum physiologique

Transcription

Elixir d`amour ? Sérum physiologique
Elixir
d’amour
physiologique !
?
Sérum
Copyright : Fabienne Rappeneau
Louise et Adam viennent de se séparer : elle est partie à
Montréal, lui est resté à Paris. Débute alors une
correspondance jalonnée d’embuches. C’est l’échange d’un
ancien couple bourgeois – un psychanalyste et une avocate –,
trouvant un nouveau souffle dans la rupture. D’abord
ordinaire, la conversation mute en un échange sur l’amour et
le désir. Ils se questionnent : existe-t-il un élixir
d’amour ? Une technique imparable pour qu’une personne
s’éprenne d’une autre ? Pour Adam, la réponse est oui : il
s’agit du transfert psychanalytique. D’ailleurs, il va
éprouver cela sur une collègue de Louise récemment mutée à
Paris. Débute alors un jeu de manipulation où quelques coups
bas sont permis. Mais la fin est courue d’avance : c’est
exactement celle que vous imaginez.
La richesse réside-t-elle dans le texte ? Non, pas plus que
dans les enjeux de ces Liaisons dangereuses édulcorées dans
une époque où plus rien ne choque. Les dialogues enchaînent
les poncifs sur le cynisme en amour : « sexe et amour sont
deux territoires », « n’as-tu jamais pensé à te marier ? – On
n’entre pas en prison de son plein gré ! », ou encore « les
femmes aiment l’amour, les hommes le font ». Ambiance
grinçante mais formules désuètes (« as-tu pris, un amant ? »,
insistons sur la pause avant le mot « amant » dans la réplique
lorsqu’elle est dite sur scène, qui n’en fait que mieux
ressortir la platitude). On ne peut pas nier la présence de
quelques formules élégantes, comme « il y a des choses qu’il
faut éprouver pour en avoir le goût, le café, la cigarette ou
la solitude ».
Eric-Emmanuel
Schmitt
incarne
un
satyre
libidineux
sympathique. Il s’appelle Adam, c’est dire si l’auteur a voulu
que le personnage – aujourd’hui incarné par lui – se prenne
pour le centre du monde. Il est pourtant un misogyne ordinaire
accepté comme tel par son interlocutrice, et c’est là que
c’est dérangeant. Elle lui pardonne à la fin car il quitte sa
carrière pour la rejoindre ; mais renie-t-il pour autant ce
qu’il est ?
Ce n’est pas dans le jeu d’acteur que nous trouverons les
réponses. Lorsque Schmitt écrit sur sa tablette tactile, nul
n’aimerait être la place de cette dernière, tant il n’écrit
pas mais montre plutôt qu’il écrit, fracassant l’écran. Cela
donne un aspect caricatural à la manière d’écrire, comme si
tout résidait dans le geste et non pas dans l’action qu’il
opère. Une métaphore intéressante lorsqu’on connaît le premier
métier de celui qui évolue devant nous. Lorsque Louise
communique avec lui, là aussi il n’écoute pas. Il se mime en
train d’écouter. Malgré tout, il faut avouer qu’il est parfois
captivant car charismatique, il connaît son texte et doit
avoir une certaine idée de ce que doivent être ses
personnages.
Marie-Claude Pietragalla n’est pas plus à l’aise dans son
corps. Les gestes qu’elle effectue semblent dictés comme une
chorégraphie. Prise ainsi dans une incarnation automatique,
elle est froide et manque d’humanité : rien ne la touche mais
cela ne la rend pas effrayante.
On regrette aussi que rien ne soit laissé à l’imagination du
public : les silences sont ponctués par les sons Apple à
chaque envoi ou réception d’un message. Les échanges sont trop
brefs, l’attente n’est pas laissée au désespoir ou à
l’inquiétude, mais à l’énervement et la jalousie : « oh,
pourquoi ne me réponds-tu pas ? ». Encore une fois, cela
manque de ressenti, c’est frontal : tout est montré, rien
n’est vécu.
Ce n’est pas non plus le décor qui nous subjugue : deux
tables, un banc et une photo de Montréal en fond de scène.
Cela pourrait tout aussi bien le décor de Inconnu à cette
adresse.
On n’ira pas voir « Elixir d’Amour » pour rêver, ni pour être
surpris, encore moins pour voir une vision progressiste de la
relation homme-femme. Alors finalement, pourquoi y va-t-on ?
Pour voir Eric-Emmanuel Schmitt et Marie-Claude Pietragalla
dans un jeu plat et linéaire. Si l’on passe, dans les jours
qui viennent, devant le théâtre Rive-Gauche comme un
spectateur esseulé et que quelqu’un vous donne une place,
alors allez-y… Mais la représentation est trop pleine de
ficèles grossières où l’émotion tente d’être provoquée par la
force, alors que nos âmes n’aiment pas la contrainte. Cette
promesse d’un « Elixir d’Amour » n’est finalement, qu’un banal
sérum physiologique.
Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr
« L’Elixir d’Amour » de Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène
de Steve Suissa, avec Eric-Emmanuel Schmitt et Marie-Claude
Pietragalla, jusqu’au 15 mars au Théâtre Rive-Gauche, 6 rue
de la Gaité, 75014, Paris. Durée : 1 h 15. Plus
d’informations
et
sur www.theatre-rive-gauche.com
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