Noël 2016 Messe du Jour - Abbaye de la Fille-Dieu

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Noël 2016 Messe du Jour - Abbaye de la Fille-Dieu
Noël 2016 Messe du Jour
A un P. Jésuite qui a passé 65 Noëls en Inde, on demandait : « Quel est celui qui vous a le plus marqué ? »
« Comment choisir ? Il y a tant d’occasions de se réjouir de Noël, de voir ce bonheur se refléter sur tant
de visages comme sur ceux des bergers de la crèche... Eh bien, je pense à un Noël très particulier, non en
Inde, mais sur le bateau qui me ramenait en France après 10 ans d’absence. Sur la bateau, il y avait
beaucoup de soldats qui rentraient d’Algérie où la guerre faisait rage. J’étais le seul –jeune- prêtre à bord
et le commandant m’a demandé de monter sur le pont à la rencontre de ces hommes dont beaucoup
désiraient parler à un prêtre. Avant la Messe de Minuit, pendant des heures, j’ai écouté les confessions de
ces légionnaires qui avaient pratiquement tous du sang sur les mains. Ils me confiaient des histoires
horribles avec un terrible sentiment de culpabilité. Et quand je leur donnais l’absolution, chacun me
serrait longuement la main en me remerciant avec émotion… » Oui, paix sur la terre aux hommes de bonne
volonté... Mais s’il y a sur la terre de ces hommes-là, ça signifie que tous ne le sont pas forcément. Le
mystère de l’Incarnation et le mystère du mal sont étroitement liés, et cela prémunit d’emblée contre une
image doucereuse, attendrissante, de la crèche, où la poésie fait oublier la réalité. Car le Sauveur a choisi
de naître là, dans la nuit, le froid, la précarité, dans un pays occupé, en ébullition politique et sociale, où
la violence se déchaîne dès sa naissance. Les tyrans règnent sans partage, il n’y a pas de grand justicier
pour les mettre au pas, et il a fallu des trésors d’ingénuosité maternelle simplement pour que ce divin
Bébé ne meure pas de froid dans ces heures critiques des premières semaines de vie sur une terre fort
peu accueillante. Oui, c’est cela, le mystère du mal en notre monde, hier comme aujourd’hui, et c’est
terriblement concret, et le lot d’une large part de l’humanité.
Sur cette nuit du péché, une lumière est descendue du ciel. Elle est minuscule, mais elle suffit pour trouer
les ténèbres les plus épaisses et les plus menaçantes. Et comme elle est divine, jamais elle ne s’éteindra.
Elle permet à chacun, de par son existence même, de se positionner : serai-je enfant de la lumière ou fils
des ténèbres ? « Suis-moi ! » dira le Sauveur Jésus à beaucoup, mais peu répondront : « Présent ! » Lorsque
la Vierge Sainte a prononcé son Fiat, le Royaume de Dieu a commencé sur la terre et Elle en a été la
première servante. Et pour nous aussi, ce oui redit aussi souvent que possible, à défaut d’être unique et
total, c’est le commencement de la vie éternelle. Ce n’est pas encore la vision béatifique et la lumière de
gloire, c’est encore le clair-obscur de la foi, mais ce n’est plus l’obscurité et les ténèbres du monde, le
partage est fait ! Depuis la crèche, cette lumière se répand de proche en proche, et les âmes de bonne
volonté entrent dans le Royaume de Dieu : c’est au pouvoir de chacun. Tout homme qui appartient au
Seigneur porte en lui, invisible mais réel, le Royaume de Dieu. Son fardeau terrestre ne lui est pas enlevé
pour autant –on a même parfois l’impression qu’il s’alourdit- mais il a au cœur une force et un élan qui
rendent doux le joug et léger le fardeau.
Et cette lumière ouvre la porte sur un autre mystère : celui de la pauvreté. Ce n’est pas le moindre des
paradoxes chrétiens que de lutter d’une part contre toutes les formes de pauvreté, matérielle, psychique
ou spirituelle et de l’autre, de savoir que c’est la première béatitude qui ouvre les portes du Royaume, et
que l’Enfant de Bethléem, avant même de savoir parler, nous désigne par son exemple. Car l’amour est
toujours une pauvreté consentie et même recherchée : être rien pour que l’autre soit tout, être si petit
pour qu’il ne soit pas effrayé, renoncer à toute puissance pour qu’il soit lui, simplement. Ce qui est vrai à
un degré surémiment au sein de la Trinité Sainte, le Verbe devenu petit Enfant a voulu que ça le soit aussi
pour le dernier et le plus misérable des hommes, pour que jamais personne ne puisse dire : ce message
ne me concerne pas, je suis trop misérable ! Qu’Il fasse grandir en nous sa lumière. Qu’elle repousse en
nous, d’abord, autour de nous ensuite, les ténèbres du mal et du péché, car on sent bien, en ce jour, qu’on
est capable de dire oui au bien et au vrai, au moins un peu : cela aussi est le miracle de Noël qui se répète
chaque année, au-delà des débordements commerciaux et des lumières factices. Et qu’advienne un peu
le Royaume de Dieu sur notre terre douloureuse parce que nous aurons accueilli cet Enfant qui nous
sourit.

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