les hautbois décorce - fatp-cmc

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Un curieux instrument de musique populaire...
LES HAUTBOIS DÉCORCE
D'usage très répandu autrefois dans les milieux populaires, ces
instruments d'apparence primitive sont devenus très rares en raison
de leur fragilité.
Plusieurs spécimens figuraient à l'exposition « Bergers de France »,
qui s'est tenue à Paris en 1962 au Musée des Arts et Traditions
Populaires, qui possède dans ses collections deux hautbois d'écorce
d'origine Bourbonnaise, et mesurant respectivement 32 et 21 cm de
long pour 25 et 15 mm de largeur au pavillon.
J'ai conservé moi-même deux instruments de ce genre, dont j'ai pu
suivre la fabrication autrefois en Bourbonnais ; malheureusement, ils
sont démunis de leur anche d'origine ; ils sont en écorce de saule.
Plus grands que ceux recueillis par le Musée des A.T.P., ils ont en
longueur 81 et 55 cm avec une couverture de pavillon de 80 mm et
55 mm.
Ces instruments rustiques étaient désignés sous des noms différents
selon les régions : trompe d'écorce, hautbois d'écorce, quincarne,
corne à douelles, tontade, charivari. En Montagne Bourbonnaise, ils
étaient baptisés « Berlirons », noms donnés également à nos
cornemuses.
Ils étaient utilisés plus particulièrement par les bergers, mais aussi
pour mener grande bruit dans les noces et les charivaris, pour
l'amusement des enfants ou comme signal de rassemblement. Ils
avaient un usage rituel dans certains pays pour effrayer les mauvais
esprits pendant la nuit de la Saint-Jean où se manifestait l'activité
redoutée des sorcières.
Le hautbois est fait d'une bande d'écorce découpée au printemps, à
l'époque de la montée de la sève, sur un jeune arbre (châtaignier,
noyer, frêne ou saule). Il semblerait que ce soit le saule, très abondant
dans la région, qui aurait été le plus utilisé en Bourbonnais.
La première opération consiste à détacher l'écorce, sur pied, en
traçant au couteau autour du tronc ou d'une branche d'environ dix cm
de diamètre, une bande en spirale sur un mètre environ de hauteur et
de dix cm dans sa plus grande largeur (cette largeur allant en diminuant
légèrement d'un bout à l'autre de la bande d'écorce}. Cette bande
détachée de l'arbre est ensuite enroulée sur elle-même en forme de
cornet puis maintenue fermée à une extrémité en l'épinglant avec une
épine, de manière à former un pavillon de diamètre variable selon la
longueur de l'instrument. On termine ensuite l'enroulement en
commençant par la partie la plus mince du cornet, celle qui doit
recevoir l'anche, et dont le diamètre correspond à dix mm environ.
Chacune des spires d'écorce se chevauchant pour donner l'évasement
progressif aboutissant au pavillon.
Quelques épines retiennent l'ensemble qui, en séchant, conservera
son aspect primitif, mais dont les spires se seront détendues ; il suffira
d'une légère torsion pour les resserrer et les assujetter de nouveau en
remplaçant les épines par quelques points de colle forte pour assurer
une rigidité meilleure de l'instrument.
Le hautbois terminé, il restera à lui adjoindre l'anche indispensable
sans laquelle toute expression sonore ne peut être obtenue.
Notre trompe d'écorce justifie, de par sa forme "conique, l'emploi
d'une anche double, ce qui n'exclut pas cependant l'utilisation de
l'anche simple (anche de clarinette) dans certains cas.
Autrefois, l'aplatissement de la partie terminale, c'est-à-dire la plus
petite spire, tenait lieu d'anche double ; rapprochés, les deux bords du
mince ruban d'écorce jouent le rôle de lamelles flexibles que le souffle
du joueur met en vibrations.
Pourtant, cette conception rudimentaire de la pièce essentiellement
du hautbois ne pouvait résister longtemps à la pression exercée par les
lèvres de l'exécutant. Par la suite, on a supprimé cet inconvénient en
utilisant dans anches préfabriquées facilement ajustables à l'extrémité
du cornet.
Chez nous, l'anche était faite d'un petit tube d'écorce verte d'une
branchette de saule amincie à un bout, et dont la partie cylindrique était
placée dans la première spire du hautbois ; l'extrémité amincie, serrée
entre les lèvres, vibrait sous le souffle à la façon d'une anche double.
La fabrication d'une telle anche appelle quelques précisions.
Deux hautbois d'écorce (photo G. Guillemin)
On choisissait pour cela une petite branche dont le diamètre
correspondait exactement à celui du petit orifice de la spire terminale.
Une extrémité de la branchette était coupée sous un nœud, puis on
pratiquait tout autour d'une incision à 5 centimètres de cette extrémité,
on frottait l'écorce et on la tapotait avec le manche d'un couteau sur
cette longueur, jusqu'à ce qu'elle se détache facilement en la tournant.
L'épiderme du petit cylindre ainsi obtenu était alors épluché
jusqu’'aux tissus fibreux sur une hauteur de 10 à 15 mm ; le joueur
pouvait faire des essais.de cette anche en introduisant la partie amincie
entre ses lèvres en aplatissant le bout. La fréquence du son était
déterminée par la seule pression du souffle. Si l'essai était jugé
satisfaisant, le tuyau d'écorce était introduit, côté non épluché, dans
l'emplacement qui lui était destiné où on le coinçait en l'ajustant à
force. En jouant, la partie amincie de l'anche mouillée de salive devient
plus souple et plus apte aux vibrations.
Les possibilités musicales du hautbois d'écorce sont très réduites,
deux ou trois sons différents peuvent être produits, sans plus.
L'idéal est d'obtenir une flexibilité convenable de l'anche, par
humectation, amincissement des languettes vibrantes.
On remarquera que les deux lamelles distinctes de l'anche double
classique ne sont pas encore ici divisées, le tube sur lequel elles sont
ligaturées n'est pas encore employé, l'anche entière toute en matière
végétale étant d'un seul tenant.
C'est sans doute le caractère très primitif du hautbois d'écorce qui lui
vaut aujourd'hui d'être délaissé, alors que les bergers sont devenus
rares et la coutume du charivari oubliée depuis longtemps.
Il méritait bien cette courte évocation.
Georges GUILLEMIN
Moulins.

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