Terre de civilisation, l`Égypte ne brille pas aujourd
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Terre de civilisation, l`Égypte ne brille pas aujourd
« Terre de civilisation, l’Égypte ne brille pas aujourd’hui par sa culture. » Le Caire écrit, Beyrouth édite et Bagdad lit. Il n’y a que deux choses qui ne changeront jamais en Égypte, les pyramides et la voix d’Oum Kalsoum. Adages égyptiens S’il est vrai que l’Égypte est surtout connue et visitée pour son passé pharaonique, elle reste aussi sans doute le premier pôle culturel du monde arabe. En dépit d’un cloisonnement culturel qui n’a pas toujours favorisé jusqu’à présent la diffusion de la culture arabe en Occident, la vitalité de l’Égypte dans ce domaine est attestée par le fait que nombre de ses artistes ont atteint une reconnaissance internationale : la chanteuse Oum Kalsoum, le cinéaste Youssef Chahine, l’acteur Omar Sharif ou l’écrivain Naguib Mahfouz… L’un des atouts de ce pays est en l’occurrence l’importance de sa population, ce qui lui assure le plus souvent la rentabilisation de ses productions culturelles sur son marché intérieur, avant leur rayonnement sur l’ensemble du monde arabe. Il n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui encore, l’Égypte apparaisse toujours comme le creuset de la réussite à beaucoup de jeunes talents du monde arabe qui continuent à venir chercher la consécration artistique sur les bords du Nil. En dépit d’une édition qui manque de dynamisme face à sa concurrente libanaise, notamment, l’Égypte 1 a donné naissance à des écrivains dont l’influence est très importante. L’apparition d’une littérature à proprement parler égyptienne remonte à la fin du XIXe siècle et elle n’est pas sans lien avec l’affirmation d’un État moderne égyptien. Cette littérature est, en effet, fortement influencée tout d’abord par les genres occidentaux, qu’elle contribue à faire pénétrer dans le monde arabe, avant d’acquérir ses propres caractères. Mohammed Hussein Haykal (18881956) est ainsi considéré comme le premier auteur d’un roman moderne en langue arabe (Zaynab, en 1914). Mais, c’est surtout Taha Hussein (1889-1973) romancier aveugle, dont l’œuvre principale est une autobiographie (Al-Ayyam [Le Livre des jours]), et Tawfiq Al-Hakim (1898-1987), le fondateur du théâtre égyptien, qui jettent les bases de cette littérature égyptienne moderne. Au cours du XXe siècle, avec le développement de l’alphabétisation et l’élargissement du lectorat, des écrivains moins élitistes, avant tout soucieux de décrire les réalités sociales, s’imposent. Le cairote Naguib Mahfouz (1911-2006) est sans doute le meilleur représentant de cette génération. Souvent comparé à Balzac, il est l’auteur d’un grand nombre de romans décrivant des tranches de vie au Caire, dans tous les milieux sociaux. Il est surtout, à ce jour, le seul écrivain de langue arabe à avoir reçu le prix Nobel de littérature (1988). Depuis Mahfouz, les genres se sont diversifiés laissant place à des auteurs engagés comme Sonallah Ibrahim (né en 1937), qui décrit sans concession la société égyptienne post-nassérienne dans son roman Les Années de Zeth (1992) ou à des romanciers plus classiques, comme Gamal al-Ghitani (né en 1945), qui enrichit la tradition romanesque égyptienne par l’usage de techniques d’écriture récentes. Mais, parmi 2 les contemporains, la personnalité la plus célèbre est désormais Alaa El Aswany (né en 1957), ce dentiste du Caire qui s’est fait connaître en dénonçant les tabous de la société égyptienne dans son roman, L’Immeuble Yacoubian (2002). Cet ouvrage est devenu un best-seller international, avant d’être porté à l’écran par Marwan Hamed, en 2005. Alaa El Aswany a publié un nouveau roman en 2007, Chicago, consacré à la diaspora égyptienne aux ÉtatsUnis. La musique et la chanson contemporaines égyptiennes sont également la synthèse de la tradition arabo-musulmane, des influences occidentales et de l’ouverture sociale qui les ont rendues accessibles au plus grand nombre. Au cours du XXe siècle, c’est surtout la chanson qui donne au répertoire classique égyptien son caractère propre. Les personnalités les plus connues de cette génération sont Mohamed Abdel Wahab (1907-1991), le premier chanteur de charme égyptien, Farid El Atrache (1915-1974), le « chanteur triste » d’origine syrienne, et surtout Abdel Halim Hafez (1929-1977), le « rossignol brun », qui fait toujours chavirer les cœurs plus de trente ans après sa mort. Mais le plus grand nom de cet âge d’or de la chanson égyptienne est sans aucun doute Oum Kalsoum (1904-1975). Connue et appréciée dès les années 1930, non seulement en Égypte, mais dans tout le monde arabe, l’œuvre de cette chanteuse à la voix exceptionnelle s’appuie sur une collaboration avec le poète Ahmed Rami et le virtuose de oud Mohamed al-Kasabji. Après la Seconde Guerre mondiale et sa rencontre avec Gamal Abdel Nasser, la voix de la diva du Caire, qui va accompagner les mutations vécues par son pays, devient l’un des symboles de l’unité 3 nationale égyptienne. Oum Kalsoum donne en 1967 un récital, à l’Olympia, à Paris, et reçoit un télégramme de félicitations du général de Gaulle. On comprend, dès lors, que son prestige soit aujourd’hui intact en Égypte, où ses mélodies hantent encore les rues, les cabarets et les taxis. Toutefois, depuis l’époque d’Oum Kalsoum, la chanson égyptienne n’est plus aussi hégémonique dans le monde arabe. De nouveaux genres musicaux, venus d’ailleurs, ont une influence même en Occident, comme par exemple le raï* originaire du Maghreb*. Pourtant, le jeel*, sorte de pop music arabe, apparue au Caire dans la deuxième moitié des années 1980, qui se démarque de la chanson classique mélodramatique, est considéré comme un précurseur du raï, et la musique égyptienne contemporaine compte un certain nombre d’artistes (Hicham Abbas, Mohamed Mounir, Amr Diab, Ruby…) dont la notoriété est loin de se limiter aux frontières nationales. L’une des caractéristiques des chanteurs égyptiens est qu’ils ont très souvent fait également des carrières cinématographiques. Il faut dire qu’en Égypte, le cinéma constitue une vraie culture populaire, fortement liée, elle aussi, à l’affirmation d’une identité nationale. La première projection cinématographique a lieu à Alexandrie à la fin du XIXe siècle et la diffusion du Septième Art a été initialement favorisée par le cosmopolitisme existant alors en Égypte, en particulier par la présence de communautés d’origine occidentale. Dès les années 1930, une véritable industrie cinématographique égyptienne se développe et inonde le monde arabe de ses productions, avec le soutien de Talat Harb, le fondateur de la banque Misr. Mais c’est surtout dans les années 1950 et 1960 que le cinéma égyptien connaît son âge d’or 4 avec des cinéastes comme Youssef Chahine, Henri Barakat, Salah Abou Seif, Hassan al-Imam, Atef Salem, Tolba Radwan… Leur cinéma est politique, célébrant notamment les luttes pour l’indépendance nationale, mais il est le plus souvent social, décrivant les modes de fonctionnement de la société égyptienne et les défis auxquels celle-ci est confrontée (émancipation de la femme, modernisation, évolution des relations familiales…). Leurs réalisations sont servies par une génération d’actrices et d’acteurs de grand talent comme Soad Hosni, Lobna Abdel Aziz, Faten Hamama, Chadia, Rouchdi Abaza, Ahmed Mazhar, Shokri Sarhan, Fouad El Mohandes, Adel Imam et bien sûr Omar Sharif. Michel Shalhoub de son vrai nom, né dans une famille catholique d’Alexandrie en 1932, se convertit à l’islam pour épouser la belle actrice Faten Hamama et tourne, sous le nom d’Omar El Sharif, près d’une trentaine de films en Égypte. Au début des années 1960, alors qu’il est déjà une star du cinéma égyptien, il connaît la consécration internationale, sous le nom d’Omar Sharif, grâce à deux films de David Lean : Lawrence d’Arabie (1962) et Le Docteur Jivago (1965). Omar Sharif, qui tourne encore au plus haut niveau est revenu, en 2004, au premier plan de l’actualité cinématographique, en obtenant en France le César du meilleur acteur pour Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, un film de François Dupeyron qui raconte la rencontre d’un enfant juif et d’un épicier musulman et qui permet à cet acteur égyptien, dans le contexte contemporain de la montée des intégrismes, d’incarner les valeurs de respect et de tolérance, qui ont toujours été les siennes. L’autre monstre sacré du cinéma égyptien est sans nul doute le réalisateur Youssef Chahine. Cinéaste engagé, qui s’en prend à la censure et dénonce la 5 montée du fanatisme religieux, il a connu à plusieurs reprises des problèmes avec les autorités de son pays, ce qui l’a même conduit en prison, en 1984. Sa dernière œuvre, Le Chaos, sélectionnée en décembre 2007 au festival de Venise, est un pamphlet contre la corruption de la police. Plusieurs de ses films ont remporté un grand succès international, en particulier Adieu Bonaparte (1985) ou Le Destin (1997). En dépit de ces parcours individuels réussis, la production cinématographique nationale connaît, depuis les années 1970, une nette régression, tant sur le plan de la quantité que sur celui de la qualité. L’époque n’est plus où près d’une centaine de films égyptiens sortaient chaque année des studios Misr, constituant l’une des principales sources de devises du pays. Sur le plan de la qualité, la réislamisation de la société égyptienne gêne considérablement la création par les interdits moraux qu’elle érige. Cette stagnation de la création illustrée par la situation actuelle du cinéma égyptien, mais que l’on observe également dans une moindre mesure dans d’autres activités artistiques, tient aussi au déclin du cosmopolitisme de la culture égyptienne, dû principalement au départ des Juifs dans les années 1950 (lié à l’aggravation du conflit israélo-arabe), aux spoliations arbitraires de la période nassérienne et plus récemment à la montée des intégrismes religieux. Plusieurs écrivains égyptiens de renommée internationale ont, en effet, produit une œuvre conséquente dans une autre langue que l’arabe : le français (Albert Cossery, Edmond Jabès ou Andrée Chedid), le grec (Stratis Tsirkas) ou l’anglais (Ahdaf Soueif ). Ce cadre cosmopolite a également donné des artistes de renommées internationales à la culture occidentale. Ainsi, c’est l’Alexandrie encore cosmopolite des 6 années 1940 qui a constitué la matière du célèbre Quatuor d’Alexandrie de l’anglais Lawrence Durrell. C’est encore cette Égypte plurielle qui est au cœur des romans des Français nés au Caire Robert Solé (Le Tarbouche* ou Le Sémaphore d’Alexandrie…) ou Gilbert Sinoué (L’Égyptienne, La Fille du Nil…). C’est enfin l’Égypte cosmopolite de la première moitié du XXe siècle qui a donné à la chanson française de la seconde moitié du même siècle, quelques-unes de ses plus grandes vedettes : Dalida, de son vrai nom, Yolanda Gigliotti, née au Caire en 1933 dans une famille italienne ; Georges Moustaki, à l’origine Giuseppe Mustacchi né, quant à lui, à Alexandrie en 1934 dans une famille grecque ; Claude François, né en 1939, à Ismaïlia, dans une famille franco-italienne travaillant pour la Compagnie du canal de Suez. À l’heure de la mondialisation et de la réouverture de la bibliothèque d’Alexandrie, l’heure est plutôt à la réinsertion de cet apport cosmopolite dans le corps de la culture égyptienne contemporaine, mais cela ne se fait pas sans certaines réticences et surtout sans une profonde nostalgie. 7