Une mère palestinienne pleure son jeune fils assassin

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Une mère palestinienne pleure son jeune fils assassin
« Ils m’ont détruite » : Une
mère palestinienne pleure son
jeune fils assassiné
Yumna Patel – Fatima al-Umour, la mère de Qusay, l’adolescent
de 17 ans, pose sa tête sur l’épaule d’un membre de la famille
quelques instants après avoir dit un dernier adieu à son fils.
BETHLEHEM (Ma’an) – Le trafic du début de matinée commençait à
se ralentir quand le cortège funèbre est sorti de Bethléem, et
les voitures qui se rendaient au village voisin de Tuqu, au
sud de la Cisjordanie occupée, ont pu accélérer l’allure.
« Regardez, regardez », a dit un des chauffeurs de la
procession funéraire, en montrant un groupe de soldats
israéliens stationnés sur la colline juste au-dessus de la
route que partagent les colons israéliens et les Palestiniens
« ils essaient de nous provoquer. »
A moment donné, le trafic s’est ralenti, et des jeunes gens –
des habitants de Tuqu où Qusay al-Umour, 17 ans, avait été
abattu moins de 24 heures plus tôt – ont sauté des voitures
pour attraper des pierres sur le bord de la route et les
lancer le plus loin possible en direction des soldats, en se
disant que c’était peut-être l’un d’eux qui avait tiré les
quatre balles mortelles qui avaient tué leur ami.
Des femmes et des enfants se sont rassemblés sur les toits,
des passants ont klaxonné et des jeunes hommes se dressaient
hors des fenêtres des voitures avec des drapeaux palestiniens
et des drapeaux du Fatah, des photos d’al-Umour, le dernier «
martyr », étaient collées à l’arrière des voitures.
Les gens se rassemblent sur les toits
des maisons de Tuqu surplombant le
cimetière lors des funérailles de
Qusay al-Umour, 17 ans – Photo :
MaanImages/Yumna Patel
En l’espace de quelques instants, les milliers de résidents de
Tuqu ont inondé la rue principale – les hommes et les
adolescents se sont entassés autour de l’ambulance pour porter
le corps d’al-Umour, les femmes et les enfants, aux fenêtres
et sur les toits, essuyaient leurs larmes.
Une marée humaine s’est jointe à la famille d’al-Umour et à
ses amis d’école pour chanter des slogans de libération à
travers la ville en portant le corps de leur fils et ami
assassiné, drapé dans un drapeau palestinien et couvert d’un
kuffiyeh, le traditionnel foulard palestinien.
Quand la procession s’est arrêtée devant la maison de
l’adolescent où les femmes de la famille al-Umour attendaient
pour dire adieu à Qusay, les chants des hommes dans la rue ont
été rapidement couverts par les hurlements et les cris
perçants des femmes qui étaient à l’intérieur.
« Ils [les Israéliens] sont des terroristes. Ce sont des
tyrans. Ils ne m’ont pas permis de le voir. Ils ne l’ont pas
aidé, » a dit, dans un sanglot, Fatima al-Umour, la mère de
Qusay, qui s’exprimait avec difficulté. Des dizaines de femmes
en deuil se pressaient autour d’elle.
« Je n’arrêtais pas de leur demander [aux soldats] de lui
donner les premiers secours mais ils n’ont pas voulu. Ils
l’ont traîné plus loin et nous ne savions pas où il était. Ils
l’ont emmené derrière la jeep, ont déchiré ses vêtements, puis
ils l’ont jeté plus loin, et l’ont laissé [mourir] seul », at-elle dit, la tête posée sur l’épaule d’un membre de sa
famille, en essayant de se redresser.
« Porte la tête haute, tu es la mère d’un martyr », criaient
quelques femmes pour tenter de réconforter Fatima, « ton fils
est un héros! »
Les paroles de consolation furent recouvertes par les pleurs
de Fatima.
« Oh mon fils bien-aimé! Ils t’ont torturé et traîné par
terre. Ils m’ont détruite. Que Dieu les conduisent devant la
justice », a-t-elle continué en gémissant et en fixant des
yeux le kuffiyeh qu’il portait sur la tête, tandis que des
équipes de télévision, des membres de la famille et des gens
en deuil tentaient de passer devant elle.
Les membres de la famille et les
forces
de
sécurité
de
l’AP
transportent le corps de Qusay alUmour, âgé de 17 ans, depuis la
morgue à l’hôpital Hussein de Beit
Jala – Photo: MaanImages/Yumna Patel
Les membres de la famille et les forces de sécurité de l’AP
transportent le corps de Qusay al-Umour, âgé de 17 ans, de la
morgue à l’hôpital Hussein de Beit Jala. (MaanImages / Yumna
Patel)
« Ils [les soldats israéliens] l’ont traîné brutalement
jusqu’au véhicule militaire. Personne au monde ne ferait une
chose pareille », a déclaré un homme de la famille assis à
côté de Fatima, se faisant l’écho de l’horreur des
circonstances dans lesquelles l’adolescent avait été tué.
Les résidents de Tuqu – ceux qui étaient présents aux
affrontements pendant lesquels Um-Umour a été tué et ceux qui
ont vu la vidéo documentant les événements qui ont suivi
immédiatement sa mort – semblaient être sûrs de deux choses:
le lycéen avait été tué à tort par les forces israéliennes, et
ils ne savaient pas, et ne sauront probablement jamais, si
Qusay était déjà mort quand les soldats se sont saisi de son
corps inanimé, ou s’il est mort pendant qu’il était entre
leurs mains.
Les images prises par le journaliste palestinien Hisham Abu
Sharqah immédiatement après l’assassinat d’Al-Umour se sont
répandues à toute vitesse sur les médias sociaux, car elles
semblaient contredire les allégations de l’armée israélienne
selon lesquelles Al-Umour avait été le « principal
instigateur » des affrontements ce jour-là.
La vidéo montre les forces israéliennes courant vers le corps
inanimé de l’adolescent, couché dans un champ d’oliviers à
quelque 100 mètres de la route où les affrontements avaient eu
lieu
On voit des soldats israéliens atteindre al-Umour couché,
inanimé sur le sol, un soldat trébucher sur les jambes d’alUmour, tandis qu’un autre se penche sur lui et le retourne sur
le dos avant l’arrivée d’autres soldats. La vidéo montre alors
quatre soldats, traînant l’adolescent inanimé par les bras et
les jambes, vers la route où se trouvaient les soldats et les
jeeps blindées.
Des proches soutiennent le père de
Qusay al-Umour, au centre, alors
qu’il se penche sur la tombe de son
fils – Photo: MaanImages / Yumna
Patel
Bien que les rapports initiaux aient affirmé qu’Al-Umour avait
reçu six balles, une source médicale de l’hôpital Hussein de
Beit Jala, où le corps a été examiné, a dit à Ma’an que
l’adolescent en avait reçu quatre – deux dans la poitrine, et
une dans chaque hanche.
« Une des balles a perforé son cœur. C’est elle qui a causé sa
mort, » a dit la source. Bien que les conclusions médicales
ne soient pas encore disponibles, Ahmad al-Umour, un cousin de
l’adolescent assassiné, a dit à Ma’an que lui-même – tout
comme Fatima, sa famille, et le reste du village – ne savait
pas quoi penser.
Interrogé sur l’allégation selon laquelle al-Umour était le
« principal instigateur » en dépit du fait qu’il avait été tué
à une distance d’au moins 100 mètres du lieu des
affrontements, Ahmad s’est avéré incapable de se rappeler les
détails de l’incident. Perdu et accablé, il restait fixé sur
le moment où Al-Umour avait été traîné au sol et laissé là à
perdre son sang, les villageois étant empêchés de le
rejoindre. « Ils lui ont tiré quatre balles dans la poitrine
et il est tombé tout de suite. Ils l’ont laissé saigner sans
lui offrir aucun secours. Nous nous sommes précipités pour
l’aider, mais les soldats l’ont emmené dans une base militaire
à l’entrée de la ville, » a dit Ahmad. « Alors ils ont informé
le bureau de liaison palestinien de son martyre, et le
Croissant-Rouge palestinien est allé chercher le corps du
martyr. »
Ahmad a réussi à dire quelques mots sur son cousin au moment
où le corps d’al-Umour était transporté dans la mosquée, la
dernière étape de la procession avant la mise en terre.
« Tous les jeunes du village aimaient Qusay. Il a toujours
aidé tout le monde, il aidait ses camarades de classe avec
leurs leçons. Il était sociable », a dit Ahmad, ajoutant
qu’Al-Umour était également « actif dans la résistance »
contre les soldats israéliens qui font régulièrement des raids
dans le village.
Mais quand on les interrogeait sur Qusay ou sur les événements
de lundi, Ahmad, Fatima et tous les parents et villageois
Ma’an ne pouvaient parler que de la période d’une heure
environ où l’adolescent était aux mains des Israéliens avant
que son corps ne soit restitué. Pas du fait qu’on lui avait
tiré dans la poitrine, mais du fait que l’armée israélienne
détenait son corps, et que pour cette raison, ils ne sauraient
jamais exactement ce qui lui était arrivé.
Sur toutes les bannières accrochées dans les rues du village
et les affiches collées à l’arrière des voitures, il y avait
une grande photo des quatre soldats israéliens traînant le
corps inanimé d’Al-Umour par les jambes et les bras, surmontée
d’un souriant portrait de l’adolescent assassiné, à droite, et
du président palestinien Yasser Arafat, à gauche.
Bien que les rapports médicaux puissent normalement permettre
de savoir si Al-Umour a été tué instantanément ou s’il est
mort après avoir été traîné par les forces israéliennes et
avoir été détenu en Israël, il restera toujours un doute sur
les événements qui entourent la mort de l’adolescent.
La procession funéraire de Qusay alUmour à Tuqu le 17 janvier 2017 –
Photo: MaanImages/Muhammd Taqatqa
D’après Ma’an, al-Umour est le 251e Palestinien tué par les
Israéliens depuis octobre 2015 qui a vu le début d’une vague
de troubles en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est et en
Israël. Bien que la majorité des Palestiniens aient été tués
par les forces israéliennes après avoir tenté ou mené des
attaques contre des Israéliens, au moins 65 Palestiniens comme
al-Umour ont été abattus pendant des heurts avec les forces
israéliennes.
Al-Umour était le quatrième palestinien tué par les forces
israéliennes en janvier 2017. Mais mardi, un autre Palestinien
a été tué par les forces israéliennes au nord de la
Cisjordanie occupée, après avoir soi-disant tenté de
poignarder des soldats israéliens. Dans des dizaines de cas,
la version israélienne des événements a été contestée par des
témoins, des militants et des groupes de défense des droits de
l’homme qui ont dénoncé ce qu’ils appellent la politique de «
tirer pour tuer » des Palestiniens qui ne constituaient pas
une menace au moment de leur mort, ou qui auraient pu être
maîtrisés de manière non létale – dans un contexte d’impunité
totale des forces israéliennes qui commettent ces meurtres.
Lorsqu’on a demandé aux autorités
ouvriraient une enquête sur la mort
l’ont fait dans quelques rares cas,
police israélienne a dit à Ma’an
israéliennes si elles
d’al-Umour, comme ils
un porte-parole de la
qu’il « n’avait pas
connaissance » d’une enquête.
Une foule de gens se rassemblent dans
le village de Tuqu pour le cortège
funèbre de Qusay al-Umour 17 ans –
Photo: MaanImages, Yumna Patel
Même si une enquête était ouverte, le précédent du cas de
Khalid Bahr, âgé de 15 ans, tué par les forces israéliennes en
octobre pour avoir lancé des pierres contre des soldats lors
d’un raid, jette le doute sur la possibilité que l’armée
reconnaisse sa responsabilité. Alors que les témoins ont
affirmé que Bahr rentrait de l’école et ne lançait pas de
pierres, et qu’une enquête interne de l’armée israélienne a
révélé ultérieurement que la vie des soldats israéliens
n’était pas en danger quand Khalid a été tué, rien n’est
arrivé aux soldats qui ont tué l’adolescent.
Selon le groupe de défense des droits humains Yesh Din, sur
186 enquêtes criminelles ouvertes par l’armée israélienne en
2015 sur des infractions dont des Palestiniens auraient été
victimes, quatre seulement ont abouti à des inculpations.
Que la mort d’Al-Umour ait ou non des conséquences plus larges
sur le fait que les forces israéliennes soient obligées de
rendre des comptes, cela ne changera probablement pas grandchose pour la famille d’al-Umour, ses amis et les villageois.
« Ils l’ont emmené à environ un kilomètre de distance sans lui
prodiguer aucune soin et l’ont laissé saigner à mort », a dit
un parent d’al-Umour à Ma’an pendant les funérailles: « Que
dire de cette manière de tuer un enfant ? C’est le
comportement de criminels et de terroristes. »
17 janvier 2017 – Maan-News – Traduction : Chronique de
Palestine – Dominique Muselet

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