Houthis
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Houthis
Yémen, le pays de tous les dangers C’est dans un pays « au bord du précipice », selon les mots du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon*, que la Française Isabelle Prime* a été enlevée, le 24 février, avec sa traductrice. « Le Yémen est en pleine guerre interne », affirme l’anthropologue et directeur de recherche au CNRS Franck Mermier*, et celle-ci se joue entre trois camps : les rebelles chiites houthis, les partisans du président Hadi* (sunnite) et Al-Qaïda* dans la péninsule arabique (Aqpa), l’organisation qui a revendiqué la tuerie de Charlie Hebdo* par les frères Kouachi, le 7 janvier dernier. La plupart des ambassades, dont la française, ont fermé leurs portes, et la consultante en développement durable et en communication de 30 ans faisait partie des rares expatriés encore présents à Sanaa*, la capitale de ce pays de 24 millions d’habitants, où les événements se sont précipités ces derniers mois. Le 21 septembre dernier, les séparatistes houthis ont pris Sanaa* et, le 20 janvier, ils ont forcé le président Abd Rabbo Mansour Hadi* à démissionner. Depuis le 22 février, ce dernier est réfugié à Aden*, son fief au sud du pays. « Longtemps, un processus politique marqué par le dialogue et porté par la communauté internationale a permis de contenir la violence alimentée par les rivalités entre élites, mais il est aujourd’hui très affaibli », s’inquiète Laurent Bonnefoy*, spécialiste du Yémen à Sciences Po-Ceri*. Retour sur les acteurs et les enjeux de ce conflit. Qui sont les houthis ? Les houthis, venus du nord du pays, sont de confession zaydite*, une branche du chiisme* suivie par un tiers de la population yéménite dans ce pays à majorité sunnite*. Le mouvement – créé par Hussein Badreddin al-Houthi* et dirigé par son frère Abdelmalek al-Houti après sa mort en 2004 –, a une branche armée, Ansar Allah (les « Partisans de Dieu »), en guerre avec le régime sunnite depuis dix ans, et des slogans récurrents : « Mort à Israël, mort aux Etats-Unis, malédiction aux Juifs et victoire à l’islam. » « C’est la répression étatique qui a créé leur popularité », précise le chercheur Laurent Bonnefoy*. En 2011, ils profitent en effet du « printemps yéménite » contestant le président d’alors, Ali Abdallah Saleh*, pour organiser des manifestations contre la corruption. Quels sont leurs soutiens ? La mobilisation des houthis est soutenue par l’Iran chiite* et le mouvement libanais Hezbollah*. « Il reste que les houthis sont isolés sur le plan régional et international, précise Laurent Bonnefoy*. Leur accession au pouvoir pose des problèmes dans un pays qui dépend si fortement de l’aide internationale et notamment saoudienne (sunnite*). » Quant au président Hadi*, actuellement réfugié à Aden* (ancienne capitale du Sud-Yémen, jusqu’à la réunification, en 1990), il bénéficie du soutien de la communauté internationale. Quelle est l’influence d’Al-Qaïda ? Si les houthis s’opposent aux partisans du président Hadi*, ils veulent aussi éradiquer Al-Qaïda* dans la péninsule arabique (Aqpa*). L’organisation terroriste sunnite – qui aurait accueilli dans ses camps d’entraînement les frères Kouachi – tente de conforter ses positions au Yémen en cette période trouble et se dresse souvent comme un rempart face à l’avancée des houthis chiite*. « Ainsi, Aqpa*, à travers des alliances avec les tribus, jouit d’une assise territoriale et populaire, notamment dans les régions centrales et méridionales du pays », poursuit Laurent Bonnefoy*. L’influence réelle d’Aqpa, « sans doute fluctuante », est difficile à évaluer. « Mais ce groupe a un pouvoir de déstabilisation extrêmement fort », indique Franck Mermier*. Il est dans la région depuis janvier 2009, mais contrôle « peu de territoires comparé aux houthis, qui détiennent environ 20 % du pays ». Jusqu’où peuvent aller les houthis ? Aujourd’hui, les houthis contrôlent les régions du nord et la capitale, Sanaa*. Ils avancent petit à petit, « mais leurs gains territoriaux restent provisoires, rappelle Franck Mermier*. Les houthis ne contrôlent pas les provinces du sud et n’ont donc pas accès aux ressources, comme le pétrole et le gaz ». Donatella Rovera*, chargée des gestions de crise pour Amnesty International* qui rentre tout juste du Yémen, constate que « la capitale s’est vidée de ses expatriés. Cela pourrait avoir un impact, qui sera visible plus tard, sur les projets d’aide dont bénéficie un pourcentage important de la population ». 1962-1970. Après l’abolition de la monarchie chiite*, le pays se divise en deux : la République arabe du Yémen (au nord) et la République démocratique populaire du Yémen (sous l’influence de l’URSS). 22 mai 1990. Réunification du Nord et du Sud pour former un seul Etat : la République du Yémen. Ali Abdallah Saleh devient président. Janvier 2009. Naissance d’ Al-Qaïda* dans la péninsule arabique (Aqpa*), regroupement des branches saoudienne et yéménite d’ Al-Qaïda*. Janvier 2011. Début de la révolution populaire yéménite contre le président Saleh*, qui démissionne en novembre. Février 2012. Election du président Hadi* (sunnite*) pour un mandat intérimaire de deux ans. 21 septembre 2014. Prise de Sanaa*, la capitale, par les houthis (chiite*). 22 février 2015. Le président Hadi* s’enfuit à Aden* (ex-capitale du Sud-Yémen, qui constitue toujours le cœur économique du pays)