1 Le jugement de l`oreille dans les dictionnaires du XVIIIe siècle

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1 Le jugement de l`oreille dans les dictionnaires du XVIIIe siècle
Le jugement de l’oreille dans les dictionnaires du XVIIIe siècle
Agnès Steuckardt
Université Paul Valéry-Montpellier III
PRAXILING (UMR 5267)
1. Des canons incertains
(1) Quelque danger qu’il y ait à vouloir faire ce que ces grands Maîtres [Aristote, Cicéron] n’ont point voulu, il me
semble pourtant qu’on peut, en rapprochant leurs principes, définir le nombre oratoire, Une sorte de modulation, qui
résulte, non seulement de la valeur syllabique, mais encore de la qualité, et de l’arrangement des mots. Pesons tous les
termes.
Je dis une sorte de modulation, parce que c’est une suite de plusieurs mouvemens, qui ne sont point arbitrairement
distribuez : mais où il doit se trouver de certaines proportions, sans lesquelles ce ne seroit que des sons indépendans
les uns des autres, et dont l’assemblage confus ne formeroit rien de flatteur pour l’oreille.
Je donne pour première cause de cette modulation, la valeur syllabique des mots, dont une phrase est composée :
c’est-à-dire, leurs longues et leurs brèves, non point assemblées fortuitement, mais assorties de manière qu’elles
précipitent, ou ralentissent la prononciation au gré de l’oreille.
J’ajoûte qu’il faut avoir égard à la qualité des mots. Et par-là je n’entens point ce qui caractérise la noblesse, la
bassesse, l’énergie, la foiblesse : c’est l’affaire de la Rhétorique. Quant à la Prosodie, elle ne les considère que
matériellement, et comme des sons, ou éclatans, ou sourds, ou lents, ou rapides, ou rudes, ou doux. Or, nous ne
créons pas les mots : c’est une nécessité de les employer tels qu’ils sont : et il y auroit même de la bizarrerie à vouloir
en rejeter quelques-uns, sous prétexte que notre oreille ne s’en accommode pas. Un des plus importans secrets de le
Prosodie, c’est de tempérer les sons l’un par l’autre. Il n’y a point de si rude syllabe, qui ne puisse être adoucie ; il n’y
en a point de si foible, qui ne puisse être fortifiée : tout cela dépend des syllabes qui précédent, ou qui suivent celle
dont l’oreille se plaint. (Pierre-Joseph Thoulier d’Olivet, 1736, V, 2, p. 123-124)
(2) Je commence par dire que cette observation ne regarde point ceux qui écrivent en prose. Car la prose souffre les
hiatus, pourvu qu’ils ne soient, ni trop rudes, ni trop fréquens. Ils contribuent même à donner au discours un certain
air naturel : & nous voyons, en effet, que la conversation des honnêtes-gens est pleine d’hiatus volontaires, qui sont
tellement autorisez par l’Usage, que si l’on parloit autrement, cela seroit d’un pédant, ou d’un provincial.
Mais il s’agit ici de ce qui doit être permis dans le vers. C’est aux Poêtes à examiner si dans le choc des syllabes dont
nous parlons, il n’y a pas cette sorte de cacophonie, que l’on doit appeler hiatus puisqu’elle ne peut être sauvée, ni
par l’élision, ni par l’aspiration. (« De l’aspiration », III, V, p. 40)
(3) Quoique l’élision se pratiquât rigoureusement dans la vérsification des Latins ; & quoique les François, qui n’élident
ordinairement que l’e féminin, les François qui n’élident ordinairement que l’e féminin, se soient fait pour les autres
voyelles une regle équivalente à l’élision latine, en proscrivant dans leur poésie la rencontre d’une voyelle finale avec
une voyelle initiale ; je ne sai s’il n’est pas entré un peu de prévention dans l’établissement de ces regles, qui donne
lieu à une contradiction assez bizarre. Car l’hiatus ou baillement, qu’on trouve si choquant entre deux mots, devroit
également déplaire à l’oreille dans le milieu d’un mot : il devroit paroitre aussi rude de prononcer meo sans élision,
que me odit. On ne voit pas néanmoins que les poëtes latins aient rejetté au tant qu’ils le pouvoient les mots où se
rencontroient ces hiatus ; leurs vers en sont remplis, & les nôtres n’en sont pas plus exempts. Non-seulement nos
poëtes usent librement de ces sortes de mots, quand la mesure ou le sens du vers paroît les y obliger; mais lors même
qu’il s’agit de nommer arbitrairement un personnage de leur invention, ils ne font aucun scrupule de lui créer ou de lui
appliquer un nom dans lequel il se trouve un hiatus ; & je ne crois pas qu’on leur ait jamais reproché d’avoir mis en
œuvre les noms de Cléon, Chloé, Arsinoé, Zaïde, Zaïre, Laonice, Léandre, &c. (Harduin, 1755, p. 106, note)
(4) HIATUS, s. m. (Gramm.) ce mot purement latin a été adopté dans notre langue sans aucun changement, pour
signifier l’espece de cacophonie qui résulte de l’ouverture continuée de la bouche, dans l’émission consécutive de
plusieurs sons qui ne sont distingués l’un de l’autre par aucune articulation. M. du Marsais paroît avoir regardé
comme exactement synonymes les deux mots hiatus & bâillement; mais je suis persuadé qu’ils sont dans le cas de
tous les autres synonymes, & qu’avec l’idée commune de l’émission consécutive de plusieurs sons non articulés, ils
désignent des idées accessoires différentes qui caractérisent chacun d’eux en particulier. Je crois donc que bâillement
exprime particulierement l’état de la bouche pendant l’émission de ces sons consécutifs, & que le nom hiatus
exprime, comme je l’ai déjà dit, la cacophonie qui en résulte : en sorte que l’on peut dire que l’hiatus est l’effet du
bâillement. Le bâillement est pénible pour celui qui parle ; l’hiatus est desagréable pour celui qui écoute : la théorie de
l’un appartient à l’Anatomie, celle de l’autre est du ressort de la Grammaire. […]
1°. Il est certain que la loi générale qui condamne l’hiatus comme vicieux entre deux mots, a un autre fondement que
la prévention. La continuité du bâillement qu’exige l’hiatus, met l’organe de la parole dans une contrainte réelle, &
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fatigue les poûmons de celui qui parle, parce qu’il est obligé de fournir de suite & sans interruption une plus grande
quantité d’air : au lieu que quand des articulations interrompent la succession des sons, elles procurent
nécessairement aux poûmons de petits repos qui facilitent l’opération de cet organe : car la plûpart des articulations
ne donnent l’explosion aux sons qu’elles modifient, qu’en interceptant l’air qui en est la matiere. Voyez h. Cette
interception doit donc diminuer le travail de l’expiration, puisqu’elle en suspend le cours, & qu’elle doit même
occasionner vers les poûmons un reflux d’air proportionné à la force qui en arrête l’émission.
D’autre part, c’est un principe indiqué & confirmé par l’expérience, que l’embarras de celui qui parle affecte
desagréablement celui qui écoute : tout le monde l’a éprouvé en entendant parler quelque personne enrouée ou
begue, ou un orateur dont la mémoire est chancelante ou infidelle. C’est donc essentiellement & indépendamment de
toute prévention que l’hiatus est vicieux ; & il l’est également dans sa cause & dans ses effets. (B. E. R. M.) (Beauzée,
Encyclopédie, « Hiatus », 1765)
(5) J’ai dit que l’hiatus est quelquefois doux, quelquefois dur ; & l’on va s’en appercevoir. Les accens de la voix peuvent
être tour-à-tour détachés ou coulés comme ceux de la flûte ; & l’articulation est à l’organe ce que le coup de langue
est à l’instrument : or la modulation du style, comme celle du chant exige tantôt des sons coulés, & tantôt des sons
détachés , selon le caractère du sentiment ou de l’image que l’on veut peindre ; donc , si la comparaison est juste,
non-seulement l’hiatus est quelquefois permis, mais il est souvent agréable ; c’est au sentiment à le choisir ; c’est à
l’oreille à marquer sa place. Nous sommes déja sûrs qu’elle se plait à la succession immédiate de certaines voyelles :
rien n’est plus doux pour elle que ces mots, Danaé, Laïs, Dea, Léo, Ilia, Thoas, Leucothoé, Phaon, Léandre, Actéon, &c.
Le même hiatus sera donc mélodieux dans la liaison des mots, car il est égal pour l’oreille que les voyelles succèdent
dans un seul mot, ou d’un mot à un autre. Il y avoit peut-être chez les anciens une espece de bâillement dans l’hiatus ;
mais s’il y en a chez nous, il est insensible, & la succession de deux voyelles ne me semble pas moins continue & facile
dans il y-a y il a-été-à, que dans Ilia, Danaé, Méléagre.
Nous éprouvons cependant qu’il y a des voyelles dont l’assemblage déplaît : a-u, o-i, a-an, a-en, o-un, sont de ce
nombre, & l’on en trouve la cause physique dans le jeu même de l’organe ; mais deux voyelles dont les sons se
modifient par des mouvemens que l’organe exécute facilement, comme dans Ilia, Clio, Danaé, non-seulement se
succèdent sans dureté, mais avec beaucoup de douceur.
L’hiatus d’une voyelle avec elle-même est toujours dur à l’oreille : il vaudroit mieux se donner, même en prose, la
licence que Racine a prisé, quand il a dit, j’écrivis en Argos, que de dire, j’écrivis à Argos : c’est encore pis quand
l’hiatus est redoublé, comme dans il alla à Athènes.
On voit par-là qu’on ne doit ni éviter, ni employer indifféremment l’hiatus dans la prose. (Marmontel, « Hiatus »
(Littérature, Poésie), Supplément de l’Encyclopédie, 1778 [2005], p. 609)
2. Évolution des jugements de l’oreille dans les dictionnaires
DAMOISELLE/DEMOISELLE
Damoiselle, Madamoiselle. L’on ne parle plus, ni l’on n’escrit plus ainsi ; Il faut dire, Demoiselle, & Mademoiselle, avec
vne e, après le d. C’est que l’e est beaucoup plus doux que l’a, & comme nostre langue se perfectionne tous les jours,
elle cherche une de ces plus grande perfection dans la douceur. (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise : utiles à
ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Paris, Vve J. Camusat et P. Le Petit, 1647, p. 141-142)
Demoiselle, Damoiselle. Quelques uns disent Damoiselle, mais la plu-part sont pour demoiselle, parce qu’il est plus
doux. C’est une piece de bois de 3, ou 4 piez de haut, ronde, et ferrée par les deux bouts, aiant comme deux anses au
milieu qu’on empoigne lorsqu’on veut se servir de cet instrument. (Richelet, 1680)
DAMOISELLE. s.f. Titre qu’on donne aux filles nobles dans les actes publics. Damoiselle N. femme de N. Escuyer. ladite
Damoiselle. Damoiselle N. fille mineure. fille usante et joüissante de ses droits.
Hors de cet usage on dit tousjours Demoiselle; et alors c’est un terme qui est commun à toutes les filles de condition,
et par lequel on les distingue des femmes mariées. Voilà une belle Demoiselle, une Demoiselle bien faite. c’est une
Demoiselle bien née, bien eslevée. (Dictionnaire de l’Académie françoise, 1694)
DEMOISELLE, Autrefois on disoit Damoiselle, & on trouve encore ce mot de Damoiselle dans des Actes, comme
contrats, c. […]
DEMOISELLE, on dit aussi Damoiselle, mais plus souvent Demoiselle, parce qu’il est plus doux. C’est un gros cylindre de
bois, fèrré par le bout, & pesant, qui a deux anses aux côtez pour le manier, & l’élever un peu en l’air. (Dictionnaire de
Trévoux, 1738-1742)
DAMOISELLE, s. f. Il s’est dit aûtrefois, et se dit encôre au Palais pour Demoiselle. – Marsolier le dit toujours de même,
mais mal.
DEMOISELLE, s. f. [De-moa-zèle; 1re et dern. e muet, 3e è moy. – Du temps de Richelet on disait aussi Damoiselle,
mais il trouvait Demoiselle plus doux.] Terme devenu comun à toutes les filles d’ honête famille, et par lequel on les
distingue des femmes mariées. "C’est une Demoiselle bien née, bien élevée. (Féraud, 1787-88)
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Richelet
Voyelles
ametiste/amatiste
arteriel/arterial
bernabites/barnabites
bessiere/bassiere
contrevention/contravention
demoiselle/damoiselle
méridienne/méridianne
sacramentel/sacramental
tergette/targette
terin/tarin
tréceuse/traceuse
trême/trame
Trévoux
Féraud
bessiere/bassiere
demoiselle/damoiselle
demoiselle/damoiselle (« du
temps de Richelet »)
méridienne/méridianne
sacramentel/sacramental
becfigue/beccafigue
rominagrobis/raminagrobis
acatique/aquatique
balïer/balaïer
navigation/naviguation
plier/ployer
rabiniste/rabaniste
acatique/aquatique
balier/balayer/baleyer
acatique/aquatique
balayer/ balaïer
bigourdan/bigordan
fève/féve
bonnèterie/bonneterie
bréveter/breveter
brévetaire/brevetaire
Consonnes
belande/belandre
maladerie/maladrerie
mairie/mairerie
belande/belandre
confiseur/confiturier
destructive/destructrice
Hiatus
Autres
géanne/géante
on/l’on
mon inclination, mon ame/ma
inclination, ma ame
ton inclination/ta inclination
hésiter (h aspirée/h muette)
géanne/géante
on/l’on
on/l’on
hésiter (h aspirée ou h
muette)
[accoutumance/coutume]
accoutumance/habitude
l’on/on
l’on/on
prostibule/bordel
3
col (en vers)/cou (« Cou »)
licol (en vers)/ licou (« Licol »)
j’aye + voyelle/j’aie +consonne
(« Avoir »)
éveillé devant que/ éveillé avant
que (« Devant »)
où donc est/où est (« Donc »)
s’empresse de/s’empresse à
(« Empresser »)
il est (« en vers)/ il y a (« Etre »)
forcé de/forcé à (« Forcer »)
gagner d’avoir/gagner à avoir
(« Gagner »)
Il y a plaisir d’être/il y a plaisir à
être (« Plaisir »)
et reculer/et éloigner (« Recul »)
désuétude/désacoutumance
(« Désuétude »)
l’on/on
ACATIQUE/AQUATIQUE
S’il faut dire acatique, ou aquatique.
Il faut dire acatique. Les anciens Romains prononceoient le Q, comme le C ; ce qui a esté remarqué par tous les
Grammairiens ; & ils prononceoient le C, comme nous prononceons le K. Ils distinguaient, ki, ka, kod, & non pas qui,
qua, quod […]. Je ne sache qu’equateur et equestre où l’V se prononce après le Q. Car pour celui de Quirinal, outre que
plusieurs disent Kirinal, nous l’avons pris des Italiens, & non pas des Latins. La raison de cette diversité, est, que ces
mots ne sont pas anciens en nostre Langue, & qu’ils y ont esté introduis par les Savans depuis le changement de
l’ancienne prononciation. (Ménage, 1672, p. 1)
ACATIQUE, AQUATIQUE, adj. L’un et l’autre se dit, mais le prémier est plus doux et plus-en usage, qui est dans les
eaux, qui fréquente les eaux. (Richelet, 1680)
AQUATIQUE. Adj. m. et f. Qui aime l’eau, ou qui y croît, ou qui en est rempli. On dispute fort sur la prononciation de ce
mot. La plus grande autorité que nous ayons en ces choses, veut qu’on le prononce comme s’il étoit écrit acouatique,
et il semble que l’on devroit s’y soumettre. Cependant il y a d’habiles Auteurs, et grand nombre d’honnêtes gens, qui
non seulement veulent que l’on prononce acatique, mais qui veulent aussi qu’on l’écrive. Ainsi ces derniers pourroient
bien l’emporter sur Mrs. de l’Académie Françoise. En attendant que le procés soit vuidé, on croit que l’on fera bien
d’écrire aquatique, et de le prononcer le plus doux que l’on pourra. Prononcez donc acatique. (Dictionnaire de
Trévoux, 1738-1742)
ACATIQUE, ou AQUATIQUE, adj. Suivant Richelet, l’un et l’autre se dit ; mais le 1er. est plus doux et plus en usage. Il
veut donc qu’on prononce akatike. Il a tort, et pour l’orthogr. et pour la prononciation Voy. AQUATIQUE.
AQUATIQUE, adj. [Pron. A-koua-tike. M. de Wailly met aqùatique. Voudrait-il qu’on prononçât a-kua-tike: ce serait une
mauvaise prononciation. Menage voulait qu’on prononçât akatike: celui-ci est encore plus mauvais.] (Féraud, 1787-88)
BIGOURDAN/BIGOURDAN
Bigourdan paroît meilleur que Bigordan ; il est plus doux, et plus selon l’usage de notre langue, qui change volontiers
l’o en ou. Toulouse, Bourdeaux, Bourdelois, Perigourdan, &c. et non pas Tolose, Bordeaux, Bordelois, Perigordain.
(Dictionnaire de Trévoux, 1738-1742)
ACOUTUMANCE/HABITUDE, DÉSACCOUTUMANCE/DÉSUÉTUDE
ACOUTUMANCE, s.f. Vaugelas dit que ce mot vieillit, et qu’en sa place on se sert de celui de coutume. Cela est vrai
pour l’ordinaire: mais il y a des endroits où le mot d’acoutumance vient mieux que celui de coutume. (Richelet, 1680)
ACCOUTUMANCE. […] Habitude est plus doux, et je dirois plutôt, il fait cela par une mauvaise habitude, que par une
mauvaise accoutumance. (Dictionnaire de Trévoux, 1738-1742)
re
e
DÉSUÉTUDE, s. f. [Dézu-étude; 1 et 3 é fer. dern. e muet.] Il se dit des Lois, des Règlemens, anéantis en quelque
sorte, par le non usage. "Cette Loi est tombée en désuétude. Rem. Ce mot confiné dans le Barreau, est employé par de
bons Auteurs, depuis quelque temps. Il est plus doux que désacoutumance, qui est encore moins usité. La Langue a
besoin de l’un ou de l’aûtre, et même de tous les deux : car désuétude se dit même de l’inexécution des Lois, pour
laquelle désacoutumance ne vaudrait rien. Quelques-uns disent et écrivent dissuétude, qui ne vaut rien. (Féraud,
1787-88)
BONNETTERIE, FÈVE
BONNETIER, s. m. BONNETTERIE, s. f. [Bone-tié, Bonèterî-e: 2e e muet au 1er, è moy. au 2d, dont la 4e est longue.
L’Acad. écrit Bonneterie avec un seul t: elle supôse donc que le 1er e est muet, comme le 2d ; mais deux e muets de
suite ne sont pas trop dans l’analogie de la langue. (Féraud, 1787-88)
re
e
er
FèVE, s. f. FèVEROLE, s. f. [1 è moy. 2 e muet. _ à Paris on prononce féve, le 1 é fermé, et l’Acad. y met en éfet un
accent aigu: mais devant l’ e muet, suivant le génie et l’analogie de la Langue, l’ e quand il n’est pas ouvert, est du
moins un è moyen. Voy. E. Pourquoi ne prononcerait-on pas fève comme brève. On dira que ce n’est pas l’usage. À la
bonne heure. Pour moi, il me parait que féve est une prononciation molle et mignarde. Je me contente de dire mon
sentiment, et je me garde bien de rien décider.] (Féraud, 1787-88)
Quantités
ADRE. Bref dans ladre. Long dans cadre, escadre, cela ne cadre pas. Et cette syllabe est pareillement longue avec l’e
fermé : madrer, encadrer. (d’Olivet)
LADRE, adj. et subst. LADRERIE, s. f. [1re brève, 2e e muet, 3e lon. au 2d.]
CÂDRE, s. m. CÂDRER, v. n. [1re lon. Il est bon de la marquer d’ un acc. circ. 2e e muet au 1er, é fer. au 2d.
ESCÂDRE, s. f. ESCADRON, s. masc. ESCADRONER, v. neut. [Èskâdre, èska--dron, droné; 1re è moy. 2e lon. au 1er.]
MÂDRÉ, ÉE, adj. [1re lon. 2e é fer.]
ENCÂDREMENT, s. m. ENCÂDRER, v. act. [Ankâdreman, dré: 2e lon, 3e e muet au 1er, é fer. au 2d.] (Féraud, 1787-88)
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3. Déclinaisons individuelles
 Casanova
[On a bien disputé à Florence, il y a cent ans, avant d’admettre votre mot guérison…]
Ce qu’on appelle la philosophie des langues, mon cher confrère, ne consiste que dans ces minuties. Ce qui vient après
cela, est le son du mot, et sa cadence, d’où dépend sa représentation. Une quantité de mots sonores et pompeux, en
grec, en latin et en italien, font devenir noble la chose qu’ils indiquent, qui au contraire ne semble souvent ignoble
qu’à cause de la bassesse du nom qu’on lui a donné. C’est, je crois, une des raisons de la prétendue pauvreté de la
langue française, pauvreté que j’aime précisément, parce que je me trouve trop riche dans mon italienne. (Casanova,
[1797] 1998, p. 30)
ABRITER […] L’Académie a eu raison de ne pas vouloir de lui. Ajoutons à cela que le son de ce mot paraît plus fait pour
l’équitation que pour tout autre matière, et que si on l’employait dans la haute poésie on l’exposerait à être sifflé.
Pourrait-il se tenir de rire, le parterre, si par exemple dans une tragédie un personnage disait :
Tandis que tu mettras les brigands à la chaîne,
Dans le temple voisin j’abriterai la reine. (Casanova, [1797] 1998, p. 45)
ARISTOCRATIE. […] Je ne regarderai pas non plus comme nouveaux tous les mots allongés, hac temporum tempestate,
par une préposition quelconque, soit en in, en de, en re, en a. Ces particules préposées aux noms, et aux verbes, qui
n’en avaient pas avant la régénération de la France, rendent leur prononciation ridicule, malsonnante et souvent
absurde. C’en est de même dans les terminaisons en liser des verbes, en isme de plusieurs substantifs, et en ades
aussi, comme guillotinades, noyades, qui ne peuvent avoir plu à la partie modérée des législateurs, que parce qu’en
même temps que ces atroces expressions font frémir, elles excitent à rire. (Casanova, [1797] 1998, p. 50-51)
LOUANGEUR. C’est un mot expressif, qui est français depuis longtemps, et qui me plaît, parce qu’il a un son spernatif.
Son seul défaut est d’être ignoble, mais à l’heureuse époque, où l’on a aboli la vaine noblesse, ce défaut ne peut pas
lui nuire. (Casanova, [1797] 1998, p. 60)
PARALYSER. C’est le seul mot qui ait fait fortune, même hors de France, par la raison qu’il ne sonne pas mal, et qu’il a
une étymologie grecque. Un grand nombre d’honnêtes écrivains s’en servent de la meilleure foi du monde, et je me
trouve toujours seul dans mon avis, car je ne peux pas le souffrir […].
Nous avons le mot assiderare, qui vient du latin siderari. Assidérer aurait fait rougir le ridicule paralyser, dont le son
donne plutôt une idée d’équitation que d’affaiblissement. (Casanova, [1797] 1998, p. 62)
RÉORGANISER, ROUVRIR. Comment pouvez-vous approuver ces verbes que la particule re ne fait que rendre
difformes ? Il ne faut pas abuser de cette particule re, car elle pourrait causer confusion, et produire des équivoques
impertinentes et comiques. Réordonner, rehausser, réhabiliter sont excellents, mais remanger, reboire feraient rire, et
j’aime à rire, mais non pas du son d’un mot. (Casanova, [1797] 1998, p. 74)
RENARDIN. Qui ne rirait à ce mot, prononcé en acception d’adjectif pour signifier un fin rusé ? Il est d’une bassesse
qu’aucun écrivain n’oserait l’employer dans une composition sérieuse. Les Latins ont vulpinus ; et il n’est pas ignoble
par rapport au son, vulpina pellis assuenda, si leonina non sufficit. Nous l’avons aussi en italien, mais nous n’oserions
nous en servir que dans le style bernesco. Renardin est donc un mot que la langue française doit improuver par nulle
autre raison que parce qu’il excite le rire […].
Nous avons dans notre langue, outre plusieurs autres mots : viscere et umbilico. Entrailles et nombril ne peuvent
paraître aux oreilles françaises des sujets ignobles, qu’à cause du son des mots. Ils sont nobles chez nous. (Casanova,
[1797] 1998, p. 75-76)
SANS-CULOTTE. De ces deux mots on a formé un substantif, dont le son comique peut servir à désopiler la rate.
(Casanova, [1797] 1998, p. 94)
[Epilogue]
[L’argot] qui existe en France est supérieur, en grâces de langage à ceux de toutes les nations. Par exemple, brider la
lourde sans tournante est une phrase mignonne aux oreilles de tous les honnêtes gens qui trouveraient au contraire
dure et scandaleuse ouvrir la porte sans clef, qui est la vulgaire. – C’est vrai. Nous connaissons cet argot ; mais nous
n’en voulons pas, car cela fait un langage qu’on oserait écrire. (Casanova, [1797] 1998, p. 133)
 Mercier
Ce mot mystérieux [le néologisme], jamais défini, est devenu familier à des hommes sans talent, qui, n’osant décrier
tout-à-fait cette imagination qui agrandit la nature, toujours méconnaissable aux examinateurs froids et rigides, se
retranchent dans un cercle étroit, comme ces animaux timides qui gagnent leurs terriers dès qu’ils entendent un son
inaccoutumé. (Mercier, [1801], 2009, Préface, p. 8, note 1)
ADHALER. Ce mot signifie pousser son haleine sur quelque chose. La lettre d, selon moi, est de trop : on ne doit pas
craindre l’hiatus dans un mot où il produit le plus bel effet. – Comme Ahaler peindrait bien d’émission de l’haleine
(Mercier, [1801], 2009, p. 45)
5
AMATRICE. L’oreille enfin doit approuver dans Amatrice, la désinence qu’elle approuve dans directrice, actrice, tutrice,
etc. Ce n’est pas un son nouveau pour elle. […] L’Impasse de Voltaire, qui est noble, sonore, expressif, aurait prévalu
sur cul-de-sac qui n’a aucune de ces qualités, si l’idée qu’on veut exprimer par un de ces mots était du district des
poètes ou des orateurs : la voix populaire, en cette occasion, impose silence à la néologie qui le réclame. (Mercier,
[1801], 2009, p. 56)
ARÉMÉTI. Vieux mot de la langue, qui signifiait tout à cette heure, maintenant. Il est doux, coulant, joli : on pourrait le
recréer Aréméti. (Mercier, [1801], 2009, p. 67)
HEUR. Ce mot Heur, qui favorisait la versification et qui ne choque point l’oreille, est aujourd’hui banni de notre
langue. Il serait à souhaiter que la plupart des termes dont Corneille s’est servi fussent en usage : son nom devrait
consacrer ceux qui ne sont pas rebutans. (Voltaire) (Mercier, [1801], 2009, p. 238)
Références
Dictionnaires de l’Académie françoise, 1694, 1718, 1740, 1762, 1798. http://www.classiques-garnier.com/numeriquebases/index.php?module=App&action=FrameMain&colname=ColAcademie2
Dictionnaire universel françois et latin contenant la signification et la définition tant des mots de l’une et l’autre
langue, avec leurs différents usages, que des termes propres de chaque état et de chaque profession,
communément appelé Dictionnaire de Trévoux, « Demoiselle », Nancy, Pierre Antoine, 1738-1742.
http://www.cnrtl.fr/dictionnaires/anciens/trevoux/menu1.php
BEAUZEE Nicolas, « Hiatus », Diderot Denis, d’Alembert Jean Le Rond, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers, Paris, Briasson, David, Le Breton, Durand, 1751-1772.
http://encyclopedie.uchicago.edu
CASANOVA Giacomo, A Léonard Snetlage, Paris, Alia, [1797] 1998.
FERAUD Jean-François, Dictionaire critique de la langue française, Marseille, Mossy, 1787-88, informatisé par Philippe
Caron, Université de Poitiers & Louise Dagenais, Université de Montréal.
http://portail.atilf.fr/dictionnaires/FERAUD/search.feraud.html
HARDUIN Alexandre-Xavier, Remarques diverses sur la prononciation et sur l’ortographe, Paris, Prault, 1755.
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